Skip to main content

Full text of "La minorité de Louis XIII; Marie de Médicis et Sully (1610-1612)"

See other formats


Zeller*  Berthold 

LA  HINORITE  DE  LOUIS  XIIIj 


DC     123.2    .25    1892 


39003001474013 


J 


/ 


©- 


^nivsrsi  ta, 
BiBUOTHECA 


LA 

MINORITÉ  DE  LOUIS  XIII 

MARIE  DE  MÉDICIS  ET  SULLY 


COULOMMIERS 

Imprimerie  Paul  Brodard-, 


I 


LA  MINORITE 

DE    LOUIS    XIII 


MARIE  DE  MÉDICIS  ET  SULLY 

(161O-1612) 


ETUDE  NOUVELLE 


D'APRES  LES  DOCUMENTS  FLORENTINS  ET  VENITIENS 


A 


PAR 


Berthold  ZELLER, 

Maître  de  conférences  d'histoire  à  la  Fa:ulté  des  lettres  de  Paris 
Répétiteur  à  l'Ecole  polytechnique 


^^**  «^'Oft, 


i>E><î>a->- 


PARIS  •'•^ 

LIBRAIRIE   HACHETTE   ET   C^*^ 

79,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,    79 
1892 

Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservé». 


'75 


INDICATION  PAR  ORDRE  ALPHABÉTIQUE 

DES  AUTEURS  ET  DES  OUVRAGES  CITÉS  DANS  LE  PRÉSENT  VOLUME 


Anqtjez  (Léonce),  Histoire  des  assemblas  politiques  des  réformés  de 
France.  Paris,  Durand,  1859,  ^  ^^^'  iii-8. 

Argon  VILLE  (Mme  d'),  Vie  de  Marie  de  Médicis,  princesse  de  Toscane, 
reine  de  France  et  de  Navarre.  Paris,  chez  Ruault,  libraire,  rue  de  la 
Harpe,  1774,  2  vol.  in-8. 

AuMALE  (Duc  d'),  Histoire  des  princes  de  Condé.  Paris,  Calmann  Lévy, 
1886,  4  vol.  in-8. 

Barozzi  et  Berchet,  Relaiioni  degîi  amhasciatori  Veneti  nel  secolo 
decimosettimo.  Série  II,  Francia,  t.  I;  Venezia,  1847,  ^^"^• 

Bassompierre  (Maréchal  de),  Journal  de  ma  vie.  Première  édition, 
conforme  au  manuscrit  original,  publié  pour  la  Société  de  l'Histoire  de 
France,  par  le  Marquis  de  Chantérac.  Paris,  1870-1877,  4  vol.  in-8. 

Bazin  (A.),  Histoire  de  France  sous  XomjX//J.  Paris,  Chamerot,  1846, 
4  vol.  in-i2, 

BiANCHi  (Nicomede),  le  Materie  politiche  relative  alVestero  degli  archivi 
di  stato piemontesi.  Roma,  Torino,  Firenze,  1876,  i  vol.  in-8. 

Bouille  (René  de),  Histoire  des  ducs  de  Guise.  Paris,  Amyot,  1850, 
4  vol.  in-8, 

Carutti  (Domenico),  Storia  délia  diploma:(ia  délia  carte  di  Savoia. 
Roma,  Torino,  Firenze,  fratelli  Bocca,  1876,  2  vol.  in-8. 

Daniel  (Le  rév.  P.),  Histoire  de  la  milice  française.  Amsterdam, 
aux  dépens  de  la  Compagnie,  1724,  2  vol.  in-4. 

Desjardins  (Abel),  Négociations  diplomatiques  de  la  France  avec  la  Tos- 
cane. (Collection  des  Documents  inédits  relatifs  à  l'Histoire  de  France.) 
Paris,  1861,  5  vol.  in-4. 

I>ORAT,  la  Nymphe  rémoise  au  roy.  Présenté  à  Sa  Majesté  par  la 
Pucelle,  en  son  entrée  en  la  ville  de  Reims.  A  Paris,  jouxte  la  copie 


VI  OUVRAGES    CITES. 

imprimée  à  Reims  par  Simon  de  Foigny,  1610,  poème  fait  par  le  sieur 
Dorât,  Limousin.  Bibliothèque  de  l'Institut,  Mélanges  sur  le  règne  de 
Louis  XIII,  1610-1613,  X  a  455,  n^  4. 

DouARCHE  (A.),  r Université  de  Paris  et  les  Jésuites.  Paris,  Hachette, 
1888,  I  vol.  in-8. 

Fontenay-Mareuil  (François  Duval),  Mémoires.  (Coll.  Michaud  et 
Poujoulat,  11*^  série,  t.  V.) 

EsTRÉES  (Maréchal  d'),  Mémoires.  (Coll.  Michaud  et  Poujoulat, 
11^  série,  t.  VI.) 

GiLLOT  (Jacques),  Relation  de  ce  qui  se  passa  au  Parlement  touchant  la 
régence  de  Marie  de  Médicis.  (Coll.  Michaud  et  Poujoulat,  f^  série,  t.  XI, 

p.  475-'^ 

Girard,  Histoire  de  la   vie  du  duc  d'Epernon.  Paris,    1730,  4  vol. 

in-i2. 

GisoRS  (Alphonse  dei,  le  Palais  du  Luxembourg  fondé  par  Marie  de 
Médicis  régente.  Paris,  Pion,  1847,  ^  ^'O^-  gr^nd  in-8. 

Griffet  (Le  père  Henri,  de  la  compagnie  de  Jésus),  Histoire  du  règne 
de  Louis  XHI,  roi  de  France  et  de  Navarre.  Paris,  Libraires  associés,  1757, 
3  vol.  in-4. 

GuicHEXOX  {SixmuQÏ),  Histoire  généalogique  de  la  maison  de  Savoie ,  1660, 
2  vol.  in-f^. 

Henrard  (Paul),  Henri  IV  et  la  Princesse  de  Condé,  1609-1610.  Précis 
historique  suivi  de  la  correspondance  diplomatique  de  Pecquius  et  d'au- 
tres documents  inédits.  Bruxelles,  Gand  et  Leipsig,  1870,  i  vol.  in-8. 
—  Cet  ouvrage  fait  partie  de  la  collection  des  Mémoires  relatifs  à  l'his- 
toire de  Belgique,  xvii"^  siècle. 

HÉROARD  {]Q2in),  Journal  sur  V enfance  et  la  jeunesse  de  Louis  A7//(  1601- 
1628),  extrait  des  manuscrits  originaux  et  publié  par  MM.  Eud.  Soulié 
et  Ed.  de  Barthélémy.  Paris,  Firmin-Didot,  2  vol.  in-8. 

Girard,  Histoire  de  la  vie  du  duc  d'Epernon.  Paris,  1730,  4  vol.  in- 12. 

L'EsTOiLE  (Pierre  de),  Mémoires  Journaux,  édition  pour  la  première 
fois  complète  et  entièrement  conforme  aux  manuscrits  originaux.  Paris, 
Jouault,  Librairie  des  bibliophiles,  1875-188.,  12  vol.  in-8. 

Le  Vassor  (iMichel),  Histoire  de  Louis  XHI,  roi  de  France  et  de  Navarre. 
Amsterdam,  1757,  7  vol.  in-4. 

L01SELEUR  {] u\qs),  Ravaillac  et  ses  complices.  Paris,  Didier,  1873,  ^  ^'O^- 
m-i2. 

Malherbe,  Œuvres,  recueillies  et  annotées  par  M.  L.  Lalanne.  Paris, 
Hachette,  1862,  4  vol.  in-8. 

Masselin  (Jthan),  Journal  des  Etats  généraux  de  1484,  publié  par 
Ad.  Bernier.  (Collection  des  Documents  inédits  relatifs  à  l'histoire  de 
France.)  Paris. 

Médicis  (Catherine  de).  Lettres  publiées  par  M.  le  comte  Hector  de 
la  Perrière.  (Documents  inédits  relatifs  à  l'Histoire  de  France.)  Paris, 
Imprimerie  nationale,  1880,  2  vol.  in-4,  en  cours  de  pubHcation. 

MoRXAY  (^Ph.  Du  Plessis-),  Mémoires  et  Correspondance,  1 571-1623. 
LaFontenelle  et  Auguis.  Paris,  1824-1825,  12  vol.  in-8. 


OUVRAGES    CITES.  VII 

MoRNAY  (Mme  de),  Mémoires  et  Lettres.  Mme  de  Witt.  Paris,  1868- 
1869,  2  vol.  ia-8.  Société  hist.  de  Fr. 

Perrens,  les  Mariages  espagnols  sous  le  règne  de  Henri  IV  et  la  régence 
de  Marie  de  Médicis.  Paris,  Didier,  i  vol.  in-8. 

Perrens,  VEglise  et  VEtat  en  France  sous  le  règne  de  Henri  IF  et  la 
régence  de  Marie  de  Médicis.  Paris,  Durand  et  Pedone,  1873,  2  vol.  in-8. 

PoiRSON,  Histoire  du  règne  de  Henri  IV.  Paris,  Didier,  1865,  4  vol. 
in-i2. 

PoxTCHARTRAiN  (P.  Phelypeaux  de),  Mémoires  concernant  les  affaires 
de  France  sous  la  régence  de  Marie  de  Médicis.  (Coll.  Michaud  et  Poujoulat, 
série  II,  t.  V.) 

Richelieu  (Cardinal  de,),  Mémoires.  (Collection  Michaud  et  Poujoulat, 
IP  série,  t.  VII). 

RicoTTi  (Ercole),  Storia  délia  monarchia  piemontese.  Firenze,  Barbera, 
4  vol.  in-i2,  186$. 

Saint-Genis  (De),  Histoire  de  la  Savoie.  Paris,  Didier,  1866,  3  vol. 
in-i2. 

Saint-Simon  (Écrits  inédits  publiés  par  M.  P.  Faugère),  Parallèle  des 
trois  premiers  rois  Bourbons.  Paris,  Hachette,  1880,  i  vol.  in-8. 

SiRi  (Vittorio),  Memorie  recondite  del  anno  1601  sino  a  1640.  Rome  et 
Paris,  1676-1679,  8  vol.  ir-). 

SoLARO  DELLA  Margherita,  Traités  publics  de  la  maison  de  Savoie^ 
4  vol.  in-4.  Turin,  1836. 

Sully,  Mémoires  des  sages  et  royales  œconomies  d'Estat  de  Henry  le 
Grand.  (Coll.  Michaud  et  Poujoulat,  Ile  série,  t.  II  et  III.) 

Zkller  (Bcrihold),  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis.  Paris,  Didier,  1877, 
I  vol.  in-8. 

Zeller  (Berthold),  De  dissolutione  contracti  apiid  BrusoJum  fœderis  in  ter 
Henricum  IV  et  Carolum  I  Sabaudicv  diicem  (MDCX-MDCXII).  Parisiis, 
apud  bibliopolas  Hachette  et  socios,  MDCCCLXXX. 

anonymes 

Arrest  de  la  cour  pour  la  régence  de  la  Royne  pendant  le  bas  âge  du  Roy. 
A  Paris,  chez  P.  Mettayer  et  P.  L'huilhier,  imprimeurs  et  libraires 
ordinaires  du  roy,  iMDCX; 

Arrests  de  la  cour  pour  la  régence  de  la  Royne  pendant  le  bas  âge  du  Roy, 
A  Paris,  par  Fédéric  Morel,  imprimeur  ordinaire  du  roy,  MDCX  ;  — 
plaquettes  in-i8. 

La  conjuration  de  Conchine.  A  Paris,  chez  Pierre  Rocolet,  en  la  grande 
salle  du  Palais,  joignant  Ja  chambre  des  consultations,  1618,  i  vol. 
in-i8. 

Mercure  français^  par  Cayet.  Paris,  1619,  25  vol.  in-12. 

Recueil  de  pièces  concernant  l'histoire  de  Louis  XIII  depuis  1610  jusqu'en 
Van  164^.  A  Paris,  chez  François  Montalant,  à  l'entrée  du  quai  des 
Augustins,  proche  le  pont  Saint-Michel,  1716,  4  vol.  in-12. 


1 


INTRODUCTION 


Les  catastrophes  imprévues  qui  changent  le  cours  des 
événements  humains  inspirent  souvent  aux  historiens  des 
hypothèses  plus  ou  moins  fondées  sur  ce  qui  aurait  eu  Heu 
dans  le  monde  sans  ces  brusques  surprises  de  la  destinée. 
Rien,  à  cet  égard,  n'approche  plus  de  la  vérité  que  l'opinion 
où  Ton  est  généralement  de  la  certitude  des  triomphes 
réservés  à  Henri  IV  dans  la  grande  entreprise  miUtaire  qu'il 
était  à  la  veille  de  commencer  aux  Pays-Bas  et  en  ItaUe 
contre  la  maison  d'Autriche,  quand  il  fut  assassiné. 

Ce  n'est  pas  uniquement  la  force  de  ses  armées,  ni  la 
prospérité  de  ses  finances,  ni  la  valeur  du  commandement 
qu'il  allait  exercer  en  chef  avec  l'assistance  d'habiles  et  vail- 
lants Ueutenants  qui  pouvaient  donner  cette  assurance.  L'état 
de  l'Europe,  troublée,  divisée;  le  défaut  d'entente  entre  les 
deux  branches  de  la  maison  d'Autriche,  l'espagnole  et  l'al- 
lemande; l'heureux  choix  des  alliances  de  Henri  IV,  met- 
taient de  son  côté  toutes  les  chances  favorables. 

Mais  il  faut  remarquer  aussi  que,  parmi  les  souverains, 
ses  contemporains,  aucun  n'était  de  taille  à  se  mesurer  avec 
lui.  L'empereur  alchimiste  Rodolphe  II  vivait  enfermé  dans 
ses  manoirs  au  miUeu  de  ses  alambics;  Philippe  III,  d'Es- 
pagne, le  fils  du  redoutable  Philippe  II,   d'une  dévotion 


INTRODUCTION. 


encore  plus  étroiieque  son  père,  n'avait  ni  sa  sombre  gran- 
deur, ni  ses  talents,  ni  son  ambition  politique;  avec  lui 
l'Espagne  se  repliait  sur  elle-même.  Le  théologien  Jacques  I", 
l'allié  de  Henri  IV,  caractère  faible,  irrésolu,  se  laissait 
facilement  conduire  sous  l'énergique  impulsion  du  roi  de 
France,  prêt  à  se  retourner  si  cette  main  ferme  ne  le  sou- 
tenait plus.  En  Espagne,  comme  en  Angleterre,  chez  les 
deux  puissances  européennes  qui  comptaient  à  ce  moment 
en  face  ou  à  côté  de  la  France,  c'est  le  règne  des  favoris. 
L'avare  et  prudent  duc  de  Lerme  est  l'Atlas  du  monde  espa- 
gnol. Le  règne  de  Jacques  I"  est  celui  de  ses  favoris,  disons 
plutôt  de  ses  mignons,  introduits  auprès  de  lui  par  les  soins 
mêmes  de  sa  femme,  Anne  de  Danemark  :  c'est  Robert 
Karr,  duc  de  Somerset,  puis  Georges  Villiers,  devenu  duc 
de  Buckingham,  qui  conservera  les  bonnes  grâces  du  fils, 
après  avoir  eu  celles  du  père,  et  sera  le  premier  ministre 
de  Charles  I".  Ennemis  ou  alliés,  Henri  IV  les  dominait 
tous  de  la  supériorité  de  son  génie  et  de  l'ascendant  d'une 
volonté  maîtresse  d'elle-même. 

Après  lui,  la  France  ne  devait  pas  échapper  à  cette  funeste 
contagion  du  favoritisme  qui  sévissait  en  Europe  et  qui 
étouffait  les  intérêts  nationaux  sous  l'empire  de  mépri- 
sables préoccupations  personnelles.  Concino  Concini  fut 
le  maître  de  la  France  sous  le  nom  de  Marie  de  Médicis. 
La  faiblesse  de  nos  voisins,  qui  avait  fait  une  partie  de  la 
force  de  Henri  IV,  devait  alors  assurer  le  salut  du  pays. 
Qu'un  Ferdinand  II  d'Autriche  se  fût  dressé  en  face  de  la 
monarchie  française  pendant  les  sept  années  qui  suivirent  la 
mort  du  glorieux  Béarnais,  c'en  était  fait  du  grand  rôle  de 
la  France  au  xvn^  siècle.  Sa  destinée  lui  fut  réservée  tout 
entière.  Les  vaines  agitations  intérieures,  l'effacement  exté- 
rieur dont  la  France  donna  le  spectacle  pendant  la  minorité 


INTRODUCTION.  XI 

de  Louis  XIII,  laissèrent  les  événements  du  dehors  mûrir 
à  son  profit,  l'esprit  du  jeune  roi  se  former  et  le  génie  du 
grand  homme  qui  devait  être  le  continuateur  de  Henri  IV 
s'exercer  au  maniement  des  affaires  d'État.  C'est  par  là  sur- 
tout que  cette  époque  intermédiaire  est  intéressante. 

On  remarquera  dans  la  suite  de  cette  histoire  que  la 
veuve  de  Henri  IV  chercha  toujours  des  points  de  rapport 
entre  les  événements  de  son  temps  et  ceux  auxquels  avait 
présidé  sa  parente,  la  veuve  de  Henri  IL  Marie  de  Médicis 
sembla  toujours  préoccupée  de  modeler  sa  régence  sur  celle 
de  Catherine;  elle  ne  réussit  qu'à  en  faire  assez  souvent 
une  misérable  parodie.  En  1610,  les  circonstances  sont  beau- 
coup moins  tragiques  et  moins  graves  qu'en  1560;  les  per- 
sonnages, à  commencer  par  la  reine  elle-même,  bien  infé- 
rieurs presque  à  tous  les  égards.  Ni  le  prince  de  Condé,  ni 
le  comte  de  Soissons  ne  valent  leurs  aïeux  du  temps  de 
Catherine;  Sully  n'est  point,  comme  Coligny,  un  audacieux 
chef  de  parti.  Les  guerres  civiles  n'ont  plus  pour  excuses  le 
fanatisme  et  les  ardeurs  de  la  foi  persécutée  ;  elles  ne  se 
font  plus  que  pour  de  vulgaires  intérêts  d'argent.  C'est  une 
époque  de  décadence,  et  cependant  elle  précède  un  temps 
de  grandeur.  Le  gouvernement  de  Catherine  de  Médicis  est 
l'avant-coureur  de  ces  épouvantables  guerres  civiles  qui,  au 
xvi^  siècle,  paralysèrent  la  France  au  dehors;  la  minorité  de 
Louis  XIII  précède  au  contraire  le  glorieux  épanouisse- 
ment de  l'influence  française  en  Europe,  par  suite  de  son 
intervention  libératrice  dans  la  guerre  de  Trente  Ans. 

La  minorité  de  Louis  XIII,  à  proprement  parler,  ne  dura 
que  du  14  mai  1610  au  i"  octobre  1614,  peu  de  temps 
avant  la  réunion  des  Etats  généraux.  Louis  XIII  est  alors 


XII  INTRODUCTION. 

déclaré  majeur  et  laisse  le  pouvoir  à  sa  mère,  qui  l'exer- 
cera comme  un  premier  ministre  jusqu'au  moment  où  le 
coup  d'État  de  1617,  en  supprimant  violemment  Concini, 
brisera  en  même  temps  l'autorité  de  Marie  de  Médicis.  Nous 
nous  proposons  de  traiter  cette  histoire  de  la  minorité  de 
Louis  XIII  et  du  ministère  de  Marie  de  Médicis  dans  une 
série  d'études  dont  nous  présentons  le  premier  volume  au 
public. 

Il  comprend  les  premiers  temps  de  la  minorité  de  Louis  XIII 
et  s'étend  depuis  la  mort  de  Henri  IV  jusqu'au  commen- 
cement de  Tannée  1612.  C'est  la  régence  de  Marie  de 
Médicis  qui  s'établit,  avec  sa  politique  propre,  son  per- 
sonnel impopulaire,  ses  desseins  dangereux.  L'unité  de 
cette  première  phase  de  la  minorité  réside  dans  la  perma- 
nence du  conflit  qui,  dès  l'origine,  divise  la  régente  et  le 
représentant  des  traditions  du  règne  précédent,  Sully.  Le 
ministre  de  Henri  IV  disparaît  définitivement  de  la  scène 
à  la  fin  de  161 1.  C'est  avec  les  princes  du  sang  que  Marie 
de  Médicis  doit  surtout  compter  désormais. 

Dans  ce  volume  comme  dans  les  suivants,  nous  nous  ap- 
pliquons à  refaire  en  détail  et  avec  une  exactitude  minutieuse 
cette  histoire  du  commencement  du  règne  de  Louis  XIII 
que  la  science  historique  n'a  pas  renouvelé  d'ensemble 
depuis  le  xviu^  siècle.  Les  documents  contemporains, 
mémoires  imprimés,  pièces  d'archives,  les  histoires  géné- 
rales qui  existent  sur  cette  époque  et  les  travaux  partiels  de 
la  critique  moderne  nous  ont  apporté  leurs  lumières,  comme 
on  pourra  s'en  convaincre  en  parcourant  plus  haut  la  liste 
des  ouvrages  mis  par  nous  à  contribution;  de  telle  sorte  que 
notre  travail  peut  déterminer  l'état  actuel  de  la  science  his- 
torique sur  l'époque  à  laquelle  nous  nous  sommes  attachés. 


INTRODUCTION.  XIII 

Mais  notre  out  est  aussi  de  la  faire  avancer  pour  notre  part 
et  de  faire  connaître  sur  ce  sujet  des  sources  toutes  nou- 
velles. 

En  effet  la  base  principale  de  notre  étude  se  trouve  dans 
les  correspondances  inédites  des  ambassadeurs  vénitiens  et 
surtout  des  ambassadeurs  florentins.  Notre  bibliothèque 
nationale  possède  aujourd'hui  presque  intégralement  les 
copies  authentiques  de  toutes  les  dépêches  adressées  à  leur 
gouvernement  par  les  représentants  de  la  République  de 
Saint-Marc  en  France,  trésor  inestimable  pour  notre  his- 
toire, malheureusement  trop  peu  connu  et  auprès  duquel 
les  recueils  imprimés  d'Alberi,  de  Barozzi  et  Berchet  n'ont 
plus  qu'une  importance  secondaire.  Nous  avons  eu  souvent 
recours  aux  correspondants  si  fins  et  si  avisés  de  la  Sei- 
gneurie de  Venise,  qui  sont,  pendant  les  années  1610 
et  161 1,  deux  ambassadeurs  ordinaires,  d'abord  Antonio  Fos- 
carini,  réservé  plus  tard  à  une  destinée  tragique,  puisque, 
après  avoir  été  ambassadeur  à  Paris  et  à  Londres,  il  fut 
accusé  dans  son  pays  d'avoir  révélé  des  secrets  d'État,  con- 
damné à  mort  et  étranglé  dans  sa  prison;  après  quoi  son 
corps  fut  exposé  entre  les  deux  colonnes  rouges  de  la  galerie 
du  Palais  des  Doges  qui  donne  sur  la  pia^j^etta.  RéhabiHté 
plus  tard,  il  fut  enterré  au  couvent  des  Frari.  Il  eut  pour 
successeur  Zorzi  Giustinian,  et  se  trouvait  encore  en  fonc- 
tion en  France  quand  Agostino  Nani  di  Giorgio  et  Andréa 
Gussoni  di  Marco  vinrent  s'acquitter  en  France  d'une  mis- 
sion de  congratulation  à  l'occasion  de  l'avènement  de 
Louis  XIIP.  Le  contrôle  des  emprunts  que  nous  aurons 
à  faire  aux  dépêches  de  ces  diplomates   n'offrira    aucune 


I.  Voir  dans  Barozzi  et  Berchet,  série  II,  Francia,  t.  I,  p.  18,  291  et 
uiv.,  383  et  suiv.,  441  et  suiv.,  3o5  et^suiv.,  les  notices  relatives  à 
ces  divers  ambassadeurs. 


XIV  INTRODUCTION. 

difficulté,  grâce  aux  indications  que  nous  donnerons  pour 
remonter  au  texte,  devenu  si  aisément  abordable  aux  cher- 
cheurs érudits. 

Il  n'en  est  pas  de  même  pour  l'autre  catégorie  de  diplo- 
mates italiens  dont  nous  exploitons  la  correspondance  : 
nous  voulons  dire  les  Florentins.  Ils  sont  naturellement  la 
source  principale  d'informations  pour  l'histoire  du  gouver- 
nement d'une  régente  et  d'une  reine  mère  florentine,  l'ap- 
prochant plus  facilement  que  les  représentants  d'autres 
puissances  et  se  trouvant  généralement  plus  nombreux 
autour  d'elle.  Les  lettres  écrites  par  Marie  de  Médicis,  par 
Concini  ou  par  sa  femme  Léonora  Dori  Galigaï,  offrent,  à 
côté  des  dépêches  purement  diplomatiques,  un  incontes- 
table intérêt  de  curiosité. 

De  ce  côté  nous  sommes  moins  favorisés  que  pour  la 
correspondance  des  Vénitiens  On  n'a  point  tiré  de  VAr- 
chivio  Mediceo  un  morceau  qui  serait  non  moins  considérable 
pour  notre  histoire  que  celui  dont  il  a  été  pris  copie  aux 
Archives  des  Frari.  Nous  avons,  il  est  vrai,  dans  la  Collection 
des  Documents  inédits  relatifs  à  V Histoire  de  France  la  belle 
publication  d'Ab.  Desjardins  sur  les  Négociations  diplomati- 
ques de  la  France  avec  la  Toscane\  mais  ce  n'est  là  qu'un 
recueil  fragmentaire,  incomplet,  et  après  lequel  il  reste  à 
glaner  presque  une  moisson,  bien  qu'il  se  compose  de  cinq 
gros  volumes;  et  il  s'arrête  à  la  mort  de  Henri  IV,  ce  qui  le 
place  en  dehors  du  cadre  de  notre  étude. 

Nous  avons  entrepris  de  donner  sous  une  forme  plus 
maniable,  plus  accessible  au  grand  public,  une  suite  de  ces 
intéressants  documents,  qui  ne  paraît  pas  devoir  faire  l'objet 
d'une  publication,  même  partielle,  dans  la  Collection  des 
Documents  inédits.  Et  voici  la  méthode,  un  peu  nouvelle 


INTRODUCTION.  XV 


dans  les  procédés  de  la  science  française,  que  nous  avons 
adoptée  pour  donner  à  la  fois  satisfaction  à  l'amateur 
d'inédit,  à  l'érudit  critique  et  au  lecteur  plus  désireux  de  se 
trouver  en  présence  de  résultats  acquis,  de  documents  ana- 
lysés et  utilisés,  que  curieux  de  trouver  lui-même  dans  la 
lecture  de  pièces  originales  en  langue  étrangère,  des  faits 
ou  des  idées  neuves  sur  un  sujet  qui  l'intéresse. 

Notre  ouvrage  se  compose  d'abord  de  l'exposé  métho- 
dique et  critique  des  événements  qui  constituent  l'histoire 
de  la  minorité  de  Louis  XIII,  et  dans  cet  exposé  on 
trouvera  sous  la  forme  de  traductions,  d'analyses,  d'éclair- 
cissements, tout  ce  qu'il  y  a  d'essentiel  dans  les  papiers 
florentins,  qu'un  des  objets  principaux  de  ce  livre  est  de  faire 
connaître,  le  tout  accompagné,  au  bas  des  pages,  des  réfé- 
rences les  plus  complètes  et  les  plus  exactes  au  document 
original. 

Mais  comment  remonter  au  document  lui-même  pour  le 
contrôle  de  nos  assertions,  la  critique  de  nos  traductions, 
la  satisfaction  des  chercheurs  que  nos  indications  ou  la  lec- 
ture des  pièces  peuvent  mettre  sur  le  chemin  d'études  paral- 
lèles ou  différentes  ? 

Il  n'est  pas  possible  de  songer  à  une  publication  inté- 
grale, dans  les  proportions  modestes  que  nous  avons  données 
à  notre  travail,  puisqu'à  une  semblable  entreprise  suffi- 
raient à  peine  trois  ou  quatre  des  gros  volumes  de  la  CoU 
lection  des  Documents  inédits.  D'autre  part,  un  choix  d'extraits 
ne  peut  jamais  avoir  qu'une  valeur  scientifique  relative. 

Le  procédé  que  nous  avons  adopté  consiste  à  dresser  à 
la  suite  de  notre  composition  personnelle  un  catalogue 
complet,  jour  par  jour,  de  toutes  les  correspondances 
adressées  de  France  au  gouvernement  de  Florence  par  ses 
agents,  ou  par  la  reine  mère,  le  roi  et  les  époux  Concini, 

b 


XVr  INTRODUCTION. 

dont  le  rôle  est  pendant  si  longtemps  prépondérant  dans 
l'entourage  de  la  régente. 

Ce  catalogue,  dans  lequel  on  présente  l'indication  chro- 
nologique et  bien  ordonnée  des  documents  renfermés  à 
Florence  dans  des  liasses  distinctes,  permet  de  retrouver 
immédiatement  la  place  exacte,  au  milieu  des  autres  cor- 
respondances, de  toute  citation  ou  analyse  faite  par  nous 
dans  le  corps  de  notre  ouvrage  ;  sans  doute  il  ne  fait,  pour 
la  plupart  des  pièces,  que  renvoyer  au  dépôt  où  sont 
entassés  les  originaux.  Mais  n'est-ce  pas  rendre  à  la  science 
le  seul  service  que  puisse  peut-être  désormais  comporter 
l'étude  de  ce  genre  de  documents,  dont  il  est  évidemment 
impossible  de  laisser  la  masse  énorme  submerger  nos  biblio- 
thèques sous  l'inondation  de  ces  gros  volumes  imprimés 
dont  nous  avons  entendu  dire,  d'une  façon  peut-être  para- 
doxale, à  des  hommes  éminents,  qu'ils  sont  déjà  trop  nom- 
breux. 

Un  catalogue  exact  rend  les  recherches  faciles,  qu'elles 
soient  faites  sur  place  ou  au  moyen  de  demandes  de  copies 
et  d'extraits  que  l'organisation  moderne  des  archives  d'État, 
surtout  en  Italie,  permet  d''obtenir  très  aisément.  Ce  n'est  sans 
doute  que  le  très  petit  nombre  auquel  ce  genre  de  facilités 
peut  rendre  service.  Mais  les  autres  lecteurs  ne  trouveront- 
ils  pas,  dans  l'existence  d'un  catalogue  ainsi  établi,  la  garan- 
tie la  plus  évidente  de  l'exactitude  minutieuse  non  seu- 
lement des  recherches  faites  par  l'auteur,  mais  encore 
de  ses  traductions  et  de  ses  interprétations  historiques, 
puisque  le  contrôle  en  est  ainsi  offert  à  la  critique  des 
savants  ? 

Nous  ne  pensons  pas  toutefois  qu'un  catalogue  ne  gagne 
pas  à  être  quelque  chose  de  plus  encore.  Des  reproductions 
i?i  extenso  de  documents  importants,  des  extraits,  quelques 


INTRODUCTION.  XVII 

analyses  même  peuvent  s'intercaler  utilement  dans  la  suite 
des  numéros  dont  il  se  compose.  C'est  ainsi  que  nous  avons 
compris  celui  qu'on  trouvera  à  la  fin  de  ce  volume  et  qui 
comprend  les  années  1610  et  1611. 

Les  citations  qu'on  y  trouvera  comprennent  :  1°  des 
dépêches  de  nature  à  faire  connaître  la  manière  d'être  et 
d'écrire  de  chacun  des  correspondants,  ou  relatives  à  des 
faits  dont  l'importance  ne  nous  a  pas  paru  assez  considé- 
rable pour  faire  lobjet  de  développements  spéciaux  dans  le 
corps  de  l'ouvrage;  2°  des  passages  caractéristiques,  faisant 
preuve  sur  certains  points  douteux  et  trop  étendus  pouF 
être  rapidement  cités  au  bas  des  pages  sous  notre  texte 
même;  3°  des  documents  qui,  à  tort  ou  à  raison,  ont  plus 
particulièrement  le  privilège  d'attirer  l'attention  et  d'être 
soigneusement  recueillis,  à  savoir  les  lettres  royales,  c'est-à- 
dire  ici  les  lettres  de  Marie  de  Médicis;  4°  les  lettres  de 
Concini  et  de  sa  femme,  parce  que  ce  sont  là  des  pièces 
curieuses  en  elles-mêmes  et  où  l'on  peut  s'attendre  à  trouver 
des  éclaircissements  sur  la  psychologie  de  ces  deux  person- 
nages énigmatiques. 

Nous  avons  pensé  que  nous  pourrions  ainsi  juxtaposer 
à  notre  travail  un  appendice  d'un  caractère  plus  impersonnel 
et  d'un  intérêt  peut-être  plus  général,  et  répondre  ainsi  aux 
vues  de  la  Direction  de  l'enseignement  supérieur  qui,  après 
nous  avoir  facilité,  il  y  a  déjà  un  certain  nombre  d'années, 
les  moyens  de  rassembler  les  éléments  de  cette  publication, 
nous  permettra  de  la  placer,  au  moment  où  elle  voit  Iç  JQur, 
sous  son  éminent  patronage.  ".  :*.:^ 

Nous  associons,  dans  l'expression  de  notre  gratitude. pour 
ks  Directeurs  de  l'enseignement  supérieur^  à  la  mémoire 
d'Albert  Dumont  les  noms  également  chers  de  MM.  Du 
Mesnil  et  Liard.  .î  :.[  ::L  i:r,:::;  : 


XVIII  INTRODUCTION. 

Il  nous  reste  maintenant  à  faire  connaître  les  principaux 
de  ces  diplomates  dont  les  noms  ne  figurent  pas  seulement 
au  bas  des  pages  ou  dans  le  catalogue  à  titre  de  correspon- 
dants et  d'informateurs,  mais  qui,  ayant  pris  une  part  active 
aux  événements,  jouent  leur  rôle  dans  notre  récit. 

Au  moment  de  la  mort  de  Henri  IV,  la  cour  de  Flo- 
rence tenait  accrédités  auprès  du  gouvernement  de  Paris, 
indépendamment  d'agents  subalternes,  que  nous  rencon- 
trerons chemin  faisant,  trois  personnages  diplomatiques, 
dont  deux  de  premier  rang,  Matteo  Botti  et  Andréa  Cioli, 
envoyés  extraordinaires,  et  l'autre  de  second  ordre,  mais 
pourvu,  en  réalité,  d'un  emploi  principal,  ScipioneAmmirato, 
qui  gérait  la  légation  de  Florence  en  qualité  de  premier 
secrétaire  pendant  un  congé  illimité  accordé  au  titulaire  de 
la  fonction,  le  ministre  résident  Guidi. 

Quels  sont  les  antécédents,  le  caractère  et  les  principaux 
événements  de  la  vie  de  chacun  d'eux? 

Pendant  l'absence  de  Guidi,  en  février  1610,  arriva  à 
Paris  Matteo  Botti,  marquis  de  Campiglia  et  majordome  du 
grand-duc;  CQt  agent,  à  l'occasion  de  la  mort  du  grand-duc 
Ferdinand,  avait  été  expédié  comme  ambassadeur  extraor- 
dinaire au  roi  d'Espagne,  puis  à  celui  d'Angleterre,  auprès 
duquel  il  se  proposait  de  se  rendre.  Occupé,  pendant  son 
séjour  à  Madrid,  à  régler  diverses  affaires  pendantes,  Botti 
fit  savoir  à  son  gouvernement  que  le  roi  et  la  reine  d'Es- 
pagne, par  l'intermédiaire  de  leur  confesseur,  lui  avaient 
fait  commander  de  tenter,  pendant  qu'Userait  à  la  cour  de 
France,  l'ouverture  de  négociations  pour  un  double  mariage 
entre  la  France  et  l'Espagne.  Le  grand-duc  lui  prescrivit 
alors  de  rester  à  Paris  sous  le  prétexte  d'attendre  le  couron- 
nement de  la  reine.  L'assassinat  de  Henri  IV  ayant  eu  lieu 


INTRODUCTION.  XIX 

le  surlendemain  de  cette  cérémonie,  le  marquis  Matteo 
Botti  fut  accrédité  à  divers  titres  auprès  de  la  régente  et  se 
donna  pour  mission  principale  de  mener  à  bonne  fin  l'affaire 
des  mariages  espagnols,  il  gran  nego^^io  \  comme  il  disait, 
sans  s'interdire  cependant  de  mettre  une  main  brouillonne 
dans  tous  les  autres  intérêts  de  la  maison  grand-ducale  en 
France  et  d'aller,  dans  sa  manie  de  toucher  à  tout  ce  qui 
ne  le  regardait  pas,  jusqu'à  s'employer  à  la  conversion  au 
culte  catholique  d'un  gentilhomme  protestant,  fort  intelli- 
gent, qui  était  au  service  de  la  reine  -. 

On  verra  le  marquis  Matteo  Botti  de  Campiglia  à  l'œuvre 
dans  la  suite  de  notre  récit.  Voici  comment  le  juge  son  col- 
lègue Andréa  Cioli,  qui  se  trouva  pendant  quelque  temps 
côte  à  côte  avec  lui  à  Paris,  chargé  d'une  mission  différente 
dont  Botti  ne  se  fit  pas  faute  de  se  mêler  assez  maladroite- 
ment, ce  qui  explique  le  caractère  un  peu  acerbe  des  com- 
munications faites  par  Cioli  sur  le  compte  de  Botti. 

«  Je  trouve  toujours  de  plus  en  plus,  écrit  Andréa  Cioli, 
que  M.  le  marquis  est  un  très  grand  sujet.  Il  sait  beaucoup; 
il  est  gracieux,  aimable,  très  capable  de  réussir;  il  a  beau- 
coup d'esprit  et  une  imagination  merveilleuse  quand  il  s'agit 
de  persuader,  il  est  très  prompt  dans  l'argumentation  et  la 
réplique,  au  moins  à  ce  qu'il  raconte.  Mais  le  fait  d'expédier 
d'ici  en  Espagne  des  courriers  suivant  sa  fantaisie  et  de 
traiter  d'aussi  grandes  affaires  avec  les  ministres  de  là-bas, 
en  son  nom,  ne  me  plaît  guère,  et  il  me  semble  que,  de 
cette  façon,  toute  la  gloire  du  succès  sera  pour  lui  et  qu'il  en 
reviendra  très  peu  à  notre  sérénissime  maître.  Comme  je 
pense  qu'il  a  de  très  bonnes  intentions,  je  ne  puis,  encore 
me  résoudre  à  mal  juger  de  lui.  Toutefois  son  ambition 

I.  Matteo  Botti,  i8  août  1610. 
-    2.  Matteo  Botti,  20  juillet  1611.  . 


XX  INTRODUCTION. 

n'est  pas  sans  me  causer  de  l'ennui;  car  elle  est  peut-être 
une  des  plus  grandes  qui  se  puisse  trouver  dans  une  cer- 
velle humaine;  et  maintenant  qu'à  la  fin  je  me  suis  décidé  à 
parler  de  cela,  je  ne  parle  pas  sans  fondement,  puisque, 
outre  que  je  l'ai  jusqu'à  cette  heure  minutieusement  observé 
jusque  dans  ses  gestes,  je  lui  ai  fait  sortir  de  la  bouche 
même  quelle  est  la  récompense  qu'il  prétend  obtenir  au 
moyen  de  cette  négociation.  Or  c'est  le  cardinalat  et  de 
grasses  pensions  de-ci  et  de-là  et  surtout  d'Espagne.  Je  lui 
tire  facilement  toutes  choses  du  corps,  quand  je  touche  la 
corde  de  la  louange.  Finalement  ses  prétentions  pour  une 
récompense  ne  m'auraient  point  ému;  mais  de  voir  qu'il 
s'attribue  toute  la  gloire,  ne  considérant  pas  que,  sans  le 
nom   de  son  maître,  son  savoir,  sa  peine  et  son  habileté 

ne  vaudraient  rien,  cela  me  travaille  le  cœur Je  vous 

envoie,  pour  vous  donner  cet  avis,  un  courrier  en  cachette, 
parce  qu'il  veut  savoir  toutes  choses,  et  je  me  ferais  un 
ennemi  de  lui  s'il  savait  que  je  lui  cache  quoi  que  ce  soit. 
«  Il  use  d'un  artifice  qui  consiste  à  montrer  toutes  ses 
lettres,  celles  qu'il  reçoit  et  celles  qu'il  écrit,  et,  à  cet  efi'et, 
il  vient  me  trouver  jusque  dans  ma  chambre,  afin  que 
j'en  fasse  autant  vis-à-vis  de  lui.  Il  faudra  donc  que  V.  S"% 
pour  celles  qu'il  ne  serait  pas  bon  de  lui  laisser  voir,  fasse 
faire  la  suscription  par  Nenci  ou  par  quelqu'un  d'autre  en 
dehors  de  la  secrétairerie,  afin  que  je  puisse  éviter  de  les 
ouvrir  en  sa  présence,  sous  le  prétexte  qu'elles  viennent  de 
ma  famille....  Je  ne  parle  pas  des  erreurs  minuscules  com- 
mises par  lui  en  se  donnant  par  exemple  le  titre  d'ambas- 
sadeur, au  mépris  du  monde,  ni  du  peu  de  secret  gardé  par 
lui  dans  la  négociation  de  la  grande  affaire  qui  est  mainte- 
nant connue  de  tous  les  gentilshommes  de  la  maison,  parce 
que  à  cela  il  n'y  a  point  de  remède.  La  cause  n'en  est  pas 


INTRODUCTION.  XXI 

autre  que  Texcès  d'une  allégresse  qu'il  ne  peut  cacher 
1  orsque  viennent  d'Espagne  de  bonnes  nouvelles ,  ou 
lorsqu'il  revient  de  chez  la  reine  ou  de  chez  Villeroy  avec 
des  renseignements  favorables.  Il  ne  peut  se  garder  de  cela, 
non  plus  que  de  montrer  les  lettres  qu'on  écrit  d'Espagne, 
dans  lesquelles,  dit-il,  le  roi  le  remercie.  Un  matin  il  en  a 
fait  un  tel  étalage  à  table,  et  il  y  avait  là  des  étrangers, 
que  j'en  faillis  tomber  à  la  renverse  *.  » 

Ailleurs  ce  peu  indulgent  collègue,  qui  supporte  impa- 
tiemment que  l'ambassadeur  d'Espagne,  don  Junico  de  Car- 
denas,  lui  fasse  le  plus  grand  éloge  du  marquis  Botti  et  que 
les  ministres  «  en  aient  plein  la  bouche  du  marquis  Botti  et 
du  marquis  de  Campiglia  *  »,  ne  contient  plus  son  fiel  et 
traite  Matteo  «  d'histrion  qui  veut  n'en  faire  qu'à  sa  tête,  qui 
retient  les  dépêches  adressées  aux  membres  de  la  mission 
grand-ducale,  tandis    que   le  crédencier,  le    dépensier,  le 
cuisinier  ont  leurs  lettres^  »,  et  il  finit  par  demander  son 
propre  rappel.  Mais  il  se  donne  la  satisfaction  de  montrer 
à  Botti  par  le  menu,  dans  une  conversation  à  la  fois  per- 
fide, violente  et  doucereuse,  ses  fautes,  ses  illusions,  son 
insuccès  final   dans   la  négociation    des  aâ"aires   d'intérêt 
du  grand-duc,  remises  plus  particuHèrement  à  la  sagacité 
d'Andréa  Cioli  *. 

Ce  que  Cioli  insinue  de  la  nature  peu  désintéressée  des 
services  du  marquis  Botti  est  amplement  confirmé  par  la 
correspondance  de  ce  dernier.  Dès  le  9  août  16 10,  il 
demande  à  être  récompensé  de  ses  peines  par  le  titre  de 
conseiller  d'État,  représentant  qu'il  sert  déjà  depuis  vingt- 

1.  Andréa  Cioli,  16  juillet  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  i5  septembre  1610. 

3.  Andréa  Cioli,  20  novembre  1610. 

4.  Voir,  à  l'Appendice,  les  dépêches  de  Cioli  en  date  des  21  et  22  no- 
vembre 1610. 


XXII  INTRODUCTION. 

cinq  ans.  Il  insiste  dans  une  dépêche  ultérieure  et  obtient 
d'abord  une  satisfaction  pécuniaire  :  le  grand-duc  lui  octroie 
une  augmentation  de  i  ooo  écus  de  provision.  Quant  à  la 
satisfaction  honorifique,  Botti  reçoit  la  promesse  qu'il  sera 
fait  conseiller  d'État,  mais  sans  titre,  et  qu'on  l'appellera 
au  Conseil  suivant  le  besoin.  L'ambassadeur  se  plaint  natu- 
rellement de  n'être  pas  traité  comme  il  le  désire  *. 

Au  fur  et  à  mesure  que  les  négociations  pour  les  mariages 
d'Espagne  s'avancent,  on  le  voit  devenir  de  plus  en  plus 
âpre  au  gain.  Il  ne  cesse  d'exposer  qu'il  fait  d'énormes 
dépenses  pour  la  réussite  de  la  grande  affaire,  que  sa  rému- 
nération, même  avec  la  récente  augmentation,  est  insuffi- 
sante *.  «  Je  supplie  très  humblement  Votre  Altesse^  écrit-il, 
de  mettre  à  son  compte  la  dépense  des  présents  que  j'ai  faits 
aux  ministres  d'Espagne  et  à  Villeroy,  présents  dont  j'en- 
voie ci-joint  la  liste  ^...  »  Mais  le  règlement  de  ces  mémoires 
se  fait  bien  attendre  *. 

La  tractation  de  ses  intérêts  particuliers,  les  recommanda- 
tions en  faveur  d'amis  finissent  par  prendre  dans  ses  dépê- 
ches presque  autant  de  place  que  la  manipulation  du  gran 
negoiio^  et  il  faut  songer  qu'à  la  fin  de  ïéii,  époque  à 
laquelle  se  termine  le  présent  volume,  on  n'en  est  encore 
qu'aux  préliminaires  de  la  double  union  franco-espagnole. 

De  cette  catégorie  de  dépêches  dont  l'histoire  n'a  rien 
à  tirer,  nous  ne  faisons  qu'une  simple  mention  ici^  Il  n'en 

1.  Matteo  Botti,  g,  29  août,  ig  septembre  1610.  —  La  filza  4  624  con- 
tient, à  la  date  du  12  septembre,  la  copie  d'un  passage  d'une  lettre  du 
grand-duc  de  Toscane.  Le  grand-duc  y  exprime  tout  son  contente- 
ment à  regard  du  marquis  Botti  et  lui  donne  i  000  écus  de  provision 
en  plus  de  ce  qu'il  avait  auparavant. 

2.  Matteo  Botti,  10  juillet  16 11. 

3.  Matteo  Botti,  18  juillet  1611. 

4.  Matteo  Botti,  26  octobre,  3  décembre  1611. 

5.  Matteo  Botti,  16  janvier  1611,  recommandation  au  nom  de  la  reine, 
en  faveur  de  Giovanni  Venturi,  pour  être  nommé  quarantotto.  —  2  mai, 


INTRODUCTION.  XXIII 

va  pas  de  même  des  dépêches  politiques,  où  nous  trouvons 
des  renseignements  précis,  abondants,  détaillés,  qui,  après 
avoir  été  soumis  au  rapprochement  et  au  contrôle  des  docu- 
ments contemporains  et  notamment  des  informations  paral- 
lèles d'autres  diplomates,  ont  passé  presque  entièrement 
dans  la  trame  de  notre  ouvrage. 

Andréa  Cioli  de  Cortone  était  entré  au  service  du  grand- 
duc  Ferdinand  I"  en  octobre  1602  et  fut  placé  par  lui  auprès 
du  secrétaire  d'État,  Belisario  Vinta,  pour  l'assister  dans  son 
office.  A  la  mort  de  Ferdinand  I",  il  resta  attaché  à  la 
grande-duchesse  Christine  de  Lorraine  en  qualité  de  pre- 
mier secrétaire.  Cosme  II  l'envoya  en  1610  à  la  cour  de 
Marie  de  Médicis,  où  nous  le  verrons  s'employer  de  son 
mieux  pour  diverses  affaires  concernant,  les  unes  des  intérêts 
financiers,  les  autres  des  projets  de  mariage.  Cioli  ne  se  mêle 
qu'incidemment  à  la  négociation  des  mariages  espagnols, 
tout  en  surveillant  et  en  critiquant  Matteo  Botti. 

L'objet  propre  de  sa  mission  est  de  trouver  une  occasion 
favorable  pour  placer  l'une  ou  l'autre  des  sœurs  du  grand- 
duc  de  Toscane.  Mais  le  marquis  de  Campiglia  se  jette  à 
la  traverse  et,  dans  son  zèle  immodéré,  se  mêle  à  tort  et  à 
travers  des  négociations  de  Cioli,  si  bien  que,  la  situation 
devenant  intolérable  entre  les  deux  diplomates,  Cioli  se  fait 
rappeler  à  Florence  et  obtient  une  nouvelle  mission  en 
Angleterre,  où  il  devra  poursuivre  des   pourparlers    déjà 

recommandation  pour  Francesco  Medici.  —  ii  mai,  recommandation 
en  faveur  du  capitaine  Horatio  Tornabuoni,  qui,  après  avoir  bien 
servi  la  France  et  en  avoir  été  peu  récompensé,  s'en  retourne  dans  son 
pays.  —  3o  mai,  recommandation  en  faveur  d'un  gentilhomme  alle- 
mand Gio  Gristofano  d'Aespergh,  au  service  du  duc  Albert  de  Bavière. 
—  3o  mai,  recommandation  en  faveur  de  Braccio  Michelozzi.  — 
21  juin,  18  août,  28  septembre,  11,  22,  25  octobre  1611,  dépêches 
relatives  à  ses  intérêts  particuliers. 


XXIV  INTRODUCTION. 

engagés  par  le  secrétaire  Lotti  pour  la  conclusion  d'un 
mariage  entre  une  sœur  de  Cosme  II  et  le  prince  de  Galles 
Henri,  fils  de  Jacques  I".  S'il  ne  trouve  pas  à  Londres 
l'active  et  désordonnée  concurrence  de  Botti,  il  se  heurte  en 
revanche  à  des  négociations  menées  simultanément  en  vue  du 
même  objet  par  la  cour  de  France  et  par  la  cour  d'Espagne. 
La  mort  de  ce  premier  prince  de  Galles  lui  fournit  un  fort 
honnête  prétexte  pour  s'attribuer  le  mérite  d'avoir  com- 
plètement réussi  dans  une  entreprise  que  la  fatalité  seule 
avait  interrompue. 

Mais  on  sait  qu'avec  le  second  prince  de  Galles,  Charles, 
c'est  en  définitive  une  princesse  française  qui  devait  entrer 
dans  la  maison  d'Angleterre.  C'est  dès  la  minorité  de 
Louis  XIII  que  cette  longue  aventure  commence.  On  en 
verra  dans  le  courant  de  notre  ouvrage  les  complications 
initiales. 

Andréa  Cioli  conserva  la  confiance  de  ses  maîtres,  dans 
la  suite  de  sa  carrière,  pour  des  négociations  du  même 
genre,  en  Italie.  Il  fut  secrétaire  d'État  des  grands-ducs 
Cosme  II  et  Ferdinand  II  et  mourut  en  1640. 

Il  ne  séjourna  en  France  que  quelques  mois  après  la 
mort  de  Henri  IV.  Arrivé  le  11  juin  1610,  il  repartit  au 
milieu  de  janvier  léii. 

A  peine  arrivé,  il  promet  d'être  exact  et  détaillé  dans 
sa  correspondance  *.  Voilà  une  promesse  qui  sera  tenue 
avec  une  impitoyable  rigueur.  Quel  verbeux  et  souvent 
insupportable  correspondant  que  cet  Andréa  Cioli  *  !  Il  écrit 
quatre,  cinq  dépêches  par  jour,  souvent  plus  vides  les  unes 
que  les  autres,  et  toujours  remplies  de  sa  vaniteuse  et  sus- 


1.  Andréa  Cioli,  4  juin,  détails  sur  son  voyage.  —  Scip.  Ammirato, 
12  juin.  —  Matteo  Botii,  19  juin  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  28,  3o  juin  1610. 


INTRODUCTION.  XXV 


ceptible  personnalité,  sur  laquelle  il  prodigue  des  détails 
qui  n'en  finissent  plus.  C'est  un  travail  énorme,  auquel  il  a 
peine  à  suffire  : 

«  Je  veille  la  nuit,  écrit-il,  et  je  ne  me  repose  jamais  le 
jour;  aussi  j'endure  plus  de  fatigue  que  je  ne  faisais  par 
delà,  et  je  ne  pourrai  certes  pas  les  supporter  à  la  longue. 
Il  est  maintenant  minuit  et  je  n'ai  pas  dîné;  mais  de  toute 
façon,  cela  ne  me  cause  aucun  ennui,  et  la  bonne  volonté 
ne  me  manque  pas;  je  le  dis  avec  plaisir,  afin  que  V.  S"* 
(le  secrétaire  d'État  Vinta)  me  reconnaisse  comme  étant,  en 
toute  occasion,  sa  bonne  créature  *.  » 

Il  adresse  au  grand-duc  des  protestations  analogues  : 
«  Je  ne  pourrai  jamais  être  bref,  dit-il,  quand  j'aurai  à  écrire 
à  Votre  Altesse  Sérénissime  ce  que  j'aurai  négocié  avec  Sa 
Majesté  la  reine;  car  il  me  semblerait  n'avoir  rien  fait,  si 
je  ne  racontais  pas  tout  par  le  menu  ^  ». 

Du  fatras  de  cette  correspondance  on  tirera  cependant 
quelques  renseignements  précieux,  des  détails  piquants, 
des  scènes  pittoresques.  Nous  avons  les  dépêches  de  Cioli 
jusqu'au  mois  de  janvier  1611;  elles  se  terminent  par  un 
journal  de  son  voyage  de  retour  en  Italie  ^  Botti  reste 
maître  du  terrain  diplomatique. 

«  M.  le  marquis  écrivant  et  le  sieur  Cioli  archi-écrivant, 
à  moi  pauvre,  que  reste-t-il  à  dire  [Scrivente  il  s"  marchese  et 


1.  Andréa  Cioli,  16  juillet  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  3i  juillet  1610. 

3.  Une  analyse  de  ce  document  fera  connaître  les  étapes  et  la  durée 
de  ce  voyage  :  jeudi,  27  janvier,  il  a  pris  congé  de  Concini;le  28,  du 
chancelier  et  de  Puisieux;  le  29,  du  roi  :  il  reçoit  un  collier  de 
5oo  écus;  le  3o,  départ  de  Paris;  le  3i,  de  Fontainebleau:  il  a  visité  le 
palais  et  le  parc.  —  Le  i*""  février,  passage  à  Cosne;  le  2,  à  Villeneuve, 
près  de  Moulins;  le  4,  à  Lyon.  —  Le  7,  arrivée  en  bateau  à  Avignon; 
le  9,  à  Aix;  le  1 1,  à  Fréjus;  le  12,  à  Nice. 


XXVI  INTRODUCTION. 

arciscrivente  il  s^  CioJi,  a  me  paver ino  non  resta  da  dire  *)  »  ? 
Ainsi  s'exprime  Scipione  Ammirato,  le  troisième  des  diplo- 
mates florentins  que  nous  voyons  accrédités  ensemble  à  la 
cour  de  France  à  la  fin  de  1610.  Celui-là  est  petit,  modeste, 
humble;  mais  sa  valeur  professionnelle  paraît  de  beaucoup 
supérieure  à  celle  des  deux  autres.  L'historien  florentin 
Scipione  Ammirato  l'Ancien  avait  adopté  un  jeune  homme 
d'obscure  naissance,  nommé  Christoforo  del  Bianco,  fils 
d'un  simple  maçon,  pour  le  récompenser  de  l'avoir  aidé 
dans  ses  recherches;  en  lui  léguant  son  bien  il  lui  fit  prendre 
son  nom.  C'est  ce  Scipione  Ammirato,  dit  le  Jeune,  qui, 
d'abord  employé  aux  Archives  de  Florence,  fut  attaché 
comme  secrétaire  au  chevalier  Camillo  Guidi  et  qui  reçut 
l'ordre  de  se  mettre  à  la  disposition  de  Matteo  Botti. 

Scipione  Ammirato  le  Jeune  n'a  pas  l'exubérance,  la 
faconde,  ni  la  prétention  des  deux  autres  diplomates  floren- 
tins. Mais  il  a  beaucoup  plus  qu'eux  la  pratique  de  la  cour 
de  France.  Son  sens  est  juste,  ses  informations  paraissent 
bien  prises;  il  sert  d'heureux  contrepoids  aux  fantaisies  et 
aux  excès  de  zèle  des  gros  personnages  de  l'ambassade.  Ses 
renseignements  sont  empreints  d'un  caractère  de  sincérité 
qui  les  fait  lire  avec  plaisir  et  confiance.  Ce  bon  serviteur 
se  fit  assez  apprécier  pendant  sa  résidence  en  France  pour 
être  définitivement  attaché,  lors  de  son  retour  dans  la  patrie, 
au  service  de  la  secrétairerie  d'État. 

Tous  ces  personnages,  jaloux  les  uns  des  autres,  rivaux 
et  ennemis,  faisant  assaut  de  zèle  pour  mériter  les  faveurs 
du  maître  qui  règne  à  Florence,  sont  forcés  de  vivre  côte  à 
côte  un  peu  pêle-mêle,  à  la  mode  itaUenne. 

I.  Scip.  Ammirato,  27  octobre  1610. 


INTRODUCTION.  XXVII 

La  régente  avait  assigné  comme  résidence  au  marquis 
Botti  l'hôtel  de  Gondi,  où  s'installèrent  à  sa  suite  tous  les 
autres  Italiens  de  l'ambassade.  Mais  bientôt  voilà  que,  pour 
se  rendre  favorable  le  prince  de  Condé,  Marie  de  Médicis 
lui  fit  cadeau  de  cette  riche  demeure;  aux  Italiens  d'en 
sortir.  Car  le  prince  ne  perd  pas  de  temps  pour  entrer  en 
jouissance  du  don  que  lui  a  fait  la  reine  :  à  deux  reprises 
différentes  il  visite  les  appartements  de  nos  infortunés 
diplomates,  puis  il  revient  accompagné  de  sa  mère,  la  prin- 
cesse douairière,  propriétaire  encore  plus  avide  et  rapace 
que  le  prince  lui-même  :  «  Et  nous,  écrit  Andréa  Cioli, 
nous  sommes  à  moitié  désespérés,  nous  pleurons  le  jardin 
et  mille  commodités,  tant  en  meubles  qu'en  ornen;ents; 
nous  songeons  qu'en  outre  ce  sera  pour  Votre  Altesse  Séré- 
nissime  un  grand  accroissement  de  dépense,  à  moins  toute- 
fois que  la  reine,  qui  avait  bien  voulu  assigner  ce  logement 
au  marquis,  ne  consente  à  lui  en  faire  donner  un  autre  \  » 

Force  leur  est  bientôt  d'émigrer  presque  sans  compen- 
sation; ils  quittent  le  somptueux  pavillon  de  Gondi,  au 
faubourg  Saint-Germain,  pour  aller  loger  dans  la  ville 
même,  à  l'hôtel  de  Lyon,  dépendance  de  Farchevêché  de 
Lyon,  où  la  reine  leur  envoie  quelques  meubles  ". 

Il  faut  croire  que  Cioli  ne  se  trouve  guère  à  Taise  dans 
cette  résidence;  car  ayant  appris  que  l'ambassadeur  de 
Savoie,  M.  Jacob,  avait  loué  des  chambres  garnies  dans 
le  pavillon  même  où  il  avait  auparavant  les  siennes  au 
Petit  Gondi,  et  qu'ainsi  Mme  la  princesse  douairière  de 
Condé  ne  dédaignait  pas  les  menus  profits  que  pouvait 
encore  lui  rapporter  la  libéralité  de  la  régente,  il  alla  la 
trouver  sans  prendre  conseil  du  marquis  Botti,  ce  qui  aurait 

1.  Andréa  Cioli,  3i  juillet  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  11  août  1610. 


XXVIII  INTRODUCTION. 

été  trop  long,  marchanda  énergiquement  avec  la  noble 
logeuse,  fit  les  petites  cérémonies  usitées  en  pareil  cas, 
jusqu'à  feindre  de  rompre  brusquement  le  marché  et  de 
partir,  et  obtint  en  fin  de  compte  pour  quinze  écus  par  mois 
ces  chambres  qu'elle  avait  fait  monter  d'abord  au  prix  de 
trente  écus  *.  Cioli  se  trouvait  là  encore  suffisamment  près 
du  marquis  pour  pouvoir  facilement  correspondre  avec  lui, 
sans  avoir  à  subir  constamment  le  contact  d'un  homme 
qu'il  détestait. 

Ces  gens  sont  besogneux,  quémandeurs,  profondément 
intéressés;  la  main  du  gouvernement  grand-ducal  ne 
s'ouvre  pour  eux  qu'avec  parcimonie.  Les  dettes  les  plus 
minimes  contractées  au  service  de  leur  maître  ne  leur  sont 
payées  qu'à  force  d'instances  :  «  J'ai  signé  une  petite  lettre 
de  change  sur  le  seigneur  Gondi,  écrit  Scipione  Ammirato 
le  26  avril  161 1  ;  elle  est  de  31  francs,  montant  des  dépenses 
faites  ici  par  moi  en  port  de  lettres,  papier,  etc.,  depuis  le 
commencement  de  janvier  dernier,  comme  vous  pourrez 
voir  par  la  note  que  je  vous  envoie  avec  la  présente;  que 
Votre  Illustrissime  Seigneurie  ait  la  bonté  de  me  la  faire 
payer.  Sur  ce  je  lui  baise  les  mains  avec  ma  plus  humble 
révérence  en  priant  le  Seigneur  de  lui  accorder  santé  et 
longue  vie.  »  Et  ainsi  du  petit  au  grand,  les  besoins,  les 
dettes,  les  ambitions,  les  instances  croissent  avec  l'impor- 
tance des  personnages. 

Et  ce  que  nous  disons  là  ne  s'applique  pas  seulement  aux 
représentants  du  gouvernement  de  Florence.  Serait-ce  que 
Topulente  répubUque  de  Venise  aime  se  faire  servir  à  bon 
marché,  ou  que  ses  ambassadeurs  se  plaisent  à  tirer  de 
leurs  fonctions  le  plus  large  profit  possible?  Toujours  est-il 

I.  Andréa  Cioli,  27  septembre  1610. 


INTRODUCTION.  XXIX 

que  les  circonstances  dans  lesquelles  eut  lieu  le  départ  du 
Vénitien  Antonio  Foscarini,  au  milieu  de  l'année  1611,  alors 
qu'il  fut  envoyé  par  son  gouvernement  de  Paris  à  Londres, 
ne  font  pas  grand  honneur  à  sa  discrétion  : 

«  Enfin,  lisons-nous  dans  la  dépêche  de  Scipione  Ammi- 
rato  citée  plus  haut,  est  parti,  il  y  a  trois  jours,  pour  son 
ambassade  d'Angleterre,  l'ambassadeur  Foscarini;  et  trou- 
vant sans  doute  qu'il  n'y  avait  pas  encore  assez  à  dire  sur 
son  compte,  il  a  voulu  encore  en  cette  dernière  occasion 
faire  des  siennes.  Il  avait  pris  congé  de  Sa  Majesté  et  reçu 
un  présent  de  deux  mille  écus;  mais  s'étant  lamenté  que 
le  présent  fût  peu  de  chose  et  que  l'argenterie  ne  pesât  pas 
les  deux  mille  écus,  il  voulait  encore  que  Sa  Majesté  lui  fît 
cadeau  d'une  tapisserie  pour  l'emporter  avec  lui,  ou  bien 
d'un  beau  diamant  monté  sur  un  anneau  ;  et  la  fantaisie  de 
cet  anneau  lui  était  entrée  d'autant  plus  en  l'esprit,  qu'il 
avait  su  que  la  femme  de  l'ambassadeur  de  Flandre,  allant 
à  Saint-Germain,  prendre  congé  des  princes  et  des  prin- 
cesses, avait  été  régalée,  par  Madame  la  fille  aînée,  d''un 
diamant  monté  sur  un  anneau  d'une  valeur  de  deux  mille 
écus,  outre  deux  mille  écus  de  vaisselle  d'argent  que  Sa 
Majesté  a  fait  présenter  à  l'ambassadeur  son  mari.  Mais 
n'ayant  pas  réussi  à  obtenir  ni  tapisserie,  ni  anneau,  et  la 
preuve  ayant  été  faite  qu'à  la  valeur  de  son  argenterie 
estimée  à  deux  mille  écus  il  n'en  manquait  que  cinquante 
seulement,  il  s'en  est  allé,  et  sur  ce,  bon  voyage  !  » 

Par  là,  on  voit  avec  quelle  jalousie  poussée  jusqu'aux 
plus  vils  détails,  s'observaient,  s'épiaient,  se  déchiraient  et 
les  représentants  d'une  même  puissance  et  ceux  de  puissances 
différentes.  On  en  trouvera  de  nombreux  exemples  dans  le 
cours  de  cet  ouvrage. 

Ainsi,  indépendamment  du  profit  que  l'histoire  peut  tirer 


XXX  INTRODUCTION. 

du  rapprochement  de  témoignages  empruntés  à  des  écrivains 
qui  sont  bien  loin  de  s'entendre  les  uns  avec  les  autres,  on 
trouvera  dans  les  petits  incidents,  les  intrigues,  les  comédies 
auxquels  sont  mêlés  nos  diplomates,  un  élément  d'intérêt 
secondaire,  il  est  vrai,  mais  qui  n'est  pas  dépourvu  de 
piquant,  au  milieu  des  événements  de  l'ordre  purement 
historique  dont  nous  abordons  maintenant  directement  le 
récit. 

Berthold  Zeller. 


LA 

MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII 


MARIE    DE    MÉDICIS    ET     SULLY 


L'ÉTABLISSEMENT  DE  LA  RÉGENCE 

Aspect  de  la  cour  et  de  l'entourage  intime  de  la  reine  quelques 
semaines  après  la  mort  de  Henri  IV.  —  Retour  sur  les  événements 
précédents.  —  Le  couronnement  de  la  reine  à  Saint-Denis.  —  La 
régence  de  Marie  de  Médicis  instituée  par  deux  arrêts  du  Parlement 
de  Paris.  —  Lit  de  justice  tenu  par  le  roi  Louis  XIIL  —  Examen 
de  la  question  de  droit  constitutionnel.  —  Nécessité  d'agir  promp- 
tement.  —  Prétentions  des  princes  du  sang  déjouées.  —  Retour 
précipité  du  comte  de  Soissons.  —  Ses  exigences.  —  Résistance  de 
la  reine;  elle  cède  en  partie.  —  Concession  du  gouvernement  de  la 
Normandie  au  comte  de  Soissons. —  Imprudence  de  cette  politique. 
—  Déchaînement  général  des  ambitions  et  des  appétits  succédant 
à  l'union  apparente  des  princes  et  des  grands. 

i3  mai-i^r  juillet  1610. 

Le  30  juillet  1610,  dix  semaines  après  l'assassinat  de 
Henri  IV,  dans  les  appartements  que  les  reines  mères  occu- 
paient "au  rez-de-chaussée  de  la  partie  du  Louvre  moderne 
qui  s'étend  le  long  de  la  Seine,  depuis  le  pavillon  d'angle 
sud-ouest  jusqu'à  la  porte  centrale,  se  présentait,  pour  avoir 
une  audience  de  Marie  de  Médicis,  Andréa  Cioli,  représen- 

I 


2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XllI. 

tant  du  grand-duc  de  Florence  Cosme  IL  Ce  diplomate, 
envoyé  moins  pour  apporter  à  la  reine  les  condoléances  de 
son  gouvernement,  à  l'occasion  de  la  mort  du  roi  de 
France,  que  pour  s'acquitter  d'autres  menues  missions,  ce 
jour-là,  venait  pour  annoncer  officiellement  à  la  reine  la 
naissance  d'un  petit  prince  de  Toscane.  La  scène  à  laquelle 
il  nous  fait  assister  dans  la  relation  de  cette  audience  nous 
montre,  pris  sur  le  vif,  l'intérieur,  l'entourage,  l'attitude,  le 
langage  abandonné  et  quelques-uns  des  traits  caractéris- 
tiques de  la  femme  qui  devait,  pendant  sept  années  ora- 
geuses, présider  aux  destinées  de  la  France.  Ce  récit,  qui 
reproduit  aussi  en  termes  saisissants  l'avant-dernière  journée 
du  règne  de  Henri  IV,  nous  introduit  de  plain-pied  dans 
l'histoire  de  la  minorité  du  fils  et  de  la  régence  de  cette 
veuve  d'un  grand  roi. 

((  Je  trouvai  très  commodément  l'occasion  de  parler  à  la 
reine,  :fprès  son  déjeuner,  écrit  Andréa  Cioli,  lorsque  le 
duc  d'Épernon  et  après  lui  M.  de  Barrault  (l'introducteur  des 
ambassadeurs)  eurent  pris  congé  d'elle,  et  je  m'exprimai  dans 
les  termes  suivants  :  «  Madame,  je  me  réjouis  en  toute  humi- 
«  lité  avec  Votre  Majesté  de  l'heureuse  naissance  de  votre 
«  petit-neveu;  c'est  un  nou\'eau  serviteur  pour  vous  et  pour 
((  S.  M.  le  roi.  »  Elle  me  répondit  qu'elle  avait  éprouvé  un 
grand  contentement  et  ajouta  :  «  C'était  bien  vrai  ce  que  tu 
«  me  disais  ces  jours-ci  qu'ils  devaient  s'être  trompés  pour  le 
<(  temps.  »  Je  la  remerciai  au  nom  de  Votre  Altesse  sérénissime 
de  la  grâce  et  de  l'honneur  qu'elle  m'avait  faits  en  me  vo3^ant 
et  en  m'écoutant  avec  tant  de  bonté;  S.  M.  me  répondit  sim- 
plement d'un  sourire  et  d'un  geste  gracieux.  Il  y  avait  autour 
d'elle  trois  ou  quatre  princesses  qui  se  tenaient  à  ses  côtés 
dans  une  grande  fenêtre.  Elle  les  quittait  de  temps  à  autre 
pour  venir  tantôt  vers  M.  de  Beaumont  *,  qui  était  resté  en 
compagnie  d'un  autre  cavalier,  tantôt  vers  moi.  Chaque  fois 

I.  Fils  du  premier  président  de  Harlay,  ambassadeur  en  Angleterre, 
très  en  faveur  auprès  de  la  reine. 


L  ETABLISSEMENT    DE    LA    REGENCE. 


qu'elle  bougeait,  je  m'approchais  d'elle  pour  Tentretenir 
successivement  d'affaires  différentes....  Sur  ces  entrefaites 
arriva  le  S'"Concini;  il  dit  je  ne  sais  quoi  à  l'oreille  de  S.  M. 
et  tous  deux  se  tournèrent  vers  moi.  La  reine  me  fit  signe  de 
m'approcher  et  me  parla  ainsi  :  «  Eh  bien  !  qui  donc  le  grand- 
«.  duc  enverra-t-il  ici  comme  secrétaire  résident?  —  Celui 
u  qui  plaira  à  Sa  Majesté,  répondis-je;  car  S.  A.  n'a  d'autre 
«  désir  que  de  complaire  à  Votre  Majesté  et  sur  ce  point 
«  et  sur  tous  les  autres  et  toujours;  et  je  puis  lui  montrer  un 
«  ordre  qui  m'est  tout  récemment  arrivé  de  S.  A.  et  d'après 
u  lequel  je  dois,  en  temps  opportun,  pressentir  Votre  Majesté 
((  à  ce  sujet.  —  Nous  aurons  à  cœur,  reprit-elle,  de  voir 
<(  arriver  le  fils  aîné  de  Bartolini,  que  nous  savons  très  capable, 
«  très  intelligent  et  doué  d'une  certaine  expérience,  puisqu'il 
«  est  depuis  assez  longtemps  déjà  en  Espagne.  Écrivez  donc 
«  dans  ce  sens  et  de  notre  part  au  grand-duc.  »  Elle  me  tint 
ce  discours  en  se  promenant;  et  le  S""  Concino,  dès  qu'elle 
se  mit  à  parler  de  cette  affaire  avec  moi,  se  retira.  Je  lui 
répondis  que  j'exécuterais  immédiatement  ses  ordres  et  lui 
fis  entendre  que,  sous  la  réserve  de  son  bon  plaisir,  et  pour 
que,  dans  les  circonstances  présentes,  la  place  ne  restât 
point  vacante,  Votre  Altesse  sérénissime  voulait  que  je  de- 
meurasse ici  jusqu'après  le  couronnement  du  roi,  parce  que 
Votre  Altesse  désirait  me  voir  assister  à  cette  cérémonie. 
«  Et  la  nôtre,  reprit  sur-le-champ  S.  M.,  je  voudrais  bien  que 
«  tu  l'eusses  vue,  parce  que  ce  fut  une  des  plus  belles  choses 
«  que  l'on  puisse  faire  en  France.  »  Elle  continua  ainsi  : 
«  Nous  étions  placées  sur  dix-neuf  gradins;  sur  trois  degrés 
«  au-dessous  de  nous  étaient,  à  droite  et  à  gauche,  les  prin- 
«  cesses  de  France,  puis  celles  du  sang  et  les  autres  de  proche 
«  en  proche,  et  puis  les  cardinaux,  les  évêques,  les  officiers 
«  de  la  couronne  et  tous  les  princes  du  sang.  Chacun  fit  son 
«  office  dans  ces  cérémonies,  les  uns  pour  porter  la  traîne, 
«  ceux-ci  pour  une  chose,  ceux-là  pour  une  autre  —  De  telle 
«  sorte,   dis-je  en  interrompant,  qu'un  aussi   merveilleux 


4  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

«  théâtre  devait  ressembler  au  paradis  avec  toute  la  série  des 
«  chœurs  des  anges.  —  Oui,  précisément,  reprit  la  reine; 
«  c'était  comme  le  paradis  »  ;  et,  élevant  la  voix  sur  ce  pro- 
pos, elle  s'arrêta  dans  sa  promenade  pour  dire  au  S' Concino 
et  à  M^""  de  Beaumont  qui  étaient  ensemble  :  «  N'est-il  pas 
«  vrai,  Messieurs,  que  la  cérémonie  de  mon  couronnement  a 
«  été  semblable  en  beauté  à  l'ordre  divin  du  paradis? Nous 
«  disions  à  l'instant  au  secrétaire  du  grand-duc  notre  frère, 
((  qui  veut  rester  pour  voir  le  couronnement  du  roi,  qu'il 
«  lui  aurait  fallu  voir  le  nôtre  s'il  avait  voulu  avoir  du  plaisir 
a  et  rester  dans  l'admiration.  »  Et  les  autres,  répondant  affir- 
mativement au  dire  de  S.  M.,  se  mirent  à  décrire  en  détail  la 
beauté,  magnificence  et  les  merveilles  de  cette  cérémonie; 
et  moi  je  dis  que,  sans  aucun  doute,  j'aurais  vu  celle-là  plus 
volontiers  qu'une  autre,  non  seulement  à  cause  de  ce  qu'ils 
en  racontaient,  mais  aussi  parce  que  c'était  un  temps  de  plus 
grande  et  plus  parfaite  allégresse  qu'aujourd'hui.  «  Mais  il  y 
«  a  bien  eu,  répliqua  la  reine,  trois  prodiges  qui,  à  l'heure 
'(  actuelle,  et  après  coup,  me  bouleversent  encore,,  et  l'on  fit 
((  très  bien  de  me  cacher  le  premier,  car  cènes  j'en  aurais  été 
«  épouvantée;  et  ce  premier  fut  que  la  pierre  du  sépulcre  des 
«  rois  se  fendit  et  s'ouvrit  de  telle  sorte  qu'il  fallut  y  mettre 
«  de  la  chaux  pour  la  refermer.  Voici  quel  fut  le  second 
«  prodige  :  pendant  que  nous  étions  dans  ce  théâtre,  la  coû- 
te ronne,  qui  avait  été  mal  placée  par  les  princesses,  faillit 
«  me  tomber  de  la  tête,  et  il  s'en  manqua  de  fort  peu,  et 
«  nous,  vivement,  et  juste  à  temps,  pûmes  la  retenir,  et  en 
«  la  touchant  à  peine  d'une  main  nous  la  raff"ermîmes,  je  ne 
c<  sais  comment,  mais  de  telle  sorte  qu'elle  ne  bougea  plus 
«  et  qu'elle  paraissait  comme  scellée;  le  troisième  fut  Ten- 
((  nuyeuse  lamentation  d'un  de  ces  oiseaux  de  nuit  dont  je 
«  ne  me  rappelle  pas  le  nom  en  italien  et  qui  se  fit  entendre 
«  toute  la  nuit;  il  tournait  au-dessus  de  notre  toit,  se  posant 
«  tantôt  au-dessous  d'une  chambre,  tantôt  au-dessous  d'une 
«  autre  et  même  jusque  dans  nos  fenêtres.  »  La  conversa- 


is 

\ 


L  ETABLISSEMENT    DE    LA    REGENCE.  D 

tion  étant  générale  au  sujet  de  ces  prodiges,  on  parla  beau- 
coup plus  du  second  que  des  autres;  et  comme  S.  M.  s'éten- 
dait complaisamment  sur  cette  action  de  retenir  toute  seule 
et  d'arranger  la  couronne  avec  tant  de  prestesse  et  de  faci- 
lité, le  S"^  Concino  dit  à  ce  propos  qu'il  avait  bien  observé 
cet  accident  et  qu'il  avait  vu  S.  M.  retenir  la  couronne 
en  un  clin  d'œil  avec  ses  deux  mains  et  la  raffermir  d'une 
façon  vraiment  miraculeuse,  parce  qu'elle  était  déjà  presque 
sortie  de  sa  tête.  Pour  ma  part,  je  ne  pus,  sur  le  moment, 
me  retenir  d'exprimer  la  pensée  qui  me  vint  à  l'esprit,  à 
savoir  que  cela  signifiait  que,  par  la  mort  du  roi,  la  cou- 
ronne devait  presque  choir,  mais  être  bientôt  soutenue  et 
remise  solidement  en  sa  place  par  la  prudence  et  le  cou- 
rage de  la  reine.  Ce  langage  plut  à  tous  et  S.  M.  en 
témoigna  son  contentement  en  me  jetant  un  regard  de  gra- 
titude et  d'assentiment.  J'ai  vu  que  j'ai  également  fait  beau- 
coup de  plaisir  lorsque,  m'apercevant  que  l'on  en  revenait 
encore  à  cette  cérémonie,  je  dis  avoir  appris  de  bonne 
source  que,  pour  la  magnificence  dans  les  cérémonies  solen- 
nelles, les  Français  l'emportaient  sur  toutes  les  autres  nations. 
Chacun  m'approuva;  la  reine  dit  que  c'était  la  pure  vérité;  et 
que  si,  très  souvent,  les  Français  paraissaient,  dans  la  plupart 
de  leurs  actions,  vivre  d'une  manière  un  peu  désordonnée, 
ils  étaient  tout  à  fait  remarquables  dans  les  cérémonies  de 
ce  genre;  et  elle  affirma  que,  dans  celle  dont  il  s'agissait,  non 
seulement  l'ordre  fut  merveilleux,  mais  qu'il  y  eut  encore  une 
attention  et  un  silence  incroyables.  Pendant  cette  conversa- 
tion arrivèrent  à  quelques  intervalles  de  temps  quatre  prin- 
cesses :  Mme  de  Conti,  la  fille  de  M.  le  duc  de  Mayenne^ 
Mme  de  Bouillon  et  Mme  de  Montpensier  ;  et  il  y  avait  aupara- 
vant Mme  de  Mercœur,  Mme  de  Vendôme,  Mme  de  Sully  et 
Mme  d'Elbœuf.  Le  S' Concino  partit  et  arriva  M.  le  maréchal 
de  Brissac,  qui  s'en  alla  tout  de  suite,  et  puis  vint  Ms""  Bonsi  *. 

I.  Evêque  de  Béziers,  grand  aumônier  de  la  reine. 


LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 


La  reine  causait  avec  les  princesses;  et  comme  elles  s'étaient 
assises  près  de  la  porte,  de  telle  manière  qu'il  fallait,  pour 
sortir,  passer  au  milieu  d'elles  et  en  déranger  quelqu'une, 
je  ne  pouvais  me  décider  à  m'en  aller  et  je  fis  bien;  car 
j'eus  l'occasion  de  m'approcher  à  plusieurs  reprises  de 
l'oreille  de  S.  M.  et  de  l'entretenir  sur  différents  sujets, 
lorsque  je  voyais  que,  la  conversation  languissant  avec  les 
princesses,  elle  se  tournait  de  notre  côté.  S.  M.  était  assise 
près  de  la  susdite  fenêtre  qui  est  située  à  droite  de  la  porte 
d'entrée  où  se  tenaient  les  princesses;  elle  était  près  d'une 
petite  table,  en  sorte  qu'on  pouvait  lui  parler  de  près  sans 
être  entendu.  Je  lui  dis  principalement  que  Votre  Altesse 
sérénissime  et  Madame  ne  faisaient,  dans  toutes  leurs 
lettres,  que  recommander  au  marquis  Botti  et  à  moi  de 
rappeler  à  S.  M.  et  de  dire  à  M""  Concino,  qui  pouvait 
s'acquitter  de  ce  soin  beaucoup  plus  souvent  que  nous- 
mêmes,  qu'EUe  eût  avant  toutes  choses  à  veiller  sur  sa  vie 
et  sur  celle  du  roi,  qu'elle  fît  la  plus  grande  attention  à  ceux 
qui  servaient  dans  la  cuisine  ou  dans  la  chambre.  Je  lui  parlai 
ensuite  des  continuelles  prières  que  l'on  disait  à  Florence  et 
particulièrement  à  Monte-Senario  pour  l'âme  du  roi,  pour  la 
conservation  et  le  bonheur  d'elle-même  et  du  roi  vivant,  et 
de  tous  les  autres  princes  ses  enfants,  ce  qui  lui  fut  particu- 
Hèrement  agréable.  Enfin,  je  m'enhardis  à  lui  demander  s'il 
était  vrai  que  l'on  dût  retarder  le  couronnement  du  roi  jus- 
qu'au carême  ;  S.  M.  me  dit  que  non  et  que  le  sacre  aurait 
lieu  pour  sûr  au  mois  de  septembre  prochain.  Pour  ter- 
miner, après  deux  bonnes  heures,  je  me  décidai  à  passer  au 
milieu  de  ces  princesses  et  je  m'en  allai  \  » 

On  peut  se  faire,  par  ce  récit,  une  idée  de  la  frivoUté  de 
cette  reine  de  trente-six  ans,  mère  de  six  enfants,  encore 

I.  Andréa  Cioli  au  grand-duc,  3i  juillet  1610.  —  La  dépêche  ne  se 
termine  pas  ici.  Elle  entre  encore  dans  d'autres  détails  qu'il  est 
inutile  de  relever.  On  ne  s'étonnera  pas  si,  écrivant  le  même  jour 
au  secrétaire  d'État  Vinta,  le  prolixe  diplomate  jette  cette  exclama- 
tion :  Tutio  hoggi  ho  scritto  et  sono  stracco. 


<  / 


L ETABLISSEMENT    DE    LA    REGENCE.  7 

belle,  quoique  d'une  beauté  un  peu  commune,  beaucoup  plus 
préoccupée  de  sa  personne  et  de  l'effet  théâtral  à  produire 
que  des  lourdes  responsabilités  dont  l'avait  accablée  le  plus 
grand  des  malheurs.  Les  affaires  de  la  maison  dont  elle  est 
issue  semblent  l'intéresser  beaucoup  plus  vivement  que  celles 
du  pays  dont  elle  est  devenue  la  reine  et  dont  le  roi  main- 
tenant régnant  est  son  fils.  Le  laisser  aller,  la  gaieté  même 
qui  régnent  dans  les  appartements  que  le  souvenir  de 
Henri  IV  semble  avoir  cessé  de  hanter,  ne  sont  guère  de 
saison.  Enfin,  qui  voit-on  autour  d'elle?  Ce  ne  sont  pas  ses 
enfants,  ce  ne  sont  pas  de  graves  ministres,  des  hommes 
d'État;  c'est  un  ambassadeur  obséquieux  et  bavard  comme 
Cioli,  un  vieux  soldat  galant,  le  duc  d'Épernon,  un  prélat 
itaUen  intrigant,  Bonsi,  un  cercle  de  princesses  et  de  dames 
appartenant  aux  partis  les  plus  différents  et  dont  la  pré- 
sence au  Louvre  sert  à  masquer  les  intrigues  politiques  de 
leurs  maris,  et  enfin,  se  mêlant  avec  assurance  à  tout  ce 
monde,  comme  un  homme  qui  a  pied  dans  la  maison,  la 
figure  de  l'aventurier  Concini.  Marie  de  Médicis  est  bien  là 
dans  son  véritable  cadre.  Après  Vy  avoir  placée,  nous  repre- 
nons le  fil  des  événements. 

Henri  IV  fut  tué  vers  quatre  heures,  le  14  mai  1610  *;  à 
cinq  heures,  le  gouvernement  nouveau  fut  installé.  Le  roi 
mort  avait,  à  plusieurs  reprises,  manifesté  d'une  manière 
formelle  son  intention  de  déférer  la  régence  à  sa  femme  pen- 
dant la  campagne  qu'il  allait  entreprendre;  et  c'est  évidem- 
ment pour  la  quaHfier  encore  plus  complètement  en  vue  de 
l'exercice  de  cette  fonction,  qu'il  avait  cédé  aux  instances 
de  la  reine  en  autorisant  ce  couronnement  à  Saint-Denis, 
qui  lui  avait  causé  tant  de  tourments  et  d'appréhensions. 
L'établissement  d'une  régence,  entourée  des  garanties  que 
la  sagesse  de  Henri  IV  n'aurait  pas  manqué  d'élever  contre 
les  tendances  fâcheuses  de  sa  femme  et  contre  les  dangers 


'o' 


I.  B.  Zeller,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis,  p.  3o{)  et  suiv. 


8  LA   MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

que  rambition  ou  le  mécontentement  des  princes  du  sang 
pouvait  faire  courir  à  l'Etat,  était  une  nécessité  politique  iné- 
luctable en  face  des  éventualités  que  pouvait  faire  craindre 
la  présence  du  roi  à  la  tête  de  ses  armées.  Ce  qui  resta  des 
intentions  de  Henri  IV,  ce  fut  Tidée  simple  :  celle  de  recon- 
naître le  droit  de  sa  femme  à  porter  le  titre  de  régente  ;  ce 
qui  manqua  au  nouvel  ordre  de  choses,  ce  furent  les  garan- 
ties qui,  sous  la  forme  d'un  testament  ou  de  la  constitution 
d'un  conseil  de  régence,  auraient  imposé  au  gouverne- 
ment de  la  reine  mère  une  direction  politique  et  un  per- 
sonnel de  gouvernement  à  la  hauteur  des  intérêts  si  graves 
laissés  en  suspens  par  la  mort  du  roi  de  France.  Nous  ne 
croyons  pas  qu'il  ait  été  nécessaire,  et  il  n'est  pas  prouvé 
que  le  duc  d'Épernon,  colonel  général  de  l'infanterie  fran- 
çaise, témoin  des  derniers  moments  de  Henri  IV,  ait  été 
porter  au  sein  du  Parlement  réuni  dans  le  couvent  des 
Augustins,  en  raison  des  préparatifs  que  Ton  faisait  au  Palais 
pour  l'entrée  solennelle  de  la  reine  couronnée,  les  paroles 
menaçantes  que  lui  prête  son  biographe  *.  Il  ressort  avec 
toute  évidence  de  la  relation  de  Gillot,  non  moins  que  du 
silence  des  auteurs  contemporains,  qu'il  faut  rejeter  au  rang 
des  fables  la  harangue  cavalière  du  duc  d'Épernon  pro- 
noncée la  main  sur  la  garde  de  l'épée  à  moitié  sortie  du 
fourreau.  S'il  tenait  l'épée  à  la  main,  c'est  qu'il  était  en 
train  de  faire  œuvre  de  soldat  :  il  plaçait  et  inspectait  des 
postes.  C'est  en  courant  qu'il  parut  au  Parlement  vis-à-vis 
duquel  il  s'excusa  du  reste  de  son  incivilité.  Rappelons- 
nous  qu'il  y  avait  à  peine  trois  quarts  d'heure  que  Henri  IV 
était  mort.  Avait-on  le  temps  de  faire  des  cérémonies? 
L'épée  n'avait  pas  besoin  de  sortir  du  fourreau  et  tout  car- 
nage était  inutile  pour  engager  des  magistrats  très  jaloux 
de  maintenir  et  au  besoin  d'étendre  leurs  privilèges,  à 
donner  sur  l'heure  une  interprétation  de  la  tradition  consti- 

I.  Girard,   Vie  du  duc  d'Epernon.  —  D'Arconville,  Vie  de  Marie 
de  Médicis,  t.  I,  p.  548. 


» '. 


L  ETABLISSEMENT    DE    LA    REGENCE.  9 

tutionnelle,  qui  semblait  conforme  à  la  volonté  suprême 
de  Henri  IV,  mais  qui  établissait  en  faveur  du  Parlement  un 
précédent  destiné  à  devenir  encore  plus  abusif  par  la  suite, 
lorsqu'au  lieu  de  consacrer  les  volontés  supposées,  la  cour 
s'arrogea  le  droit  de  casser  les  volontés  testamentaires  des 
rois  défunts,  ce  qui  arriva,  comme  on  le  sait,  à  la  mort  de 
Louis  XIII  et  de  Louis  XIV.  En  fait,  depuis  les  origines  de 
la  monarchie  capétienne,  ce  n'était  jamais  le  Parlement  qui 
avait  institué  le  gouvernement  des  minorités  :  suivant  les 
circonstances,  à  défaut  d'un  acte  formel  émané  du  roi  pré- 
cédent, le  concert  des  princes  du  sang  ou  l'autorité  des 
États  généraux  avait  pourvu  à  l'exercice  du  pouvoir.  L'inno- 
vation qui  fut  proposée  au  Parlement  était  faite  pour 
flatter  les  prétentions  de  ce  corps  ambitieux  qui,  en  raison 
de  sa  composition,  dans  laquelle  entraient  des  princes,  des 
ducs  et  pairs,  des  prélats  et  conseillers  d'Église  et  enfin 
des  conseillers  laïques,  élite  de  la  bourgeoisie,  aimait  à  se 
faire  considérer  comme  une  représentation  permanente  et 
supérieure  des  trois  ordres  de  la  nation.  Le  rôle  qu'avait 
à  jouer  d'Épernon  fut  beaucoup  moins  mélodramatique  et 
arrogant  qu'on  ne  le  représente  habituellement,  et  il  faut 
s'en  tenir  sur  ce  point  au  témoignage  très  précis  d'un  des 
hommes  qui  s'employèrent  le  plus  activement  à  prévenir 
tout  désordre  et  à  ramener  le  calme  dans  Paris,  au  moment 
de  la  mort  de  Henri  IV  :  «  M.  d'Épernon,  dit  Bassompierre 
dans  ses  Mémoires,  quy,  après  avoir  mis  l'ordre  nécessaire 
aux  gardes  françaises  devant  le  Louvre,  estoit  venu  baiser  la 
main  du  roy  et  de  la  reine  sa^mère,  fut  envoyé  par  elle  au 
Parlement,  représenter  que  la  reine  avoit  des  lettres  de 
régence  expédiées  du  feu  roy  quy  pensoit  partir  pour  aller 
en  AUemaigne  ;  que  son  intention  avoit  une  autre  fois  esté, 
lorsqu'il  fut  sy  mal  à  Fontainebleau  \  de  la  déclarer  régente 
après  sa  mort;  qu'il  lui  appartenoyt  plus  tost  qu'à  tout  autre; 

I.  Voir,  pour  la  contirmation  de  ce  détail,  B.  Zeller,  Henri  IV  et 
Marie  de  Médicis,  p.  i8o. 


10  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

que  Turgence  de  l'affaire  présente  requeroit  d'y  pourvoir 
promptement,  et  qu'il  estoit  du  bien  de  Testât  qu'ils  en  déli- 
bérassent promptement,  ce  qu'ils  firent,  et  la  déclarèrent 
régente  de  France  pendant  la  minorité  du  Roy  *.  »  L'illustre 
président  Harlay,  malade  de  la  goutte,  s'était  fait  transporter 
aux  Augustins  et  c'est  sous  sa  présidence  que  fut  rédigé 
l'arrêt  qui  non  seulement  conférait  la  régence  à  Marie  de 
Médicis,  «  pour  avoir  l'administration  du  royaume  pendant 
le  bas  âge  dudit  Seigneur  son  fils  »,  mais  qui  constituait  son 
pouvoir  absolu  en  ajoutant  que  c'était  «  avec  toute-puis- 
sance et  autorité  »  '. 

Le  lendemain  15  mai,  ces  dispositions  prises  avec  autant 
de  sûreté  que  de  hâte  en  vue  d'empêcher,  suivant  l'expres- 
sion de  Richelieu,  «  que  l'on  aperçût  un  seul  moment  d'in- 
terruption dans  Tautorité  royale  ^  »,  reçurent  la  sanction  de 
celui  qui  s'appelait  désormais  Louis  XIIL  L'enfant,  ainsi  que 
ses  frères  et  sœurs  arrivés  tout  récemment  de  Saint-Germain 
pour  la  cérémonie  du  couronnement,  avait  laissé  couler 
d'abondantes  larmes  quand  on  lui  apprit  que,  à  neuf  ans,  la 
mort  de  son  père  faisait  de  lui  le  roi  de  France  *.  Il  s'écria 
ensuite,  au  dire  du  médecin  Héroard  :  «  Ha!  si  je  y  eusse 
été  avec  mon  épée,  je  l'eusse  tué  ».  Puis  il  dit  qu'il  ne  vou- 
drait pas  être  roi,  qu'il  aimerait  mieux  que  ce  fût  son  frère 
le  duc  d'Orléans,  parce  qu'il  avait  peur  d'être  tué,  comme 
son  père.  Cette  appréhension  le  poursuit;  il  demande  à  son 
gouverneur,  M.  de  Souvré,  de  coucher  avec  lui,  car  il  a 
peur  des  songes  ^.  Le  lendemain,  le  petit  roi,  réveillé  à 
six  heures  et  demie,  ne  sort  pas  du  cauchemar  qui  l'oppresse, 
et  qui  l'obsédera  encore  longtemps  ^  lorsque  après  l'avoir 


1.  Bassompierre,  Mémoires,   t.  I,  p.   278.  —  Richelieu,  Mémoires, 
p.  20.  —  L'EsToiLE,  Mémoires,  t.  X,  p.  220,  221. 

2.  Mercure  françois,  t.  I,  p.  425  et  suiv.  —  Recueil  de  pièces,  1. 1,  p.  i. 

3.  Richelieu,  Mémoires,  p.  20. 

4.  Scip.  Ammirato,  19  juin  161  o. 

5.  Héroard,  t.  I,  p.  436. 

6.  Le  jeune  roi  paraît,  en  effet,  être  resté  de  longs  jours  sous  cette 
impression    d'étonnement,  de  terreur  et   de    regret.    Héroard    nous 


l'établissement  de  la  régence.  I  I 

mené  à  la  messe  et  monté  sur  une  petite  haquenée  blanche, 
on  le  conduit  par  le  Pont-Neuf  au  couvent  des  Augustins. 
Il  était  accompagné  d'un  grand  nombre  de  princes,  ducs, 
pairs,  seigneurs,,  gentilshommes  et  officiers  de  la  couronne, 
tant  ecclésiastiques  que  laïques  \  Le  peuple  criant  sur  son 
passage  :  «  Vive  le  Roi  !  »  il  se  retourna  vers  un  des  siens  et  lui 
demanda  :  «  Qui  donc  est  le  roi  ^  ?  »  Arrivé  dans  la  salle  où 
était  réuni  le  Parlement,  Louis  XIII  séant  en  son  lit  de  jus- 
tice entendit  sa  mère,  qui  était  arrivée  de  son  côté  en  grand 
deuil  et  voilée  d'un  crêpe,  le  recommander  aux  soins  de  la 
cour;  puis  il  débita,  non  sans  présence  d'esprit,  la  courte  et 
simple  harangue  dont  le  texte  écrit  lui  avait  été  remis  par 
M.  de  Souvré  ^  :  «  Messieurs,  dit-il,  il  a  plu  à  Dieu  appeler 
à  soi  notre  bon  roi,*  mon  seigneur  et  père.  Je  suis  demeuré 
votre  roi,  comme  son  fils,  par  les  lois  du  royaume.  J'espère 
que  Dieu  me  fera  la  grâce  d'imiter  ses  vertus  et  suivre  les 
bons  conseils  de  mes  bons  serviteurs  ainsi  que  vous  dira 
M.  le  Chancelier.  »  L'arrêt  de  la  veille  fut  solennelle- 
ment confirmé  \  Le  premier   président,  l'avocat  général 


rapporte  que  le  lundi  17  mai,  sa  nourrice,  qui  avait  couché  à  côté 
de  son  lit,  lui  demanda  ce  qu'il  avait  à  rêver-  H  répondit  :  «  C'est  que 
je  songeais  »;  puis  demeura  longtemps  pensif.  Sa  nourrice  lui  dit: 
«  Mais  que  rêvez-vous.''»  Il  répondit  :  «  Dondon,  c'est  que  je  voudrais 
bien  que  le  roi  mon  père  eût  vécu  encore  vingt  ans.  Ha!  le  méchant 
qui  l'a  tué!  »  La  veille  il  avait  dit  à  sa  gouvernante,  Mme  de  Mont- 
glat  :  «  Mamanga,  je  voudrais  bien  n'être  pas  sitôt  roi  et  que  le  roi 
mon  père  fût  encore  en  vie  »  (t.  Il,  p.  4).  Le  secrétaire  Ammirato 
confirme  ces  indications  :  «  L.e  roi  a  dit  en  plusieurs  occasions  qu'il 
ne  voudrait  pas  encore  être  roi,  et  qu'il  voudrait  que  son  père  eût 
encore  vécu  cent  ans  ».  (ig  juin  1610.  Ap.  Ab.  Desjardins,  t.  V,  p.  636.) 
On  lit  aussi  dans  L'Estoile  à  la  date  du  17  mai  161  o  :  «  Le  roy  songea 
ceste  nuict  qu'on  le  vouloit  assassiner;  si  que,  pour  Tasseurer  et 
relever  de  ceste  peine,  on  fust  contraint  de  le  transporter  de  son  lit 
en  celui  de  la  reine.  «  Gardez-moi  bien,  disait-il  ordinairement  à  ses 
«  gardes,  de  peur  qu'on  ne  me  tue  comme  on  a  fait  du  feu  Roy  mon 
«  père.  )'  (T.  X,  p.  247.) 

1.  L'Estoile,  t.  X,  p.  235. 

2.  Scip.  Ammirato,  19  juin  1610. 

3.  HÉROARD,  t.  II,  p.   2. 

4.  Mercure  françois,  t.  I,  p.  426  et  suiv.  —  Recueil  de  pièces,  t.  I, 
p.  2.  —  Cf.  Arrestz.  (V'^oir  noire  bibliographie  à  l'article  Anonymes.) 


12  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

Serviii  et  le  chancelier  Brûlart  de  Sillery  firent  assaut  d'élo- 
quence et  d'érudition,  tandis  qu'au  sein  de  rassemblée  l'esprit 
d'union  et  de  concorde  qui,  depuis  la  catastrophe  de  la  veille, 
semblait  avoir  pénétré  tous  les  cœurs,  poussait  dans  les  bras 
Tun  de  l'autre  le  maréchal  de  Brissac  et  Mayenne,  qui  ne 
s'étaient  point  parlé  depuis  la  reddition  de  Paris,  d'Épernon 
et  Sully  qui  avaient  toujours  vécu  en  mauvaise  intelligence, 
et  dictait  au  duc  de  Guise  de  hautes  et  solennelles  protesta- 
tions de  sa  sincère  affection  au  bien  de  l'État  et  de  la  cou- 
ronne, dont  le  premier  président  prit  acte  avec  sa  gravité 
accoutumée  '.  Le  roi  se  rendit  ensuite  à  Notre-Dame.  «  Il 
n'apparaît,  écrit  l'ambassadeur  vénitien  Foscarini,  aucune 
trace  de  division  parmi  les  grands;  tout  au  contraire,  par  la 
grâce  de  Dieu,  ils  s'empressent  à  l'envi  au  service  du  roi; 
par  toutes  les  rues  où  il  passe,  il  entend  les  souhaits  de  lon- 
gue vie  et  de  prospérité  que  font  retentir  autour  de  lui  l'ac- 
clamation et  la  voix  du  peuple....  »  (20  mai  1610.) 

L'affaire  si  prestement  enlevée  de  la  constitution  du  gou- 
vernement nouveau  n'était  pas  un  coup  de  main  d'hommes 
d'épée,  mais  l'œuvre  d'hommes  de  gouvernement.  Vil- 
leroy,  Jeannin  et  Sillery  y  eurent  la  part  principale.  Il  n'y 
avait  eu  à  redouter  que  l'opposition  des  princes  du  sang; 
mais  les  deux  plus  en  vue,  Henri  de  Bourbon,  prince  de 
Condé,  et  Charles  de  Bourbon,  comte  de  Soissons,  étaient 
absents  ;  le  premier  avait  soustrait  sa  femme  aux  galanteries 
de  Henri  IV,  en  s'enfuyant  avec  elle  en  Belgique;  le  second, 
mécontent  que  Henri  IV  n'eût  point  permis  à  sa  femme, 
l'orgueilleuse  Anne  de  Montaffier  ^,  de  porter  au  couronne- 
ment de  la  reine  un  manteau  semé  de  fleurs  de  lis,  s'était 
retiré  dans  ses  terres.  Chacun  des  deux  princes  paya  cher 
son  coup  de  tête.  L'ambition,  l'avidité,  la  jalousie  les  ren- 

I.  L'ESTOILE,  t.  X,   p.    236. 

!2.  Andréa  Cioli,  qui  alla  lui  faire  visite  quelque  temps  après  son 
arrivée  en  cour,  dépeint  ainsi  son  attitude  :  A  similitudine  del  marito 
se  lie  stette  qiianto  a  gesti,  in  gravita  grande,  ma,  quanto  aile  parole, 
si  porto  molto  cortesamente.  \b  juin  lôio. 


l'établissement  de  la  régence.  I  3 

daient  redoutables;  c'est  pour  les  réduire  à  l'impuissance 
que  les  ministres  avaient,  avec  tant  de  résolution,  précipité 
les  événements  :  «  M'  le  Prince  hors  du  royaume,  M' le 
Comte  hors  de  la  cour  mécontent,  le  prince  de  Conti,  seul 
présent,  mais  comme  absent,  par  sa  surdité  et  par  l'inca- 
pacité de  son  esprit,  qui  était  connue  de  tout  le  monde,  on 
n'avait  pu  faire,  dit  Richelieu,  autre  chose  que  ce  qui  s'était 
fait,  étant  impossible  d'attendre  le  retour  de  ces  princes  sans 
un  aussi  manifeste  péril  pour  l'Etat  que  celui  d'un  vaisseau 
qui  serait  longtemps  à  la  mer  sans  gouvernail  '  ». 

Le  prince  de  Condé,  porté  par  sa  mauvaise  humeur  jus- 
qu'à Milan,  était  trop  loin  pour  ne  pas  accepter  le  fait 
accompli;  mais  Soissons  ne  perdit  pas  de  temps  pour  essayer 
de  tirer  parti  de  la  situation.  Un  jour  de  retard  de  la  part 
des  ministres  restés  au  timon  des  affaires  aurait  suffi  à  tout 
compromettre.  Soissons  arriva  moins  de  trois  jours  après  la 
mort  de  Henri  IV;  mais  tout  était  terminé  sans  lui.  Il  fut 
quelques  jours  à  se  remettre  de  ce  coup;  mais  ce  chef  d'une 
branche  cadette  de  la  famille  royale,  qui  avait  mal  servi 
Henri  IV,  pendant  qu'il  recouvrait  son  royaume,  et  auquel 
Henri  IV  avait  refusé  la  main  de  sa  sœur  Catherine,  voulut 
se  faire  payer  grassement  son  adhésion  au  nouvel  ordre  de 
choses  et  son  désistement  de  prétentions  insoutenables  à  la 
régence.  Il  fallut  bientôt  compter  avec  lui.  «  Le  comte  de  Sois- 
sons, écrit  l'ambassadeur  Matteo  Botti,  aussitôt  après  son  arri- 
vée, est  allé  rendre  ses  devoirs  d'obéissance  au  nouveau  roi 
et  à  la  reine.  Il  a  déclaré  avec  un  flot  de  paroles  et  de  larmes 
qu'il  voulait  toujours  les  servir  et  qu'il  répandrait  s'il  le  fal- 
lait jusqu'à  la  dernière  petite  goutte  de  son  sang  pour  la  con- 
servation de  Sa  Majesté".  Mais  peu  après,  poussé  par  d'autres 
ou  obéissant  à  son  propre  naturel,  il  s'est  démasqué  et  a 
dit  à  la  reine  qu'il  voulait  être  fait  lieutenant  général  du  roi 
par  toute  la  France,  et,  pour  corroborer  sa  prétention,  il  a 

1.  Richelieu,  Mémoires,  p.  21. 

2.  Cf.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  242. 


T_j.  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

cité  l'exemple  du  roi  Antoine  de  Navarre  *,  qui  au  temps  de 
la  reine  mère  Catherine,  eut,  disait-il,  le  même  rang;  mais  il 
ne  paraît  point  que  cela  soit  écrit  en  aucun  endroit".  —  Sur 
ce,  la  reine,  qui  est  maîtresse  absolue,  et  qui  n'a  pas  besoin 
de  surintendants,  lui  a  répondu  qu'il  eût  à  s'enlever  cette 
fantaisie  de  la  tête,  parce  qu'elle  veut  être  la  maîtresse  et 
qu'elle  ne  veut  pas  devenir  Mme  de  Montglat  ^,  qui  a 
seulement  à  s'occuper  de  la  personne  du  présent  roi  ;  qu'au 
surplus,  s'il  veut  s'abstenir  de  ces  vaines  prétentions,  S.  M. 
le  fera  la  première  personne  du  royaume  après  elle;  on  lui 
fera  part  de  tout  et  il  aura  les  premières  charges.  Le  ton 
résolu  de  la  reine  et  les  conseils  des  serviteurs  de  S.  M. 
l'ont  amené  à  renoncer  à  ses  visées;  et  il  a  dit  à  la  reine 
qu'il  fera  tout  ce  qu'elle  voudra  et  s'en  trouvera  satisfait  ^.  » 
L'ambassadeur  vénitien,  qui  complète  ces  détails  en  disant 
que  le  prince  éprouva  en  somme  une  mortification,  «  resta 
moriificato  »,  nous  montre  la  reine  mettant  le  doigt  sur  le 
point  faible  des  prétentions  du  comte  de  Soissons  lors- 
qu'elle lui  fit  observer  qu'il  n'était  que  le  troisième  prince 


1.  Le  père  de  Elenri  IV. 

2.  L'ambassadeur  ne  paraît  pas  être  très  au  courant  ni  des  usages 
constitutionnels,  ni  de  Thistoire  de  France.  D'après  les  anciennes  lois 
et  coutumes  du  royaume,  le  droit  des  princes  du  sang  à  la  direction 
des  affaires  était  incontestable;  c'est  par  suite  d'un  accord  survenu, 
avant  la  mort  de  François  II,  entre  Catherine  de  Médicis  et  Antoine 
de  Bourbon,  que  celui-ci  se  contenta  d'être  déclaré  lieutenant  général 
et,  comme  tel,  de  représenter  la  personne  du  roi  dans  les  pays  de 
son  obéissance.  Ce  point  de  droit  et  les  tempéraments  qu'une  habile 
politique  sut  y  apporter  sont  établis  dans  une  lettre  de  Catherine  de 
Médicis  à  sa  fille  la  reine  Isabelle  d'Espagne  :  «  Encore,  dit-elle,  que 
je  suis  contrainte  d'avoir  le  roi  de  Navarre  auprès  de  moi,  d'autant 
que  les  lois  de  ce  royaume  le  portent  ainsi,  quand  le  roi  est  en  bas 
âge,  que  les  princes  du  sang  soient  auprès  de  la  mère,  il  m'est  très 
obéissant  et  n'a  nul  commandement  que  celui  que  je  lui  permets  ». 
19  décembre  i56o.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis^  publiées  par  H.  de 
la  Ferrière. 

3.  Françoise  de  Longuejoue,  veuve  de  Pierre  de  Foissy  et  remariée 
à  Robert  de  Harlay,  baron  de  Montglat,  premier  maître  d'hôtel  du 
roi,  «  homme  v. oient  et  fâcheux,  dit  L'Estoile,  et  sa  femme  encore 
plus  »,  était  gouvernante  de  Louis  XIII. 

4.  Matteo  Botti,  3  juin  16 10.  Ap.  Ab.  Desjardins,  t.  V,  p.  (324. 


l'établissement  de  la  régence.  I  5 

du  sang  '.  Condé  était  en  effet  le  chef  de  la  branche  aînée 
de  sa  famille;  et  Soissons  n'était  lui-même  que  le  cadet  de 
Conti. 

Matteo  Botti  a  bien  raison  de  suspecter  la  sincérité 
des  sentiments  exprimés  en  dernier  lieu  par  le  comte  de 
Soissons  :  «  Si  Ton  considère  Thumeur  de  ce  prince,  dit-il, 
la  reine  aura  fort  à  faire  pour  le  maintenir  eu  état  de  con- 
tentement ». 

Il  cherche  en  effet,  sans  tarder,  à  se  rattraper  en  détail 
de  sa  déconvenue  sur  l'étendue  de  ses  exigences.  L'idée  de 
la  reine  mère  était  de  percevoir  et  de  partager  entre  Sois- 
sons. Souvré  et  Concini  le  don  de  joyeux  avènement;  on 
estimait  à  400  000  écus  la  somme  à  lever.  Le  comte  réclama 
le  tout,  pour  payer  ses  dettes,  qui  étaient  considérables.  La 
reine  régente  repoussa  encore  cette  prétention  du  comte  de 
Soissons  ■;  mais  il  déclara  ne  point  se  contenter,  à  moins 
d'être  nommé  chef  du  conseil,  et  gouverneur  de  la  Nor- 
mandie, et  d'obtenir  en  outre  une  somme  de  200  000  écus 
comptant.  On  peut  concevoir  l'embarras  de  Marie  de 
Médicis  :  d'une  part  elle  désirait  justifier  Topinion  que  se 
faisaient  d'elle  ceux  qui  pensaient  que  l'art  de  gouverner 
consiste  à  satisfaire  tout  le  monde.  «  La  reine  régente  gou- 
verne en  vérité  toutes  choses  d'une  façon  exquise,  écrit  Scip. 
Ammirato;  et  Ton  peut  dire  qu'elle  fait  des  miracles  pour 
contenter  un  chacun  \  »  D'autre  part,  la  régente  sentait  la 
nécessité  de  donner  à  son  pouvoir  si  récemment  établi,  si 
discutable  pour  quelques-uns,  les  apparences  de  la  fermeté. 
Le  gouverneur  de  Lyon,  M.  d'Alincourt,  fils  de  Villeroy, 
disait  à  l'ambassadeur  florentin  Andréa  Cioli,  alors  en  route 
vers  Paris  :  «  La  reine  est  devenue  toute  différente  de  ce 
qu'elle  était;  elle  paraît  bien  être  le  roi.  Elle  est  pleine  de 
gravité,  elle  s'occupe  perpétuellement  des  affaires,  donne  des 

1.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  2  juin  1610. 

2.  Matteo  Botti,  ibidem. 

'5.  Scip.  Ammirato,  25  mai  iGio. 


l6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

audiences,  et  elle  a  tout  de  suite  fermé  Tentrée  à  toute  pré- 
tention des  princes  '.  »  Il  n'était  pas  possible  de  suivre  à  la 
fois  ces  deux  lignes  de  conduite  si  opposées.  Marie  de  Médicis 
crut  trouver  un  moyen  terme;  elle  résolut  de  donner  d'am- 
ples satisfactions  au  comte  de  Soissons.  Elle  annonça  qu'elle 
lui  accorderait  le  gouvernement  de   la  Normandie,  celui 
du  Dauphiné  pour  son  fils,   15  000  écus  d'accroissement 
de  pension  et  une  somme  suffisante  pour  payer  ses  dettes  '. 
La  régente  croyait  s'attacher  ainsi  le  comte,  se  faire  de  lui  un 
appui  contre  les  prétentions  des  autres  grands,  contre  celles 
principalement  du  prince  réfugié  à  Milan;  elle  avait  pensé 
faire  passer  sous  le  couvert  de  ses  largesses  vis-à-vis  de  lui 
les  prodigalités  dont  elle  allait  '  combler  les  gens  de  son 
entourage    familier.  On   verra   combien    cette  politique  à 
courte  vue  lui  réservait  de  déceptions.  Pour  le  moment  elle 
eut  comme  résultat  immédiat  de  mettre  fin  à  la  trêve  qui 
s'était   jusqu'alors    imposée   aux  inimitiés   et  aux  rivalités 
de  cour.  La  concession  du  gouvernement  de  la  Normandie 
au  comte  de  Soissons  avait  une  gravité  particulière  :  sui- 
vant  une  vieille  tradition,  il  avait  été  dévolu   pendant  le 
règne  de  Henri  IV  au  dauphin;  l'avènement  de  Louis  XIII 
le  rendit  vacant.  De  là  des  compétitions  dont  la  régente  pou- 
vait se  tirer  adroitement  en  reportant  sur  son  second  fils, 
alors  héritier  présomptif  de  la  couronne,  les  anciens  droits 
du  nouveau  roi.  Son  imprudence  faillit  amener  des  scènes 
violentes  dans  le  Louvre  même.  Le  frère  aîné  de  Soissons, 
Conti,  avait  demandé  le  premier  ce  gouvernement;  quand 
il  le  vit  sur  le  point  de  passer  à  son  remuant  cadet,  il  entra 
en  fureur;  son  beau-frère  et  ami  le  duc  de  Guise  prit  fait 
et  cause  pour  lui.  La  maison  de  Lorraine  s'était  particuliè- 
rement distinguée  par  ses  manifestations  de  dévouement  au 
nouvel  état  de  choses.  Pendant  que  le  duc  de  Bouillon, 
Henri  de  la  Tour  d'Auvergne,  se  rendait  à  Paris  avec  une 

1.  Andréa  Cioli,  7  juin  1610. 

2.  Ambass.  vénit.,  21  juin  16 10. 


'7 

grande  suite  de  noblesse  pour  offrir  ses  services  à  la  Reine, 
le  duc  de  Vaudemont  y  arrivait  de  son  côté,  et  annonçait 
que  le  duc  son  frère  comptait  se  rendre  à  la  cérémonie  du 
sacre.  Ce  prince  fréquentait  assidûment  le  Louvre,  toujours 
suivi  de  quelques  princes,  et  l'on  y  remarquait  presque  con- 
stamment le  duc  de  Guise  *.  L'importance  politique  de  ce 
dernier  était  beaucoup  plus  grande  que  celle  de  Conti;  aussi 
la  reine  chercha-t-elle,  à  force  de  promesses,  à  Tapaiser  et  à 
l'engager  à  calmer  son  beau-frère.  Guise  affecta  de  ne  vouloir 
rien  entendre  et  de  persister  dans  une  colère  que  partageait 
avec  lui  toute  la  maison  de  Lorraine.  La  reine  dut  mettre 
la  garde  sous  les  armes  pour  éviter  tout  éclat  fâcheux  dans 
sa  demeure.  On  vit  un  jour  plus  de  cinq  cents  gentils- 
hommes à  la  fois  dans  le  Louvre.  Aux  observations  qui  lui 
furent  faites  sur  les  inconvénients  d'un  pareil  rassemble- 
ment, Marie  de  Médicis  répondit  qu'on  pourrait,  avec  le 
temps,  porter  remède  à  cec  état  de  choses;  que  pour  le 
moment,  elle  ne  croyait  pas  qu'il  y  eût  grand  danger,  car 
il  y  avait  4  000  soldats  de  garde  ^ 

Soissons  se  faisait  encore  d'autres  ennemis  que  les  Guises. 
Le  maréchal  de  Fervaques,  lieutenant  général  en  Norman- 
die, et  qui  commandait  en  chef  dans  la  province,  protesta 
contre  le  choix  de  la  régente.  Il  dut  se  soumettre,  mais  en 
maugréant  ^  Le  comte  n'avait  plus  aucun  ménagement 
pour  les  vieux  serviteurs  de  la  couronne.  Affectant  de  vou- 
loir prendre  la  haute  main  dans  le  gouvernement,  il  avait 
voulu  empêcher  le  maréchal  de  la  Châtre  d'être  appelé  au 
conseil;  celui-ci  se  fâcha,  eut  une  altercation  avec  Soissons  et 
finit  par  déclarer  que,  si  le  comte  avait  pu,  pour  une  heure 
seulement,  déposer  la  qualité  de  prince  du  sang,  il  lui 
aurait  parlé  d'une  autre  façon  \  Ainsi  toutes  les  passions 


1.  Matteo  Botti,  3  juin  1610. 

2.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 

3.  PoNTCHARTRAiN,  p.  3oi.  —  Andréa  Cioli,  19  juin  1610. 

4.  Matteo  Botti,  16  juin  1610. 


l8  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

commençaient  à  se  déchaîner;  car  la  reine  découvrait  déjà 
ses  faiblesses  de  femme  frivole  et  vaniteuse,  hésitante  à  la 
fois  et  entêtée,  plus  soucieuse  de  conserver  le  pouvoir  par 
tous  les  moyens  que  de  l'exercer  avec  honneur  et  fermeté. 

Elle  s'aperçut  bientôt  qu'il  n'est  pas  possible  de  s'arrêter 
dans  la  voie  des  concessions  imprudentes.  A  peine  en  pos- 
session du  gouvernement  de  la  Normandie,  le  comte  de  Sois- 
sons  se  mit  en  tête  d'y  changer  les  gouverneurs  des  places 
et  d'en  mettre  d'autres  à  sa  dévotion.  La  reine  opposa  à 
cette  nouvelle  prétention  une  vive  résistance.  «  Elle  voulait 
imiter,  écrit  Andréa  Cioli,  le  style  de  son  mari,  qui  donna 
au  même  Soissons  le  gouvernement  du  Dauphiné,  mais  en 
y  mettant  un  lieutenant  sur  lequel  le  comte  ne  pouvait  et 
n'a,  en  effet,  jamais  pu  compter;  et  au  duc  de  Guise  il  avait 
donné  pareillement  le  gouvernement  de  la  Provence;  mais 
les  gouverneurs  des  places  l'y  ont  fort  peu  reconnu  comme 
leur  supérieur.  Si  la  reine  persiste  dans  ses  intentions,  on 
pourra  revenir  sur  le  blâme  que  jettent  sur  elle  bien  des 
gens  pour  avoir  accordé  le  susdit  gouvernement  de  Nor- 
mandie à  Soissons,  faute  dont  presque  tout  le  monde  fait 
remonter  la  responsabilité  à  Concino  \  » 

Au  bout  de  six  semaines,  on  ne  pouvait  plus  faire  aucun 
fonds  sur  l'aptitude  de  la  reine  régente  à  opposer  une  résis- 
tance sérieuse  aux  assauts  répétés  dont  elle  était  l'objet  de 
la  part  des  princes.  Et  le  premier  d'entre  eux,  Condé,  n'était 
pas  de  retour!  Le  conflit  des  intérêts  qui  s'agitaient  autour 
de  Marie  de  Médicis,  l'absence  d'une  main  capable  de  tenir 
en  bride  les  audacieux  autorisaient  les  fâcheuses  prévisions 
dont  Matteo  Botti  fait  part  à  sa  cour  dans  la  dépêche  du 
30  juin  16 10  :  «  On  ne  sait  trop  encore,  dit-il,  quelle  tour- 
nure prendront  les  affaires  de  ce  royaume.  L'on  tient  cepen- 
dant pour  assuré,  que  toutes  les  cités  et  tous  les  Parlements, 
et  tout  le  peuple  sont  tellement  fatigués  de  la  guerre  civile, 

I.  Andréa  Cioli,  26  juin  1610. 


l'établissement  de  la  régence.  19 

et  désireux  du  repos  que,  n'étaient  les  hérétiques,  lesquels 
vivent  dans  le  soupçon  et  la  crainte,  il  ne  resterait  à  aucun 
de  ces  princes  assez  de  puissance  pour  être  bien  redou- 
tables ,  à  moins  d'être  énergiquement  appuyés  par  des 
princes  étrangers,  ou  de  se  liguer  un  grand  nombre  d'entre 
eux  ensemble.  Avec  tout  cela,  ils  ne  laissent  pas  d'avoir 
tous  des  prétentions  véritablement  déshonnêtes  et  une  si 
incroyable  arrogance  à  les  faire  valoir,  qu'on  n'a  ici  aucune 
assurance  de  n'avoir  point  à  rompre  avec  quelqu'un  d'entre 
eux  ou  de  ne  pas  avoir  quelque  jour  à  faire  face  à  un  sou- 
lèvement de  mécontents  \  Pour  le  moment,  il  n'a  pas  suffi 
au  comte  de  Soissons  d'avoir  le  gouvernement  de  la  Nor- 
mandie, contre  l'opinion  de  la  majeure  partie  de  ceux  qui 
aiment  le  service  de  la  reine  et  du  royaume,  et  malgré  la 
conséquence  de  tant  d'autres  inconvénients;  il  a  encore  été 
nécessaire  de  lui  donner  cinquante  mille  écus,  et  Dieu 
veuille  que  cela  suffise!  Le  prince  de  Conti,  qui  est  sourd 
et  bègue,  on  le  tient  en  repos,  en  lui  faisant  croire  que  le 
gouvernement  de  la  Normandie  n'a  pas  été  enlevé  au  duc 
d'Orléans  et  donné  à  Soissons;  mais  on  ne  peut  beaucoup 
tarder  à  lui  accorder  le  gouvernement  de  Lyon  ou  quelque 
autre  semblable, et  de  l'argent  en  quantité.  Le  ducdeNevers 
a  off"ert  à  la  reine  son  gouvernement  de  Champagne  pour 
donner  satisfaction  à  quelqu'un  de  ces  impertinents;  mais 
S.  M.  n'a  pas  voulu  l'accepter.  Loin  de  là,  elle  a  envoyé 
hier  le  président  Jeannin  lui  demander  ce  qu'il  désirait 
d'elle.  Mais  Son  Excellence  lui  a  répondu  qu'il  ne  désirait 
que  sa  bonne  grâce.  Ce  n'est  point  ce  qu'a  fait  d'Epernon, 
qui  a  retiré  de  Metz  un  gouverneur  mis  là  par  le  roi,  et 
qui  l'a  remplacé  par  un  autre  dépendant  de  lui;  il  en  a  fait 
de  même  à  l'égard  du  commandant  de  la  forteresse  de  cette 

I.  Cf.,  dans  notre  appendice,  la  longue  dépêche  de  Cioli  en  date 
du  i3  juillet  1610.  La  situation  de  la  France  y  est  examinée  en 
détail;  le  désir  universel  de  la  paix  dans  les  trois  ordres,  l'esprit  tur- 
bulent des  princes,  la  lourdeur  des  impôts,  les  déprédations  des  gens 
de  justice  y  sont  l'objet  d'intéressants  développements. 


20  LA    MINORITE   DE    LOUIS    XIII. 


ville,  et,  de  plus,  prétend,  comme  les  hauts  princes,  disposer 
de  tous  les  offices  relevant  de  sa  charge,  ce  qui  serait,  s'ils 
l'obtenaient,  une  notable  diminution  de  l'autorité  et  de  la 
puissance  de  la  reine.  » 

Le  bon  cardinal  de  Joyeuse,  qui  s'emplo3'ait  avec  zèle 
dans  un  rôle  ingrat,  devait  avoir  fort  à  faire  pour  tempérer 
toutes  ces  prétentions,  «  s'affatica  assai  in  iemperar  le  pre- 
tensîoni  di  tutti  ». 


II 


LA  REINE.  -  LE  GOUVERNEMENT.  —  LES  JESUITES 
OBSÈQUES  DE  HENRI  IV 


Dans  sa  conduite  personnelle,  Marie  de  Médicis  si  conforme  pen- 
dant quelque  temps  aux  sentiments  de  son  mari.  —  Pardon 
accordé  à  la  marquise  de  Verneuil.  —  Le  comte  d'Auvergne  main- 
tenu à  la  Bastille.  — •  La  reine  se  montre  cependant  impitoyable 
pour  quelques  personnes  compromises  dans  les  dernières  galan- 
teries de  Henri  IV.  —  Faveur  du  médecin  Durer.  —  Comment 
fonctionne  le  gouvernement.  —  Conseil  d'État.  —  Conseil  étroit.  — 
Influence  prépondérante  du  conseil  intime. — Position  délicate  des 
anciens  ministres  et  surtout  de  Villeroy.  —  Jugement  et  supplice 
de  Ravaillac.  —  Négligences  commises  dans  l'information  dirigée 
par  le  chancelier  Brùlart.  —  Affaire  du  prévôt  des  maréchaux  de 
Pithiviers.  —  Déchaînement  de  Topinion  contre  les  Jésuites.  — 
Prédications  contre  eux  dans  les  paroisses  de  Paris.  —  La  reine 
les  favorise.  —  Elle  leur  laisse  emporter  le  cœur  de  Henri  IV  à  la 
Flèche.  —  Censure  de  la  Sorbonne  et  arrêts  du  Parlement  contre 
le  De  rege  et  régis  institutione.  —  La  reine  adresse  une  réprimande 
au  Parlement.  —  Paroles  et  desseins  coupables  à  rencontre  du 
jeune  roi  Louis  XIII.  —  Garde  spéciale  créée  pour  la  reine.  —  Funé- 
railles de  Henri  IV  précédées  de  celles  de  Henri  III,  i*""  juillet  1610. 


Pendant  les  premiers  jours  de  son  gouvernement,  Marie 
de  Médicis  parut  encore  toute  pleine  du  souvenir  de 
Henri  IV  et  disposée  à  conformer  sa  conduite  non  seule- 
ment aux  volontés,  mais  aux  sentiments  mêmes  du  roi  défunt. 
La  mère  du  prince  de  Condé,  Henri  II  de  Bourbon,  la  trop 
célèbre  Charlotte  de  la  Trémouille,  accusée,  sous  le  règne 
de  Henri  III,  d'avoir  empoisonné  son  mari,  le  fils  du  vaincu 


22  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

et  du  mort  de  Jarnac,  et  retenue  de  ce  chef  dans  une  longue 
prison  préventive  que  Henri  IV  avait  fait  cesser,  ayant  sup- 
plié la  reine  régente  de  laisser  rentrer  le  fugitif  en  France  \ 
Marie  de  Médicis  répondit  qu'elle  ne  pouvait  pas  l'empêcher 
de  revenir,  mais  qu'elle  n'avait  aucune  raison  pour  le  voir 
d'un  bon  œil.  Elle  semblait  ainsi  relever  pour  son  propre 
compte  les  griefs  de  Henri  IV,  alors  qu'elle  devait  surtout 
redouter  les  entreprises  d'un  esprit  turbulent  et  ambitieux  et 
l'insatiable  avidité  d'un  prince  à  demi  ruiné.  Par  contre,  la 
jeune  princesse  de  Condé  recevait  de  la  régente  une  lettre 
affectueuse  qui  semblait  l'absoudre  des  funestes  coquetteries 
auxquelles  était  dû  son  enlèvement  par  un  époux  récalci- 
trant aux  caprices  d'un  roi  ridiculement  amoureux.  D'un 
autre  côté,  la  marquise  de  Verneuil,  la  vindicative  et  dan- 
gereuse maîtresse  du  défunt,  ayant  fait  demander,  non  sans 
une  ironie  fielleuse,  si  elle  était  en  sûreté  en  France,  la 
reine  répondit  que  oui,  et  qu'elle  serait  même  bien  vue;  car 
la  veuve  de  Henri  IV  «  entendait  toujours  faire  estime  de 
toutes  les  choses  que  son  mari  avait  aimées  ».  Si  le  conné- 
table de  Montmorency  obtenait  la  permission  de  visiter  à  la 
Bastille  *  son  gendre  le  comte  d'Auvergne  ,  ancien  associé 
de  la  marquise  dans  ses  complots  contre  le  roi,  la  reine  et 
leurs  enfants,  Marie  de  Médicis  refusait  cependant  énergi- 
quement  de  donner  aux  parents  du  prisonnier  l'espoir  d'un 
élargissement  prochain.  En  effet  le  connétable,  l'amiral, 
Mme  d'Angoulême,  la  comtesse  d'Auvergne  et  son  fils 
ayant  imploré  la  clémence  de  la  régente,  elle  répondit 
qu'elle  désirait  n'entendre  traiter  ce  sujet  qu'après  le  sacre 
du  jeune  roi.  Montmorency  furieux  ne  parlait  de  rien 
moins  que  de  quitter  le  Louvre  ".  Les  rigueurs  de  la  prison 
s'adoucissaient  cependant,  à  certains  égards,  en  faveur  des 


1.  L'EsTOiLE,  t.  X,  p.  279. 

2.  Pour  ce  détail  et  ceux  qui   précèdent  :  ambass.  vénit.  Antonio 
Foscarini,  2  juin  1610. 

3.  Scip.  Ammirato,  24  juin.  —  Matteo  Boiti,  3o  juin  1610. 


LA    REINE.    —    LE    GOUVERNEMENT.  2  3 

deux  époux  dont  la  séparation  irritait  à  ce  point  le  cœur  du 
père  et  du  beau-père.  Andréa  Cioli  nous  rapporte  en  effet 
que,  dans  sa  tournée  officielle,  après  avoir  successivement 
fait  visite,  au  nom  de  la  grande-duchesse,  à  la  comtesse  de 
Soissons,  à  Mme  d'Angoulême,  à  Mme  de  Montpensier, 
à  Mme  de  Sully,  et,  au  nom  du  grand-duc,  au  marquis  de 
Tresnel,  au  premier  président  de  Harlay,  au  maréchal  de 
Bouillon,  après  avoir  porté  àl'évêque  de  Paris  une  lettre  de 
son  souverain  et  obtenu  une  audience  du  président  Jeannin, 
il  se  présenta  chez  la  comtesse  d'Auvergne;  mais  elle  était 
absente  *.  «Je  lui  ai  cependant,  ajoute-t-il,  fait  ma  visite,  on 
peut  bien  le  dire;  car,  ayant  été,  sous  l'escorte  d'un  laquais 
de  sa  maison,  la  trouver  à  la  Bastille,  où  elle  doit  se  tenir 
la  plupart  du  temps  avec  son  mari,  je  n'ai  pu  la  voir,  il  est 
vrai,  parce  qu'elle  était  toute  déshabillée,  à  ce  qu'est  venu 
me  dire,  avec  force  excuses,  une  de  ses  demoiselles  ;  mais 
il  a  été  convenu  que  je  reviendrai  jeudi  matin;  car  demain, 
m'a-t-elle  fait  dire,  elle  doit  aller  à  Saint-Denis  ^  » 

Ce  n'est  pas,  on  le  voit,  sans  difficulté,  ni  sans  quelques 
réserves  que  la  régente  se  défendait  de  céder  aux  ressen- 
timents qu'avait  pu  lui  laisser  la  conduite  parfois  si  cou- 
pable de  Henri  IV.  En  France,  elle  était  tenue  à  certains 
ménagements  vis-à-vis  de  l'opinion  publique  restée  favo- 
rable à  la  mémoire  du  roi  mort  et  indulgente  à  ses  fai- 
blesses. Vis-à-vis  de  ses  parents  de  Toscane,  elle  se  contraint 
moins;  ses  véritables  sentiments  apparaissent  dans  la  ma- 
nière impitoyable  dont  elle  entend  traiter  les  sujets  de  sa 
maison  qui  se  sont  compromis  dans  les  intrigues  amou- 
reuses de  Henri  IV.  Un  nommé  Luigi  Bracci  était  depuis 
plusieurs  années  détenu  par  son  ordre  dans  les  prisons  du 
grand-duc  pour  cause  d'intelligence  trop  étroite  avec  la 
marquise  de  Verneuil  ^;  à  plusieurs  reprises  le  malheureux 

1.  Andréa  Cioli,  21  juin  1610. 

2.  Pour  les  obsèques  du  roi.  Andréa  Cioli,  22  juin  1610. 

3.  Voir  B.  Zelle»,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis^  p.  ibz  et  suiv. 


24  LA    MINORITE    DE    LOUIS   XIII. 

implore  sans  succès  la  clémence  de  la  reine;  cet  ancien 
ennemi  n'était  cependant  plus  dangereux.  La  reine  se  mon- 
tra également  très  dure  vis-à-vis  d'une  jeune  fille  de  Flo- 
rence qui  avait  joué  un  rôle  équivoque  et  obscur  dans  une 
des  dernières  histoires  galantes  dont  Henri  IV  avait  donné 
le  spectacle  à  sa  cour.  C'est  ce  que  nous  pouvons  inférer  de 
cette  énigmatique  dépêche  de  Scip.  Ammirato  :  «J'ai  parlé, 
écrit-il,  à  l'illustrissime  Mme  Concini  de  cette  dame  Ricasola; 
je  lui  ai  dit  toutes  les  recommandations  qu'adresse  en  sa 
faveur  à   la   reine  Madame  sérénissime;  je  lui  ai  dit  que 
S.    A.    apprendrait    volontiers     qu'elle,   Mme    Concini, 
voulût  bien   s'intéresser  aussi  à  cette  cause.  Elle  m'a  ré- 
pondu que  la  reine  doit  faire  écrire  à  la  mère  de  cette  per- 
sonne, en   partie   sous  l'influence   de  la    colère   qu'elle  a 
éprouvée  à  l'occasion  de  cette  autre  dame  qui  est  sortie  du 
palais',  que  le  roi  était  devenu  amoureux  de  sa  fille;  il  est 
probable  que  la  Ricasola  s'est  simplement  entremise  entre 
le  roi  et  cette  dame,  sans  s'être  mise  en  avant  elle-même. 
Avec  tout  cela,  a  ajouté  Mme  Concini,  on  cherche  à  la 
marier  et  il  est  à  croire  qu'on  n'aura  pas  à  la  renvoyer  à 
Florence.   C'est  ce   que   m'a   confirmé    ensuite   la  pauvre 
enfant  elle-même,  en  me  disant  qu'elle  ne  veut  y  retour- 

I.  Il  y  a  évidemment  un  rapport  étroit  entre  l'histoire  de  la  demoi- 
selle Ricasola  et  les  faits  suivants,  qui  sont  relatés  dans  les  Princi- 
paux Sujets  de  la  mauvaise  intelligence  d'entre  le  feu  Roi  Henri  IV  et 
de  la  Reyyie  mère  du  Roy,  tirés  des  Af"  de  Be'thune  8  g44.  Bibl.  du 
roi.  (Ap.  d'Arconville,  t.  I,  p.  327.)  Voici  ce  qu'on  y  lit  :  «  Sur  le 
sujet  de  Tamour  de  Fontlebon,  qui  suivit  après  l'amour  que  le  Roy 
eut  pour  madame  la  princesse,  il  est  certain  que,  comme  la  Reyne 
faisoit  plus  la  farouche  que  jamais,  disant  que,  pour  le  dehors  de  sa 
maison,  avec  grand'peine  elle  prenoit  patience,  mais  que,  pour  le 
dedans,  elle  mourroit  plutost  que  de  le  souffrir,  sur  quoy  elle  se 
résolut  de  la  faire  sortir  de  sa  maison  et  de  la  court,  par  le  moyen 
d'un,  auquel  elle  se  confia  par  la  voie  de  la  feue  marquise  de  Guer- 
cheville,  pour  faire  venir  sa  mère  et  luy  faire  entendre  que,  si  elle 
n'emmenoit  sa  tille,  elle  les  ruineroit  toutes  deux,  ce  qu'étant  sur 
l'exécution,  le  roi  partit  de  colère,  et,  de  Paris,  alla  à  Fontainebleau, 
et  lui  manda  par  le  comte  de  Grandmont  que  si  elle  faisoit  sortir 
F'ontlebon  de  la  court,  il  la  feroit  sortir  aussi,  et  la  renvoyeroit  en 
Italie  avec  son  Conchine.  » 


LA    REINE.    —    LE    GOUVERNEMENT.  2  5 

ner  pour  rien  au   monde,   et  qu'elle  aime  mieux  se  faire 
religieuse  \  » 

Cette  dure  extrémité  fut  évitée  à  la  jeune  fille,  car  c'est 
évidemment  elle  dont  parle  Héroard  dans  le  passage  suivant  : 
«  Le  roi  va  chez  la  reine,  le  soir  à  six  heures  et  demie; 
Mlle  Ricassa,  l'une  des  filles  itaUennes  de  la  reine,  fut 
fiancée  au  sieur  de  Saint-Germain  d'Apchon.  Jeudi  lo  fé- 
vrier 1611.  »  Si  la  reine  finit  par  se  radoucir  et  même  par 
trouver  un  mari  à  la  pauvre  enfant,  on  voit  qu'au  commen- 
cement de  son  pouvoir,  ce  n'est  point  à  l'égard  des  faibles 
et  de  ses  nationaux  que  la  régente  se  montrait  indulgente 
et  généreuse. 

Ce  que  Ton  put  reprocher  de  plus  grave  à  la  régente 
comme  manque  d'égard  pour  la  mémoire  de  Henri  IV,  c'est 
que  le  roi  n'eut  pas  plus  tôt  la  bouche  fermée,  qu'elle  en- 
voya chercher  le  médecin  Duret,  qui  était  l'homme  du 
monde  que  son  mari  aimait  le  moins.  «  Parmi  les  fautes  que 
l'on  a  faites  jusqu'à  présent,  écrit  Andréa  Cioli,  il  faut 
compter,  outre  la  concession  du  gouvernement  de  la  Nor- 
mandie donné  à  Soissons,  le  fait  que  la  reine,  aussitôt  après 
la  mort  du  roi,  a  pris  pour  médecin  favori  ce  Duret;  car, 
lorsque  partit  Guidi,  il  fut  question  de  donner  cette  place  à 
Duret.  Le  roi,  l'ayant  appris,  dit  immédiatement  au  sei- 
gneur Concino  :  «  Nous  entendons  dire  que  ma  femme  a  eu 
«  idée  de  prendre  pour  médecin  le  Duret.  Dites-lui  qu'elle 
«  n'en  fasse  rien  ;  car  nous  le  ferions  mettre  dehors  par  la 
«  fenêtre  ^  »  Duret  devait  rentrer  au  Louvre  par  la  grande 
porte,  pas  pour  longtemps,  il  est  vrai. 

A  considérer  toutes  ces  faiblesses,  ces  variations  et  ces 
contradictions  en  face  des  questions  politiques  aussi  bien 
que  de  celles  qui  intéressaient  plus  personnellement  la  reine, 
il  paraît  évident  que  la  direction  des  aff"aires  n'obéissait  pas 
à  une  impulsion  ferme  et  raisonnée.  Il  ne  suffisait  pas,  à 

1.  Scip.  Ammirato,  2-12  juin  1610, 

2,  Andréa  Cioli,  2  juillet  1610.  —  Cf.  L'Estoile,  t.  X,  p.  22c. 


20  LA   MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

ce  point  de  vue,  que  Ton  eût  institué  une  régence;  il  aurait 
fallu  organiser  un  gouvernement,  ou,  mieux  encore,  laisser 
faire  les  vieux,  expérimentés  et  prudents  ministres  de 
Henri  IV.  Mais  la  reine  était  déjà  circonvenue  par  une 
funeste  coterie  qui  battait  en  brèche  Finfluence  de  ces  der- 
niers. On  monta  bientôt  de  tous  côtés  à  l'assaut  du  pouvoir. 
L'apparence  d'un  gouvernement  normal  subsiste  cependant 
encore  :  «  La  reine,  écrit  le  secrétaire  Ammirato,  n'a  pas  une 
heure  de  repos;  car,  outre  le  conseil  d'État,  qui  a  lieu  trois 
fois  par  semaine,  le  mardi,  le  samedi  et  le  jeudi,  et  auquel 
elle  assiste  toujours,  il  y  a  encore  ceux  de  la  guerre  et  des 
finances,  où  elle  se  trouve  aussi  quelquefois.  Et  le  matin, 
elle  est  à  peine  levée,  que  sont  déjà  auprès  d'elle  les  princes 
et  les  ministres.  En  somme,  on  peut  dire  qu'elle  ne  se 
repose  que  quand  elle  dort,  ce  qu'elle  fait  beaucoup  moins 
qu'auparavant,  et  véritablement  au  grand  étonnement  de 
tous.  Le  chancelier  et  Villeroy  sont  stupéfaits  de  voir  qu'il 
s'est  accompli  en  elle  un  aussi  grand  changement,  et  ils 
la  louent  grandement,  ce  que  font  tous  les  autres*.  »  Mais 
ce  fonctionnement  régulier  des  rouages  du  gouvernement, 
auquel  Marie  de  Médicis  prêtait  un  concours  actif,  ne  faisait 
point  l'affaire  des  amateurs  intéressés  de  nouveautés.  Le 
maréchal  d'Estrées  explique  fort  bien  que  la  première 
grosse  affaire  de  la  régence  fut  de  «  former  un  conseil  par 
l'avis  duquel  la  reine  conduirait  toutes  choses,  ce  qui  s'exé- 
cuta avec  beaucoup  de  difficultés  parce  que  la  plupart  des 
grands  et  des  officiers  de  la  couronne  prétendaient  y  être 
admis  ^  ».  Richelieu  dit  également  que  «  la  reine  ne  se  trouva 
pas  peu  en  peine  pour  l'établissement  des  conseils  néces- 
saires à  la  conduite  de  l'État.  Si  le  petit  nombre  des  con- 
seillers lui  était  utile  pour  pouvoir  secrètement  ménager  les 
affaires  importantes,  le  grand  lui  était  nécessaire  pour  con- 
tenter tous  les  grands,  qui  désiraient  tant  y  avoir  entrée,  la 

1.  Scip.  Ammirato,  ig  juin  1610.  Ap.  Ab.  Desjardins,  t.  V,  p.  ôSy. 

2.  Maréchal  d'Estrées,  Mémoires,  p.  276. 


LA    REINE.    —    LE    GOUVERNEMENT.  2" 

condition  du  temple  ne  permettant  pas  d'en  exclure  aucun 
qui  pût  servir  ou  nuire  *.  » 

L'ambassadeur  Matteo  Botti  entre  plus  avant  dans  le 
secret  de  ces  intrigues  et  compétitions  :  «  On  a  conseillé 
à  la  reine,  dit-il,  de  créer  un  conseil  où  interviendraient  les 
princes,  les  cardinaux  et  officiers  de  la  couronne;  et  elle 
s'est  résolue  à  le  faire,  à  cause  des  grandes  plaintes  qu'elle 
entendait  autour  d'elle.  N'allait-on  pas  jusqu'à  dire  qu'il 
serait  nécessaire  de  convoquer  les  États  afin  de  savoir  s'il 
était  conforme  au  devoir  de  se  servir  du  conseil  du  duc  de 
Sully  pour  cette  raison  qu'il  n'est  pas  catholique,  et  qu'il 
aime  trop  les  biens  de  S.  M.,  et  pour  faire  châtier  Sillery  à 
cause  de  sa  rapacité  et  pour  voir  si  Villeroy,  qui  a  été  autre- 
fois de  la  Ligue,  est  digne  d'inspirer  confiance,  comme  étant 
trop  Espagnol.  Malgré  tout,  S.  M.  ne  laisse  pas,  après  le  grand 
conseil,  de  se  renfermer  avec  eux  et  le  président  Jeannin, 
sans  compter  le  comte  de  Soissons,  qui  prétend  se  joindre 
toujours  à  eux,  comme  premier  prince  du  sang  en  état  de 
le  faire,  et  comme  grand  maître  de  la  maison  du  roi;  il 
affirme  que,  dans  toutes  les  autres  cours,  celui  qui  remplit 
cet  office  de  grand  majordome  est  aussi  du  conseil  intime 
d'État".  »  Il  y  eut  donc  d'abord  «  une  sorte  d'assemblée 
confuse  plutôt  qu'un  conseil  réglé  »  ^  ;  les  membres  en 
furent  :  le  prince  de  Conti,  le  comte  de  Soissons,  le  car- 
dinal de  Joyeuse,  les  ducs  de  Guise,  de  Mayenne,  de 
Nevers,  le  connétable  de  Montmorency;  Sully,  d'Épernon, 
l'amiral,  le  chancelier,  les  maréchaux  de  Brissac,  de  la 
Châtre  et  de  Boisdauphin,  le  duc  de  Bourbon,  le  grand 
écuyer,  Villeroy,  secrétaire  d'État,  Jeannin,  Châteauneuf, 
Poincarré,  doyen  du  grand  conseil,  qu'on  appelait  autre- 
fois conseil  d'État.  Le  cardinal  Du  Perron  s'en  fit  mettre 
aussi,  et  l'on  conserva  la  place  du  prince  de  Condé,  du  duc 

T.  Richelieu,  Mémoires,  p.  27,  col.  i. 

2.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 

3.  D'EsTRÉEs,  Mémoires,  ibidem. 


28  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

de  Nemours,  des  maréchaux  de  Lesdiguières  et  Fervaques, 
absents;  ce  conseil  prit  le  nom  de  conseil  d'État.  «  On  dit, 
écrit  l'ambassadeur  vénitien,  qu'il  a  été  formé  pour  traiter 
les  affaires  les  plus  importantes  du  dedans  et  du  dehors, 
mais  aussi  pour  donner  satisfaction  à  tous,  princes,  maré- 
chaux et  principaux  seigneurs;  mais  la  reine,  suivant  l'habi- 
tude du  roi,  résout  les  affaires  urgentes  avec  le  conseil  de 
quelques-uns,  qui  sont  le  comte  de  Soissons,  le  chancelier, 
Sully,  Villeroy,  Mayenne,  très  souvent  Jeannin  et  le  car- 
dinal de  Joyeuse  \  »  En  dehors  de  ces  deux  conseils,  d'Es- 
trées  nous  apprend  que  les  ministres  prenaient  des  heures 
particulières,  selon  les  occasions,  pour  parler  séparément  à 
la  reine  et  la  préparer  aux  choses  qui  devaient  être  propo- 
sées en  conseil  et  résolues  après  en  la  présence  de  tous. 
C'est  ce  que  dit  également  Richelieu  :  «  Les  ministres, 
pour  ne  mécontenter  personne,  prenaient  des  heures  par- 
ticulières pour  parler  séparément  les  uns  après  les  autres  à 
la  reine,  et  l'instruire  de  ce  qui  devait  venir  à  la  connais- 
sance de  tous  ceux  qui  étaient  admis  au  conseil  du  roi^  ». 
Tel  était  le  mécanisme  assez  compliqué  du  gouvernement 
officiel.  On  sait  que  les  conseils  ou  comités  consultatifs,  com- 
posés d'un  grand  nombre  de  personnes,  sont  généralement 
établis,  surtout  lorsqu'on  les  double  et  qu'on  les  superpose, 
pour  dissimuler  et  faciliter  sous  les  apparences  trompeuses 
de  l'indépendance  et  de  la  Uberté,  l'action  du  pouvoir  per- 
sonnel. Il  en  fut  ainsi  des  deux  conseils  officiels  de  la 
régence.  Où  résidait  donc,  en  réalité,  la  volonté  dirigeante? 
Dans  un  troisième  conseil,  celui-là  secret.  Alatteo  Botti 
nous  apprend,  dans  sa  dépêche  du  19  juin,  que  les  conseil- 
lers particuliers  de  Marie  de  Médicis  étaient  :  le  médecin  de 
la  reine  Duretti  ou  Duret  et  son  avocat  Marescotti.  Bientôt 
cette  information  se  précise  et  prend  corps  sous  la  plume 
d'Andréa  Cioli  :  «  On  tient,  dit-il,  que  Villeroy  est  extrême- 

1.  Ambass.  vénit.,  lo  juillet  1610. 

2.  Richelieu,  Mémoires,  p.  27,  col.  2. 


LA    REINE.    —    LE    GOUVERNEMENT.  29 

ment  mécontent,  parce  que  la  reine,  dit-on,  chaque  fois 
qu'elle  sort  du  conseil,  a  une  consultation  sur  les  décisions 
qui  y  ont  été  prises,  avec  trois  conseillers  secrets,  à  savoir 
avec  Concino,  avec  Duret,  qui  est  un  de  ses  médecins,  et 
avec  Dolé  *,  son  procureur  et  avocat  général;  et  bien 
souvent  elle  les  change,  ce  dont  beaucoup  de  gens  la  blâ- 
ment. On  dit  que  ce  Duret  est  une  terrible  cervelle,  et  que 
le  roi  défunt,  quand  mourut  son  premier  médecin,  le  rebuta 
immédiatement  de  ses  prétentions  sur  cette  place,  en  disant: 
«  Je  ne  veux  pas  de  ce  mauvais  esprit  autour  de  moi;  car  il 
ne  se  maintient  pas  dans  les  bornes  de  la  médecine.  Mais 
il  a  toujours  eu,  à  ce  qu'on  affirme,  la  faveur  de  la  reine, 
parce  que  le  S""  Concino,  qui  s'en  est  toujours  servi, 
l'aime  et  qu'il  l'a  dans  sa  dépendance  particulière.  —  D'au- 
cuns disent  qu'il  est  aussi  fauteur  des  Jésuites"-.  »  Voilà  de 
précieux  renseignements  à  recueillir,  surtout  le  dernier;  ils 
nous  expliquent  les  fluctuations  du  gouvernement  et  nous 
font  connaître  l'esprit  qui  l'anime. 

Combien  devait  être  délicate,  au  milieu  de  tiraillements 
inévitables,  la  situation  des  ministres,  dépositaires  légaux 
de  l'autorité  I  On  en  jugera  par  les  détails  suivants,  relatifs 
au  principal  d'entre  eux  :  (^  Villeroy ,  écrit  Matteo  Botti, 
à  qui  il  ne  manque  rien  pour  être  le  meilleur  de  tous  les 
ministres,  suivant  l'opinion  commune  et  de  l'avis  même  de 
la  reine,  éprouve  souvent  de  notables  désagréments.  Je  vous 
en  ai  déjà  touché  quelque  chose.  Depuis,  le  duc  de  Nevers 
ayant  su  que  l'on  avait  pris  des  résolutions  relatives  à  sa 
charge,  sans  lui  en  donner  préalablement  connaissance,  en 
est  venu  jusqu'à  le  menacer  de  le  traiter  à  coups  de  pied,  en 
proférant  les  plus  violentes  paroles;  il  est  vrai  que  ce  n'a 

1.  Louis  Dolé,  avocat  célèbre,  que  Marie  de  Médicis  avait  choisi  pour 
son  procureur  général.  Elle  le  tira  du  barreau  lorsqu'elle  devint 
régente,  pour  lui  donner  une  place  dans  le  Conseil.  Il  eut  bientôt  la 
charge  d'intendant  des  finances.  C'était  un  homme  de  talent;  il  avait 
de  Teloquence,  du  jugement  et  de  la  littérature. 

2.  Andréa  Cioli,  26  juin  1610. 


3o  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

pas  été  en  présence  de  Villeroy  même  et  que,  de  plus,  il  y 
a  eu  de  la  part  de  Nevers  une  reculade;  car  il  a  déclaré 
qu'il  n'avait  pas  tout  à  fait  dit  ce  qui  s'est  divulgué,  mais 
quelque  chose  en  moins;  reculade  aussi  de  la  part  du  comte 
de  Soissons,  qui  s'est  défendu  également  d'avoir  dit  qu'il 
donnerait  des  coups  de  poignard  à  ce  bon  vieux,  lequel  met 
toute  son  industrie  à  tâcher  de  procurer  satisfaction  à 
chacun  et  en  particulier  au  duc  de  Guise.  En  ce  moment 
on  traite  pour  donner  à  ce  dernier  vingt-cinq  mille  écus  de 
pension  et  deux  cent  mille  francs  pour  payer  ses  dettes  \  » 
Ainsi  le  duc  de  Nevers  aussi  avait  cessé  de  faire  le  bon 
apôtre;  et  la  sécurité  des  ministres  ne  pouvait  plus  être 
garantie  qu'à  prix  d'or.  Le  duc  de  Guise  allait  prendre 
fait  et  cause  pour  ces  «  barbons  »,  épaves  du  ferme  gouver- 
nement de  Henri  IV.  Cette  bonne  entente  du  duc  de  Vil- 
leroy, l'ancien  ligueur  ralUé,  et  du  duc  Charles  de  Lorraine 
indique  une  orientation  déjà  manifeste  de  la  poUtique  de 
Marie  de  Médicis  dans  une  direction  moins  nationale  qu'es- 
pagnole et  catholique. 

Nous  avons  dit  ailleurs  ^  ce  qu'il  faut  penser  de  l'assassin 
de  Henri  IV.  Ni  la  justice,  ni  l'histoire  n'ont  pu  lui  trouver 
de  complices.  Il  est  toutefois  hors  de  doute  qu'affilié  peut- 
être  à  l'ordre  des  Jésuites,  il  était  imbu  des  doctrines  régi- 
cides qui  étaient  préconisées  dans  les  bruyantes  et  célèbres 
pubHcations  de  quelques-uns  des  plus  illustres  d'entre  eux, 
notamment  le  fameux  traité  De  rege  et  régis  insiitutione  du 
père  Jean  Mariana,  de  nation  espagnole '^  A  la  suite  d'une 
instruction  vivement  menée,  d'interrogatoires  et  de  con- 
frontations qui  ne  donnèrent  pas  plus  que  l'appUcation  de  la 
question  par  les  brodequins,  de  résultats  au  point  de  vue  de 
la  révélation   des   compUces  \  Ravaillac   expia   son   forfait 

1.  Matteo  Botti,  3o  juin  1610. 

2.  B.  Zeller,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis,  p.  809. 

3.  DouARCHE,  l'Université  de  Paris  et  les  Jésuites,  p.  igS. 

4.  Mercure  français,   t.  I,  p.  440.   —  Recueil  de  pièces,  p.   2.  — 
L'EsToiLE,  t.  X,  p.  25o  et  suiv. 


LE    GOUVERNEMENT.    —    LES    JESUITES.  3l 

dès  le  27  mai,  par  rhorrible  supplice  dont  le  souvenir  est 
gravé  dans  toutes  les  mémoires  ^  Mais  on  trouva   que  la 
justice  n'avait  pas  accompli  toute  son  œuvre   ou   qu'elle 
l'avait   accomplie   précipitamment.  Les    magistrats    de    ce 
temps,  le  gouvernement,  dont  leur  chef  prenait  sans  doute 
le  mot  d'ordre,  échapperont  difficilement  au  reproche  dont 
Andréa  Cioli  se  fait  l'écho,  quand  il  dit  :  «  Ce  serait  vrai- 
ment un  grand  malheur  si  Villeroy  se  retirait,  d'autant  plus 
que  le  chanceUer  (Brûlart  de  Sillery)  se  montre,  paraît-il, 
bien  froid  et  bien  peu  reconnaissant  pour  la  mémoire  du 
roi  qui  l'a  élevé  si  haut.  On  allègue  en  particulier  la  négli- 
gence dont  il  a  fait  preuve,  en  faisant  si  peu  de  cas  de  ce 
qu'avait  dit  le  prévôt  des  maréchaux  de  Pluviers  (Pithiviers), 
le  jour  même  que  le  roi  fut  tué.  Il  était  à  regarder  jouer 
aux  boules  dans  cet  endroit,  et  ayant  vu  un  très  beau  coup 
fait  par  un  des  joueurs,  il  dit  :  «  Il  s'en  fera  aujourd'hui  un 
«  bien  meilleur  encore.  »  Peu  après,  il  demanda  l'heure  qu'il 
était  et  ajouta  :  «  Cela  ne  peut  pas  tarder  beaucoup  main- 
«  tenant,  si  ce  n'est  déjà  fait.  »  Ce  propos  ayant  paru  mériter 
considération  à  trois  ou  quatre  de  ceux  qui  l'avaient  entendu, 
ils  allèrent,   d'un  commun   accord,  accuser  le   prévôt.  Le 
chancelier  le  fit    appeler  et  interroger  et  puis  le  renvoya, 
sans  autre  forme  de  procès.  Peu  après  il  fut  obligé  de  le 
faire  rechercher  et  appréhender  en  corps,  parce  que  étaient 
survenus  d'autres  graves  accusateurs.  Mais  il  ne  pourvut  pas 
à  ce  que,  dans  sa  prison,  il  fût  mis  hors  d'état  de  se  tuer 
lui-même,  ce  qu'il  a  fait  en  se  pendant  avec  ses  lacets  à  une 
pièce  de  bois  qui  était  en  haut  dans  l'endroit  de  nécessité 
de  cette  prison.  L'on  en  est  maintenant  à  se  rendre  compte 
que  ledit  prévôt  avait  deux  fils  jésuites  et  qu'il  était  en  rela- 
tions avec  le  barbier  de  M.  d'Antraghes  et  du  frère  de  la 
marquise  de  Verneuil,  circonstances  qui  devaient  particu- 
hèrement  éveiller  l'attention  du  chanceUer".  «Ce  fut  évidem- 

1.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  255.  —  B.  Zeller,  op.  cit.,  p.  3io  et  siiiv. 

2.  Andréa  Cioli,  26  juin  1610. 


32  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

ment  là  une  faute  très  grave;  était-elle  préméditée ?L'Es- 
toile  n'en  doute  pas  :  «  Au  bout,  un  homme  mort  ne  parle 
point  (qui  estoit  ce  qu'on  demandoit);  car,  s'il  eût  parlé, 
comme  il  avoit  bien  commencé,  il  en  eust  à  la  fin  trop  dit 
pour  l'honneur  et  proufit  de  beaucoup  que  l'on  n'avoir 
point  envie  de  fâcher.  C'est  pourquoi  on  a  eu  opinion  que 
d'autres  gens  que  le  diable  avoient  mis  la  main  à  ceste  exé- 


cution '.  » 


Peut-être  était-il  difficile  d'ouvrir  une  enquête  appro- 
fondie sur  tous  les  faits  singuliers  que  Richelieu  nous  rap- 
porte et  dont  il  résulte  que,  en  plusieurs  endroits  de  France, 
la  mort  de  Henri  IV  fut  annoncée,  presque  sue,  à  l'heure 
même  où  frappait  l'assassin.  Mais  le  cas  du  prévôt  de 
Pithiviers  n'était  pas  celui  d'un  extatique;  sa  mort  con- 
firme les  soupçons  dont  l'ordre  des  Jésuites  était  l'objet. 
Ils  ne  trouvèrent  point  que  des  défenseurs  dans  les  églises 
où  avaient  retenti  naguère  tant  de  sermons  ligueurs.  «  Le 
dimanche  23  mai,  dit  L'Estoile,  le  père  Portugais,  corde- 
lier,  avec  quelques  curés  de  Paris,  entre  autres  celui  de 
Barthélémy  et  Saint-Pol,  prêchèrent  et  prônèrent  les 
Jésuites,  et,  en  paroles  couvertes,  mais  non  tant  toutesfois 
qu'elles  ne  fussent  intelligibles  à  beaucoup,  les  taxèrent 
comme  fauteurs  et  complices  de  l'assassinat  du  feu  roy, 
les  arguant  et  convaincant  par  leurs  propres  escrits  et 
livres,  nommément  de  Mariana  et  Becanus  ■.  »  Cette  levée 
de  boucliers  contre  les  Jésuites,  dans  les  chaires  de  la  capi- 
tale, gagna  de  proche  en  proche  toutes  les  paroisses  où 
capucins,  jacobins,  cordeliers  s'entendirent  pour  dénoncer 
avec  violence  la  compUcité  morale  de  l'ordre  rival  dans  le 
crime  du  14  mai.  Parmi  eux  se  distingua  surtout  Tabbé 
Du  Bois,  prédicateur  de  Saint-Eustache,  ancien  moine 
célestin  devenu  plus  tard  soldat  et  capitaine,  puis  retombé 
dans  l'ordre  de  Cîteaux  et  pourvu  de  l'abbaye  de  Beau- 

1.  L'Estoile,  t.  X,  p.  283.  —  Richelieu,  p.  23. 

2.  L'Estoile,  t.  X,  p.  264. 


LE    GOUVERNEMENT.    LES    JÉSUITES.  33 

lieu  ';  Henri  III  l'appelait  Tempereur  des  moines.  En  même 
temps  s'abattait  sur  les  Jésuites  une  nuée  de  pamphlets, 
de  libelles  et  de  factums.  On  vit  paraître  successivement 
\ Anti-Coton,  le  Fléau  d'Aristogiton^  la  Chemise  sanglante  de 
Henri  le  Grand ^  \q  Jésuite  Sicarius,\e  Contre-assassin,  le  Credo 
des  catholiques,  le  Remerciement  des  heurriéres  ~.  Les  Jésuites 
eurent  beaucoup  àt  peine  à  se  défendre  au  milieu  de  ce 
déchaînement  général,  de  ce  débordement  d'injures  et  de 
calomnies.  Le  père  Cotton,  le  célèbre  confesseur,  le  pro- 
vincial Armand  et  le  général  Acquaviva  lui-même  durent 
entrer  en  lice  et  désavouer  les  doctrines  de  Mariana.  Il  n'y 
en  avait  pas  moins  contre  eux  un  incontestable  mouvement 
d'opinion. 

Si  peu  de  temps  après  la  mort  de  Henri  IV,  il  eût  été 
décent  de  la  part  de  Marie  de  Médicis  et  du  gouvernement 
de  ne  point  prendre  parti  en  leur  faveur;  la  régente  ne 
perdit  cependant  pas  une  seule  occasion  de  le  faire.  Elle 
s'empressa  de  leur  confier  le  cœur  de  Henri  IV,  dont  ce 
prince  avait  d'ailleurs  disposé  en  faveur  de  leur  maison  de 
la  Flèche.  Ils  l'y  transportèrent  avec  ostentation,  sous  la 
conduite  de  M.  de  la  Varenne,  maître  général  des  postes 
et  messager  ordinaire  des  épîtres  galantes  du  feu  roi  ^ 
L'empressement  de  la  reine  à  leur  complaire  semblait  cal- 
culé pour  les  absoudre  de  tout  soupçon;  mais  elle  s'était, 
après  tout,  conformée  à  la  volonté  de  son  mari.  La  régente 
se  laissa  bientôt  aller  à  une  manifestation  plus  grave. 

Le  jour  même  du  supplice  de  Ravaillac,  un  arrêt  du 
Parlement  avait  enjoint  à  la  Faculté  de  théologie  de  se 
réunir  et  de  renouveler,  contre  les  erreurs  qui  conduisent 

1.  L'abbé  Du  Bois  était  en  bonne  intelligence  et  en  relations  sui- 
vies avec  le  représentant  du  grand-duc  de  Toscane.  On  lit  dans  une 
dépêche  d'Andréa  Cioli  qu'il  a  été  voir  avec  Scip.  Ammirato  il  padre 
abbate  del  Bosco,  grande  servitore  de  Sercnissimi  padroni.  Dans  sa 
conversation,  il  exprima  le  plus  vif  mécontentement  à  l'égard  du 
gouvernement,  de  Concini,des  Jésuites.  (Andréa  Cioli,  lo  juillet  iGio.) 

2.  DouARCHE,  l'Université  de  Paris  et  les  Jésuites,  p.  igS. 

3.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  234  et  274. 

3 


34  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

au   régicide,   les   condamnations   et  censures  portées  dans 
son  décret  du  13  décembre  141 3,  rendu  au  sujet  de  Jean 
Petit  et  approuvé  depuis  pnr  le  concile  de  Constance.  Le 
syndic  de  la  Sorbonne,  Richer,  apporta  bientôt  au  Parle- 
ment un  décret  rédigé  conformément  à  cette  indication,  et 
il  insinua  en  outre  que  l'on  faisait  lire  au  public  des  ou- 
vrages de  Jean  Mariana,  «  pleins  de  cette  doctrine  impie, 
dont  le  meurtre  et  le  poison  étaient  les   fruits  odieux  ». 
Le   Parlement  prononça  aussitôt  la  condamnation  du  De 
rege  ^  Comment  la  reine  se  conduisit-elle  en  face  de  cette 
satisfaction  que  le  Parlement  avait  entendu  donner   à  la 
conscience  publique?  L'Estoile  «  ne  le  sait  qu'en  gros  ^  », 
dit-il.  Dans  ses  Mémoires,  on   voit  le   Parlement   appelé 
au   Louvre   dès  le  lendemain  9,  et  le   premier  président 
soutenant  avec  force  et  dignité  l'arrêt  de  la  cour,  contre 
l'opposition    de  l'évèque   de   Paris  et   du   nonce  du  pape. 
Nos  Florentins  sont  mieux  informés  de  l'attitude  prise  par 
la  reine   régente  dans  ce  conflit   :    «  Le   Parlement,   écrit 
Matteo  Botti,  a  prohibé  un  livre  d'un  père  jésuite,  nommé 
Mariana,  où  l'on  discute  s'il  est  permis  de  tuer  un  tyran  et 
si,  dans  ce  cas,  l'on  peut  être  sauvé.  Le  livre  a  été  aus- 
sitôt brûlé  devant  Notre-Dame  par  la  main   du  bourreau. 
Leur  arrêt  a  été   jugé   extrêmement  rigoureux,  peut-être 
trop;   ils  ont  en  outre   ordonné   aux  évêques  de  tout  le 
royaume  de  ne  pas  permettre  que  l'on  conserve  ce  livre. 
La  reine,  à  qui  on  a  rendu  compte  de  ce  qui  s'est  passé, 
après  le  fait  accompli,  a  dit   aux    magistrats   de   ne    pas 
prendre  une   autre  fois  des  résolutions  semblables,  à  son 
insu  ;    et  elle  leur  a    montré   qu'indépendamment  de    ce 
manque  d'égards,  ils  ont  encore  à  se  reprocher  d'avoir  été 
contre  leur   propre   intention   en   déclarant  qu'un  roi  ne 
peut  être  tué  par   aucune    personne  privée,   pour  aucun 
motif;    car  on    pourrait   inférer  de  leurs  paroles    que  le 

1.  Richelieu,  p.  25. —  Mercure  françois,  p.  461. 

2.  L'Estoile,  t.  X,  p.  272. 


î 


LE    GOUVERNEMENT.    —    LES   JESUITES.  35 

public  le  peut;  et  il  n'y  a  pas  là  un  moindre  inconvénient, 
vu  que  tel  petit  nombre  que  l'on  voudra  peut  être  pris 
pour  le  public;  et  ce  petit  nombre,  il  n'est  pas  difficile  de 
le  soulever  dans  ce  pays  \  »  Le  Parlement  avait  eu  beau 
supprimer  de  son  arrêt  la  mention  nominative  des  Jésuites; 
les  subtilités  du  langage  de  la  reine  prouvaient  qu'elle 
avait  l'intention  de  prendre  fait  et  cause  pour  eux.  Défense 
fut  faite  à  la  cour  de  publier  son  arrêt. 

Marie  de  Médicis  ne  s'apercevait  pas  que  cette  conduite, 
qui  énervait  l'action  du  premier  corps  judiciaire  du  royaume, 
n'allait  à  rien  moins  qu'à  susciter  des  imitateurs  de  l'as- 
sassin de  Henri  IV;  et,  en  effet,  pour  nous  servir  des  éner- 
giques expressions  de  Richelieu,  «  la  maladie  de  penser  à 
la  mort  des  rois  était  si  pestilentielle,  que  plusieurs  esprits 
furent,  à  l'égard  du  fils,  touchés  et  saisis  d'une  fureur 
semblable  à  celle  de  Ravaillac  au  respect  du  père  ».  Il 
n'est  presque  pas  une  page  des  Mémoires  de  L'Estoile  où 
il  ne  soit  parlé  de  mots  ou  d'entreprises  criminelles 
dans  l'entourage  le  plus  voisin  de  la  reine  ou  du  jeune 
Louis  XIII.  Le  29  mai,  un  maçon  qui  entretenait  des  corres- 
pondances suspectes  avec  l'archiduc  des  Pays-Bas  et  chez 
lequel  on  saisit,  paraît-il,  un  couteau  portant  l'inscription 
suivante  :  Je  le  ferai  à  mon  tour,  fut  arrêté  par  les  soins  du 
lieutenant  criminel.  La  veille,  on  avait  expédié  d'Auxerre 
à  Paris  «  un  semblable  garnement,  qui  avait  loué  tout  haut 
Ravaillac  du  coup  qu'il  avait  fait  et  dénigré  publiquement 
le  feu  roy  ».  Ici  encore,  L'Estoile  constate,  à  tort  ou  à  raison. 
de  surprenantes  défaillances  :  «  Les  pièces  et  informations 
mises  par  devers  M.  le  chancelier,  dit-il,  sont  demeurées 
au  sac  comme  celles  du  maçon;  et  l'on  n'a  depuis  ouï 
parler  de  l'un  ni  de  l'autre  pour  en  faire  justice  '  ».  Le 
25  juin,  un  individu  habillé  en  frère  cordelier  priait  M.  de 
Vitry,  un  des  capitaines  des  gardes,  de  le  faire  parler  à  la 

1.  Matteo  Botti,  19  juin  iGio. 

2.  L'Estoile,  t.  X,  p.  261. 


36  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

reine,  parce  qu'il  avait,  d'inspiration  divine,  h  lui  faire 
des  révélations  extrêmement  importantes  :  mais  pendant 
qu'il  lui  tenait  ce  langage,  Vitry  fut  averti  que  le  faux 
frère  avait  été  vu,  peu  de  temps  auparavant,  en  habit  sécu- 
lier et  on  se  saisit  aussitôt  de  sa  personne  ^ 

Le  27  juillet,  un  des  soldats  de  la  garde  qui  étaient 
postés  sur  la  place  du  Louvre,  ayant  perdu,  en  jouant,  le 
peu  d'argent  qu'il  avait,  et  se  trouvant  ainsi  privé  de  toutes 
ressources,  même  pour  manger,  se  mit  à  dire  des  folies, 
et,  entre  autres,  déclara  que  celui  qui  avait  tué  le  roi  avait 
très  bien  fait,  et  que,  s'il  n'était  pas  mort,  il  voudrait  lui 
voir  planter  dans  le  ventre  un  couteau  qu'il  avait  au  côté, 
ainsi  que  dans  le  ventre  de  la  reine.  L'entendant  ainsi  blas- 
phémer, son  propre  capitaine  le  fit  saisir  :  «  La  justice 
suivra  son  cours,  dit  Scip.  Ammirato.  On  ne  cesse  de 
découvrir  ainsi  quelque  fou,  qui  fait  aussi  peu  de  cas  de 
son  corps  et  de  son  âme  ^.  »  Ce  malheureux,  condamné 
à  mort,  reçut  sa  grâce;  on  l'envoya  aux  galères  avec 
recommandation  de  le  tenir  sous  bonne  garde.  «  On  n'a 
pas  voulu  le  faire  mourir,  disait  la  reine  mère  à  Andréa 
Cioli;  on  a  préféré  l'envoyer  tout  bonnement  aux  galères, 
afin  que  le  peuple  ait  moins  l'occasion  de  raisonner  sur  de 
semblables  choses,  et  que  de  cette  façon  d'aussi  diabo- 
liques pensées  ne  viennent  pas  à  d'autres  ^.  » 

Cette  persistance  de  mauvaises  pensées,  sinon  de  mauvais 
desseins  judiciairement  établis,  donne  encore  lieu,  le  27  août, 
à  une  mention  d'Héroard  qui  nous  rapporte  que  l'on  s'empara, 
ce  jour-là,  d'un  soldat  aux  gardes  qui  avait  dit  à  l'un  de  ses 
compagnons,  en  lui  montrant  deux  couteaux  et  le  roi,  qui 
sortait  pour  aller  aux  Célestins  :  «  Je  voudrais  que  l'un  de  ces 
deux  couteaux  fût  au  fond  du  cœur  du  dernier  de  la  race^  ». 


1.  Andréa  Cioli,  26  juin  1610. 

2.  Scip.  Ammirato,  28  juillet  1610. 
.  Andréa  Cioli  ,  3i  juillet  1610. 

4.  HÉROARD,  t.  II,  p.  14. 


LE    GOUVERNEMENT.    —    LES   JESUITES.  3/ 

Des  faits  de  ce  genre,  qui  se  reproduiront  encore  dans 
la  suite,  nous  expliquant  l'insistance  des  représentants  du 
grand-duc  de  Toscane  à  recommander  à  la  reine  régente 
de  se  bien  garder,  ainsi  que  son  fils,  et  d'imiter  le  roi  d'An- 
gleterre, qui,  après  la  mort  de  Henri  IV,  avait  doublé  ses 
gardes.  Marie  de  Médicis  n'avait  point  paru  d'abord  très 
portée  vers  ce  genre  de  précautions.  Elle  se  décida  cepen- 
dant, au  commencement  du  mois  de  juin,  à  former  une 
compagnie  de  cent  hommes  d'armes  pour  sa  garde,  et  en 
donna  le  commandement  au  baron  de  la  Châtaigneraye.  Ce 
personnage  avait  particulièrement  bien  mérité  de  la  reine. 
Au  mois  de  juillet  1606,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis 
revenaient  de  Saint-Germain,  lorsque  leur  carrosse  chavira 
à  Neuilly,  du  haut  du  bac  qui  les  transportait  d'une  rive  à 
l'autre  de  la  Seine.  La  reine  tomba  à  la  rivière  et  en  fut 
retirée,  avec  l'aide  du  roi,  grâce  à  la  présence  d'esprit  et  à 
la  vigoureuse  poigne  de  ce  gentilhomme  ^  En  s'acquittant 
noblement  d'une  ancienne  dette  de  reconnaissance,  la  reine 
donna  peut-être  à  son  sauveur  une  importance  qu'il  ne 
tarda  point  à  s'exagérer.  Le  service  de  sûreté  fut  cependant 
désormais  mieux  fait  autour  d'elle;  c'est  ce  qui  résulte  d'un 
passage  de  la  dépêche  de  Matteo  Botti  du  19  juin  :  «  La 
reine  partant  pour  la  messe,  dit-il,  je  la  quittai,  fort  satisfait 
d'avoir  trouvé  ce  matin  la  première  chambre  de  S.  M. 
pleine  d'archers  de  sa  nouvelle  garde,  alors  qu'il  ne  s'en 
tenait  d'ordinaire  que  quatre  ou  six.  J'en  eus  un  très  grand 
contentement,  parce  que  j'avais  rappelé  plusieurs  fois  à 
S.  M.  qu'elle  n'avait  point,  vu  les  circonstances,  une  garde 
suffisante;  en  me  réjouissant  avec  elle  de  cette  résolution, 
je  lui  fis  observer  que  cela  n'était  pas  encore  suffisant,  si 
S.  M.  n'ordonnait  pas  que  là  où  était  sa  personne,  il  y  eût 
toujours  au  moins  quatre  ou  six  gentilshommes  des  officiers 
de  sa  garde.  Elle  me  répondit  qu'il  y  en  avait,  et  je  lui 

I.  Voir,  pour  plus  de  détails,  B.  Zeller,  op.  cit.,  p.  256. 


38  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

répliquai  que  parfois  il  y  en  avait  encore  plus,  mais  que 
d'autres  fois  il  n'y  en  avait  pas  du  tout,  et  qu'il  serait  néces- 
saire d'y  donner  ordre.  S.  M.  appela  Concini  et  lui  dit  de 
faire  savoir  en  son  nom  à  leur  chef  de  s'arranger  de  manière 
à  ce  qu'ils  fussent  toujours  quatre  ou  six  dans  ses  appar- 
tements, à  toute  heure.  Ce  sera  peu,  à  la  vérité,  par  rapport 
au  grand  nombre  de  princes  et  de  gentilshommes  qui  y 
sont  toujours;  mais,  de  toute  façon,  ils  seront  sûrement  un 
grand  empêchement  pour  qui  aurait  de  mauvais  desseins,, 
d'autant  plus  que,  sur  ma  recommandation  encore,  la  reine 
a  décidé  que  l'on  tiendrait  fermée  la  porte  d'un  escalier 
qui  s'ouvre  dans  la  propre  chambre  de  S.  M.,  ce  qui  don- 
nait l'occasion  à  toute  sorte  de  gens  d'aller  et  de  venir  dans 
la  chambre,  et  par  là  on  pouvait  encore  entrer  et  sortir 
sans  passer  au  niiUcu  des  gardes.  » 

Tous  les  incidents  et  événements  de  cour  que  nous 
venons  de  rapporter  s'étaient  accomplis  sous  le  couvert  des 
cérémonies  officielles  qui  déjà  commençaient  à  se  dérouler 
dans  le  Louvre.  Les  ambassadeurs  chargés  de  présenter  les 
condoléances  de  leurs  gouvernements,  à  l'occasion  de  la 
mort  de  Henri  IV,  commencèrent  à  être  reçus  en  audience 
publique  dès  le  25  mai.  Le  nonce  Ubaldini  parut  le  pre- 
mier; puis  le  duc  des  Deux-Ponts,  représentant  des  princes 
protestants  d'Allemagne  et  l'ambassadeur  des  États-Géné- 
raux de  Hollande.  Dans  ces  occasions,  la  reine  avait  le  roi 
près  d'elle  à  sa  main  droite,  et  l'on  admirait  la  patience  et 
la  gravité  tranquille  de  l'enfant  ^  On  l'habituait  ainsi  peu  à 
peu  au  rôle  de  parade  qu'il  allait  avoir  à  jouer  dans  une 
cérémonie  particulièrement  émouvante,  celle  des  funérailles 
de  son  père,  que  les  usages  de  la  monarchie  française  fixaient 
à  quarante  jours  après  la  mort  du  roi. 

C'est  par  l'enterrement  de  Henri  III  que  le  gouvernement 
préluda  à  la  solennité  des  obsèques  de  Henri  IV.  Le  mépii- 

1.  Scip.  Ammirato,  25  et  28  juin  1610.  —  Héroard,  t.  II,  p.  10. 


OBSÈQUES    DE    HENRI    IV.  Sq 

sable  héros  de  tant  de  scandales,  d'infamies  et  de  tragédies 
sanglantes  disparut  sans  bruit  dans  le  sépulcre  de  ces  rois 
dont  il  avait,  malgré  tout,  par  sa  tardive  réconciliation  avec 
le  roi  de  Navarre,  assuré  la  continuation  dans  leur  propre 
race.  —  Henri  IV  avait  laissé  plus  de  vingt  ans  séjourner 
dans  les  caveaux  de  Compiègne  le  corps  de  son  prédéces- 
seur, moins  par  superstition  que  par  négligence  ou  écono- 
mie. Le  dernier  des  Valois  ne  descendit  que  quelques  jours 
seulement  avant  le  premier  des  Bourbons  dans  la  nécropole 
royale.  «  M.  d'Epernon,  lisons-nous  dans  L'Estoile,  partist 
le  samedi  19  juin  pour  aller  à  Compiègne  quérir  le  corps  du 
feu  roy  Henri  III,  son  bon  maistre,  et  de  là  le  conduire  à 
Saint-Denis  eti'y  faire  enterrer*.  »  Les  moines  de  l'abbaye, 
que  le  caractère  privé  de  la  translation  frustrait  de  la  per- 
ception de  certains  droits,  refusèrent  d'aller  prendre  le  corps 
à  son  arrivée  dans  leur  ville;  on  le  laissa  au  cabaret  de 
VEspée  royale  et  les  valets  qui  durent  aller  l'y  chercher,  pour 
l'apporter  à  la  basiHque,  sortirent  de  cet  endroit  dans  un  tel 
état  qu'ils  le  laissèrent  tomber  au  milieu  de  l'église  ■.  Ces 
tristes  reliques  ne  méritaient  peut-être  pas  plus  de  respect. 
Mais  que  penser  du  conducteur  de  cette  pompe  funèbre, 
que  penser  de  la  veuve  dans  le  palais  de  qui  gisait  encore 
la  glorieuse  dépouille  bientôt  prête  à  suivre  le  même 
chemin  lugubre,  lorsqu'on  assiste  à  l'incroyable  scène  dont 
fut  témoin  l'ambassadeur  Cioli?  «  M.  d'Epernon,  écrit-il, 
est  revenu  le  23  juin  de  Compiègne  où  il  avait  été,  il  y  a 
quelques  jours,  avec  d'autres  seigneurs,  pour  ramener  le 
corps  de  Henri  ÎII.  Il  parut  à  la  cour  avec  la  barbe  si  bien 
coupée  et  accommodée  à  l'espagnole,  lui  qui  la  portait 
avant  longue  et  large,  qu'il  paraissait  un  tout  autre  homme; 
ce  qui  fit  que  la  reine,  au  sortir  de  son  cabinet,  prêta  beau- 
coup à  rire  à  tout  le  monde  lorsque  l'ayant  regardé  bien  en 
fiice,  elle  lui  dit  en  français   avec  une  gracieuse   risette  : 

1.  L'EsToiLE,  t,  X,  p.  284. 

2.  L'EsroiLE,  t.  X,  p.   280. 


40  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

«  Monsieur  d'Épernon,  qu'avez-vous  donc  fait?  je  ne  vous 
«  reconnaissais  pas.  »  Et  lui,  répondit  :  «■  Madame,  je  me  suis 
«  fait  jeune,  afin  de  pouvoir  mieux  vous  servir.  »  Assurément 
ce  n'était  ni  le  lieu  ni  le  moment  de  provoquer  et  de  ris- 
quer de  semblables  plaisanteries.  On  pourrait  voir  ici  la 
suite  d'on  ne  sait  quelle  entente  criminelle  qui  aurait  pré- 
paré, sans  connivence  effective  avec  l'assassin  solitaire,  le 
trépas  du  grand  roi  si  brusquement  déterminé  par  les  coups 
de  couteau  de  Ravaillac.  La  conscience  de  l'historien  ne 
saurait  adhérer  sans  réserve  à  la  théorie  si  ingénieusement 
mais  artificiellement  élevée  sans  aucune  preuve  matérielle 
par  M.  Loiseleur  ^  Il  est  certain  toutefois  que  cet  échange  de 
propos  trop  joyeux  ne  peut  contribuer  à  dissiper  des  soup- 
çons habilement  échafaudés.  Nous  ne  pouvons  que  cons- 
tater de  la  part  de  la  reine  et  du  duc  d'Epernon  une  attitude 
malséante  et  la  communauté  de  tendances  trop  affichées 
vers  une  politique  espagnole ,  diamétralement  opposée  à 
celle  que  suivit  jusqu'à  son  dernier  soupir  le  roi,  le  mari, 
le  maître  encore  étendu,  à  cette  heure-là,  sur  son  funèbre 
lit  de  parade. 

Le  21  juin,  au  bout  du  laps  de  temps  accoutumé,  la 
cérémonie  traditionnelle  qui  consistait  à  servir  le  roi  comme 
s'il  était  encore  en  vie,  cessa  d'avoir  lieu  ^  On  enleva  de  la 
salle  basse  ^  du  Louvre  l'effigie  et  les  riches  parements  de 
tapisseries  et  de  draps  d'or  qu'on  y  avait  tendus;  et  on  la 
décora  tout  entière  de  serge  noire  avec  de  grandes  bandes 
de  velours  noir,  semées  d'écussons  aux  armes  de  France  et 
de  Navarre.  Le  corps  fut  placé  sur  des  tréteaux,  sous  un 
haut  dais,  le  cercueil  recouvert  d'un  drap  d'or  traversé 
d'une  grande  croix  de  satin  blanc,  et  on  plaça  dessus  deux 
coussins  dont  l'un  supportait  la  couronne  royale.  Toute  la 


1.  Voir  notre  bibliographie  au  commencement  du  volume. 

2.  Pour  la  description  complète  des  funérailles,  voir  Mercure  fran- 
cois,  t.  I,  p.  474  et  suiv. 

3    Lt  salle  des  Cariatides. 


OBSEQUKS    DE    HENRI    IV.  4I 

cour  fut  également  tendue,  ainsi  que  Tentrée  du  Louvre 
et  la  façade  du  bâtiment  où  reposaient  les  dépouilles  du  feu 
roi  '.  Le  vendredi  15  juin,  le  jeune  roi  Louis  XIII  alla  dès 
le  matin  entendre  la  messe  dans  la  chapelle  de  l'hôtel  de 
Bourbon,  situé  en  face  du  Louvre,  et  déjeuna  ensuite  dans 
la  maison  du  duc  de  Longueville^;  de  là,  dans  la  journée, 
sortirent  en  forme  de  procession  à  la  suite  du  grand  prévôt, 
escorté  de  ses  archers,  qui  ouvrait  la  marche,  tous  les  gen- 
tilshommes servants  du  roi  revêtus  de  longues  robes  noires 
à  queue,  la  tête  et  le  visage  enveloppés  de  chaperons  égale- 
ment noirs,  et  tenant  à  la  main  leurs  becs  de  corbin; 
venaient  ensuite  les  gentilshommes  ordinaires ,  suivis  de 
cinquante  autres  de  la  compagnie  du  vidame  du  Mans  avec 
leurs  masses;  puis  quelques  seigneurs  et  cavaliers  qui  por- 
taient sur  leurs  longues  robes  le  collier  de  l'ordre  du  Saint- 
Esprit.  Après  eux  marchait,  au  milieu  de  la  garde  des 
Suisses,  le  roi  vêtu  de  violet  avec  une  grande  robe  qui  avait 
cinq  queues,  lesquelles  furent  portées  par  le  chevalier  de 
Guise  et  le  prince  de  Joinville,  le  duc  de  Guise  et  le  comte 

1.  «  Pour  cette  heure  le  corps  du  roi  est  dans  une  bière  de  plomb 
en  la  chambre  qui  va  des  cabinets  à  la  galerie,  sur  un  lit  couvert 
de  drap  d'or  frisé,  avec  une  croix  de  satin  blanc;  deux  archers  du 
hoqueton  blanc,  Tun  d'un  côté,  l'autre  de  l'autre,  sont  au  chevet  du 
lit,  et  au  pied  deux  hérauts  d'armes  avec  leurs  cottes,  qui  sont  celles 
mêmes  qu'ils  portaient  au  couronnement.  »  (Malherbe  à  Peiresc, 
19  mai  1610.)  —  «  Il  se  tit  deux  effigies  par  commandement;  Du  Pré 
(graveur  en  médailles  du  commencement  du  xvii^  siècle)  en  fit  l'une, 
et  Grenoble  (sculpteur-valet  de  chambre,  qui  figure  avec  ce  titre  sur 
les  états  de  la  maison  de  Henri  IV  et  de  celle  de  Louis  XIII),  l'autre; 
il  s'en  fit  une  troisième  par  un  Baudin,  d'Orléans,  qui  le  voulut  faire 
de  tête  sans  être  prié.  Celle  de  Grenoble  l'emporta,  pour  ce  qu"il 
eut  des  amis;  elle  ressemblait  fort  à  la  vérité,  mais  elle  était  trop 
l'ouge  et  était  faite  en  poupée  du  palai'*.  Celle  de  Du  Pré,  au  gré  de  tout 
le  monde,  était  parfaite,  je  fus  pour  la  voir;  mais  elle  était  déjà  ven- 
due. Je  vis  celle  de  Baudin,  qui  n'étut  point  mal.  Cette  effigie  fut 
vêtue  d'un  pourpoint  de  satin  cramoisi  rouge,  d'une  robe  de  velours 
violet  fieurdelisee  et  doublée  d'hermine,  et  d'un  manteau  de  même; 
un  bonnet  de  satin  cramoisi  en  tête,  et  une  couronne  par-dessus. 
Cette  effigie  du  roi  a  été  en  vue  pendant  onze  jours.  ^)  (Malherbe  à 
Peiresc,  26  juin  1610.) 

2.  Héroard  rapporte  que,  pour  s'occuper  en  attendant  quatre  heures, 
il  fit  «  voler  les  papillons  par  une  pie-grièche  »  (i.  I,  p.  ii). 


42  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

de  Soissons  et  celle  du  milieu  par  le  prince  de  Conti.  Deux 
cardinaux  se  tenaient  aux  côtés  du  roi,  Sourdis  et  Joyeuse. 
Lorsque  le  roi  fut  arrivé  à  la  porte  de  la  salle,  les  maréchaux 
de  Brissac,  de  Boisdauphin  et  de  Lavardin,  portant  aussi 
sur  leur  habit,  comme  le  roi  lui-même,  le  collier  du  Saint- 
Esprit,  s'avancèrent  à  sa  rencontre.  Devant  le  corps,  le  car- 
dinal Du  Perron,  en  sa  qualité  de  grand  aumônier,  présenta 
au  jeune  roi  le  goupillon  ;  il  était  assisté  d'un  grand  nombre 
de  prélats,  tous  revêtus  de  leurs  habits  pontificaux.  Après 
avoir  jeté  de  l'eau  bénite,  et  fait  une  courte  prière, 
Louis  XIII  se  retira  dans  ses  appartements  et  le  cortège  se 
dispersa.  On  remarqua  que  le  roi  ne  versa  pas  une  larme; 
mais  ses  frères  les  ducs  d'Orléans  et  d'Anjou,  effrayés  de 
tout  cet  appareil  funèbre,  ne  cessèrent  de  pousser  des  pleurs 
et  des  cris. 

Le  samedi  suivant ,  la  cour  du  Parlement  en  robes 
rouges  et  les  autres  magistrats  allèrent  accomplir  la  céré- 
monie; après  le  déjeuner,  ce  fut  le  tour  des  ambassadeurs 
qui  se  rendirent  au  Louvre  en  robes  noires  et  la  tête  cou- 
verte de  bonnets  de  prêtres  ^  Il  ne  restait  plus  qu'à  trans- 
porter ce  qui  avait  été  Henri  IV,  du  siège  par  excellence 
de  la  monarchie  française,  à  la  nécropole  au  sein  de  laquelle 
avaient  déjà  disparu  tant  de  ses  représentants. 

Cette  dernière  fonction  s'accomplit  comme  d'ordinaire 
en  trois  actes  solennels  :  le  convoi  et  le  service  à  Notre- 
Dame  de  Paris;  le  transport  à  Saint-Denis  et  enfin  l'inhu- 
mation dans  le  caveau  des  rois.  On  trouve  un  peu  partout, 
notamment  dans  la  correspondance  de  Malherbe,  les  détails 
pittoresques  et  précis  relatifs  à  cette  pompe  funèbre.  Nous 
en  relaterons  quelques-uns,  en  nous  attachant  surtout  à 
certains  incidents  qui,  sous  l'extérieur  des  formes  voisines 
de  l'apothéose,  consacrées  à  la  glorification  du  chef  d'État 
mort  5  nous  montrent  toujours  vivantes  les  passions  de  ce 

I.  Scip.  AmmiratJ,  28  juin  1610.  Cf.  Malherbe  à  Peiresc ,  lettre 
du  26  juin,  t.  lll,  p.  177.  —  Bassom?ie:\re,  t.  I,  p.  283. 


OBSÈQUES    DE    HENRI    IV.  ^3 

qui  mourait  beaucoup  moins  encore  que  la  royauté,  à  savoir 
les  corps  constitués  et  les  personnes  privilégiées. 

Un  usage  assez  antique  donnait  au  Parlement  le  droit  que 
personne  ne  se  mêlât  à  ses  rangs  dans  les  cérémonies 
publiques  où  il  assistait.  Il  prétendit  donc  interdire  à 
l'évêque  de  Paris  de  se  tenir  près  du  corps  du  roi  au  milieu 
des  magistrats  \  L'évêque  était  cependant  légalement  le 
premier  conseiller  du  Parlement;  il  pensait  en  outre  avoir 
plus  de  droit  que  n'importe  qui  sur  le  corps  du  roi,  parce 
qu'il  était  son  diocésain.  Le  jour  du  transport  des  dépouilles 
de  Henri  IV  à  Notre-Dame,  où  le  corps  du  roi,  sorti  du 
Louvre  à  6  heures  du  soir,  arriva  à  9  heures  et  demie, 
l'évêque  l'emporta  de  haute  lutte,  «  vinse  hravamente  lapugna  » . 
Mais  le  Parlement,  piqué  au  vif,  résolut  d'employer  les 
moyens  les  plus  énergiques  pour  empêcher  l'évêque  de 
recommencer  le  lendemain,  lors  de  la  translation  à  Saint- 
Denis.  L'exemple  de  la  vigueur  avait  été  donné  aux  magis- 
trats du  premier  corps  judiciaire  du  royaume,  non  seule- 
ment par  les  cent  gentilshommes  de  la  chambre,  qui  avaient 
failli  en  venir  aux  mains  avec  les  gardes  du  corps  pour 
passer  devant,  mais  aussi  par  leurs  confrères  des  autres 
compagnies,  qui  «  firent  à  coups  de  poing,  principalement 
ceux  des  Aydes  contre  les  Comptes,  où  les  gourmades  et 
les  horions  donnèrent  la  préséance  à  ceux  qui  surent  mieux 
s'aider  des  pieds  et  des  mains  "  ».  Désireux  de  s'en  tenir 
d'abord  à  des  moyens  plus  parlementaires,  les  magistrats  de 
la    haute   compagnie    souveraine   voulurent,  pour   couper 


1.  «  Le  mardi  29  juin,  l'on  devait  sortir  le  corps  du  défunt  roi;  il 
y  eut  grande  dissension  entre  les  cent  gentilshommes  et  les  gardes  du 
corps,  qui  faillent  à  en  venir  aux  mains.  Li  roi  sort  sur  une  avance 
qui  va  de  la  petite  montée  vers  la  grande  salle,  est  plus  d'une  demi- 
heure  à  regarder  ce  qui  se  faisait  en  la  cour;  Ton  avertit  son  guide, 
on  le  retire.  M.  de  Gondi,  évêque  de  Paris,  débat  le  rang  avec  la  cour 
de  Parlement;  la  cour  enfin  le  pousse  devant;  le  corps  sort  du 
Louvre  à  six  heures  et  demie,  arrive  à  neuf  heures  à  Notre-Dame.  » 
(Hkuoard,  t.  II,  p.  12.) 

2.  L'EsTOiLE,  t.  X,  p.   291. 


^4  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

court  aux  raisons  de  l'évêque,  se  rejeter  sur  une  distinction 
tout  à  fait  inusitée  qu'ils  prétendirent  faire  entre  le  corps 
et  l'effigie.  Le  corps  était  placé  dans  un  grand  char  couvert 
de  velours,  attelé  de  six  chevaux,  et  l'effigie  dans  une  litière. 
Les  membres  du  Parlement  disaient  que  puisque  l'évêque 
avait  des  droits  sur  le  corps,  il  n'avait  qu'à  prendre  sa  place 
à  l'endroit  qui  lui  plairait  autour  du  char;  mais  qu'ils  enten- 
daient rester  entre  eux  auprès  de  l'effigie.  L'évêque  soute- 
nait qu'il  devait  accompagner  l'effigie,  puisque  c'était  à 
l'effigie  qu'on  rendait  les  honneurs  et  non  pas  au  corps. 
Devant  ces  prétentions  qui  menaçaient  de  faire  éclater  un 
nouveau  scandale  autour  de  la  dépouille  du  roi  défunt,  la 
reine  mère  donna  au  grand  maître  le  comte  de  Soissons  la 
mission,  qui  devait  lui  être  particulièrement  agréable,  d'as- 
surer à  l'évêque  la  place  qu'il  réclamait  et  de  faire  obéir  le 
Parlement,  même  par  la  force.  Les  magistrats  déclarèrent 
qu'ils  aimaient  mieux  mourir  que  de  céder.  Cette  héroïque 
résistance  dura  peu  :  une  dernière  sommation  ayant  été 
faite  aux  robes  rouges,  au  commandement  de  Soissons,  les 
gardes  abaissèrent  d'un  trait  les  hallebardes  et  les  arquebuses 
vers  messieurs  du  Parlement;  ceux-ci  incontinent  de  se 
séparer  et  de  fuir  dans  toutes  les  directions.  Force  leur  fut 
ainsi  d'en  arriver  à  obéir.  Mais  déjà,  dans  leurs  rangs, 
on  taxait  d'ingratitude  la  régente  qu'ils  prétendaient  avoir 
faite  \ 

Les  questions  de  rang  et  de  préséance  ainsi  réglées  cava- 
lièrement, le  cortège  s'achemina,  dans  un  ordre  à  peu  près 
régulier,  de  Notre-Dame,  où  la  dépouille  royale  avait  reposé 
dans  la  nuit  du  29  juin,  vers  Saint-Denis,  en  suivant  la  rue 
et  le  faubourg  de  ce  nom.  Les  archers  de  la  ville,  divisés  en 
trois  compagnies,  commencèrent  la  pompe,  suivis  de  toutes 
sortes  de  religieux,  pauvres,  prêtres  de  paroisse,  chanoines 
de  Notre-Dam.e,  de  la  Sainte-Chapelle  et  autres.  Venaient 

I.  Andréa  Cioli,  5  juillet  1610.  —  Cf.  L'Estoile,  t.  X,  p.  291. 


OBSÈQUES    DE    HENRI    IV.  ^S 

ensuite  l'Université  et  le   Châtelet;   puis   les    hautbois   et 
douze  tambours  de  la  chambre  du  roi,  la  caisse  couverte 
d'étamine,  battant  fort  lugubrement;  le  maître  de  camp  et 
les  capitaines  des  gardes;  le  grand  prévôt  et  les  archers;  les 
Suisses  de  la  garde  du  corps;  les  deux  compagnies  des  cent 
gentilshommes;  les  officiers  de  la  maison  du  roi,  en  com- 
mençant   par    les   moindres   et   finissant    par   les   maîtres 
d'hôtel,  qui  se  trouvaient  les  plus  proches  du  char  du  côté 
droit  de  la  rue,  tandis  que,  au  côté  gauche,  étaient  mes- 
sieurs des  Comptes,  des  Aides,  des  Monnaies,  du  Trésor  et 
les  autres  officiers  de  finances.   Immédiatement  devant  le 
char  où  se  trouvait  le  corps  du  roi,  et  que  Malherbe  appelle 
le  chariot  d'armes,  s'avançait  à  cheval  M.  de  Rodes,  por- 
tant la  bannière  ou  pennon,  qui  était  Tenseigne  de  la  mai- 
son du  roi.  Derrière  le  char  marchaient  à  pied  les  capitaines 
des  gardes  du  corps;  après  venaient,  tête  nue,  douze  pages 
de  la  grande  écurie  du  roi,  vêtus  de  robes  de  velours  noir 
et  montés  sur  douze  coursiers  dont  on  ne  voyait  que  les 
yeux;  car  ils    étaient  également  couverts   de   housses   de 
velours  noir  croisées  de  satin  blanc.  Suivaient  les  honneurs, 
à  savoir  les  éperons^  les  gantelets,  Técu,  la  cotte  d'armes, 
la  heaume  timbré  à  la  royale;  les   quatre  premiers   portés 
par  quatre  écuyers  de  la  grande  écurie,   et  le  dernier  par 
M.  de  Liancourt,  premier  écuyer  de  la  petite  écurie.  On 
voyait  ensuite   un    grand  nombre  d'abbés  et  d'aumôniers 
du  roi,  quatorze  évêques  à  pied,  mitres;  puis  les  ambas- 
sadeurs de  Savoie,  de  Venise  et  d'Espagne,  à  cheval,,   et 
vêtus  de  grandes  robes  à  queues  pendant  à  terre  et  portées 
par  leurs  estafiers.  Les  nonces  du  pape,  l'ordinaire  et  l'ex- 
traordinaire, suivaient  montés  sur  des  mules  et  conduits 
par  des  archevêques,  notamment  ceux  d'Aix  et  d'Embrun, 
avec  des  chapeaux  bordés  de  vert.  Après  eux  venaient  les 
cardinaux  de  Joyeuse  et  de  Sourdis,  vêtus  de  robes  vio- 
lettes avec  des  chapeaux  rouges.  Immédiatement  après  était 
conduit  le  cheval  d'honneur,  tout  couvert  d'une  housse  de 


46  LA    MINORITÉ    DK    LOIIS    XIII. 

velours  violet,  semé  de  fleurs  de  lis  d'or;  puis  venait  le 
grand  écuyer  à  cheval,  vêtu  de  deuil  et  sa  queue  portée; 
il  tenait  l'épée  royale  enfermée  dans  un  fourreau  de  velours 
violet  semé  de  fleurs  de  lis  d*or,  pendue  à  un  baudrier  de 
même  couleur;  les  écuyers  de  la  grande  écurie  le  suivaient 
à  pied  avec  les  valets  de  pied  du  roi.  C'est  après  que  chemi- 
nait la  cour  de  Parlement  en  robes  rouges  et  au  milieu  d'eux 
était  l'effigie  du  roi,  telle  qu'on  l'avait  vue  dans  la  salle  basse 
du  Louvre;  elle  était  confiée  à  des  gens  nommés hanouards, 
officiers  du  grenier  à  sel,  qui,  d'après  les  privilèges  de 
leurs  charges,  avaient  le  droit  sur  les  corps  des  rois  jus- 
qu'à la  première  des  croix  qui  se  trouvaient  autrefois  sur  I.1 
route  de  Paris  à  Saint-Denis;  ils  soutenaient  la  litière  à 
l'aide  de  sangles  couvertes  de  velours  noir  qu'ils  portaient 
en  écharpe.  Les  présidents  tenaient  les  coins  et  côtés  du 
drap  d'or  qui  était  sur  l'effigie.  Immédiatement  devant 
elle  étaient  deux  huissiers  de  la  chambre  du  roi  et  devant 
eux,  tout  glorieux  de  son  triompl^e,  l'évêque  de  Paris, 
accompagné  de  Févêque  d'Angers,  représentant  le  grand 
aumônier.  Après  on  voyait  paraître  un  dais  de  drap  d'or 
porté  par  les  archers  de  la  ville,  puis  les  princes  du  sang  et 
autres,  à  savoir  Conti  et  Soissons,  ce  dernier  portant  la  tête 
aussi  haut  que  son  cheval,  au  dire  de  L'Estoile,  Guise,  Join- 
ville,  Elbœuf,  à  cheval,  vêtus  de  robes  de  deuil  à  queues, 
portées  par  un  grand  nombre  de  gentilshommes.  Après 
marchaient  les  ducs  d'Épernon  et  de  Montbazon,  leurs 
queues  portées  à  chacun  par  un  gentilhomme  seul.  Après 
suivaient  neuf  ou  dix  chevaliers  de  l'ordre,  à  pied,  avec  des 
robes  de  deuil  et  environ  quatre-vingts  ou  cent  gentils- 
hommes de  la  cour,  vêtus  de  même  ;  puis  onze  pages  de  la 
chambre  avec  des  sayons  et  bonnets  de  velours  noir,  l'épée 
au  côté.  Enfin  les  quatre  compagnies  des  gardes  du  :orps 
fermaient  la  marche.  Les  rues,  depuis  Notre-Dame  jusqu'à 
la  porte  Saint-Denis,  étaient  tapissées  de  serge  noire  :  devant 
chaque  maison,  une  torche  allumée,  et  de  toise  en  toise,  un 


OBSEQUES    DE    HENRI    IV.  4J 

écusson  uux  armes  de  France  ou  de  la  ville'.  La  foule  était 
si  (grande  à  voir  passer  le  cortège  qu'on  s'y  entre-tuait,  dit 
L'Estoile  ". 

A  Saint-Lazare,  au  bout  du  faubourg  de  la  porte  Saint- 
Denis,  les  restes  de  Henri  IV  furent  remis  aux  moines  de 
l'abbaye,  qui  l'y  transportèrent,  pendant  que  le  cortège  se 
dispersait.  Les  uns  s'en  revinrent  à  Paris;  les  autres  allè- 
rent coucher  à  Saint-Denis,  soit  en  carrosse,  soit  à  cheval, 
chacun  comme  bon  lui  sembla. 

Le  lendemain  eut  lieu  l'enterrement;  ce  fut  le  mercredi, 
i"  juillet.  Cette  cérémonie  suprême,  dont  Malherbe  ne  nous 
donne  point  les  détails,  bien  qu'il  en  signale  l'intérêt,  parla 
beaucoup  à  l'imagination  du  Florentin  CioH,  qui  nous  en  a 
laissé  la  saisissante  relation  que  voici  ^  : 

«  J'ai  vu  ce  matin  à  Saint-Denis,  dit  il,  la  cérémonie  des 
obsèques  royales;  elle  m'a  frappé,  non  moins  que  les  autres, 
par  son  ordre,  sa  magnificence,  par  certains  actes  que  j'ai 
vu  accompHr  et  qui  ont  excité  des  larmes  et  de  la  terreur. 
M.  le  cardinal  de  Joyeuse  a  chanté  la  messe,  et  il  y  a  eu 
une  fort  belle  musique,  celle  de  la  chapelle  du  roi.  Deux 
autres  cardinaux  ont  pris  part  à  la  cérémonie,  Du  Perron  et 
Sourdis;  Gondi  et  Gèvres  étaient  absents.  Il  y  avait  en  outre 
dix-huit  évêques;  celui  d'Angers  a  fait  Toraison  funèbre \ 

1.  Malherbe  à  Peiresc,  p.  198. 

2.  L'Estoile,  t.  X,  p.  2qi. 

3.  Andréa  Cioli  commence  son  récit  en  faisant  allusion  à  une 
dépêche  d'Ammirato  relatant  la  cérémonie  des  obsèques  royales  à 
Notre-Dame.  Cette  dépêche  n'existe  plus  aux  Archives  de  Florence, 
au  moins  dans  la  Filze  que  nous  avons  dépouillée.  Elle  aura  été  pro- 
bablement communiquée,  comme  d'autres  documents  du  même  genre, 
à  quelque  curieux  de  la  cour  grand-ducale,  qui  ne  l'aura  point  res- 
tituée. 

4.  <«  Cospéan,  évcque  d'Aire,  le  jour  S'aint-Pierre,  à  Notre-Dame,  où 
le  corps  du  Roy  fust  apporté,  tist  son  oraison  funèbre  avec  apparat, 
hoc  est  beaucoup  de  monstre  et  peu  de  rapport;  loua  le  Roy  et  les 
Jésuites,  et  prescha  el  pauco  tn  espagnol  (disait  Pun),  duquel  il  a  le 
visage,  la  carbe  et  la  contenance.  M.  d'Angers  finalement  en  ferma 
le  pas  à  Saint-Denis,  par  celle  qu'il  y  tist  dans  la  grande  église,  le 
jour  de  l'enterrement,  où,  entre  autres  choses  fort  communes  et  tri- 
viales pour  louer  les  Jésuites,  dénigra  et  blasphéma  ceux  de  la  cour 


48  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XllI. 

Après  l'évangile  et  avant  l'oraison  allèrent  à  l'offertoire  les 
princes  et  les  ducs,  et  il  m'a  été  dit  qu'ils  devaient  mettre 
chacun  cinq  écus  dans  le  bassin.  La  messe  finie,  eurent  lieu 
les  actes  dont  j'ai  parlé.  On  ouvrit  au  milieu  du  chœur  de 
l'égUse  une  tombe  dans  laquelle  entra  un  héraut,  aussitôt 
qu'on  y  eut  mis  le  corps  du  roi;  il  appela  successivement 
tous  les  insignes  ro3'aux  qui  étaient  là  auprès  entre  les  mains 
de  ceux  qui  les  avaient  apportés  hier  et  avant-hier  en  pro- 
cession et  il  les  recevait,  sans  qu'on  le  vît,  pendant  que 
chacun  de  ces  personnages  les  jetait  à  l'intérieur;  il  en  était 
de  même  des  masses  et  bâtons  que  portent  tous  les  officiers 
de  la  maison  royale  et  de  la  guerre.  Et  après,  ledit  héraut, 
suivant  l'ordre  que  lui  donna  le  comte  de  Saint-Pol,  au  lieu 
et  place  du  comte  de  Soissons,  à  qui  incombait  principale- 
ment cette  fonction,  mais  qui  était  assis  avec  les  autres 
dans  le  choeur,  cria  du  fond  trois  fois  à  haute,  triste  et 
lugubre  voix  :  Le  roi  est  mort  !  le  roi  est  mort  !  Prie:;^  Dieu  pour 
son  âme!  Cet  appel  arracha  des  larmes  à  presque  tous  les 
assistants  et  environnants.  Et  peu  après ,  le  même  héraut 
cria  trois  fois  d'une  voix  pleine  d'allégresse  :  Vive  le  roi 
Louis  XIII,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et  de  Navarre! 
Et  au  répons  d'une  autre  voix  qui,  du  fond  du  chœur,  jeta  le 
même  cri,  tout  à  coup  on  entendit  retentir  les  trompettes, 
les  tambours,  les  fifres.  Et  ainsi  se  termina  la  cérémonie,  à 
laquelle  ont  pris  part  les  susdits  évêques  et  cardinaux,  les 
princes,  tous  les  grands,  les  ambassadeurs,  la  cour  du  Parle- 
ment, tous  ceux  qui  s'étaient  rendus  là  en  procession,  les- 
quels ensuite  ont  tous  déjeuné  dans  une  grande  salle  de 
l'abbaye  de  Saint-D^nis,  à  des  tables  et  places  dûment  sépa- 
rées suivant  la  qualité  des  personnes,  et  après  manger,  le 
grand  maître,  à   ce  que  j'ai  appris,  a  dû,  suivant  la  cou- 


assistan%  à  leur  nez.  u  Cette  sainte  compagnie,  dit-il,  parlant  des 
Jésuites,  qui  a  esté  injustement  condamnée,  et  maintenant  est  calom- 
niée, qui  estoit  leur  donner  droit  à  la  visière.  »  (L'Esto.le,  t.  X, 
p.  295.) 


OBSEQUES    DE    HENRI    IV.  49 

tume,  dire  à  tous  les  officiers  de  la  maison  du  roi  :  Mes- 
sieurs ^  que  chacun  se  pourvoie,  car  nous  avons  perdu  notre  bon 
maître  \  » 

Ces  paroles  étaient  particulièrement  bien  placées  dans  la 
bouche  du  comte  de  Soissons.  Il  avait  devancé  les  termes 
du  cérémonial  et  déjà  vigoureusement  prêché  d'exemple. 

I.  Andréa  Cioli,  i*""  juillet  1610. 


4 


III 


LES  EPOUX  CONCIM.  —  LE  DUC  DE  SULLY 


Retour  rapide  sur  les  antécédents  de  Concini  et  de  Léonora  Dori.  — 
Concini  rembarré  par  le  premier  président  du  Parlement.  —  Instal- 
lation du  couple  florentin  dans  le  Louvre.  — L'abbaye  de  Marmou- 
tiers  donnée  au  frère  de  Mme  Concini.  —  Ascendant  mystérieux  de 
cette  femme  sur  la  reine.  —  Ambition  etlVénée  de  Concini.  — 
Efforts  de  sa  femme  pour  le  modérer.  —  Mauvais  procédés  des  deux 
époux  à  l'égard  de  leurs  compatriotes,  —  Premières  sorties  de  la 
reine  hors  du  Louvre.  —  Abstention  calculée  de  Concini.  —  Il  est 
nommé  membre  du  conseil  d'Etat  et  du  conseil  des  finances.  — 
Dissentiments  intérieurs  du  ménage  Concini.  —  La  médecine  et  la 
politique.  —  Renvoi  du  médecin  Duret.  —  Origine  de  la  disgrâce 
de  Sully.  —  Difficulté  d'élucider  cette  question.  —  Pourquoi  Sully 
resta  à  l'Arsenal  après  la  mort  de  Henri  IW  —  Absence  de  sym- 
pathie entre  la  reine  régente  et  Sully.  —  Des  buits  de  revision  de 
ses  comptes  commencent  à  circuler.  — Nécessité  pour  la  reine  de 
ne  pas  s'aliéner  les  protestants.  —  Cabale  montée  par  Bouillon 
contre  Sully.  —  Opposition  de  Sully  aux  prétentions  des  princes 
du  sang.  —  Il  est  appuyé  par  la  maison  de  Lorraine.  —  Concini 
sert  d'intermédiaire  pour  un  rapprochement  entre  Sully  et  la  reine. 

—  Marie  de  Médicis  limite  les  pouvoirs  hnanciers  du  surintendant. 

—  Scènes  entre  la  reine  et  Sully.  —  Elle  le  conserve  parce  qu'elle 
ne  peut  encore  s'en  passer.  —  L'attente  du  retour  de  Condé  tient 
tout  en  suspens. 


Dans  les  pages  précédentes  a  été  souvent  prononcé  déjà 
le  nom  de  Tltalien  Concino  Concini.  Il  nous  a  paru  tenir 
auprès  de  la  régente  une  place  exceptionnelle,  encore  assez 
difficile  à  définir,  mais  qui  le  mettait  au  premier  rang  de  la 
faveur.  Nous  avons  entrevu  aussi  la  rude  et  austère  figure 
du  duc  de  Sully.  Il  est  temps  de  montrer  dans  tout  leur 


LES  ÉPOUX  coNciNi.  5r 

relief  ces  deux  personnages  dont  l'un  représente  les  goûts 
particuliers  de  la  régente  et  les  tendances  nouvelles,  dont 
Tautre  incarne  encore  la  pensée  de  Henri  IV  et  cherche  à 
maintenir  dans  toute  leur  rigueur  ses  principes  de  gouver- 
nement. Le  conflit  de  leurs  influences  fondées  sur  des  rai- 
sons si  diff"érentes,  des  tentatives  en  vue  d'un  rapproche- 
ment chimérique  entre  deux  esprits  foncièrement  antipa- 
thiques l'un  à  l'autre ,  les  manœuvres  employées  par  les 
deux  rivaux  pour  trouver  des  points  d'appui  auprès  de  tel 
ou  tel  prince  ou  grand  seigneur,  voilà  les  éléments  princi- 
paux de  l'intérêt  qui  s'attache  à  cette  première  phase  de 
l'administration  de  Marie  de  Médicis  qui,  suivant  l'expres- 
sion de  Richelieu,  «  conserva  pour  un  temps  des  marques 
de  la  majesté  que  la  vertu  du  grand  Henri  avait  attachée 
à  sa  conduite,  en  tant  que  les  mêmes  ministres  qui  avaient, 
sous  son  autorité,  supporté  les  charges  de  l'Etat  durant  sa 
vie,  en  continuèrent  Tadministration,  sans  se  séparer  ouver- 
tement, ce  qui  dura  jusqu'à  la  défaveur  du  duc  de  Sully  ». 
On  sait  que  Marie  de  Médicis  avait  emmené  en  France 
une  fille  de  condition  obscure,  sa  sœur  de  lait^  Léonora 
Dori  \  qui  devint  sa  dame  d'atour.  La  reine  favorisa  les 
amours  de  cette  personne  qui  exerçait  déjà  sur  elle  une 
influence  extraordinaire,  et  d'un  écuyer  de  sa  suite,  le  fameux 
Concino  Concini;  Henri  IV  autorisa  leur  mariage,  à  la 
charge  pour  eux  de  s'en  retourner  en  ItaHe;  mais  ils  se 
cramponnèrent  à  la  fortune  de  leur  maîtresse  avec  une  telle 
énergie,  que  le  roi  de  France,  malgré  la  plus  violente  aver- 
sion, dut  les  tolérer.  Ils  restèrent  donc;  ce  fut  cependant 
déjà  pour  le  malheur  de  Marie  de  Médicis.  Car  le  roi  ne  se 
gênait  pas  pour  tirer  prétexte  de  cette  résistance  de  la  reine 
à  ses  volontés  bien  connues  pour  excuser  ses  propres  infrac- 
tions à  ses  devoirs  conjugaux,  dont  l'observation  lui  était 
d'ailleurs  particulièrement   à    charge.   Henri   IV    avait   au 

I,  Voir  B.  Zeller.  Henri  IV  et  Mirie  de  Médicis,  p.  -jb. 


52  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

moins  mis  obstacle  avec  une  invincible  persévérance  à 
l'avancement  prodigieux  dans  les  dignités  du  royaume  de 
France  que  rêvait  déjà  l'ambitieux  Florentin,  et  il  avait  con- 
tenu le  flot  des  prodigalités  dont  la  reine  était  prête  à  cou- 
vrir le  ménage  déjà  devenu  tout-puissant  dans  le  gouverne- 
ment de  ses  affaires.  Malgré  les  sages  avertissements  donnés 
par  le  roi  à  sa  femme,  l'inclination  folle  de  Marie  de  Médicis 
pour  deux  aventuriers  ses  compatriotes  devait  être  poussée 
jusqu'aux  plus  extrêmes  et  dangereuses  limites. 

Le  lendemain  même  de  l'assassinat  de  Henri  IV,  Concini 
entrait  dans  son  rôle  équivoque  d'homme  de  confiance  de 
la  reine  mère  et  déjà  une  parole  sévère  et  autorisée  le  re- 
mettait à  sa  place,  non  sans  lui  faire  entendre,  venant  d'où 
elle  sortait,  qu'en  France  il  trouverait  peut-être  un  jour  des 
juges  impitoyables.  L'Estoile,  en  effet,  nous  rapporte  qu«, 
lors  du  lit  de  justice  tenu  par  le  jeune  Louis  XIII,  le  pre- 
mier président  de  Harlay  «  rembarra  fort  à  propos  l'audace 
du  sieur  Conchine,  qui,  sans  respect  de  la  cour,  s'était 
ingéré  de  parler,  et  dit  tout  haut  qu'il  était  temps  de  faire 
descendre  la  Roine  :  «  Ce  n'est  pas  à  vous  de  parler  ici  »,  lui 
dit  le  premier  président,  censurant  en  deux  mots  Tindis- 
crète  parole  de  cet  homme  qu'on  disait  n'avoir  ni  façon,  ni 
grâce  respondante  au  lieu  et  renc  qu'il  tenoit  près  Sa  Ma- 
jesté *  ».  L'Italien  ne  perdit  pas  contenance;  il  n'en  était 
pas  à  sa  première  avanie.  Mais  maintenant  ce  n'était  pas  la 
rebuffade  hautaine  d'un  magistrat  morose  qui  pouvait  fliire 
obstacle  à  l'avenir  plein  de  promesses  qui  s'ouvrait  devant 
lui.  ((  Le  seigneur  Concino  est  plus  grand  et  plus  puissant 
que  jamais,  écrit  Scip.  Ammirato,  et  il  ira  continuellement 
en  grandissant  ^.  » 

En  effet,  après  la  mort  de  Henri  IV,  la  reine  mère  put 
disposer   en  maîtresse   absolue   du   pouvoir  souverain    et 

1.  L'Estoile,  t.  X,  p.  287. 

2.  //  signor  Concino  e  put  grande  e  piiopiu  che  mai,  et  continua)r.ente 
cndra  crescendo.  (Scip.  Ammirato,  25  mai  1610.) 


LES    ÉPOUX    CONCINI.  53 

répartir  à  son  gré  les  fonctions  et  les  faveurs.  Comme  il 
n'y  avait  plus  une  main  ferme  pour  écarter  rudement  Con- 
cini  du  chemin  périlleux  où  l'engageaient  des  convoitises 
sans  frein  et  une  ambition  forcenée,  le  ménage  florentin 
s'attacha  de  plus  en  plus  à  prendre  sur  Marie  de  Médicis 
une  influence  exclusive.  La  reine  commença  par  établir  ce 
couple  avide  en  plein  Louvre;  ils  y  curent  un  appartement. 
De  la  part  de  la  reine  mère,  c'était  se  mettre  à  leur  discré- 
tion. Bientôt  l'abbaye  de  Marmoutiers,  possédée  par  l'ar- 
chevêque de  Rouen,  frère  naturel  du  feu  roi,  étant  sur  le 
point  de  devenir  vacante,  fut  donnée  par  Marie  de  Médicis, 
même  avant  que  la  mort  du  titulaire  fût  devenue  certaine, 
à  un  frère  de  Mme  Concini  qui  n'avait  jusqu'alors  fait 
d'autre  apprentissage  que  celui  de  l'état  de  menuisier';  la 
veuve  de  Henri  IV  fit  ainsi  passer  une  riche  prébende  du 
frère  de  son  mari  au  frère  de  sa  favorite.  «  C'estoit  un  grand 
personnage,  dit  L'Estoile,  lequel  apprenant  à  lire  depuis 
quatre  ans,  n'y  pouvoit  encore  mordre  '.  »  Concini  et  sa 
femme  pouvaient  se  promettre  beaucoup  d'un  pareil  début 
de  la  régence.  —  «  D'après  ce  que  j'ai  entendu  de  la  reine 
elle-même,  Sa  Majesté  aime  la  Léonora  d'une  façon  extra- 
ordinaire; elle  est  comme  énamourée  d'elle  »,  écrit  l'am- 
bassadeur Matteo  Botti  ^.  S'il  était  impossible  à  la  reine  de 
rien  refuser  à  une  personne  douée  d'un  aussi  puissant  et 
mystérieux  ascendant  et  qui  était  au  courant  de  tous  les  se- 
crets de  son  existence,  puisque  c'était  elle  que  Marie  de 
Médicis  chargeait  du  soin  de  démentir  le  bruit  qu'elle  fût 
enceinte  \  Léonora  de  son  côté  n'était-elle  pas  contrainte 
de  céder  aux  obsessions  d'un  mari  qui  ne  voyait  en  elle  que 

1.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 

2.  L'Estoile,  t.  X,  p.  3oo. 

3.  //  Concino  si  mantiene  ml  solito  favore,  ma  piit  corne  favorito 
cortigiano  che  corne  intimo  consig^^.  E  qiianto  alla  ynoglie,  pev  quanto 
ho  sentito  dalla  Regina  stessa,  si  piio  dire  che  S.  M.  Vami  estraordi- 
narissimamente,  e  che  sia  corne  innamovata  di  Ici.  Matteo  Botti, 
3o  juin  I  610.  . 

4.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 


54  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

l'instrument  de  sa  fortune  ?  La  malheureuse  femme  n'était 
cependant  pas  dépourvue  de  clairvoyance;  elle  avait  le 
pressentiment  de  la  destinée  funeste  que  lui  préparait 
le  parti  pris  par  Concini  de  braver  l'opinion  de  la  cour  et 
l'animadversion  populaire.  Celui-ci  n'eut  pas  en  effet 
longtemps  la  sagesse  de  se  contenter  de  la  situation  fort 
avantageuse  ainsi  définie  par  le  même  diplomate  floren- 
tin :  «  Le  Concino  se  maintient  dans  sa  faveur  accoutumée, 
mais  plus  comme  courtisan  favori  que  comme  conseiller 
intime  ».  L'aventurier  avait  de  plus  hautes  visées.  Sans 
aborder  encore  le  rôle  d'homme  politique,  il  s'y  préparait, 
soit  en  introduisant  les  ambassadeurs  dans  le  cercle  intime 
de  la  régente,  soit  en  affectant  de  s'entremettre  auprès  d'elle 
en  faveur  de  Sully  déjà  menacé  de  disgrâce  pour  sa  résis- 
tance aux  nouvelles  façons  de  gouverner.  Il  faisait  étalage 
de  son  importance  et  parlait  de  haut  aux  officiers  des  gardes. 
Ces  façons  d'agir  ne  pouvaient  que  le  rendre  encore  plus 
odieux.  Léonora,  épouvantée  de  ces  imprudences,  cher- 
chait à  modérer  et  à  retenir  son  mari;  mais  elle  ne  parve- 
nait pas  à  lui  faire  partager  le  sentiment  qu'elle  avait,  en 
femme  déUcate  et  craintive,  d'une  situation  déjà  dangereuse. 
Les  autres  Italiens  accrédités  auprès  de  la  régente  ne  s'y 
trompaient  pas  non  plus.  «  Le  seigneur  Concini  a  des  pré- 
tentions bien  démesurées,  écrit  Andréa  Cioli;  il  se  montre 
trop  à  découvert,  au  risque  de  se  faire  massacrer.  //  Siguor 
Concino  intra  troppo  alla  scoperta ,  cou  pericolo  di  far  si  a7nma:^are.  »> 
Ce  n'est  pas  sans  une  secrète  satisfaction  que  se  faisaient 
ainsi  prophètes  de  malheur  les  trop  clairvoyants  compa- 
triotes souvent  fort  maltraités  par  le  couple  triomphant 
dont  ils  suivaient  la  fortune  avec  des  yeux  jaloux.  On  avait 
en  effet  pour  eux  peu  de  ménagements;  il  leur  fallait  at- 
tendre des  heures  entières  à  la  porte  de  Léonora  quand  ils 
avaient  à  l'entretenir  \  essuyer  les  dédains  des  deux  vani- 

I.  Andréa  Cioli,  lo  juillet  1610. 


LES    ÉPOUX    CON'CINI.  55 

teux  personnages,  sans  compter  d'autres  mésaventures  du 
genre  de  celle  que  nous  raconte  avec  un  dépit  et  une  indi- 
gnation si  naïves  l'envoyé  Andréa  Cioli  : 

((  Figurez-vous,  écrit-il,  que  le  seigneur  Hippolito  Dei' non 
seulement  a  été  logé  et  défrayé  dans  la  maison  du  S""  Concini, 
mais  qu'il  a  encore  été  convié  par  lui  à  un  banquet  dans  ses 
chambres  du  Louvre,  et  cela  a  eu  lieu  hier  matin.  Et  moi,  il 
y  a  trois  jours,  comme  j'entrai  dans  ces  chambres,  pour  don- 
ner le  bonjour  au  S' Concini  et  à  la  S"  Léonora,  juste  au  mo- 
ment où  l'on  se  mettait  à  table,  j'ai  été  congédié  mieux  qu'à 
la  florentine.  On  me  demanda  si  j'avais  déjeuné,  je  répondis 
non,  et  voici  ce  qu'on  me  dit  :  «  Va- t'en  déjeuner,  car  c'est 
«  Theure,  et  nous  ne  voulons  pas  t'inviter  ».  Et  moi,  avec  un 
sourire  qui  ne  vint  point  du  cœur,  je  dis  :  «  Mais  je  ne  vous 
«  le  demande  point  »;  et  sur  ce,  lui  tirai  ma  révérence".  » 
On  trouve  toujours  chez  l'ItaUen  un  personnage  de  comédie. 

Concini  était  parfaitement  étranger  à  toute  courtoisie 
comme  à  toute  délicatesse  de  sentiments,  et  ce  qui  est  sur- 
prenant, c*e3t  la  grossièreté  des  procédés  qui  devaient  le 
conduire  à  tout.  Il  avait  des  recettes  pour  venir  à  bout  des 
hésitations  et  des  résistances  de  sa  femme,  il  usait  à  propos 
de  la  mauvaise  humeur  et  se  montrait  passé  maître  dans 
Tart  d'exploiter  une  passion  que  les  années  n'avaient  ni 
refroidie  ni  rendue  moins  dévouée  chez  Léonora  Dori.  Le 
corps  de  Henri  IV  était  à  peine  descendu  dans  les  caveaux 
de  Saint-Denis  que  la  reine  mère,  faisant  trêve  aux  larmes 
de  convention  et  au  souci  des  affaires,  cherchait  des  dis- 
tractions hors  du  Louvre  où  elle  s'était  jusqu'alors  confinée 
dans  un  deuil  tout  d'apparat.  Le  3  juillet  elle  alla  à  Notre- 
Dame  ^  dans  un  carrosse  suivi  de  six  autres,  fort  accompagnée 

1.  C'était  un  Florentin  de  passage  à  Paris. 

2.  Andréa  Cioli,  i6  juin  1610. 

3.  Andréa  Cioli  parle  d'une  dépêche  dans  laquelle  Ammirato  racon- 
terait en  détail  la  première  sortie  de  la  reine  hors  du  Louvre,  après 
quarante-neuf  jours,  pour  aller  entendre  la  messe  en  grande  pompe  à 
Notre-Dame.  Cette  dépêche  n'existe  plus  dans  le  registre  d'Ammirato. 


S6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

et  entourée  de  tous  côtés  de  gardes,  soldats  et  arquebu- 
siers sous  le  commandement  du  capitaine  La  Chàtaigne- 
raye.  Tous  les  princes,  hormis  le  comte  de  Soissons,  entou- 
raient la  voiture  avec  force  noblesse  au  milieu  de  laquelle 
paraissait  par-dessus  tous  M.  d'Épernon,  «  rajeuni  de  plus 
de  dix  ans  depuis  la  mort  de  son  maître,  dit  L'Estoile,  por- 
tant la  tète  aussi  haute  que  celle  de  son  cheval,  sur  lequel 
il  monta,  contre  l'usage,  dans  la  cour  même  du  Louvre  ». 
L'après-midi,  la  reine,  continuant  ses  dévotions,  alla  à 
Saint-Victor  au  pèlerinage  de  Notre-Dame  des  Bonnes  Nou- 
velles, qu'elle  avait  en  grande  vénération.  Quelques  jours 
après,  le  jeudi,  au  matin^  elle  fit  une  promenade  et  une 
visite  au  château  d'Issy,  résidence  de  la  reine  Marguerite  : 
la  reine  divorcée  offrait  une  collation  de  confitures  à  la 
reine  veuve.  Marie  de  Médicis  monta  en  carrosse  dans  la 
cour  du  Louvre  et  invita  à  l'accompagner  Mme  de  Sois- 
sons,  Mme  de  Guise,  Mme  de  Conti,  Mme  de  Montpensier 
et  Mme  Concini.  Elle  se  plaça  sur  le  siège,  à  côté  du 
cocher  ',  se  croyant  plus  en  sûreté  que  dans  l'intérieur,  pré- 
caution qui  aurait  paru  plus  convenable  de  la  part  de 
Henri  IV,  et  qui,  un  mois  auparavant,  Faurait  peut-être 
sauvé.  La  voiture  de  la  reine  mère  partit  escortée  d'un  grand 
nombre  d'autres  carrosses  et  d'une  brillante  cavalcade  de 
princes  et  de  seigneurs.  <<  Au  sortir  de  là,  S.  M.,  dit  L'Es- 
toile, monta  sur  un  genêt  d'Espagne  qu'elle  galopa  brave- 
ment jusque  à  l'entrée  du  faubourg  Saint -Germain,  où 
elle  rentra  et  se  remit  dans  son  carrosse  entouré  de  force 
gardes.  »  Le  premier  écuyer  de  la  régente  ne  parut  point  à 
cette  partie  de  plaisir  où  il  semblait  appelé  par  ses  fonctions 
mêmes.  Il  y  avait,  à  ce  moment,  une  brouille  complète 
entre  Léonora  et  son  mari,  et  ce  dernier,  par  contre-coup. 


I.  s.  J/'-'  si  messe  dalla  banda  del  coccliiero.  su  alto  appresso  di  lui, 
corne  in  luogo  piu  securo,  et  fu  poi  seguitata  da  moite  caro^^e  di 
principi  et  di  55";  t7ia7îon  vi  viddemo  gia  il  s^  Coricini.  (Andréa  Cioli, 
lo  juillet  1610.) 


LES    ÉPOUX    CONCINI.  5  7 

tenait  rigueur  à  la  reine.  Concini  fit,  à  ce  propos,  de  cu- 
rieuses confidences  à  l'ambassadeur  Botti.  «  Dans  les  dé- 
mêlés que  j'ai  avec  ma  femme,  lui  dit-il,  la  reine  me  donne 
toujours  tort.  Mais  ce  que  je  ne  puis  surtout  pardonner  à 
Léonora,  c'est  qu'elle  se  soit  mis  en  tête  de  faire  obstacle 
à  mon  avancement.  Ce  qu'elle  veut  par  là,  c'est  se  faire 
valoir  davantage  et  me  forcer  à  reconnaître  que  tout  me 
vient  d'elle.  Je  serais  bien  heureux  si  je  pouvais  espérer  me 
retrouver  d'accord  avec  elle  dans  un  grand  nombre  d'an- 
nées. »  C'était  avec  des  airs  de  désespoir  que  l'Italien  se 
lamentait  ainsi;  il  affichait  l'intention  de  quitter  la  cour,  de 
vendre  sa  charge,  d'acheter  une  terre;  il  se  targuait,  par 
une  accusation  peut-être  odieuse,  d'un  désintéressement 
dont  rien  ne  prouve  que  l'occasion  lui  ait  été  donnée  en 
affirmant  que  Sully  lui  avait  off"ert  trente  mille  écus  comp- 
tants et  cinquante  mille  par  an  pour  obtenir  ses  bonnes  grâces. 
C'était  enfin  à  la  reine  qu'il  s'en  prenait  de  tout  le  mal  en 
se  plaignant  amèrement  qu'elle  ne  l'eût  pas  introduit  au 
conseil  d'État.  Cette  scène,  fort  bien  jouée  devant  d'autres 
probablement  que  l'envoyé  toscan,  aboutit  à  un  prompt 
dénouement.  Matteo  Botti,  h  qui  nous  devons  ces  détails, 
put,  avant  de  fermer  sa  dépêche,  en  rehausser  la  saveur  par 
cet  amusant  post-scriptum  :  «  Concini  a  été  fait  du  conseil 
des  finances  et  s'est  raccommodé  avec  sa  femme*  ».  Quelques 
jours  après,  en  eff"et,  Concini  prêtait  serment  entre  les  mains 
de  la  régente  et  du  jeune  roi  pour  avoir  été  fait  du  conseil 
d'État  et  des  finances,  et  prenait  officiellement  séance  dans 
la  salle  où  auparavant  il  assistait  déjà  aux  délibérations,  mais 
comme  serviteur  de  la  reine  et  debout  derrière  son  siège  -. 
Ce  n'était  pas  une  simple  satisfaction  d'amour-propre 
qu'avait  recherchée  le  nouveau  dignitaire.  Le  conseil  des 
finances,  à  ce  moment,  se  réunissait  souvent  ;  car  on  allait 
renouveler  la  ferme  du  sel.  Les  prétendants  vinrent  assiéger 

1.  Matteo  Botti,  12  juillet  1610. 

2.  Scip.  Ammirato,  28  juillet  ibic. 


58  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Concini  et  sa  femme;  et  ces  sollicitations  furent  pour  eux 
la  source  de  beaux  profits.  «  Ce  qu'ils  auraient  de  mieux  à 
faire  et  pour  eux  et  pour  la  reine,  écrit  l'envoyé  Cioli, 
c'est  d'amasser  du  bien  et  des  trésors  '.  »  On  voit  qu'ils 
ne  s'en  faisaient  pas  faute. 

Au  point  de  vue  lucratif  les  deux  époux  étaient  parfai- 
tement d'accord.  Fanno  e  faranno  hue  i  falti  loro,  écrit 
Andréa  Cioli  (i6  sept.).  Mais  il  y  avait  entre  eux  des  dis- 
sentiments d'une  autre  nature  que  ceux  qui  pouvaient 
résulter  de  l'outrecuidance  des  visées  politiques  de  Concini. 
Le  mari  était  joueur  et  la  femme  économe  ;  et,  si  grandes 
et  inconsidérées  que  fussent  les  profusions  de  la  reine  en 
leur  faveur,  des  pertes  au  jeu  qui  s'élevaient  jusqu'à  deux 
mille  écus  en  une  seule  fois  inquiétaient  et  irritaient  la  cir- 
conspecte et  prévoyante  Léonora.  D'autres  incartades  la 
touchaient  plus  au  vif,  c  II  est  bien  difficile,  écrit  Cioli, 
d'être  à  la  fois  bien  avec  l'un  et  avec  l'autre.  Car,  à  l'oc- 
casion, il  doit  faire  ce  que  sont  tentés  de  faire  les  hommes 
qui  ont  une  femme  laide.  Ses  familiers  l'}.  incitent  ou  Vy 
aident  et,  par  conséquent,  sont  mal  vus  d'elle;  et  les 
fiivoris  de  la  femme  sont  regardés  par  le  mari  comme  des 
espions  ".  »  Ce  n'est  point  que  Léonora  ne  fût  prête,  même 
en  matière  si  délicate,  à  se  montrer  de  bonne  composition. 
Mais  il  aurait  fallu,  au  dire  de  l'ambassadeur,  que,  pour 
prix  d'une  condescendance  peu  commune,  il  eût  consenti 
à  se  conduire  toujours  suivant  la  volonté  de  sa  femme; 
à  cette  condition,  il  n'aurait  pas   été  malheureux.   «  Mais 

1.  Spesso  hora  detto  consiglio  si  radiina,  et  in  esso  presentemente  si 
traita  del  rinovare  la  fermeria  o  VappaVo  del  sale,  et  in  sei  anni 
che  suol  diirare  ci  è  chi  offerisce  fino  in  600  000  sciidi  di  augumento 
per  il  Re  con  alegeriniento  di  pre:^:{0  ancora  pcr  il  popolo,  et  da 
questa  niiova  condoîta  dicono  che  il  si^''  Concino  et  la  moglie  ne  cave- 
vanno  buonissimo  paragiianto ,  perche  tutti  H  offerenti ,  che  sono  in 
gran  numéro,  et  sempre  se  ne  scu^prono  delli  altri,  si  raccomandano 
al  lor  favore.  Se  il  sig"^  Concino  si  contentasse  di  far  sen^a  apparenta 
délia  roba  et  del  tesoro,  meglio,  dice  alcuno,  sarebbe  per  lui,  et  per  la 
regina.  Andréa  Cioli,  8  août  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  16  septembre  i6ic. 


LES    ÉPOUX    CONCINI.  5  9 

cela  ne  sera  pas,  ajoute-t-il;  car  il  faut  que  l'homme 
domine  la  femme;  et  il  se  résigne  d'autant  plus  diffici- 
lement à  lui  céder  qu'il  est  d'humeur  hautaine  et  fièrc  '.  » 
La  vie  intime  de  ces  deux  êtres  était  bouleversée  par 
des  luttes  terribles.  On  surprenait  encore  la  trace  des 
orages  de  leur  intérieur  sur  le  visage  de  Concini  lorsqu'il 
se  présentait  au  milieu  des  envieux  que  faisait  sa  faveur,  la 
figure  décomposée.  On  savait  qu'il  laissait  souvent,  après 
des  scènes  de  ménage,  sa  femme  malade,  alitée,  et  qu'il  ne 
consentait  à  la  soigner  ou  à  s'occuper  d'elle  que  moj-en- 
nant  la  promesse  d'avantages  nouveaux.  Malgré  son 
audace,  Concini  lui-même  n'était  pas  d'un  tempérament 
assez  bien  trempé  pour  supporter  sans  inconvénient  ces 
émoLions  violentes.  Son  sang,  déjà  mauvais,  s'échauffait 
et  tournait;  et  ce  n'est  pas  seulement  aux  eaux  de  Spa, 
fort  en  vogue  à  ce  moment,  qu'il  avait  recours  pour  se 
guérir.  Les  impitoyables  écouteurs,  qui  tenaient  la  cour  de 
Florence  au  fait  de  tout  ce  qui  se  passait  autour  de  la 
régente,  ne  nous  font  grâce  d'aucune  des  médecines  et  des 
saignées  auxquelles  il  était  obligé  de  se  soumettre,  soit 
pour  se  rétablir,  soit,  par  un  luxe  de  précautions  qui  fait 
sourire  y  ad  prceservationem  salutis,  et  non  ad  necessitatem~. 
Entre  les  deux  époux,  une  créature  innocente  souffrait  de 
ces  discordes  et  de  cette  mauvaise  hygiène.  Ils  avaient  un 
fils  «  beau  comme  un  ange,  au  visage  tout  souriant,  mais 
délicat,  maigre,  sans  couleurs  ».  On  ne  se  faisait  cepen- 
dant pas  faute  «  de  le  tourmenter  avec  les  médicaments, 
comme  s'il  eût  été  un  vrai  colosse  ».  C'était  l'usage  de  la 
maison.  L'abbé  de  Marmoutiers,  en  résidence  chez  sa  sœur, 
s'y  conformait  avec  zèle;  si  bien  que  l'envoyé  florentin, 
pénétrantun  jour  dans  cet  hôpital,  ne  pouvait  s'empêcher 
de  s'écrier  :  «  Mais,  sous  prétexte  de  santé,  vous  voulez 
donc  ici  vous  détruire  tous!  »  Or\  s'en  prit  au  médecin  de 

I.  Andréa  Cioli,  8  août  1610. 

9-  Andréa  Cioli,  18  septembre  1610. 


60  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIH. 

la  mauvaise  santé  générale;  et  le  sieur  Duret  fut  prié  de 
déguerpir;  peut-être,  à  quelques  mots  vagues  des  envoyés 
florentins,  faut-il  comprendre  que  le  personnage  s'était 
mis,  pour  des  raisons  suspectes,  en  trop  bons  termes  avec 
Concini.  «  Le  médecin  Duret,  lisons-nous  dans  L'Estoile, 
deschu  tout  à  coup  de  la  grâce  et  de  la  faveur  de  la  reine 
régente,  eust  son  congé  de  la  cour,  en  ce  mois,  avec  com- 
mandement exprès  de  se  retirer  et  de  n'entrer  dans  le  Louvre 
pour  y  exercer  et  pratiquer  sa  médecine.  Ce  revers  si  sou- 
dain estonna  beaucoup  de  gens,  pour  ce  que  ledit  Duret 
estoit  des  amis  des  dieux,  favori  de  la  déesse  Conssine,  et 
du  Conseil  de  la  petite  escritoire.  Un  des  plus  grands, 
enquis  sur  celte  mutation  par  un  personnage  de  Paris,  de 
grande  qualité,  qui  estoit  de  ses  amis,  et  qui  désiroit  d'en 
apprendre  quelque  chose  de  lui,  n'en  eust  autre  réponse, 
sinon  que  telle  avoit  esté  la  volonté  des  Dieux,' et  que,  par 
raison  d  Estât,  ce  qui  avoit  esté  se  devoit  faire  *.  »  Ainsi  la 
médecine  et  les  tripotages  financiers,  les  manœuvres  sou- 
terraines et  les  discussions  domestiques  se  partageaient 
l'existence  de  l'égoïste  et  insolent  favori.  Malgré  son  désir 
de  ne  pas  encore  se  compromettre,  il  allait  être  forcé  de 
prendre  parti  dans  les  compétitions  qui  s'agitaient  autour 
de  la  régente  et  qui  visaient  déjà  la  plus  forte  personnalité 
que  Henri  IV  eût  laissée  derrière  lui,  le  duc  de  Sully. 

La  disgrâce  du  duc  de  Sully,  dont  il  peut  être  question 
dès  maintenant,  est  l'événement  qui  caractérise  le  mieux 
les  débuts  de  l'époque  de  troubles  et  d'affaiblissement  pour 
la  monarchie  française,  qui  succéda  immédiatement  au 
grand  règne  de  Henri  IV.  Si  le  fait  en  lui-même  est  bien 
connu,  les  circonstances  en  sont  restées  assez  obscures. 
Un  administrateur  et  magistrat  éminent,  Claude  Le  Pel- 
letier, successeur  de  Colbert  au  contrôle  général  des 
finances,  écrivant  vers  la  fin  de  sa  vie  des  biographies  res- 

I.  L'Estoile,  t.  X,  p.  3 17.  —  Tall.  des  Réaux,  t.  If,  p.  65. 


LE    DUC    DE    SULLY.  6l 

tées  manuscrites  ^  de  plusieurs  hommes  d'État  du  siècle, 
les  chanceliers  de  Bellièvre  et  Le  Tellier,  les  gardes  des 
sceaux  Du  Vair  et  Mole,  s'était  senti  attiré  par  la  rude  et 
parfois  énigmatique  figure  du  duc  de  Sully.  Il  lui  consacre 
une  notice  qu'il  veut  faire  porter  particulièrement  sur 
l'époque  de  sa  retraite,  et  s'exprime  à  ce  sujet  en  ces 
termes  :  «  Dans  la  résolution  de  M.  de  Sully  de  remettre 
la  démission  de  la  charge  de  surintendant  et  de  se  retirer 
de  la  cour,  il  pratiqua  une  robuste  vertu.  J'eusse  souhaité 
de  trouver  plus  de  circonstances  de  cette  action,  des  motifs 
de  M.  de  Sully  et  des  procédés  qui  accompagnèrent  cette 
grande  et  bonne  action.  J'en  ramasserai  les  différentes  cir- 
constances autant  que  je  pourrai  les  tirer  des  mémoires  que 
j'extrairai.  »  Les  notes  assez  incohérentes  recueillies  par 
Le  Pelletier  n'offrent  que  peu  d'intérêt;  ses  recherches 
ont  été  fort  incomplètes,  et  son  travail  est  dépourvu  de 
critique,  même  dans  les  étroites  limites  où  il  a  dû  se  ren- 
fermer. Après  lui  la  question  reste  intacte. 

Les  éléments,  il  faut  le  reconnaître,  n'en  sont  pas  très 
faciles  à  réunir.  En  effet,  les  chroniqueurs  et  historiens 
contemporains  pèchent  ou  par  la  sécheresse  et  le  décousu 
de  leurs  informations  comme  L'Estoile  dans  ses  mémoires- 
journaux  et  Malherbe  dans  sa  correspondance  avec  Pei- 
resc;  par  un  esprit  de  dénigrement  systématique,  chez  l'au- 
teur de  l'Histoire  de  la  mère  et  du  fils^  à  l'égard  des  hommes 
d'État  qui  Font  précédé  au  pouvoir;  par  l'absence  de  con- 
sidérations politiques  dans  le  journal  du  médecin  Héroard, 
par  les  habitudes  de  réserve  diplomatique  dont  s'inspire 
constamment  Fontenay-Mareuil;  ou  enfin  par  la  défiance 
que  provoque  naturellement  un  cas  de  suspicion  légitime 
comme  celui  du  témoignage  personnel  de  l'homme  dont  il 
s'agit,  de  Sully  lui-même,  dans  ses  Mémoires  ou  Économies 
royales.   Comment   ne   pas   se   décourager  en  présence  de 

I.  Bibl.  nat.,  fonds  fr.,  n"  9443. 


62  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

cette  dernière  source  d'informations,  que  les  secrétaires  de 
Sully  qualifient  eux-mêmes  de  «  discours  et  narrations 
lesquelles,  soit  par  ignorance  ou  faute  de  mémoire,  soit 
par  crainte,  circonspection  et  prudence,  l'on  omet  ou 
retient  beaucoup  de  choses  à  dire,  ou  que  l'on  déguise 
tout  exprès  ».  Cependant,  parmi  les  problèmes  qui  inté- 
ressent l'historien  et  le  moraliste,  les  causes  de  la  disgrâce 
du  duc  de  Sully  méritent  d'attirer  l'attention . 

Comment,  en  effet,  un  homme  de  cinquante  ans,  prin- 
cipal ministre  d'un  grand  roi,  encore  en  pleine  possession 
de  facultés  puissantes,  connaissant  à  fond  toutes  les  parties 
de  l'administration  de  l'État,  supérieur  à  tous  les  hommes 
politiques  de  son  temps,  se  jugeant  lui-même  et  jugé  par 
tous  nécessaire  à  la  bonne  conduite  des  affaires  dans  un 
moment  critique,  a-t-il  dû,  au  bout  de  huit  mois,  se  rési- 
gner à  une  retraite  qui  devait  durer  les  trente  dernières 
années  de  sa  vie?  C'est  là  un  fait  grave  en  lui-même  et 
plein  de  conséquences  pour  la  suite  des  événements  qui 
s'accomplirent  sous  la  régence  de  Marie  de  Médicis.  Il 
domine  toute  la  fin  de  l'année  1610,  le  commencement  de 
l'année  161 1,  et  il  importe  de  ne  point  le  perdre  de  vue 
pour  comprendre  et  apprécier  toutes  les  intrigues  dont  la 
cour  est  le  théâtre.  C'est  pourquoi  nous  devons  nous  atta- 
cher à  l'expliquer  en  détail. 

La  conduite  que  tint  le  duc  de  Sully,  au  moment  de 
l'assassinat  de  Henri  IV,  a  donné  lieu  à  des  critiques  sévères. 
Il  attendait  le  roi  à  l'Arsenal^  dans  le  déshabillé  d'un  malade 
qui  va  recevoir  la  visite  d'un  ami  plutôt  que  d'un  maître, 
lorsque  lui  arriva  la  funeste  nouvelle.  Sa  première  pensée 
devait  être  de  courir  au  Louvre;  et  en  effet  il  monta  à 
cheval,  au  plus  vite  qu'il  put,  et  se  dirigea  vers  la  demeure 
du  roi  à  la  tête  de  quelques  gentilshommes  dont  le  nombre 
grossit  en  chemin.  On  s'est  étonné  qu'arrivé  à  la  rue  Saint- 
Antoine,  il  ait  brusquement  changé  de  résolution,  tourné  le 
dos  au  Louvre  et  qu'il  se  soit  renfermé  dans  la  forteresse 


LE    DUC    DE    SULLY.  G  3 

dont  il  avait  la  garde,  après  y  avoir  introduit  des  vivres 
enlevés  aux  boutiques  du  voisinage.  C'est  le  lendemain  seu- 
lement que,  pressé  par  différents  messages,  il  alla  offrir  sa 
personne  et  ses  services  à  la  veuve  et  aux  orphelins  que 
venait  de  faire  le  crime  de  Ravaillac.  Aux  yeux  de  Riche- 
lieu, ce  sont  Là  «  des  marques  de  faiblesse,  d'étonnement, 
d'irrésolution  ». 

Sans  doute,  réduite  à  ces  simples  circonstances,  l'attitude 
prise  par  Sully  n'eut  rien  de  chevaleresque.  Mais  il  ne  faut 
pas  oublier,  pour  la  juger  en  toute  équité,  qu'au  moment 
où  il  rebroussa  chemin,  le  capitaine  de  la  Bastille  avait  reçu 
différents  avis  tendant  à  le  détourner  d'aller  au  Louvre  ; 
qu'il  venait  d'être  traité  avec  une  menaçante  hauteur  par  le 
jeune  comte  de  Bassompierre,  chargé,  à  la  tête  de  quelques 
chcvau-légers,  de  «  marcher  par  la  ville  pour  apaiser  le 
trouble  et  la  sédition  »  ;  et  que  la  situation  était  en  somme 
pleine  de  confusion. 

On  peut  s'expliquer  par  des  appréhensions  personnelles 
le  retard  que  mit  Sully  à  se  rendre  au  Louvre,  car  il  y 
comptait  beaucoup  d'ennemis.  Mais  aucune  raison  n'em- 
pêche d'admettre  une  cause  d'un  ordre  plus  élevé.  On  a 
dit  récemment,  non  sans  vraisemblance,  qu'à  côté  du 
sanguinaire  monomane  qui  tua  le  roi  de  France ,  sous 
l'empire  d'une  obsession  toute  subjective,  la  mort  de 
Henri  IV  était  préparée  pour  le  même  jour  que  l'atten- 
tat de  Ravaillac  et  sans  la  moindre  entente  avec  lui,  par 
une  mystérieuse  conjuration  qui  groupait  autour  d'une 
maîtresse  évincée,  la  marquise  de  Verneuil,  de  très  hauts 
personnages,  au  nombre  desquels  il  faudrait  surtout  impliquer 
le  duc  d'Épernon.  Sans  admettre  comme  prouvée  l'hypothèse 
hardie  de  M.  Loiseleur  *,  il  est  permis  de  penser  que  Sully 
pouvait  avoir  eu  vent  de  quelque  machination  de  ce  genre^ 
et  qu'en  se  retirant  dans  la  forteresse  de  la  Bastille,  il  pre- 

I.  Jules  Loiseleur,  Ravaillac  et  ses  complices. 


64  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

nait,  en  même  temps  que  des  précautions  pour  sa  propre 
sécurité,  une  mesure  de  salut  public;  il  voulait  tenir  la  clef 
de  Paris,  dans  le  cas  d'une  révolution  qui  mettrait  en  péril 
les  droits  de  la  veuve  et  surtout  du  fils  de  Henri  IV. 

Pour  ne  pas  insister  davantage  sur  la  valeur  de  cette 
interprétation  de  la  conduite  du  duc  de  Sully,  il  nous  suffira 
de  rappeler  que  le  lendemain  de  l'assassinat  du  roi,  le  surin- 
tendant figura  dans  les  cérémonies  parlementaires  qui  éta- 
blirent, sur  une  base  légale,  la  régence  de  Marie  de  Médicis. 
Sully  reprit  en  même  temps  dans  le  gouvernement  la  place 
qu'il  y  occupait  du  temps  du  feu  roi,  le  17  mai  16 10. 

Au  commencement  de  ses  Mémoires,  Richelieu  affirme 
que  Henri  IV  avait  dit  plusieurs  fois  à  la  reine  qu'il  ne 
pouvait  plus  souffrir  les  mauvaises  humeurs  du  surintendant. 
«  Les  contradictions  du  duc  de  Sull}^,  dit-il,  et  le  soupçon 
qu'il  avait  non  de  la  fidélité  de  son  cœur,  mais  de  la  netteté 
de  ses  mains,  faisaient  qu'il  avait  peine  à  se  résoudre  à  le 
supporter  davantage.  »  Que  Henri  IV  se  soit  souvent 
plaint  des  façons  brusques  du  surintendant  et  de  ses  refus 
d'argent;  qu'il  ait  donné  à  la  reine  la  satisfaction  de  s'expri- 
mer avec  vivacité  sur  le  compte  d'un  serviteur  chagrin; 
que  le  mot  même  de  congé  lui  soit  venu  sur  les  lèvres,  nous 
n'en  pouvons  douter.  Mais  Henri  IV  et  Sully  appréciaient 
trop  leurs  mutuelles  qualités,  ils  étaient  depuis  trop  long- 
temps habitués  à  la  réciprocité  de  défauts  incorrigibles 
dont  le  contraste  et  la  lutte  tournaient  au  bien  général, 
pour  en  venir  à  une  rupture.  Jamais  Henri  IV  n'aurait  pu 
s'y  résoudre.  Sully  savait  bien  qu'il  n'avait  rien  à  redouter 
de  «  son  bon  maître  ». 

Mais  ce  qui  n'avait  été,  de  la  part  de  Henri  IV,  que  plai- 
santerie, boutade  ou  marque  d'impatience,  bien  des  gens 
étaient  intéressés  maintenant  à  le  prendre  au  sérieux,  et  la 
reine  tout  d'abord.  Au  milieu  de  circonstances  qui  auraient 
dû  plutôt  la  rapprocher  que  l'éloigner  de  Sully,  Marie  de 
Médicis  ne  s'était  jamais  sentie  attirée  vers  le  surintendant. 


LE    DUC    DE    SULLY.  65 

Les  vertes  remontrances  que  Sully  avait  adressées  au  roi  à 
propos  de  ses  maîtresses  n'avaient  laissé  à  la  reine  qu'une 
impression  :  c'est  qu'il  tenait  aussi  serrés  que  possible  les 
cordons  de  la  bourse.  Or  la  régente  avait,  elle  aussi,  des 
créatures  à  satisfaire,  des  adversaires  à  gagner.  Élève  dis- 
traite et  ennuyée,  elle  savait  que  le  maître  de  politique  et 
de  finances  dont  son  mari  lui  avait  fait  prendre  quelques 
leçons  s'accommodait  difficilement  du  rôle  de  complaisant. 
Elle  était  donc  disposée  à  exagérer  le  sens  des  paroles  de 
Henri  IV  et  à  laisser  suspecter  l'honnêteté  des  gains  incon- 
testables, mais  consentis  et  approuvés  par  le  feu  roi,  qui 
avaient  assuré  au  duc  de  Sully  une  fortune  immense  et 
enviée. 

Quelques  jours  s'étaient  donc  à  peine  écoulés  depuis  la 
mort  de  Henri  IV  que  l'on  sentit  se  produire  une  lourde 
agitation  contre  le  surintendant.  On  parlait  à  mots  couverts 
d'une  revision  de  ses  comptes,  et  lui-même  pouvait  s'aper- 
cevoir que  son  influence  n'était  plus  aussi  prépondérante 
qu'autrefois  dans  l'administration  des  finances.  «  Comment! 
M.  de  Sully  pense  donc  encore  gouverner  les  afi"aires  de 
France,  comme  du  temps  du  feu  roi?  »  disait  même  haute- 
ment le  favori  Concini;  «  or  c'est  ce  qu'il  ne  doit  nullement 
espérer;  car  la  reine,  étant  reine,  c'est  à  elle  de  disposer  de 
tout;  et  pour  sûr  je  ne  lui  conseille  pas  de  rien  tenter  contre 
sa  volonté  \  »  Sully  jugea  prudent  de  continuer  à  prendre 
des  précautions,  et  il  envoya  dans  son  gouvernement  de 
Poitou  un  bateau  chargé  de  poudre.  C'était  son  droit  de 
grand  maître  de  l'artillerie  ;  on  en  trouva  l'usage  suspect,  et 
les  malveillants  s'enhardirent  ^. 

Parmi  les  conseillers  auxquels  Marie  de  Médicis  prêtait  le 
plus  volontiers  l'oreille,  se  trouvait  le  représentant  officiel 
de  ses  parents  de  Toscane,  l'ambassadeur  Matteo  Botti. 
Ce  personnage   remuant,   intrigant,    prenait  à   cœur,   par 

1.  Economies  royales,  p.  Scji,  col.  2. 

2.  Matteo  Botti,  3  juin  1610. 


66  I^A    MINORITÉ    dp:    louis    XIII. 

devoir  et  par  intérêt,  les  affaires  de  ses  maîtres,  et  avait  des 
raisons  toutes  particulières  d'être  mal  disposé  à  l'égard  de 
Sully,  car  ce  dernier  s'était  toujours  montré  un  débiteur 
récalcitrant  vis-à-vis  du  grand-duc  de  Toscane  Cosme  II, 
dont  les  prédécesseurs  avaient  prêté  à  la  couronne  de  France 
des  sommes  considérables.  Botti  espérait  sans  doute  que, 
si  le  maniement  des  finances  passait  en  d'autres  mains  que 
celles  du  duc  de  Sully,  la  reine  mère,  devenue  plus  libre  de 
ses  mouvements,  solderait  les  dettes  dont  son  mari  pensait 
bien,  au  fond,  s'être  acquitté  en  épousant  la  princesse 
florentine.  Aussi  Botti  ne  négligeait-il  aucune  occasion  de 
glisser  dans  l'oreille  de  Marie  de  Médicis  des  insinuations 
perfides  contre  le  surintendant.  «  J'ai  trouvé,  écrit-il  Je 
19  juin,  la  reine  très  bien  informée,  parfaitement  avertie 
sur  le  compte  de  M.  de  Sully;  cela  m'a  causé  une  très 
grande  satisfiction  et  m'a  prouvé  sa  vigilance  et  sa  capa- 
cité ^  » 

On  n'avait  pas  seulement  à  faire  valoir  contre  Sully  le 
grief  «  d'être  trop  ami  des  biens  de  Sa  Majesté  {troppo 
amico  délia  roha  di  S.  M.),  on  représentait  aussi  à  la  reine 
qu'ayant  besoin,  pour  affermir  son  autorité,  de  la  faveur  du 
pape ,  elle  ne  pouvait  maintenir  à  la  tête  de  plusieurs 
2;randes  administrations  de  l'Etat  un  réformé. 

Cette  considération  n'était  pas  sans  valeur  aux  yeux  d'une 
reine  italienne  déjà  prête  à  renouer  avec  l'Espagne.  Il  était 
évident  toutefois  qu'il  ne  fallait  pas  s'aliéner  les  protestants, 
auxquels  on  avait  jugé  prudent,  dès  le  22  mai  16 10, 
d'accorder  la  confirmation  de  Tédit  de  Nantes.  Eloigner 
brutalement  Sully,  c'était  encourager  leurs  défiances,  peut- 
être  même  leur  mettre  les  armes  à  la  main;  car  le  surin- 
tendant passait  à  juste  titre  pour  être  dans  le  gouvernement 
leur  représentant,  leur  appui,  leur  organe;  il  valait  à  lui 
seul  toutes  leurs  places  de  sûreté.  Une  disgrâce  qui  aurait 

I.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 


LE    DUC    DE    SULLY.  bj 

eu  la  religion  pour  prétexte  apparent  ou  caché  devait  donner 
immédiatement  à  Sully  le  prestige  et  la  force  de  chef  d'un 
parti  toujours  redoutable.  Il  était  cependant  possible  d'affai- 
bHr  l'influence  de  l'opinion  protestante  dans  le  conseil,  en 
la  divisant.  C'est  la  raison  qui  détermina  la  reine  à  appeler 
auprès  d'elle  Henri  de  la  Tour  d'Auvergne,  duc  de 
Bouillon,  et  à  lui  demander  ses  avis.  Prince  à  moitié  fran- 
çais seulement,  soldat  intrigant,  compromis  dans  les  con- 
spirations de  la  fin  du  règne  de  Henri  IV,  Bouillon  était, 
depuis  le  commencement  même  de  sa  carrière  militaire  et 
politique,  en  mauvaise  intelligence  avec  Sully.  Il  ne  fut  pas 
difficile  d'exciter  Henri  de  la  Tour  d'Auvergne  contre  un 
coreligionnaire  qui  était  en  même  temps  un  adversaire 
politique,  on  fit  appel  à  ses  ressentiments,  on  lui  promit  des 
avantages  présents,  et  il  entrevit  la  possibiUté  prochaine  de 
remplacer  le  duc  de  Sully  dans  la  direction  des  aff'aires  du 
parti  protestant,  sans  perdre  les  bonnes  grâces  de  la  cour. 
Il  fut  fait  du  conseil,  et  cette  faveur  le  consola  de  n'avoir 
pas  obtenu  le  commandement  du  petit  corps  d'armée  que, 
par  un  reste  d'égards  pour  les  derniers  desseins  de 
Henri  IV,  le  gouvernement  dirigeait  sur  la  place  de  Juliers, 
occupée  par  les  forces  impériales.  A  la  cour,  Bouillon  joua 
immédiatement  le  rôle  qui  lui  avait  été  destiné,  mais  avec 
une  exagération  qui  en  compromit  le  succès.  Un  jour,  en 
plein  conseil,  il  chercha  chicane  à  Sully,  à  propos  des 
dépenses  pour  Tartillerie;  les  adversaires  échangèrent 
des  propos  si  offensants,  qu'on  les  crut  sur  le  point  d'en 
venir  aux  mains.  Le  duc  d'Epernon,  cet  autre  homme 
d'intrigues,  puissant  par  ses  charges  et  ses  richesses,  protec- 
teur attitré  de  la  régente,  passa  du  côté  de  Bouillon;  le  duc 
Charles  de  Guise,  fils  du  Balafré  \  du  côté  de  Sully.  Il 
fallut  l'intervention  de  la  reine  elle-même  pour  calmer  ces 
furieux  avant  leur  sortie  de  la  salle  du  conseil.  Des  ministres 

I.    Giiisa   suo    strettissimo    et    obligatissimo    amico.    Matteo    Botti, 
19  juin  1610. 


68  LA    MINORITK    DE    LOUIS    XIII. 

du  culte  réformé,  voyant  quelle  partie  se  jouait,  agirent  sur 
l'esprit  du  duc  de  Bouillon  et  l'amenèrent  à  faire  une  visite 
d'excuses  à  l'Arsenal  :  «  Tout  s'est  passé  en  douceur, 
écrit  l'ambassadeur  de  Florence;  mais  on  ne  peut  aucune- 
ment croire  qu'ils  se  soient  réconciliés  sincèrement  *  ». 

Sully,  semant  une  partie  de  l'autorité  qu'il  avait  exercée 
si  despotiquement  lui  échapper,  eut  la  volonté  de  quitter 
immédiatement  la  cour.  Mais  ses  amis  lui  conseillèrent  de 
tenir  bon,  et  il  resta.  Sa  situation  se  raffermit  grâce  à  l'appui 
de  la  maison  de  Lorraine  dont  le  chef  se  déclarait  son  ami 
intime,  son  obligé,  et  qui  prenait  fait  et  cause  pour  lui  en 
même  temps  que  pour  les  anciens  ministres  de  Henri  IV.  La 
maison  de  Lorraine  était  un  élément  nécessaire  à  la  poli- 
tique de  bascule  qui  semblait  déjà  devoir  être  adoptée  par 
Marie  de  Médicis.  Or  l'équilibre  des  partis  se  trouvait,  à  ce 
moment,  déjà  compromis  par  les  exorbitantes  faveurs  accor- 
dées à  la  maison  de  Soissons,  et  auxquelles  Sully  avait  fait 
une  rude  opposition  quand  il  avait  dit  à  la  reine,  à  propos 
du  gouvernement  de  la  Normandie  :  «  Je  ne  puis  con- 
seiller à  Votre  Majesté  d'ôter  cette  charge  aux  enfants  de 
mon  maître  pour  la  donner  à  un  autre  -  ».  Sully  ne  fut  pas 
écouté;  rien  cependant  ne  pouvait  satisfaire  l'ambition  et 
l'avidité  de  ce  prince.  Il  était  donc  naturel  que  la  reine, 
pour  contenir  ces  dangereux  appétits,  se  rejetât  du  côté  de 
la  maison  de  Lorraine.  Les  princes  de  cette  famille,  déjà 
mécontents,  étaient  prêts  à  soutenir  les  revendications  que 
le  prince  de  Conti,  frère  de  Soissons,  mais  beau-frère  du 
duc  de  Guise,  conduit  par  l'intelligente  et  impérieuse  Louise- 
Marguerite  de  Lorraine,  sa  femme,  faisait  valoir  sur  la 
Normandie;  car  il  prétendait  s'être  inscrit  le  premier  pour  le 
gouvernement  de  cette  province. 

La  régente  ne  voulut  point  pousser  les  Lorrains  à  bout; 
et  Sully,  leur  ami,  profita  de  cette  disposition.  Il  sut  faire 

1.  Matteo  Botii,  19  juin  161  o.  Cf.  Economies  royales,  p.  398,  col.  2. 

2.  Economies  royales,  p.  388. 


LE    DUC    DE    SULLY.  6g 

d'ailleurs,  pour  rester  au  pouvoir  où  sa  présence  était  plus 
nécessaire  au  bien  de  l'État  qu'à  lui-même,  des  sacrifices 
personnels  et  politiques  dont  on  peut  juger  Tétendue  par  la 
dépêche  suivante  de  l'ambassadeur  Botti  :  «  Le  duc  de  Sully 
ne  paraît  pas  avoir  l'intention  de  changer  de  religion,  comme 
on  espérait,  mais  bien  de  changer  d'air,  et  particulièrement 
depuis  que  l'on  annonce  le  retour  du  prince  de  Condé.  En 
attendant,  il  a  changé  ses  procédés,  parce  que,  contrairement 
à  ses  habitudes,  il  est  plein  de  courtoisie  avec  chacun.  On 
remarque  qu'il  est  en  étroite  intelligence  avec  le  duc  de 
Guise.  Quant  au  prince  de  Condé,  il  lui  a  fait  offrir  en 
Flandre  150000  écus.  Faisant  en  sorte  de  se  réconcilier 
avec  tous  ses  ennemis,  il  a  voulu  avoir  une  entrevue  avec 
Concini  à  Saint-Cloud  pour  se  justifier  vis-à-vis  de  lui  des 
offenses  et  des  griefs  passés,  pour  s'en  laver  et  pour  con- 
tracter avec  le  favori  une  grande  amitié  et  alliance.  Concini 
a  accepté  le  projet  d'union,  mais  non  l'entrevue  à  Saint- 
Cloud;  et  l'intérêt  commun  sera  facilement  cause  qu'ils  se 
tiendront  unis  au  moins  en  apparence  *.  » 

Ainsi  lorsque  les  relations  parurent,  un  moment,  devenir 
meilleures  entre  la  reine  et  Sully,  ce  fut  grâce  à  l'entremise 
de  l'outrecuidant  et  incapable  Concini  ^  déjà  devenu  le 
pivot  et  l'âme  de  toutes  les  intrigues  de  la  régence.  Au 
milieu  des  cabales  qui  se  formaient,  Marie  de  Médicis  ne 
se  sentait  pas  assez  forte  pour  aller  jusqu'au  bout  de  ses 
mauvaises  intentions  à  l'égard  du  surintendant;  mais  ce 
qui  le  maintenait  surtout,  c'est  qu'il  était  nécessaire.  «  La 
reine  estime  qu'il  est  du  bien  de  son  service,  écrit  Matteo 
Botti,  de  ne  pas  exaspérer  ce  grand  ministre.  Sans  doute  il 
a  toujours  été  contraire  à  la  reine,  bien  que  Sa  Majesté  l'ait 
remis  deux  fois  en  grâce  auprès  de  son  mari;  mais  elle 
le  tient  en  haute  estime  parce  qu'il  a  beaucoup  de  crédit 
vis-à-vis  des  hérétiques,  parce  qu'il  est  au  courant  mieux 

1.  Matteo  Botti,  3o  juin  1610. 

2.  Scipione  Ammirato,  24  juin  1610. 


LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 


que  personne  des  finances,  parce  qu'il  a  une  connaissance 
approfondie  des  affaires  du  royaume,  et  que  son  propre 
intérêt  se  confond  avec  celui  de  l'Etat,  en  raison  dos 
gouvernements  et  de  toutes  les  charges  importantes  qu'il 
possède.  Ajoutez  à  cela  une  tête  dont  chacun  pense  qu'il 
n'y  a  pas  en  France  une  seconde  qui  la  vaille  V  »  La 
régente  conserva  donc  Sully  pour  gagner  du  temps  et  pour 
permettre  à  la  coterie  florentine  de  faire  à  son  école  une 
sorte  d'apprentissage  du  gouvernement.  Sully,  qui  aimait 
le  pouvoir  et  les  profits  qu'il  peut  assurer,  accepta  cette 
situation  équivoque,  espérant  bien  la  faire  tourner  à  son 
avantage.  Mécontent,  redoutant  une  disgrâce  éclatante,  il 
n'avait  peut-être  pas  la  puissance,  ni,  à  coup  sûr,  la  volonté 
de  prévenir  ce  coup  ou  d'y  tenir  tête  en  faisant  appel 
aux  ressources  du  parti  protestant.  D'autre  part,  si  on  le 
contraignait  à  résigner  toutes  ses  charges,  cet  homme  d'une 
activité  si  puissante  ne  voyait  plus  devant  lui  que  la  perspec- 
tive décourageante  d'aller  jouir,  dans  la  retraite,  de  ces 
grands  biens  dont  il  était  impossible,  malgré  les  rancunes  et 
les  convoitises,  de  contester  la  légitime  possession.  Or  c'est 
à  la  dernière  extrémité  seulement  qu'il  voulait  se  résigner  à 
cette  existence. 

Aussi  chercha-t-il  à  se  faire  accepter  de  la  nouvelle  cour 
et  à  s'apprivoiser  à  l'égard  de  tous,  sachant  qu'il  ne  pouvait 
plus  traiter  les  grands  d'aussi  haut  que  sous  le  règne  précé- 
dent. De  son  côté,  la  reine  dissimula  ses  véritables  senti- 
ments et  se  mit  à  combler  Sully  de  marques  de  prévenances. 
Il  était  cependant  impossible  que  se  maintînt  cette  union 
apparente,  où  d'aucun  côté  les  concessions  n'étaient  sin- 
cères. 

Sully,  habitué  sous  le  règne  de  Henri  IV  à  traiter  les 
affaires  en  tête  à  tête  avec  le  roi,  pensait  que  cette  manière 
de  procéder  arriverait  à  le  rendre  maître  de  l'esprit  de  la 

I.  Matteo  Botti,  3o  juin  i(Jio. 


LE    Dl'C    DE    SULLY.  J\ 

reine.  Marie  de  Médicis  était  fort  ignorante  et  d'un  esprit 
peu  ouvert.  Ses  conseillers  intimes,  Concini,  sa  femme, 
l'avocat  Dolé,  tous  ceux  qui  composaient  ce  que  L'Estoile 
appelle  le  ^  conseil  de  la  petite  écritoire  '»,  par  opposition 
au  «  conseil  de  faste  et  de  mine  »,  comme  dit  Sully, 
redoutèrent  les  artifices  de  Fhabile  surintendant.  C'est  dans 
leurs  manœuvres  pour  les  déjouer  qu'il  faut  chercher 
l'explication  d'une  scène  qui  n'a  laissé  de  traces  que  dans  la 
dépêche  d'Andréa  Cioli  du  2  juillet  1610.  La  veille  de  ce 
jour,  Sully  demanda  à  la  régente  si  elle  voulait  qu'il  lui  rendit 
ses  comptes.  La  reine  fronça  le  sourcil  et  lui  répondit  :  «  Ce 
n'est  pas  le  moment  ».  Peu  de  temps  après,  Sully  s'étant 
trouvé  devant  elle  en  présence  des  principaux  ministres  et  du 
cardinal  de  Joyeuse,  la  reine  lui  dit  d'un  air  sévère  :  «  xMon- 
sieur  de  Sully,  voici  le  moment  de  parler  de  comptes,  et  non 
pas  quand  je  suis  seule.  —  Madame,  reprit  le  surintendant, 
pardonnez-moi;  je  ne  suis  pas  venu  préparé,  mais  je  vien- 
drai une  autre  fois  au  premier  signe  de  Votre  Majesté  '.  » 

Confiné  dans  l'exercice  officiel  et  public  de  ses  fonctions, 
Sully  allait-il  les  conserver  dans  leur  intégralité?  C'est  une 
question  qui  ne  tarda  pas  à  se  poser.  Le  trésorier  de  l'épargne 
ayant  informé  la  reine  qu'il  avait  en  caisse  200000  écus, 
demanda  s'il  devait,  suivant  l'usage,  les  déposer  à  la  Bas- 
tille. La  reine  lui  répondit  négativement  et  ajouta  qu'elle 
lui  ferait  savoir  ses  intentions.  Ainsi  Marie  de  Médicis  et 
son  entourage  n'étaient  pas  fâchés  de  mettre  à  profit  l'expé- 
rience et  la  dextérité  de  Sully,  mais  à  la  condition  qu'il  ne 
fût  plus  qu'un  simple  agent  et  que  la  reine  demeurât  libre 
de  disposer  à  son  gré  de  ces  réserves  de  la  Bastille,  que 
Henri  IV  avait  toujours  laissé  protéger  par  le  surintendant 
capitaine  de  la  forteresse  contre  ses  propres  tentations  sou- 
vent si  violentes.  La  reine  s'enhardit  peu  à  peu  dans  cette 
voie.    Peu  de  jours   après  la  première  scène,  le  cardinal 

I.  Andréa  Cioli,  2  juillet  1610. 


■Jl  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII, 


Gondi,  évoque  de  Paris,  et  l'ambassadeur  florentin  Cioli 
se  réjouirent  en  commun  que  les  paroles  de  la  reine  et  la 
première  manifestation  de  sa  volonté  eussent  abattu  l'or- 
gueil de  Sully.  Le  cardinal  se  plut  même  à  raconter  une 
nouvelle  explication  dont  il  avait  été  le  témoin  :  Sully  se 
trouvait  dans  le  cabinet  de  la  reine  avec  les  autres  ministres  ; 
la  régente  fît  venir  le  trésorier  de  l'épargne  et,  se  tournant 
vers  le  surintendant:  «  Monsieur  de  Sully,  lui  dit-elle,  vous 
trouverez  bon  qu'à  l'avenir  le  trésorier  ne  fasse  plus  aucun 
paiement  sans  mon  ordonnancement  ou  celui  des  ministres, 
comme  c'était  autrefois  l'habitude;  et  j'entends  que,  du 
haut  en  bas,  vous  obéissiez,  comme  il  convient  de  le  faire. 
—  Madame,  lui  répondit  Sully,  jusqu'à  cette  heure  j'ai  eu 
plutôt  l'occasion  de  causer  des  mécontentements,  et  main- 
tenant je  n'aurai  plus  les  moyens  de  faire  plaisir  à  personne  ; 
de  la  sorte  j'endosserai  toutes  les  haines  sans  qu'il  me  reste 
aucun  espoir  de  me  faire  des  amis;  et  sans  doute,  en  m'en- 
levant  l'autorité,  Votre  Majesté  a  l'intention  de  me  signifier 
mon  congé.  —  Nous  ne  vous  donnons  pas  votre  congé, 
reprit  la  reine;  nous  ne  voulons  pas  non  plus  que  vous 
serviez  par  force;  mais  il  est  bien  juste  que  l'intérêt  de  notre 
fils  et  du  royaume  passe  avant  le  vôtre  ^  >» 

Sully  n'était  pas  aussi  orgueilleux  qu'on  l'a  prétendu;  dans 
cette  circonstance  au  moins  il  étouffa,  en  considération  de 
l'intérêt  public,  le  juste  ressentiment  qu'il  aurait  pu  con- 
cevoir d'être  ainsi  traité  par  la  veuve  de  Henri  IV.  Quoi 
qu'il  en  eût  dit  d'ailleurs,  le  surintendant  ne  manquait  pas 
d'amis.  Le  duc  de  Guise  s'interposa  et  Ton  adopta  un  com- 
promis qui  ménagea  l'amour-propre  de  Sully.  On  avait 
voulu  donner  comme  cosisinataires  des  mandats  aux  tré- 
soriers  le  secrétaire  d'État  Villeroy  et  le  duc  de  Bouillon. 
Ce  projet  fut  écarté,  grâce  à  l'influence  du  duc  de  Guise. 
Il  fut  décidé  que  Bouillon  et  Villeroy  assisteraient  la  reine 

1.  Andréa  Cioli,  5  juillet  1610. 


LK    DUC    DE    SULLY.  /S 

quand  on  traiterait  de  finances  au  conseil.  La  reine  ordon- 
nerait, Sully  signerait  seul  les  actes  *. 

Rétabli  à  peu  près  dans  la  môme  situation  que  sous  le  règ[ie 
précédent,  Sully,  plein  de  cette  activité  et  de  cet  esprit  de 
prévoyance  qu'il  possédait  au  plus  haut  degré,  mit  sous  les 
yeux  de  la  reine  un  état  des  finances,  où  il  présentait  les 
revenus  du  royaume  comme  s'élevant  à  la  somme  de  dix  mil- 
lions d'écusd'or;  il  indiquait  le  projet  de  racheter  dans  quel- 
ques années  des  terres  aliénées  du  domaine  royal  et  d'élever 
ainsi  les  revenus  à  quatorze  millions  ^ 

Promettre  de  rétablir  l'ordre  dans  les  finances,  laisser 
entrevoir  à  Marie  de  Médicis  un  accroissement  dans  les 
revenus  de  l'Etat,  c'était  de  la  part  de  Sully  faire  entendre 
qu'il  continuait  à  prendre  au  sérieux  ses  fonctions  et  qu'il 
comptait  sur  l'avenir.  Mais  pouvait-il  compter  sur  la  reine  ? 

Les  difficultés  de  tout  genre  auxquelles  la  régente  se 
trouvait  en  butte  deux  mois  à  peine  après  la  mort  de 
Henri  IV  font  l'objet  d'une  dépêche  vive  et  piquante  de 
l'ambassadeur  Cioli  '\  Nous  y  trouvons  des  renseignements 
fort  utiles  sur  la  situation  respective  de  la  reine  et  de  Sully. 
Le  matin  du  ii  juillet  il  alla  voir  la  reine.  Marie  de  Médicis 
se  promena  avec  lui,  en  causant  d'affaires,  dans  son  petit 
cabinet;  il  y  faisait  une  chaleur  torride  et  la  reine  se  plai- 
gnait d'un  fort  mal  de  tête.  Elle  fit  descendre  l'envoyé 
florentin  dans  les  chambres  d'en  bas  et  lui  demanda  des 
nouvelles  de  sa  famille.  Cioli  lui  remit  une  longue  lettre 
de  ce  malheureux  Luigi  Bracci,  qui  implorait  de  loin  sa 
clémence.  La  reine  la  lut  tout  entière  et  ne  répondit  rien 
sur  son  contenu.  Cioli  désirait  évidemment  avoir  un  entre- 


1.  Scip.  Ammirato,  i5  juillet  iGio.  Sully  fait  allusion  à  cette  déci- 
sion, quand  il  dit  :  «  Il  avait  été  advisé  que  jusqu'à  ce  qu'autrement 
en  eust  été  ordonné,  vous  continueriez  à  faire  votre  charge  des 
finances,  comme  vous  aviez  nccoustumé  du  temps  du  feu  roi  ».  {Éco- 
nomies royales,  p.  Sgj,  col  i.) 

2.  Scip.  Ammirato,  i5  juillet  1610. 

3.  Andréa  Cioli,  i3  juillet  1610. 


7_j.  LA    MINORITE    DK    LOUIS    XIII. 

tien  politique  avec  la  régente.  Il  rentra  chez  lui  déjeuner, 
se  reposa  un  peu  et  sortit  de  nouveau,  quoiqu'il  fût  déjà 
presque  le  soir,  pour  aller  une  autre  fois  au  Louvre.  Près 
du  Pont-Neuf,  il  rencontra  le  jeune  lieutenant  aux  chevau- 
légers  d  Elbène,  qui  était  en  carrosse  avec  quelques  amis. 
Cet  officier,  d'origine  italienne  et  qui  était  fort  bien  en  cour, 
dit  à  l'ambassadeur  que  s'il  allait  au  Louvre,  il  n'y  trou- 
verait personne,  parce  que  la  reine  était  sortie;  mais  s'il 
voulait  se  promener  avec  lui,  le  lieutenant  offrait  de  l'ac- 
compagner aussi  à  cheval,  car  sa  monture  suivait.  Cioli 
accepte:  les  deux  cavaliers  prennent  la  route  des  faubourgs, 
et  quittent  la  région  habitée  afin  de  pouvoir  causer  plus 
à  l'aise.  D'Elbène  dit  à  son  compagnon  qu'il  sortait  de  la 
maison  du  président  Jeannin,  et  Cioli  se  met  en  demeure 
de  recueillir  ses  confidences  :  «  C'est  avec  beaucoup  de 
plaisir,  lui  dit,  pour  commencer,  le  lieutenant,  que  j'ai  vu 
la  satisfaction  que  la  reine  et  toi  vous  êtes  mutuellement 
donnée  aujourd'hui.  C'est  qu'en  vérité,  dans  tout  ce  qu'elle 
entend,  la  pauvre  princesse,  il  n'y  a  que  sujets  d'ennuis  et 
de  mécontentements.  Tous  ces  princes  la  crucifient  petit  à 
petit;  ils  voudraient  lui  enlever  l'autorité  et  se  rendre  maî- 
tres chacun  des  gouvernements  qu'elle  a  ;  dans  leurs  immo- 
dérées et  indéUcates  demandes  et  de  charges  et  de  pen- 
sions, ils  ne  se  rassasient  jamais.  Tu  sais  ce  que,  dès  le 
commencement,  a  fait  Soissons,  lui  qui  s'était  d'abord, 
lorsqu'il  revint  du  dehors,  après  la  mort  du  roi,  montré  si 
plein  d'humilité;  lui  qui  avait  fait  mine  de  n'avoir  d'autre 
intérêt,  ni  d'autre  pensée  que  le  service  et  la  satisfaction 
de  la  reine!  Sa  Majesté  s'est  pendant  quelque  temps  tenue 
très  ferme  sur  la  négative,  lorsque  d'un  seul  coup  il  a 
demandé  tant  et  de  si  grandes  choses;  car  elle  a  répondu  à 
un  gentilhomme  du  comte  qui  lui  en  parlait,  que  celui-ci 
aurait  plutôt  son  propre  sang  que  tout  ce  qu'il  deman- 
dait sans  aucune  mesure.  Et  malgré  tout,  ensuite,  je  ne 
sais  comment,  ni  par  linfluence  de  qui,  il  a  fallu  que  la 


LE    DUC    DE    SULLY.  7 3 

reine  en  vînt  à  lui  concéder  des  choses  exorbitantes  et  qui  lui 
donneront  bien  du  fil  à  retordre.  Tu  verras  maintenant  quelles 
seront  les  prétentions  du  prince  de  Condé,  premier  prince  du 
sang,  qui,  non  sans  raison,  doit  avoir  plus  que  les  autres. 
Et  Guise  aussi  veut  des  choses  extravagantes.  Vois-tu,  nous 
autres  Français,  nous  avons  laissé  se  gâter,  depuis  nos  der- 
nières guerres  intestines,  la  bonté  prim.itive  de  notre  nature  ; 
nous  sommes  devenus  incontentables  et  insolents.  Si  on  nous 
tend  un  doigt,  nous  voulons  peu  après  la  main,  et  puis  le 
bras,  l'épaule,  la  tête,  et  enfin  la  personne  entière;  d'où  il 
s'ensuit  que,  plus  la  reine  donnera,  et  plus  elle  sera  moles- 
tée par  les  demandes.  Si  elle  n'avait  rien  donné,  elle  aurait 
mal  fait;  car  elle  n'aurait  pu  se  maintenir;  aussi  est-il  néces- 
saire qu'elle  trouve  un  moyen  terme,  qu'elle  fasse  des  con- 
cessions qui  n'aillent  pas  trop  loin  et  qu'elle  ne  se  lasse  pas 
de  donner  de  bonnes  paroles.  »  La  conversation  tomba 
ensuite  sur  le  surintendant,  et  c'est  ici  que  nous  saisissons 
les  motifs  qui  avaient  décidé  la  régente  à  battre  une  seconde 
fois  en  retraite  devant  le  duc  de  Sully. 

D'Elbène  rapporta  que  d'importantes  considérations 
avaient  contraint  la  reine  à  se  calmer  pour  le  moment  rela- 
tivement à  la  limitation  des  pouvoirs  de  Sully.  «  Le  surin- 
tendant était  résolu,  dit-il,  à  n'y  consentir  en  aucune  façon, 
et  il  y  était  déterminé  par  les  conseils  de  puissants  auxi- 
liaires. Sa  Majesté  a  dû  tenir  compte,  non  seulement  de 
cette  difficulté,  mais  de  ce  fait  qu'il  a  pendant  de  si  longues 
années  manié  les  finances,  c'est-à-dire  une  somme  d'en- 
viron douze  ou  quatorze  millions  d'écus  d'or  par  an,  sans 
avoir  jamais  eu  l'obligation  de  rendre  compte  d'un  sou. 
C'est  une  chose  inouïe,  qui  n'a  jamais  été  accordée  à  per- 
sonne. M.  de  Sully  a  tellement  modifié  et  bouleversé  les 
pratiques  anciennes  que  le  plus  habile  homme  du  monde 
ne  parviendrait  pas  en  deux  années  à  débrouiller  l'éche- 
veau.  »  D'Elbène  insinua  de  plus  que  le  surintendant  n'avait 
pas  amassé  moins  de  deux  millions  d'écus  d'or  et  dit  que, 


^6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

si  on  lui  enlevait  l'autorité  et  le  maniement  des  finances, 
il  courrait  grand  risque  de  voir  ceux  qu'il  avait  mécon- 
tentés, découvrir  ses  malversations  et  ses  extorsions,  et 
que,  par  conséquent,  il  aimerait  mieux  perdre  la  vie  que  de 
se  laisser  retrancher  quoi  que  ce  fût  dans  l'administration 
des  deniers  publics.  «  Il  a  tous  les  hérétiques  pour  lui,  dit- 
il  en  terminant;  car  il  s'est  remis  avec  le  duc  de  Bouillon  ', 
dès  qu'il  a  su  ce  dont  il  était  question  contre  lui.  Il  aura 
Guise  et  tous  les  princes;  car  c'est  lui  qui  leur  règle  leurs 
pensions.  En  donnant  à  l'un  ou  à  l'autre  un  peu  plus  qu'il 
ne  leur  devait,  il  se  les  est  obligés;  et  maintenant  il  pourrait 
les  obliger  eux  et  d'autres  bien  plus  et  mieux  encore  en 
agissant  de  la  même  façon,  parce  qu'il  fait,  de  sa  propre 
autorité,  tout  ce  qu'il  veut  et  qu'il  n'y  a  pas  moyen  d'ob- 
tenir la  revision  de  ses  comptes.  » 

Le  duc  de  Guise  servait  en  effet  résolument  d'appui  au 
surintendant;  un  jour  que  la  reine  se  promenait  dans  le 
jardin  des  Tuileries,  s'appuyant  sur  M.  de  Châteauvieux, 
son  chevalier  d'honneur,  et  sur  Concini,  Guise  pria  ce  der- 
nier de  lui  céder  sa  place.  Châteauvieux  resta  de  l'autre 
côté,  jusqu'au  moment  où  il  sentit  que  le  duc  allait  aborder 
de  graves  sujets;  il  s'écarta  alors,  mais  pas  assez  pour  ne  pas 
très  bien  entendre  tout  ce  qui  fut  dit,  de  manière  à  le  rap- 
porter à  son  ami  d'Elbène,  si  expansif  à  son  tour  vis-à-vis  de 
notre  ambassadeur,  auquel  nous  devons  le  dernier  écho'de  ces 
indiscrétions  :  <(  Madame,  dit  le  duc  de  Guise  à  la  reine,  en 
échange  de  tout  ce  que  j'ai  fait,  et  de  tout  ce  que  je  serai 
toujours  prêt  à  faire  pour  le  service  de  Votre  Majesté  et  du 
roi  son  fils,  mon  seigneur,  en  exposant,  au  besoin,  mille 
fois  le  jour,  ma  vie  pour  eux,  je  me  laisserais  facilement 
aller  à  croire,  considérant  surtout  son  extrême  bonté,  que 

I.  Cf.  Lettres  de  Malherbe  à  Peiresc  :  «  M.  de  Bouillon  doit  donner 
demain  le  nom  à  un  fils  de  M,  de  Sully.  Ils  avaient  été  brouillés,  mais 
les  ministres,  pour  l'intérêt  de  leurs  églises,  les  ont  si  bien  récon- 
cilies qu'ils  ne  furent  jamais  si  bien.  »  —  Œuvres  de  Malherbe,  édit. 
Lalanne,  t.  III,  p.  194.  —  L'Estoile,  t.  X,  p.  277. 


LE    DUC    DE    SULLY.  'J'J 

Votre  Majesté  me  sait  gré  de  cet  absolu  dévouement  et 
qu'elle  est  disposée  \\  m'en  donner  des  signes  effectifs,  ce  qui 
est  certainement  son  intention;  mais  je  sais  tout  le  tort  que 
me  font  auprès  d'elle  Soissons,  le  chancelier  et  Villeroi.  Or 
je  déclare  que,  s'ils  continuent,  comme  je  ne  suis  pas  d'hu- 
meur à  supporter  longuement  une  aussi  grave  injure,  je  me 
verrai,  en  fin  de  compte,  forcé  d'en  montrer  mon  ressenti- 
ment d'une  autre  façon  que  je  ne  le  fais  en  ce  moment  vis- 
à-vis  de  Votre  Majesté.  Il  est  bien  vrai  qu'en  ce  qui  touche 
le  premier,  comme  il  est  prince  du  sang,  je  dois  lui  porter 
quelque  respect;  quant  aux  deux  autres,  je  ne  puis  pro- 
mettre de  me  comporter  vis-à-vis  d'eux  de  la  même  façon. 
Peut-être  cependant  serais-je  homme  à  dissimuler  avec  une 
plus  longue  patience  mon  légitime  mécontentement,  pour 
ne  pas  être  désagréable  à  Votre  Majesté,  si  en  définitive 
il  n'y  avait  en  jeu  que  ma  personne.  Mais,  comme  j'ai 
l'habitude  de  prendre  plus  à  cœur  les  intérêts  de  mes  amis 
que  les  miens,  je  ne  supporterai  jamais,  quoi  qu'il  puisse 
arriver,  qu'il  soit  fait  le  moindre  déplaisir  à  Sully,  qui  est 
mon  ami,  et  auquel  j'ai  les  plus  grandes  obligations.  » 

La  reine  cacha  son  embarras  sous  des  paroles  évasives; 
elle  assura  le  duc  de  Guise  qu'aucun  de  ceux  qu'il  avait 
nommés  ne  lui  avait  rendu  de  mauvais  services.  Elle  garda 
le  silence  à  propos  de  Sully  qui  n'avait  point  réussi,  paraît-il, 
à  gagner  la  bienveillance  de  Concini.  L'annonce  du  retour  du 
prince  de  Condé,  motif  d'espoir  pour  quelques-uns,  et  d'in- 
quiétude pour  beaucoup  d'autres,  tenait  en  suspens  toutes 
les  décisions  et  rendait  incertain  le  groupement  des  partis  *. 

I.  lo  so  clie  prima,  per  alciine parole  gravi  dette  da  S.  3/"  a  Sougli, 
che  credo  di  havere  scritte  con  altre,  egli  diibitando  che  ne  fosse 
cagione  il  sig^  Concino  mandi  ter^^e  persone  che  per  via  del  Sig'  Fi- 
lippo  Gondi  cercassino  di  rendergli  benevolo  detto  sig""  Concino,  et 
perché  poi  doveite  veder  procedersi  a  maggior  rigore,  ecco  le  armi 
contrarie  che  prese;  ma  è  ben  vero  che  hora  ogni  cosa  con  tutti  et 
frà  tutti  sta  impiastrata,et  ad  altro  non  si  attende  hora  che  alla  venuta 
del  sig^  Principe  di  Condè,  che  deve  entrare  in  questa  Città  venerdi 
prossimo.  —  Andréa  Cioli,  i3  juillet  1610. 


IV 


LE  PRINCE  HEiNRI  II  DE  CONDE 


Inimitié  ancienne  de  Sully  et  du  prince  de  Condé.  —  Le  prince 
demande  à  rentrer  en  France.  —  Sa  mère  négocie  avec  la  reine.  — 
Difficultés  que  rencontrent  les  tentatives  de  réconciliation  entre 
Conde  et  si   femme.  —  La  reine  fait  passer  de  l'argent  au  prince. 

—  Rentrée  de  Condé  dans  Paris  au  milieu  d'un  grand  concours 
de  noblesse.  —  Son  attitude  humble  et  soumise  au  Louvre.  —  Agi- 
tation dans  Paris.  —  Craintes  mal  fondées  d'une  nouvelle  Saint- 
Barthélémy.  —  Scandale  du  cortège  fait  aux  princes  et  de  l'isole- 
ment du  roi.  —  Avertissements  sévères  donnes  par  la  régente.  — 
Elle  remet  sur  pied  les  deux  compagnies  de  gentilshommes  au 
bec  de  corbin.  —  Rapprochement  de  Sully  et  du  prince  de  Condé. 

—  Conférence  de  l'Arsenal.  —  Modération  relative  des  exi?;ences  de 
Conde.  —  Sa  reconciliation  avec  sa  femme.  —  Attitude  nouvelle 
du  prince  de  Condé  dans  le  conseil.  —  Reprise  de  la  mésintelli- 
gence entre  le  prince  de  Condé  et  le  comte  de  Soissons,  à  propos 
de  l'adjudication  de  la  terre  de  Nogent-le-Rotrou.  —  Nouvelles 
faveurs  accordées  au  comte  de  Soissons.  —  Progrès  des  exigences 
et  de  l'avidité  de  Condé.  —  Marche  envahissante  du  favori  Concini. — 
Mécontentement  de  Villeroy  qui  s'absente  de  la  cour.  —  Le  déjeuner 
de  Contians.  —  Concini  achète  le  marquisat  d'Ancre,  les  gouver- 
nements de  Péronne,  Roye  et  Montdidier  et  une  charge  de  premier 
gentilhomme  de  la  chambre.  —  Rôle  de  Sully  dans  ces  tripotages 
politiques  et  financiers.  —  Le  prince  de  Condé  tenu  en  échec. 


La  rentrée  en  scène  de  l'exilé  volontaire,  dont  la  fuite  avec 
sa  femme  à  l'étranger  n'avait  pas  été  sans  excuses,  mais  qui 
avait  compromis  sa  cause  par  une  entente  coupable  avec 
les  Espagnols  et  par  les  éclats  odieux  de  sa  joie  à  la  nou- 
velle du  crime  de  Ravaillac,  reçue  à  Milan  au  milieu  d'of- 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  79 

ficiers  du  roi  Philippe  III ,  ne  semblait  pas  de  nature  à 
servir  les  intérêts  du  surintendant  Sully.  En  effet,  dans  un 
manifeste  que  le  prince  avait  lancé  de  l'étranger  pour  expli- 
quer les  causes  de  son  éloignement,  il  avait  pris  vivement 
à  partie  le  duc  de  Sully  ^  Quelle  part  allait-il  revendiquer 
dans  le  gouvernement?  Quelle  conduite  allait-il  tenir  vis-à- 
vis  de  celui  qu'il  traitait  la  veille  en  ennemi  personnel? 
C'est  ce  que  l'on  se  demandait  pour  des  raisons  très 
diverses,  à  la  cour  de  France,  au  commencement  de 
juillet  1610. 

L'absence  du  prince  de  Condé,  au  moment  de  l'assas- 
sinat de  Henri  IV,  avait  été  une  bonne  fortune  pour  la 
reine  mère.  Lui  seul  aurait  été  assez  qualifié  comme  pre- 
mier prince  du  sang  pour  faire  opposition  à  l'établissement 
de  la  régence,  telle  qu'elle  avait  été  instituée.  Sa  position 
de  rebelle,  réfugié  chez  les  ennemis  de  la  France,  lui  inter- 
disait toute  protestation,  à  moins  qu'il  ne  voulût  ou  prêter 
les  mains  à  la  guerre  étrangère,  ou  se  voir  définitivement 
fermer  les  portes  de  son  pays.  La  situation  internationale, 
non  moins  que  le  souci  bien  entendu  de  son  intérêt,  ren- 
gagea à  regagner  par  habileté  une  partie  des  avantages  que 
son  éloignement  lui  avait  fait  perdre. 

Le  prince  de  Condé  écrivit  à  la  reine  qu'il  désirait  venir 
reconnaître  son  autorité  et  lui  rendre  obéissance  comme  à 
sa  maîtresse.  L'intermédiaire  de  ce  rapprochement  désiré 
avec  la  reine  régente  était  la  vieille  princesse  de  Condé, 
qui  portait  à  Marie  de  Médicis  les  lettres  de  son  fils  et  les 
commentait  avec  passion  et  humilité  '.  La  reine  prit  la  réso- 
lution de  laisser  revenir  le  prince.  Parti  de  Milan,  il  était 
arrivé  en  Flandre  et  de  là  écrivit  à  ses  parents  pour  leur 
demander  ce  qu'il  devait  faire;  en  même  temps  il  prenait 

1.  Lettre  en  forme  de  manifeste  de  M.  de  Condé  à  tous  les  princes, 
prélats,  seigneurs  et  gentilshommes  de  France  sur  son  absence  et  éloi- 
gnement de  la  cour,  1609,  publiée  dans  la  Revue  rétrospective  de  1 833, 
t.  I,  p.  304. 

2.  Matteo  Botti,  19  juin  16 10. 


8o  LA    MINORITK    DE    LOUIS    XIM. 

conseil  du  duc  de  Bouillon.  L'ambassadeur  d'Espagne  en 
France  offrit  d'écrire  à  son  collègue  des  Pays-Bas  pour  le 
prier  de  s'entremettre  en  vue  du  rapatriement  de  Condé. 
Marie  de  Médicis,  consultée  à  cet  égard  par  l'ambassadeur 
Botti,  repoussa  la  proposition.  Cette  protection  d'un  prince 
français  insoumis,  s'étendant  jusqu'en  France  même,  lui 
parut  à  juste  titre  inadmissible;  elle  n'en  était  pas  encore 
arrivée  à  suivre  aveuglément  la  politique  tout  ultramontaine 
de  l'agent  Botti.  La  question  du  retour  de  M.  le  prince 
n'allait  pas  d'autre  part  sans  quelque  complication  relative 
à  ses  rapports  avec  la  princesse.  Or  Charlotte  de  la  Tré- 
mouille,  fort  empressée  de  rapprocher  la  reine  régente  et  le 
premier  prince  du  sang,  montrait  beaucoup  moins  de  zèle 
pour  amener  la  réconciliation  du  mari  et  de  la  femme.  Elle 
prenait  plaisir  à  envenimer  une  situation  déjà  grave  en  écri- 
vant à  son  fils  que,  jusqu'au  dernier  moment,  la  princesse 
s'était  prêtée  aux  désirs  du  roi  *.  Elle  répandait  à  Paris  le 
bruit  du  prochain  divorce  de  son  fils  et  d'un  projet  de 
convoi  avec  une  fille  du  duc  du  Maine  ou  de  Mayenne. 
C'était,  en  somme,  une  belle-mère  très  désireuse  de  re- 
prendre son  fils  pour  elle  seule.  Mais  la  jalousie  maternelle 
n'était  pas  seule  à  l'inspirer  :  des  intérêts  plus  positifs  dic- 
taient sa  conduite. 

Le  prince  de  Condé  arriva  à  Bruxelles  le  soir  du 
19  juin  léio;  il  alla  le  lendemain  à  la  résidence  de  Mari- 
mont  présenter  ses  hommages  à  l'archiduc  Albert  et  à  l'in- 
fante Isabelle-Claire-Eugénie,  et  s'en  retourna  le  soir  même 
à  Bruxelles  sans  vouloir  voir  sa  femme,  qui  était  chez  l'ar- 
chiduc et  l'archiduchesse.  Il  avait  cependant  écrit  au  con- 
nétable «  qu'il  protestait  d'oublier  entièrement  la  simplicité 
d'esprit  de  sa  femme  à  se  laisser  surprendre  jusqu'aux 
termes  où  elle  avait  été  ».  Dans  une  autre  lettre  à  la 
duchesse  d'Angoulême  il  avait  déclaré  «  qu'il  n'en  donnait 

I.  D'AuMALE,  Hist.  des  princes  de  Condéf  t.  H,  p.  34C. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DK    CONDÉ.  8l 

la  faute  à  personne  qu'à  ceux  et  à  celles  qui  si  méchamment 
avaient  circonvenu  sa  jeunesse  »,  et  ajoutait  :  «  Une  saincte 
Thérèse  et  les  plus  relligieuses  vierges  du  monde  eussent 
succombé  à  tant  de  persuasions;  ce  qui  faict  que  je  pardonne 
librement  à  sa  simplicité,  et  ne  veux  laisser  pour  cella  de 
Taymer  et  chérir  comme  Dieu  et  la  raison  me  commandent. 
J'espère  qu'ayant  esté  une  heure  avec  elle  de  lui  remettre 
sy  bien  l'esprit  qu'elle  et  moy  en  demeurerons  contens  ^  » 
Pourquoi  ce  brusque  revirement  dans  les  sentiments  et 
la  conduite  du  prince?  «■  La  cause  de  cette  attitude,  écrit 
Scipione  Ammirato,  est,  affîrme-t-on,  celle-ci  :  pendant 
que  le  prince  était  en  Italie,  elle  a  introduit  auprès  de  Leurs 
Altesses  des  Pays-Bas  une  requête  dans  laquelle  elle  se 
plaignait  de  la  façon  dont  elle  était  traitée  par  son  mari, 
et  demandait  que  l'on  prononçât  le  divorce  entre  eux. 
Dieu  sait  par  qui  ou  par  quoi  elle  a  été  poussée  à  cette 
démarche  ^!  »  Malherbe  paraît  mieux  savoir  à  quoi  s'en 
tenir  sur  ce  dernier  point.  «  L'on  dit  que  c'a  été  par  com- 
mandement du  père,  écrit-il  à  Peiresc  ;  le  père  dit  qu'il  l'a 
fait,  de  la  peur  qu'il  avait  que  sa  fille  n'allât  en  Espagne. 
Voilà  comme  l'on  en  parle;  ce  sont  choses  de  grands  où  les 
petits  n'ont  que  voir;  ils  s'accorderont  et  nous  demeurerons 
leurs  serviteurs  '.  »  Les  choses  n'étaient  pas  encore  aussi 
avancées,  bien  que,  de  tojs  les  côtés,  on  cherchât  à  aplanir 
la  voie  d'une  réconciliation  désirable.  «  On  croit  bien,  écrit 
Matteo  Botti,  que  le  prince  finira  par  se  raccommoder  avec 
sa  femme,  bien  que  jusqu'à  présent  il  n'ait  pas  voulu  la  voir; 
mais  le  marquis  Spinola,  dont  il  est  Thôte,  s'emploie  très 
activement  à  cette  œuvre.  La  reine,  qui  sait  que  le  marquis 
est  amoureux  de  la  princesse,  m'a  dit  qu'elle  ne  pensait  pas 
que  cela  fût  vrai,  à  cause  de  cette  considération  *.  » 

1.  D'AuMALE,  Histoire  des  princes  de  Condé,  t.  II,  p.  Syô. 

2.  Scip.  Ammirato,  24  juin  1610. 

3.  Malherbe,  t.  III,  p.  184. 

4.  5i  crede  bene  che  si  habbia  a  riconciliar  cou   la  mogîie,  se  ben 
fin  a  hora  non  l  lu  voluta  vedere;  ma  il  marchese  Spinola  che  Vallogia 

6 


8'2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Qiioi  qu'il  en  soit,  l'insistance  des  gouvernants  des  Pays-Bas, 
celles  du  connétable,  ne  produisirent  pour  le  moment  aucun 
effet  sur  le  prince  de  Condé.  Avant  de  quitter  la  Flandre, 
il  déclara  à  l'archiduc  que  non  seulement  il  ne  voulait  pas 
voir  la  princesse,  mais  qu'il  lui  refusait  la  permission  de 
venir  le  retrouver.  «  Il  espérait  bien,  dit-il,  que  ni  le  roi 
d'Espagne,  dont  il  pensait  être  l'obligé,  ni  Son  Altesse,  ni 
davantage  en  France  Sa  Majesté,  ne  le  violenteraient  pour 
retourner  avec  la  princesse,  affirmant  qu'il  ne  se  réconcilie- 
rait jamais  avec  elle  et  qu'il  ne  la  voulait  plus  pour  femme  \  » 
D'où  il  était  facile  de  conclure  avec  le  secrétaire  Scip. 
Ammirato  qu'ils  ne  se  réconcilieraient  point  ou  qu'il  faudrait 
pour  y  arriver  «  suer  sang  et  eau  ».  La  princesse  de  Condé 
dut  se  décider  à  revenir  «  séparément  Qt  per  aliam  viam  '  ». 

Quant  au  prince,  il  put  voir  quelle  importance  on  atta- 
chait à  son  retour,  dès  que  la  nouvelle  en  devint  officielle. 
Le  comte  de  Soissons  envoya  immédiatement  un  de  ses 
gentilshommes  à  Bruxelles  pour  inviter  Condé  à  venir  loger 
dans  sa  maison  ^,  qui  était  l'ancien  hôtel  de  Catherine  de 
Médicis  et  qu'il  avait  eue,  disait-on,  «  pour  un  morceau  de 
pain  ».  D'un  autre  côté,  le  prince  de  Conti  et  le  duc  de 
Guise  lui  écrivirent  qu'ils  se  porteraient  à  sa  rencontre  pour 
lui  offrir  leurs  services  jusqu'à  la  frontière,  entre  Péronne 
et  Cambrai.  Le  gouvernement  fit  tous  ses  efforts  pour 
empêcher  le  prince  de  «  se  partiaHser  ».  On  lui  envoya 
sous  main  de  l'argent  *.  Sully  avait  en  effet  reçu  Tordre  de 

dicono  ci  faccia  buonissimi  ufiz'i,  seben  la  regina  che  sa  che  egli  e  ina- 
morato  di  lei,  mi  ha  detto  che  non  lo  crede  per  qiiesto  rispetto.  —  Matteo 
Botti,  3o  juin  1610. 

1.  Scip.  Ammirato,  10  juillet  1610. 

2.  Ibidem. 

3.  L'hôtel  de  Soissons,  devenu  plus  tard  la  Halle  aux  blés  et  aujour- 
d'hui la  Bourse  du  travail. 

4.  A  Conde  ancora  si  e  mandata  de  danari  sotto  mano,  accio  si 
habbia  a  obligar  meno  a  altri,  essendoci  molti  che  gl'hanno  fatti  gran- 
dissime offerte  e  che  gli  sono  andati  incontro  un  pe:^:^o  innan:^i,  e  fra 
cutti  si  stima  che  sieno  piu  di  dugento  gentilhiiomini^  si  come  si 
tonosce  che  hara  un  grandissimo  concorso  di  nobilta  alla  sua  venuta, 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDÉ.  83 

lui  offrir  loo  ooo  écus  pour  payer  ses  dettes  et  parer  à  ses 
premiers  besoins  ^  Condé  se  tint  alors  sur  la  réserve.  Il 
refusa  l'offre  de  Soissons  et  fit  louer  pour  le  prix  de 
4000  francs  l'hôtel  de  Gondi  au  faubourg  Saint-Germain, 
bien  que  la  reine  eût  préféré  qu'il  établît  sa  résidence  dans 
l'intérieur  des  murs  ".  Quant  au  duc  de  Guise,  Condé  se 
retrancha,  pour  décliner  l'honneur  qu'il  voulait  lui  faire, 
derrière  l'inimitié  ancienne  qui  existait  entre  la  maison  de 
Lorraine  et  celle  du  connétable,  beau-père  du  prince. 

A  peine  Condé  eut-il  mis  le  pied  sur  le  sol  français 
(12  juillet)  qu'il  envoya  un  secrétaire  à  la  reine  pour  lui 
dire  en  toute  humilité  qu'il  ne  venait  en  France  qu'avec  la 
pensée  d'obéir  à  Sa  Majesté  et  de  la  servir  et  qu'il  n'avait 
l'intention  de  s'attacher  à  aucune  autre  union,  à  aucun  autre 
parti  que  celui  vis-à-vis  duquel  l'engageaient  son  devoir  et 
sa  fidélité  à  la  reine.  Ce  compliment  achevé,  le  secrétaire 
de  Condé  se  rendit  chez  Mme  Concini  pour  faire  vis-à-vis 
d'elle  une  démarche  de  courtoisie  qui  dut  être  sen- 
sible à  la  régente.  11  s'agissait  de  savoir  s'il  tiendrait  ses 
promesses. 

Condé,  sûr  de  pouvoir  rentrer,  se  fit  attendre.  On  avait 
retardé,  pour  lui  permettre  d'arriver,  la  cérémonie  des  fu- 
nérailles de  Henri  IV.  On  peut  admettre  qu'il  se  soit  abs- 
tenu, vu  la  nature  de  ses  griefs  contre  le  roi  défunt;  mais  il 
ne  perdait  pas  pour  cela  son  temps  :  il  eut  à  Saint-Leu  une 
entrevue  avec  le  connétable  et  traita  avec  lui  de  la  survi- 
vance de  sa  charge.  C'était  peut-être  le  prix  dont  il  fallait 
payer  le  rapprochement  des  deux  époux.  Mais  les  intérêts 
domestiques  en  jeu  pouvaient-ils  s'accorder  avec  ceux  de  la 
couronne,  dont    la    tradition    exigeait   qu'il    ne    fût   point 

la  quale  non  si  crede  che  sia  innan^^i  aU'essequie,  perche  se  bene  si  son 
trattenute  qualche  poco  per  aspettarlo,  si  cominceranno  lioggi,  e  non 
si  crede  che  ci  si  habbia  a  voler  trovare,  per  lo  sdegno  che  ha  con  il 
Re  morto.  —  Matteo  Boiti,  3o  juin  1610. 

[.  Scip.  Ammirato,  2  juillet  1610. 

2,  Andréa  Cioli,  26  juin.  —  Scip.  Ammirato,  28  juin  i6to. 


84  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

pourvu  aux  grands  offices  en  temps  de  minorité  et,  à  plus 
forte  raison,  du  vivant  des  titulaires? 

A  Paris  on  était  dans  l'attente  et  l'anxiété;  partout  se 
répandaient  des  rumeurs  et  de  sinistres  prophéties.  «  Un 
diable  d'astrologue,  rapporte  Andréa  Cioli,  a  dit  que  le  jour 
de  l'entrée  du  prince,  c'est-à-dire  vendredi,  il  y  aura  du 
sang  versé  dans  Paris;  sans  doute  il  faut  entendre  que  ce 
sera  dans  les  boucheries,  où  chaque  vendredi  on  tue  un 
grand  nombre  de  bêtes  ^  » 

La  reine  dut  prendre  quelques  précautions  :  elle  fit  mettre 
les  bourgeois  sous  les  armes,  afin  qu'ils  fussent  en  mesure 
de  se  protéger  eux-mêmes  si  des  troubles  se  produisaient, 
et  elle  interdit  aux  princes  d'aller  au-devant  de  Condé, 
pour  éviter  le  désordre  que  susciterait  au  milieu  de  la  popu- 
lation l'entrée  d'une  troupe  aussi  considérable.  On  disait 
en  efi"et  que  le  prince  arrivait  avec  2000  chevaux;  en  réa- 
lité, il  en  avait  à  peine  200  -. 

C'est  le  vendredi  16  juillet,  deux  mois  après  la  mort  de 
Henri  IV,  que  le  piince  de  Condé  fit  sa  rentrée  dans  Paris; 
il  comptait  évidemment  mettre  à  haut  prix  son  adhésion  de 
premier  prince  du  sang  aux  faits  accompUs  depuis  ce  tra- 
gique événement;  et  ses  prétentions  allaient  nécessairement 
faire  de  lui  le  centre  de  ralliement  de  tous  les  mécontents. 
Aussi  vit-il  une  grande  foule  se  porter  au-devant  de  lui  bien 
que  la  reine  eût  intimé  défense  aux  princes  qui  se  trouvaient 
à  la  cour  d'aller  en  personne  à  la  rencontre  de  Cojidé;  les 
ordres  de  la  régente  furent,  sinon  enfreints,  du  moins  élu- 
dés :  le  maréchal  de  Bouillon  alla  rejoindre,  à  deux  journées 
de  marche  de  Paris,  à  Senlis,  le  premier  prince  du  sang 
et  il  ne  s'en  retourna  que  quelques  heures  avant  la  rentrée  de 
Condé  daiis  la  capitale;  les  ducs  d'Epernon,  de  Montbazon 
et  de  Bellegarde  se  portèrent  aussi  à  la  rencontre  du  prince. 

1.  Andréa  Cioli,  i3  juillet  1610. 

2.  Malherbe  à  Peiresc,  t.  111,  p.  189.  —  Andréa  Cioli,  16  juillet  161  o, 
2C  dépêche. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDÉ.  85 

Sully,  qui  avait  eu  soin  de  faire  tenir  à  Condé,  conformé- 
ment d'ailleurs  aux  instructions  de  Henri  IV,  les  arrérages 
de  sa  pension,  et  qui  venait  d'être  l'intermédiaire  des  libé- 
ralités plus  récentes  de  la  reine,  crut  devoir  demander 
l'autorisation  de  se  rendre  au-devant  de  Condé.  Marie  s'en 
remit  d'assez  mauvaise  grâce  à  sa  discrétion .  Sully  fit 
comme  les  autres  et  sortit  de  la  ville.  D'Épernon  et  Mont- 
bazon  étaient  accompagnés  de  plus  de  500  chevaux;  mais, 
connaissant  l'état  d'esprit  de  la  reine,  ils  rentrèrent  dans 
Paris  un  peu  avant  le  prince. 

Condé  coucha  à  Louvres  en  Parisis  ^  Il  se  transporta  de 
là  à  Saint-Denis  où  il  jeta  de  l'eau  bénite  sur  la  pierre  qui 
venait  de  recouvrir  les  restes  d'un  grand  homme,  pardon 
solennel  des  dernières  et  coupables  faiblesses  de  celui  que 
la  France  pleurait!  Le  prince  fit  ensuite  son  entrée  dans 
Paris,  accompagné  de  800  chevaux.  Le  prince  d'Orange, 
Philippe-Guillaume  de  Nassau,  son  beau-frère,  et  le  fils  du 
comte  d'Auvergne,  qui  expiait  encore  dans  la  Bastille  la 
part  prise  aux  conspirations  de  Biron  et  d'Henriette  d'En- 
tragues,  étaient  à  ses  côtés.  Il  y  avait  dans  les  rues  une  foule 
immense  assez  mal  disposée  pour  cette  cohue  de  grands 
seigneurs  et  d'estafiers  dont  on  redoutait  les  désordres  et  les 
exactions.  On  avait  ordonné  au  prince  de  se  tenir  sur  ses 
gardes.  Mais  ce  qui  l'inquiétait,  ce  n'était  pas  cette  agitation 
d'un  peuple  attiré  surtout  par  la  curiosité.  Quel  accueil 
allait-il  trouver  dans  la  demeure  royale?  Voilà  ce  qui  le 
préoccupai:  surtout. 

Malgré  toutes  les  promesses  faites  et  en  dépit  des  mani- 
festations d'amitié  et  de  dévouement  dont  les  auteurs  se  ran- 
geaient à  la  même  heure  autour  du  jeune  roi  et  de  sa  mère, 
ne  pouvait-il  pas  être  traité  en  déserteur,  en  rebelle?  Le  pré- 
sident de  Thou  lui  fit  donner  avis  qu'il  pouvait  venir  en  toute 
sûreté,  <(  ce  qui  le  rassura  un  petit  «,  rapporte  L'Estoile. 

I.  L'Estoile,  t.  X,  p.  029  et  suiv. 


86  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Le  prince  de  Condé,  monté  sur  une  haquenée  pie,  tout 
habillé  de  noir,  fort  triste,  se  jouait  tantôt  au  collet  de  sa 
chemise,  puis  à  ses  gants  qu'il  mordait,  après  à  sa  barbe 
et  à  son  menton  '.  Il  arriva  enfin  au  Louvre.  Ce  n'est  pas 
sans  peine  qu'il  y  entra,  tant  était  grande  la  multitude  qui 
obstruait  le  passage.  On  ne  laissa  pénétrer  avec  lui  que 
vingt  personnes,  et  la  porte  se  referma.  Alors  il  pâlit,  et 
ceux  qui  étaient  avec  lui  s'aperçurent  qu'il  tremblait  ".  Mais 
le  temps  était  encore  loin  où  Marie  de  Médicis  aurait  assez 
d'énergie  pour  oser  mettre  la  main  sur  le  premier  prince 
du  sang.  La  régente  était  dans  sa  chambre  avec  le  roi, 
entourée  du  comte  de  Soissons,  de  tous  les  princes  et  prin- 
cesses présents  à  Paris,  des  cardinaux  de  Joyeuse  et  de 
Sourdis.  Marie  de  Médicis  et  Louis  XIII  se  tenaient  assis. 
«  Leurs  Majestés  étaient  au  pied  du  lit  sous  le  balustre,  au 
droit  de  la  portière  ^.  «  Comme  la  chambre  était  trop  pleine 
pour  que  l'on  fît  des  cérémonies,  dès  que  le  prince  arriva, 
le  roi  et  la  reine  se  levèrent  et  s'avancèrent  d'un  pas;  le 
prince  de  Condé  mit  un  genou  en  terre  et  embrassa  celui 
du  roi.  L'enfant  le  releva  et  le  serra  contre  lui.  Ce  fut  ensuite 
à  la  reine  mère  de  recevoir  ces  témoignages  de  soumission 
du  prince;  elle  lui  fit  bonne  mine  et  répondit  par  des  paroles 
affectueuses  à  ses  humbles  protestations  de  dévouement. 
L'entrevue  ne  dura  pas  plus  d'un  quart  d'heure.  Le  prince 
alla  ensuite  prendre  logis  près  de  la  porte  de  Bucy  dans 
l'hôtel  de  Gondi  que  lui  avait  assigné  la  régente,  dont  elle 
lui  fit  bientôt  cadeau,  et  qui  prit  dès  lors,  ainsi  que  la  rue 
du  faubourg  où  il  était  situé,  le  nom  de  Condé  *. 

Il  y  fut  accompagné  d'un  grand  nombre  de  cavaliers;  et 
peu  après  il  reçut  la  visite  du  duc  de  Guise  et  du  chevalier 
son  frère  qui,  n'ayant  pu  aller  à  sa  rencontre  en  personne, 

1.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  33  I. 

2.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  8  juillet  lôio.  —  Malherbe  à  Peiresc,  ^ 
17  juillet,  p.  189  et  suiv.  —  L'Estoile,  p.  33i. 

3.  Héroard,  t.  II,  p.  i3. 

4.  Scip.  Ainmirato,  18  juillet  iGio. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  87 

comme  ils  Tavaient  désiré,  avaient  envoyé  presque  tous  leurs 
familiers.  Tous  les  seigneurs  et  cavaliers  de  la  cour  s'y 
rendirent  également ,  notamment  le  comte  de  Soissons, 
«  fort  accompagné,  ayant  comme  un  bataillon  dressé  de 
trois  hocqs  de  cavalerie  *  ».  Le  prince  termina  cette  jour- 
née en  allant  «  sur  les  neuf  heures  du  soir  au  Louvre,  en 
grande  compagnie,  pour  se  trouver  au  coucher  du  roi,  lequel 
il  desguilleta,  lui  tira  ses  chausses  et  ne  s'en  partit  qu'il  ne 
l'eût  mis  dans  son  lit^  ».  Le  secrétaire  Ammirato  ne  s'étonne 
pas  de  la  brillante  réception  faite  au  prince.  «  Mais  on  croit 
bien,  ajoute-t-il,  que  cela  ne  durera  pas.  Aussi  bien,  en 
allant  au  Louvre,  où  il  s'était  rendu  le  vendredi  soir,  il 
n'avait  pas  plus  de  50  chevaux,  tandis  que  Soissons  dépas- 
sait le  nombre  de  150.  » 

Après  cette  rentrée  du  prince,  on  peut  se  croire  revenu 
au  temps  néfaste  de  la  minorité  de  Charles  VI,  alors  que  les 
allées  et  venues  des  princes  du  sang  et  de  leurs  bandes  étaient 
une  cause  de  troubles  dans  Paris  et  contraignaient  les  bour- 
geois à  prendre  les  armes.  Les  astrologues  et  devins  tenaient 
Paris  sous  la  menace  de  quelque  catastrophe  épouvantable. 
A  chaque  instant,  comme  à  Rome  au  moment  de  l'élection 
des  papes,  quelque  prophétie  parcourait  la  ville.  La  reine 
dut  autoriser  les  seize  colonels  de  la  milice  parisienne  et 
leurs  capitaines  à  mettre  sur  pied  leurs  forces,  afin  de  pour- 
voir à  la  sécurité  des  habitants;  ces  mesures  de  précaution 
rappelaient  malheureusement  le  souvenir  des  mauvais  jours 
de  la  Ligue  et  du  délire  des  passions  catholiques. 

Le  prince  de  Condé,  qui  n'avait  pas  donné,  dans  les  cir- 
constances précédentes,  une  bien  haute  idée  de  sa  bravoure, 
en  revint  à  ses  appréhensions  du  premier  jour.  Le  duc  de 
Bouillon  se  rendit  le  24  juillet  au  soir  à  l'hôtel  de  Gondi 
pour  y  coucher  en  sûreté  et  fit  part  au  prince  de  ses  craintes 
relativement  à  cette  prise  d'armes  des  bourgeois  de  Paris. 

1.  L'EsToiLE,  p.  33 1. 

2.  L'ESTOILE,    p.    332. 


88  Î.A    MINORITE    DK    LOUIS    XIII. 

A  minuit  on  fait  venir  le  prévôt  des  marchands;  le  prince 
lui  demande  s'il  est  en  sûreté,  s'enquiert  de  la  cause  de  tout 
ce  bruit,  de  tout  ce  mouvement.  Le  prévôt  répond  qu'il  n'y 
a  rien  et  que  c'est  sans  raison  que  le  prince  s'inquiète.  Pour 
le  rassurer  davantage,  le  prévôt  se  rend  au  Louvre  accom- 
pagné de  quelques-uns  des  gentilshommes  de  Condé;  la 
reine  leur  donne  l'assurance  que  le  prince  ne  court  aucun 
danger;  elle  envoie  même  Concini  à  la  demeure  de  Condé 
pour  l'engager  à  être  sans  crainte  et  sans  soupçon.  Néan- 
moins, toute  la  nuit,  des  hommes  en  armes  veillèrent  dans 
la  cour  de  l'hôtel  deGondi,  et  des  chevaux  tout  sellés  étaient 
tenus  à  la  disposition  du  prince  en  cas  d'alerte. 

Au  milieu  de  cette  panique,  on  voit  Sully  lui-même,  le 
capitaine  de  la  Bastille,  le  chef  de  l'Arsenal,  donner  des 
marques  d'inquiétude.  Il  tint  cette  nuit-là  sur  pied  300 
hommes  et  il  envoya  demander  au  duc  de  Guise  des  expli- 
cations sur  ce  qui  se  passait.  Le  duc  de  Guise  répondit  qu'il 
n'y  avait  rien,  au  moins  à  sa  connaissance  ^ 

Quel  était  donc  le  motif  de  ce  trouble?  Depuis  quelques 
nuits  la  garde  du  Louvre  était  doublée;  pendant  la  nuit,  on 
changeait  le  mot  d'ordre  et  le  duc  d'Épernon  tenait  ses 
troupes  sur  pied  dans  son  hôtel;  car  le  bruit  courait  qu'on 
allait  recommencer  la  Saint-Barthélémy.  Des  huguenots 
quittaient  Paris  pour  se  réfugier  dans  leurs  places  de  sûreté. 
C'était  là  une  crainte  qu'expUquait  la  tournure  toute  espa- 
gnole que  prenait  la  politique  du  gouvernement  et  Tétat 
de  suspicion  dans  lequel  on  paraissait  tenir  le  duc  de  Sully. 
Mais  en  réaUté  rien  de  semblable  n'était  à  redouter  :  ni 
Marie  de  Médicis,  ni  Louis  XIII,  ni  le  duc  de  Guise  d'alors 
n'avaient  le  caractère  audacieux  et  perfide  des  principaux 
auteurs  de  l'abominable  forfait  du  24  août  i  572.  Sully  était 
d'ailleurs,  comme  on  vient  de  le  voir,  un  Coligny  qui  savait 
fort  bien  se  garder.  Quant  au  prince  de  Condé,  l'hôte  et 

I.  Scip.  Ammirato,  23  juillet.  —  Andréa  Cioli,  23  juillet  1610.  — 
L'EsToiLE,  t.  X,  p.  333. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDÉ.  89 

Tami  récent  des  Espagnols,  on  ne  pouvait  supposer  à  ce 
moment,  chez  ce  petit- fils  du  prince  tombé  à  Jarnac, 
aucune  tendance  à  faire  cause  commune  avec  le  parti  pro- 
testant; le  fanatisme  catholique  avait  bien  baissé  d'ailleurs 
depuis  que  toutes  les  classes  de  la  nation  avaient  pu  goûter 
les  bienfaits  de  la  paix  religieuse.  Ce  que  le  peuple  de  Paris 
voulait,  c'était  la  tranquillité,  et  l'on  entendait  dire  par  les 
maisons  et  les  boutiques  que  si  les  princes  et  les  grands, 
perturbateurs  du  repos  public,  faisaient  aucun  mouvement, 
on  tomberait  sur  eux  à  l'aveuglette  {alla  cieca)  ^ 

«  Quant  à  cette  émotion  dont  je  vous  ai  parlé  la  semaine 
dernière,  écrit  Scip.  Ammirato,  et  à  la  retraite  de  Bouillon 
dans  la  maison  de  Condé,  tout  cela  vient,  m'a-t-on  dit,  du 
même  duc  de  Bouillon,  qui,  en  sa  qualité  d'ami  et  de  parent 
du  prince  de  Condé,  est  fort  écouté  de  Son  Excellence  et 
qui,  sur  le  soupçon  qu'on  le  voulait  tuer  lui  avec  tous  les 
autres  huguenots,  a  jeté  le  prince  également  dans  une 
grande  appréhension.  La  reine  les  a  mis  en  toute  sécurité 
de  ce  chef.  Mais  en  revanche  ils  ont  pu  reconnaître  fort 
clairement  que  cette  ville  tout  entière  est  tellement  dévouée 
et  convertie  au  service  et  à  la  conservation  du  roi  et  de  la 
reine,  qu'aucune  considération  n'empêcherait  les  bourgeois 
de  mettre  en  péril  leur  propre  vie  pour  défendre  celles  de 
Leurs  Majestés  contre  n'importe  quel  prince  ou  personne. 
Et  certes  ce  n'est  pas  un  petit  acquit  que  d'avoir  rendu  évident 
et  fait  voir  à  ces  princes  le  bon  esprit  de  cette  population  ".  » 

Le  gouvernement  profita,  non  sans  présence  d'esprit,  de 
cette  situation  favorable.  La  reine  après  avoir  fait  rétablir 
les  seize  colonels  du  peuple  de  Paris,  avec  des  capitaines 
sous  leurs  ordres,  les  chargea  de  garder  la  capitale  pendant 
le  vo3^age  du  sacre  auquel  on  se  préparait  déjà;  il  y  avait 
eu  dans  le  conseil  une  assez  vive  opposition.  Les  colonels 
prêtèrent  serment  à  la  reine  vers  la  fin  de  juillet. 

1.  Andréa  Cioli,  23  juilletiGio.  — L'Estoile,  MémoiresA.  X,  p.  340. 

2.  Scip.  Ammirato,  28  juillet  1610. 


QO  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

«  Par  cette  preuve  de  confiance ,  écrit  Tambassadeur 
vénitien,  la  reine  a  voulu  s'attacher  cette  ville  '.  »  El!e  y 
réussit  assez  heureusement. 

Dès  lors  Marie  de  Médicis  crut  pouvoir  se  retourner 
cixQC  autorité  vers  le  monde  encombrant  et  bruyant  des 
gens  de  cour  et  lui  imposer  vis-à-vis  de  la  personne  royale, 
des  devoirs  de  convenance  auxquels  s'étaient  soustraits  un 
trop  grand  nombre  de  nobles  personnages.  Les  gentilshommes 
et  cavaliers  qui  se  trouvaient  à  Paris  s'étaient  mis  presque 
tous  à  f:iire  cortège  aux  princes  et  aux  ducs;  et  ce  n'étaient 
pas  seulement  ceux  qui  étaient  libres  de  toute  attache,  mais 
les  pensionnaires  mêmes  du  roi,  dételle  sorte  que,  lorsque 
le  jeune  prince  sortait,  il  n'avait  guère  autour  de  lui  que  ses 
gardes,  en  fort  grand  nombre,  il  est  vrai,  et  ceux  qui,  en 
raison  de  leurs  fonctions,  ne  devaient  jamais  s'écarter  de 
sa  personne.  Marie  de  Médicis,  très  mécontente  de  cet  état 
de  choses,  laissa  fort  vivement  entendre  à  son  déjeuner,  le 
24  juillet,  qu'elle  ferait  enlever  leur  position  à  ceux  qui, 
étant  pensionnés  de  la  couronne,  iraient  faire  cortège  à 
d'autres;  et  sur-le-champ,  elle  ordonna  que  l'on  mît  sur 
pied  la  compagnie  du  roi,  qui  se  composait  de  200  gen- 
tilshommes, afin  qu'ils  pussent  accompagner  et  servir  le 
roi.  Mais  la  menace  de  la  reine  avait  produit  immédiate- 
ment son  effet;  les  gentilshommes  visés  revinrent  sans 
tarder  :  «  Le  roi  commence  à  avoir  plus  de  cortège  que 
d'habitude,  écrit  l'ambassadeur  vénitien  le  24  juillet. 
Dimanche  particulièrement,  il  avait  plus  de  300  gen- 
tilshommes avec   lui  '.  »  Le  prince  de   Condé   lui-même 


1.  Ambass.  vénit.,  28  juillet  1610. 

2.  Depuis  Louis  XI  les  troupes  de  la  maison  du  roi  avaient  à  leur 
tête  deux  compagnies  de  cent  lances  exclusivement  composées  de 
gentilshommes.  Ils  portaient,  dans  les  cérémonies  solennelles,  l'épéc 
au  côté  et  en  mains  la  hache  d'armes  en  bec  de  corbin:  de  là  leur 
désignation  de  gentilshommes  au  bec  de  corbin.  Ils  constituaient  ce 
qu'on  appelait  la  grande  garde  du  corps.  Les  guerres  civiles  et  parti- 
culièrement la  Ligue  désorganisèrent  cette  troupe  si  brillante.  Henri  I\', 
tout  en  conservant  leurs  titres  de  capit.iinesà  Louis  de  la  Trémouille, 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  QI 

s'empressa  de  complaire  à  la  régente;  en  effet,  après  cette 
algarade,  il  déclara  à  ceux  qui  arrivaient  pour  lui  faire  cor- 
tège qu'il  les  remerciait  de  leurs  bonnes  intentions,  mais 
que,  s'ils  ne  venaient  pas  pour  une  autre  raison  que  celle  de 
lui  faire  une  chose  agréable,  il  les  priait  de  vouloir  bien  ne 
pas  le  suivre;  car  il  avait  assez  de  ses  gentilshommes  ordi- 
naires. «  En  somme,  conclut  Ammirato,  jusqu'à  présent, 
ce  prince  montre  n'avoir  pas  d'autre  fin,  ni  d'autres  inten- 
tions que  le  service  de  Leurs  Majestés  *.  » 

Il  est  particulièrement  intéressant  pour  nous  de  constater, 
au  milieu  des  événements  dont  il  vient  d'être  parlé,  qu'indé- 
pendamment de  ces  manifestations  de  déférence  vis-à-vis 
de  la  reine,  le  prince  de  Condé  et  le  duc  de  Sully  étaient 
déjà  liés  d'une  intelligence  assez  étroite  pour  que  l'un  ne 
crût  pas  sa  sécurité  menacée  sans  que  l'autre  partageât  ses 
craintes.  Et  en  effet  il  n'est  pas  douteux  que  l'on  remarquait 
un  rapprochement  très  apparent  entre  le  prince  et  le  surin- 
tendant :  «  J'ai  vu,  écrit  Andréa  Cioli,  dans  l'appartement 
de  la  reine,  le  prince  de  Condé  en  conversation  intime  avec 
Sully,  autrefois  son  grand  ennemi;  le  prince  tenait  même 
la  o;auche  de  Sullv.  Ainsi  va  le  monde  ".  » 

Il  y  eut  en  effet  un  échange  de  vues  politiques  et  un  essai 
d'alliance  entre  ces  deux  hommes  passionnés  pour  l'exercice 
du  pouvoir  et  qui,  en  faisant  valoir,  dans  une  redoutable 
association,  l'un  son  rang  dynastique,  l'autre  son  expérience 
consommée  des  aff^iires  de  l'Etat  et  sa  puissance  personnelle, 
se  fussent  peut-être  aisément  rendus  maîtres  du  gouverne- 
ment. Sully  nous  donne  lui-même,  à  ce  sujet,  d'abondants 
renseignements  ^  11  aurait  eu  à  l'Arsenal  avec  le  prince  de 


marquis  de  Royan,  et  à  Charles  d'Angennes,  vidame  du  Mans,  n'avait 
point  remis  sur  pied  et  rétabli  dans  leurs  fonctions  ordinaires  les 
deux  compagnies.  C'est  ce  que  fit  au  contraire  Marie  de  Médicis.  \'oir 
Daniel,  Hist.  de  la  milice  française,  t.  II,  p.  71. 

1.  Scip.  Ammirato,  i8  juillet  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  19  juillet  I^3IO. 

3.  Economies  royales,  p.  ^qS,  col.  2  et  suiv. 


Q2  LA    MINORITK    DE    LOUIS    XIII. 

Condé  une  longue  conférence  dans  laquelle  il  lui  traça  un 
véritable  programme  qui  peut  se  réduire  aux  termes  suivants  : 
en  premier  lieu,  avoir  pour  but  principal  la  vertu  et  l'estime 
des  hommes  vertueux,  être  à  tous  un  exemple  de  bien  faire 
à  l'État,  servir  loyalement  le  roi;  en  second  lieu,  essayer 
de  gagner  les  bonnes  îirâces  de  la  reine,  et  se  réconcilier 
sincèrement  avec  les  princes  de  Conti  et  de  Soissons,  ses 
oncles,  et  rester  indissolublement  uni  avec  eux;  en  troisième 
lieu,  préférer  le  repos  de  l'Etat,  le  soulagement  du  peuple, 
le  ménacrement  des  finances  et  l'amélioration  des  revenus 
du  royaume,  à  tous  intérêts  particuliers,  et  ne  rien  demander 
pour  soi  personnellement.  Sully  ne  doutait  pas  qu'en  s'atta- 
chant  strictement  à  ces  principes  et  en  suivant  celte  ligne 
de  conduite,  les  princes  n'arrivassent  à  mettre  la  reine  de 
leur  côté  et,  par  conséquent,  à  la  séparer  de  sa  cabale;  ou 
bien  à  discréditer  si  profondément  le  gouvernement  de  la 
régente  que  rien  de  conséquent  ne  pourrait  plus  s'exécuter 
sans  leur  intervention.  Il  était  sous  entendu  que  cette  poli- 
tique fondée  sur  la  vertu  et  le  désintéressement  devait  avoir 
pour  agent  principal  celui  qui  l'inspirait  en  ce  moment.  Par 
là  Sully  se  maintenait  dans  ce  qu'on  appelait  «  son  excessif 
pouvoir  et  autorité  »  et  dans  son  rôle  préféré  d'épouvantail 
pour  les  solliciteurs. 

Les  Économies  royales  nous  apprennent  que  le  prince  de 
Condé  écouta  fort  attentivement  ce  discours  et  qu'il  se  trouva 
ébranlé  à  suivre  les  avis  du  Sully  :  puis,  sans  transition, 
nous  voyons  qu'il  «  se  laissa  derechef  emporter  aux  persua- 
sions, qui  lui  furent  données,  de  vouloir  profiter  du  temps 
et  de  l'occasion  pour  s'élever  en  biens  et  en  honneurs  dans 
la  dissipation  et  ruine  du  royaume  et  des  affaires  du  roi  ». 
Quelques  lignes  plus  loin,  M.  le  prince  est  franchement 
rangé  dans  le  camp  des  ennemis  du  surintendant,  de  ceux 
qui  veulent  l'éloigner  entièrement  des  affaires.  Entre  ces 
deux  situations  extrêmes,  il  y  a  des  faits  intermédiaires  que 
Sully  omet  et  qu'il  n'est  pas  impossible  de  rétablir. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDK.  93 

De  la  conversation  de  Sully,  dont  le  fond  ne  paraît  guère 
contestable ,  tant  elle  est  conforme  au  caractère  et  aux 
manières  du  surintendant ,  le  prince  de  Condé  retint  les 
conseils  pratiques.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  faire  bon  marché 
de  ce  qu'il  y  avait  de  noble  et  d'élevé  dans  la  politique 
peut-être  chimérique  dont  Sully  revendique  l'honneur  d'avoir 
été  le  conseiller. 

Ainsi,  vers  l'époque  où  doit  nécessairement  se  placer 
Tentrevue  de  l'Arsenal,  Condé  fait  tous  ses  efforts  pour  se 
maintenir  en  bons  termes  avec  la  reine.  Marie  de  Médicis 
obtient  de  lui  qu'il  aille  voir  Conti.  Celui-ci  continuait  à  faire 
le  mécontent  à  Dampierre;  Condé  réussit  à  le  ramener  à  la 
cour.  Le  22  juillet  les  deux  princes  reviennent  à  Paris  à  la 
tête  d'une  brillante  cavalcade  \  et  Conti  se  réconcilie  avec 
Soissons. 

Ce  n'est  cependant  point  par  la  réciprocité  du  désinté- 
ressement que  les  princes  devaient  cimenter  ce  commence- 
ment d'union,  bien  au  contraire.  Une  augmentation  de 
24000  écus  sur  sa  pension,  qui  se  trouvait  ainsi  portée  à 
50000  écus,  et  la  promesse  du  premier  gouvernement 
vacnnt,  avaient  été  les  conditions  du  retour  du  prince  de 
Conti.  Voilà  des  concessions  qui  ne  pouvaient  guère  être 
du  goût  de  Sully. 

Le  prince  de  Condé  fit  une  autre  démarche  qui  devait 
également  plaire  à  la  reine  mère,  car  elle  imphquait  une 
adhésion  complète  à  l'ordre  des  choses  établi  depuis  la  mort 
de  Henri  IV.  Il  se  rendit  solennellement  au  Parlement,  y 
prit  sa  place  de  premier  prince  du  sang  et,  après  quelques 
mots  de  condoléance  relatifs  à  la  perte  que  la  France  avait 
faite,  il  déclara  à  la  cour,  qu'à  cette  douloureuse  nouvelle 
il  était  revenu  immédiatement  pour  servir  Leurs  Majestés  et 
leur  obéir  en  tout,  et  aussi  pour  offrir  ses  services  à  la  cour 
de  Parlement  dont  il  connaissait  le  dévouement  aux  inté- 

I.  Andréa  Cioli,  i3  juillet  1610. 


94  I  A    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

rets  du  roi  et  de  la  reine.  Cette  manifestation  ne  pouvait 
qu'avoir  l'approbation  de  Sully;  il  n'en  fut  à  coup  sûr  pas 
de  même  du  prix  dont  la  reine  s'empressa  de  la  payer.  Le 
prince  vivait  avec  sa  mère.  Marie  de  Médicis  donna  à  la 
mère  et  au  fils  une  pension  de  80000  écus  par  an.  Condé 
n'avait-il  pas  dit  à  Tarchiduc  Albert,  en  quittant  les  Pays- 
Bas,  «  qu'il  désirait  retourner  en  France  pour  servir  le  roi 
et  la  reine,  comme  c'était  son  devoir,  mais  qu'il  voulait 
être  bien  sûr  d'avoir  de  quoi  vivre  et  de  ne  pas  mendier  son 
pain,  comme  il  l'avait  fait  par  le  passé  ))?La  reine  mère 
avait  fourni  le  logis;  elle  y  ajoutait  le  couvert  et  l'entretien. 
Elle  chercha  aussi  à  dissiper  les  soupçons  que  le  prince  avait 
pu  concevoir,  notamment  à  l'égard  de  Soissons  et  du  duc 
d'Épernon  que  l'on  accusait  auprès  du  prince  d'avoir  voulu 
le  faire  arrêter,  lors  de  son  retour  à  Paris. 

Condé  montra  une  certaine  satisfaction;  za  situation 
grandissait  par  suite  même  de  la  modération  de  ses  deman- 
des. Il  se  trouvait  bien,  en  somme,  des  conseils  de  Sully. 
Pour  effacer  tout  reste  de  prévention  dans  l'esprit  de  la 
reine,  il  consentit  à  faire  cesser  une  situation  dont  le  scan- 
dale pesait  sur  la  mémoire  de  Henri  IV  et  causait  des  embar- 
ras au  gouvernement  de  la  régente. 

Il  reprit  sa  femme. 

Plus  humiliée  qu'elle  n'avait  été  coupable,  la  princesse 
était  revenue  àChantill}^  chez  son  père  le  connétable.  Mont- 
morency souffrait  dans  sa  dignité;  Condé  s'entêtait  dans  sa 
farouche  rancune.  Marie  de  Médicis,  ayant  besoin  de  l'appui 
dévoué  du  chef  de  l'armée,  rapprocha  Condé  et  les  Mont- 
morency. Le  prince  et  sa  femme  finirent  par  avoir  une  pre- 
mière entrevue  à  Écouen.  Comment  Condé  n'aurait-il  point 
pardonné  à  la  belle  repentie  qui  désavouait  hautement  les 
lettres  que  feu  le  roi  avait  montrées,  où  il  était  appelé  «  mon 
tout  et  mon  chevalier  »  ?  Le  prince  prit  facilement  l'habi- 
tude de  la  revoir.  Après  Écouen,  ce  fut  à  Montmorency 
qu'ils  se  rencontrèrent.  Condé  emmena  ensuite  sa  femme 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  qS 

des  domaines  du  connétable  dans  les  siens;  et  le  couple 
réuni  alla  s'établir  en  haute  Bourgogne,  dans  la  magnifique 
résidence  de  Valéry,  que  l'aïeul  de  l'époux  réconcilié  avait 
dû  à  l'amoureuse  et  princière  libéralité  de  la  maréchale  de 
Saint-André,  la  femme  du  triumvir  de  1568  '.  C'est  là  que 
le  prince  mit  sa  femme  en  sûreté,  avec  l'intention  de  ne  pas 
la  laisser  reparaître  à  la  cour  avant  que  la  reine  mère  eût 
sollicité  elle-même  le  retour  de  la  princesse  et  se  fût  ainsi 
créé  une  nouvelle  obligation  vis-à-vis  de  Condé  ". 

Ces  rapprochements,  que  la  politique  n'était  pas  seule  à 
déterminer,  affermirent  la  situation  du  prince  et  lui  rendi- 
rent une  confiance  en  lui-même  qui  bientôt  ne  sut  plus 
se  maintenir  dans  de  justes  limites.  Il  se  mit  à  assister  à 
tous  les  conseils,  même  à  celui  des  finances,  qui  passait 
pour  ennuyeux,  mais  où  se  traitaient  des  matières  qui 
étaient  loin  de  lui  être  indifférentes,  et  il  faisait  valoir  ses 
opinions  avec  véhémence.  L'intervention  du  prince  dans  les 
délibérations  du  gouvernement  ne  tarda  pas  à  devenir  fort 
encombrante.  «  Lui  qui,  jusqu'à  présent,  s'était  montré  si 
modeste,  dit  l'envoyé  CioH,  a  déjà  commencé,  dans  le  con- 

1.  Pare  che  il  principe  suo  marito  non  sia  tanto  ostinato  in  non  la 
volere  ripigliare^  corn'  e  stato  per  il  passato,  onde  si  comincia  a  cre- 
dere  che  habbia  da  seguire  col  me:{:{0  di  S.  M.  V accommodamento ; 
S.  E.  sin  hora  apparisce  di  voler  in  tutto  et  per  tutto  dipendere  dalla 
regina,  dalla  qiiale  si  trova  favorito  délia  casa  del  baron  Gondi.  (Scip. 
Ammirato,  22  juillet  1610.)  —  //  s""  principe  di  Conde  che  e  tutto  sodis- 
fatto  di  S.  M.torna  questa  sera  in  casa  del  s""  baron  Gondi;  et  doviani 
deve  andarea  trovare  la  principessa  sua  moglie  a  Alemoransi,  et  far  la 
pace  attualmente^  corne  întendo  l'ha  fatio  qui  con  promessa.  ^Scip. 
Ammirato,  3  août  1610.)  —  Le  différencie  tra  il  principe  di  Conde  et 
principessa  sua  moglie  si  sono  tutte  accommodate  et  sabato  andera  il 
principe  à  Equan  [Ecouen)  ore  verra  la  principessa  che  si  trova  a  Sant 
Igli  {^Chantilly)  et  il  giorno  seguente  saranno  tutti  a  Parigi  unita- 
mente.  (Ambass.  vénit.,  2  août  1610.)  —  Il  principe  di  Conde  che  si  e 
pacijîcato  davero  con  la  moglie  commincia  a  potere  stare  poco  lontano 
da  Ici,  et  cosi  se  ne  e  andato  a  San  Valeri,  dove  ella  si  ritrova^a  passar 
quai  he  giorno.  (Matteo  Botti,  18  août  16 10.) 

2.  Sua  Eccellen^a  torno  hieri  da  Memoransi  dalla  principessa  sua 
moglie,  la  quale  par  che  non  voglia  far  venir  cosi  hora  alla  corte,  ma 
tenerla  fuori  aile  sue  terre;  forse  deve  volere  che  la  regina  V habbia  a 
ricercare  anco  di  questo.  (Scip.  Ammirato,  11  août  1610.) 


96  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

seil,  à  devenir  par  trop  arrogant  et  insolent  :  il  prend  le 
contre-pied  de  toutes  les  opinions  et  les  combat  gaillar- 
demment  comme  s'il  était  le  plus  vieux,  le  plus  sage  et  le 
plus  pruJent  de  tous  *.  » 

C'est  bien  cette  attitude  nouvelle  que  le  sage  Fontenay- 
Mareuil  caractérise  tout  en  Fatténuant,  et  dont  la  cause  ne 
lui  échappe  point  quand  il  dit  :  «  M.  le  Prince  grondait  un 
peu,  mais  ce  n'était  que  pour  se  faire  mieux  acheter,  s'apai- 
sant  aussitôt  qu'on  lui  avait  donné  quelque  argent,  car  il 
fut  longtemps  qu'il  ne  pensait  qu'à  en  avoir  -  ». 

En  effet  on  ne  tarda  pas  à  voir  de  nouveau  le  prince  de 
Condé  et  le  comte  de  Soissons  en  mésintelligence  pour  des 
affaires  d'intérêt.  Depuis  fort  longtemps  la  terre  de  Nogent- 
le-Rotrou  dans  le  Perche,  bien  de  la  famille  de  Condé,  était 
en  gage  dans  les  mains  du  comte  de  Soissons  pour  répon- 
dre des  dettes  de  son  père,  qui  était  aussi  le  grand-père  de 
Condé,  et  dont  Soissons  avait  payé  une  partie.  Le  comte 
voulut  se  faire  adjuger  ce  domaine  par  voie  de  justice, 
moyennant  la  somme  de  50000  écus  à  payer  en  tout 
et  pour  tout  aux  créanciers  de  son  père.  Il  comptait  que 
personne  ne  serait  assez  hardi  pour  enchérir  et  qu'il  pren- 
drait ainsi  possession  de  cette  terre;  il  ne  pensait  pas  que  le 
prince  de  Condé  agirait  autrement.  Mais  celui-ci  considéra 
que  cette  affaire  le  discréditerait  beaucoup  ;  car  en  sa  qualité 
de  chef  de  la  branche  ainée  des  Condé,  c'était  plutôt  à  lui 
qu'à  Soissons  de  dégager  ce  bien  patrimonial.  Le  dernier 
jour  et  au  moment  où  l'on  attendait  que  la  dernière  heure 
expirât  pour  l'adjuger  à  Soissons,  le  prince  de  Condé  envoya 
faire  monter  le  prix  de  la  terre  jusqu'à  80000  écus,  et  se 
la  fit  attribuer.  Soissons,  qui  n'avait  pour  son  neveu  qu'une 
très  médiocre  considération,  et  qui  lui  en  témoignait  seule- 
ment en  apparence,  se  vo3Mnt  ainsi  joué,  entra  en  fureur;  et 
le  prince,  bien  que  resté  victorieux,  ayant  appris  le  peu  de 

1.  Andréa  Cioli,  8  août  1610. 

2.  Fontenay-Mareuil,  p.  35,  col.  2. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDÉ.  97 

cas  fait  de  lui  par  son  oncle,  demeura  exaspéré.  La  dis- 
corde était  de  nouveau  dans  les  rangs  des  princes  du  sang. 
«  Mais,  dit  Ammirato,  ces  différends,  dans  l'intérêt  de  ce 
royaume  et  dans  celui  de  la  reine,  sont  jugés  fort  utiles; 
parce  que  si  tous  les  princes  étaient  d'accord  ils  tourmente- 
raient d'autant  plus  Sa  Majesté  qui  ne  leur  en  donne  véri- 
tablement aucun  motif,  si  ce  n'est  qu'elle  les  traite  trop 
bien  \  » 

A  peu  près  au  moment  où  Condé  réglait  à  son  avantage 
l'affaire  de  Nogent-le-Rotrou,  la  reine  fit  au  comte  de  Sois- 
sons  un  don  de  500  000  francs  pour  l'indemniser  de  pré- 
tentions qu'il  avait  du  chef  de  sa  femme  sur  le  comté  de 
Montaffier  en  Piémont, qui  était  occupé  par  le  duc  de  Savoie. 
Moyennant  ce  prix,  Soissons  céda  ses  droits  au  roi.  Mais,  lors- 
que la  cour  des  comptes  eut  à  contrôler  ce  présent,  les  offi- 
ciers du  roi  refusèrent  de  l'enregistrer  et  suspendirent  Teffet 
des  libéralités  inconsidérées  de  la  reine  par  ce  motif  qu'il 
n'était  pas  raisonnable  que  Sa  Majesté  achetât  à  un  si  haut 
prix  les  litiges  des  autres  ".  Il  devait  en  être  de  cette  résis- 
tance, comme  de  celle  du  Parlement  de  Rouen,  qui  avait 
refusé  de  reconnaître  le  comte  de  Soissons  comme  gou- 
verneur de  la  Normandie,  alléguant  que  le  gouverneur 
légitime  était  le  duc  d'Orléans  et  que  l'on  n'en  voulait 
point  d'autres ,  et  qui ,  de  guerre  lasse ,  avait  fini  par 
l'admettre  tout  de  même.  «  Ils  lui  ont  donné  ce  gouverne- 
ment, écrit  Scip.  Ammirato,  pour  obéir  et  complaire  à  la 
reine  ;  et  ces  magistrats  et  tous  les  autres  donneraient  en 
somme  tout  ce  que  l'on  voudra  par  égard  pour  Sa  Majesté 

1.  Scip.  Ammirato,  i8  août  1610. 

2.  Cf.  Sully,  Économies  royales,  p.  387,  col,  2,  et  588,  col.  i.  Sully 
affirme  que  Henri  IV  avait  refusé  de  consentir  à  ce  marché  que  lui 
avait  proposé  le  comte  de  Soissons;  et  qu'après  sa  mort,  ce  dernier 
a  sut  si  bien  mettre  Conchine  de  son  côté,  et  pratiquer  le  seing  et 
sceau  du  feu  roi,  que  l'on  a  gardé  plus  de  trois  ans  à  pareil  dessein, 
qu'il  en  fit  passer  un  contrat  de  vente,  comme  fait  du  vivant  du 
feu  roy  ».  Sully  aurait  été  nommé  dans  cet  acte;  il  déclare  qu'il  refusa 
sa  signature.  Ces  assertions  échappent  à  tout  contrôle. 


q8  LA    MINORITK    DE    LOUIS    XIII. 

et  surtout  parce  que  Ton  doit  croire  qu'elle  n'a  point  fait  ce 
présent  sans  de  sérieuses  considérations,  dont  la  principale 
est  de  maintenir  fermes  dans  leur  fidélité  ces  princes  pour 
lesquels,  en  toute  occasion,  elle  se  montre  pleine  d'amabi- 
lité (ai  quali  in  ogni  occasione  eJla  si  mostra  amorewlissima).  » 
Marie  de  Médicis  met  tous  ses  efforts  à  tenir  égale  la 
balance  des  générosités.  Deux  cavaliers  s'étant  battus  en 
duel,  à  trente  lieues  de  Paris,  restèrent  sur  le  terrain  \  La 
reine,  des  deux  abbayes  que  possédait  l'un  d'eux,  donna  la 
première  au  chevalier  de  Vendôme  et  l'autre  au  prince  de 
Condé.  Ce   dernier  la  passa  à  son  favori  Rochefort,   qui 
revenait  précisément  d'Espagne  où  il  avait  été  envoyé  par  le 
prince,  quand  il  était  hors  du  royaume,  pour  remercier  le  roi 
du  bon  accueil  qui  lui  avait  été  fait  en  Flandre.  Rochefort 
rapportait  des  offres  nouvelles  de  service  de  la  cour  dEspa- 
gne  au  prince  de  Condé".  «  Ce  favori,  dit  Scip.  Ammirato, 
est  du  même  âge  que  le  prince,  et  il  est  si  aimé  de   Son 
Excellence  qu'il  n'est  pas  possible  de  l'être  davantage.  C'est 
celui  dont  le  roi  mort  parlait  avec  tant  de  mépris,  quand  le 
prince  passa  à  l'étranger.  »  Voilà,  en  vérité,  un  étrange  abbé. 
Quant  à  l'autre  duelliste,  il  avait  une  galère  de  Sa  Majesté 
que  la  reine  donna  immédiatement  à  Concino.  «  Qu'il  la 
garde  pour  lui  ou  qu'il  la  donne  à  un  autre,  ce  qui  est  plus 
probable,  nous  dit  encore  à  ce  propos  Scip.  Ammirato,  il  en 
tirera  bien  quelque  millier  d'écus,  et  ainsi  l'on  voit  à  beau- 
coup de  signes  évidents  que  Sa  Majesté  tient  grand  compte 
de  ce  sien  serviteur,  et  qu'elle  lui  veut  du  bien  ^.  » 

1.  Scip.  Ammirato,  ii  août  lôio.  Cf.  le  passage  suivant  :  «  En  ce 
temps,  le  chevalier  Desmarais  avec  ses  deux  frères  démesièrent  en  la 
campagne  une  querelle  qu'ils  avaient  avec  M.  de  Dunes,  fils  de 
M.  de  Dunes,  qu'on  apeloit  Antrjguet,  qui  tua  Quélus,  mignon  du 
feu  roy  Henri  111,  sous  le  régne  duquel  ne  se  parloit  que  de  lui. 
Ledit  de  Dunes  fut  tue;  aussi  fust  le  chevalier  Desmarais,  avec  un 
de  ses  frères.  Les  duels,  du  feu  Roy  prohibés,  tournés  en  batailles 
rangées,  permises  et  auctorisées  par  connivences,  traîneront  avec  soi 
une  dangereuse  queue,  si  on  n'y  pourvoit.  »  (L'Estoile,  t.  X,  p.  384.) 

2.  Ambass.  venit.,  11  août  1610. 

3.  Scip.  Ammirato,  11  août  1610. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  gg 

On  peut  suivre  à  la  trace  dans  les  dépêches  des  ambassa- 
deurs italiens,  le  progrès  des  exigences  et  de  la  cupidité  du 
prince  de  Condé,  en  même  temps  que  la  marche  envahis- 
sante du  favori  Concini. 

Le  prince,  ayant  ouï  dire  qu'était  mort  le  gouverneur  de 
la  Capelle,  place  frontière  de  Picardie,  fit  tant  auprès  de  la 
reine  qu'elle  donna  ce  gouvernement  à  Rochefort.  Ce 
n'était  pas  une  place  de  grande  importance  en  elle-même: 
mais  la  situation  près  des  Espagnols  n'en  rendait  pas  la  pos- 
session absolument  dépourvue  de  conséquences,  alors  que 
le  prince  de  Condé  venait  tout  récemment  de  recevoir  l'hos- 
pitalité à  la  cour  de  Bruxelles  et  qu'il  continuait  à  être  en 
relations  avec  le  cabinet  de  Madrid;  de  plus,  la  situation  de 
gouverneur  y  rapportait  2  ooo  écus.  Mais  on  s'était  trop 
pressé;  le  gouverneur  n'était  pas  mort.  Rochefort  dut 
attendre  une  meilleure  occasion. 

Le  désir  de  se  concilier  les  chefs  de  l'autre  parti  qui 
briguait  la  faveur  de  la  régente  poussa  bientôt  Condé  à  une 
démarche  non  moins  inconsidérée  que  celle  dont  il  vient 
d'être  question.  A  la  mort  du  lieutenant  que  le  roi  Henri  IV 
avait  mis  en  Provence,  Condé  demanda  à  la  reine  de  lui 
donner  pour  successeur  le  chevalier  de  Guise;  mais  comime 
c'était  le  duc  de  Guise  qui  était  gouverneur  de  la  province, 
on  répondit  au  prince  qu'il  était  impossible  de  donner  au 
duc  son  frère  pour  lieutenant  \  La  maison  de  Guise  avait, 
d'ailleurs,  à  ce  moment,  certaines  visées  matrimoniales  qui 
ne  lui  permettaient  pas  de  répondre  franchement  aux 
avances  du  premier  prince  du  sang. 

On  était  donc  en  pleine  curée.  L'homme  dont  l'insa- 
tiable avidité  n'aurait  pu  être  refrénée  qu'au  moyen  de 
l'accord  suggéré  par  Sully  au  prince  de  Condé,  lors  de  son 
retour,  celui  qui  allait  devenir  le  fléau  de  la  Régence,  Con- 
cini, s'était  mis  sans  tarder  à  l'édification  de  cette  fortune 


I.  Scip.  Ammirato.  24  août  1610. 


BIBLIOTHECA 


100  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

insensée  qui  devait  s'écrouler  avec  lui  d'une  si  épouvantable 
chute.  (<  Il  faut  croire,  écrit  Cioli,  qu'il  sait  plus  ce  qui  se  fait 
que  ce  que  l'on  dit.  Comme  il  est,  en  considération  de  sa 
femme,  le  plus  favorisé  de  la  reine,  on  pourrait  dire  qu'il 
donne  certainement  à  sa  femme  l'occasion  de  le  faire  filer 
à  ses  pieds.  Chacun  a  Tœil  sur  lui,  et  tous  lui  taillent  du 
bois  sur  le  dos  '.  » 

Cependant  il  se  faisait  l'illusion  qu'à  l'exception  des  princes 
et  des  grands  qui  ne  l'honoraient  que  par  intérêt  à  cause 
de  la  faveur  de  la  régente,  il  était  universellement  et  sincè- 
rement aimé.  Cette  aveugle  confiance  l'enhardit  à  vouloir 
prendre  plus  profondément  racine  dans  le  pays  où  Henri  IV 
n'avait  jamais  voulu  le  considérer  que  comme  un  hôte  de 
passage.  Son  nom  italien  sonnait  mal  aux  oreilles  françaises. 
Mais  ne  serait-ce  pas  acquérir  le  droit  de  cité  que  de  se 
parer  d'un  beau  titre  français  de  noblesse?  Et  ne  pourrait-il 
point  se  faire  respecter,  le  jour  où  il  aurait  entre  les  mains 
des  places  fortes?  Les  générosités  de  la  reine,  les  dons  de 
Sully  peut-être,  ses  propres  spéculations  lui  fournissaient  les 
moyens  de  se  procurer  tous  ces  avantages.  Dès  le  commen- 
cement du  mois  d'août,  le  bruit  se  répandait  qu'il  avait 
engagé  des  négociations  pour  l'acquisition  du  gouvernement 
de  Péronne  auquel  était  attaché  le  titre  de  lieutenant  du  roi 
dans  une  partie  de  la  Picardie  '.  Bientôt  il  jeta  ses  vues  sur 
la  place  de  Calais  dont  le  gouverneur,  M.  de  Vie,  «  bon  et 
fidèle  serviteur  du  roi  et  de  son  État  »,  dit  L'Estoile,  était 
mort  le  15  août.  Mais  il  trouva  en  face  de  lui,  non  seule- 
ment le  prince  de  Condé  qui  voulait  cette  place  pour  son 
favori  Rochefort,  mais  un  brave  gentilhomme,  M.  d'Arquien, 
auquel  avait  été  promis  le  premier  gouvernement  qui  vien- 

1.  Hormai  bisogna  credere  che  piu  sappia  egli  quello  che  si  faccia 
che  dire  quello  che  si  dichino,  et  perché  egli  è,  per  rispetto  délia  moglie, 
il  piu  favorito  délia  regina,  percio  direbbe  alcuno,  ha  la  moglie  qualche 
cagione  di  pretendere  di  dovere  farlo  Jîlare ;  ognuno  ha  l'occhio  a  lui,  et 
tutti  gli  tagliono  le  legne  adosso.  (Andréa  Cioli,  8  août  1610.) 

2.  Andréa  Cioli,  11  août  1610. 


1 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  10  I 

(irait  à  vaquer,  parce  qu'il  avait  été  dépouillé  de  la  citadelle 
de  Metz  par  le  duc  d'Epernon.  Entre  Metz,  la  porte  des 
Allemands  en  France,  et  Calais,  celle  des  Anglais,  Thumble 
officier  pouvait  trouver  l'échange  honorable.  Abandonner 
la  vaillante  cité  victorieusement  défendue  jadis  par  le  grand 
François  de  Guise  à  un  homme  d'intrigues  et  suspect  d'in- 
telligences avec  l'Espagnol,  comme  le  duc  d'Epernon,  pou- 
vait être  pénible,  mais  le  duc  était  après  tout  le  colonel 
général  de  l'infanterie  française;  Concini  n'était  qu'un  étran- 
ger déjà  odieux,  presque  sans  titre  encore.  D'Arquien  ne 
supporta  pas  la  pensée  de  laisser  tomber  en  sa  garde  la  pré- 
cieuse conquête  de  1557,  cette  autre  gloire  du  grand  Lor- 
rain; il  déclara  tout  haut  «  qu'il  allait  faire  ses  Pâques  et 
qu'au  sortir  de  là,  il  irait  tuer  Concini,  fût-il  entre  les  bras 
de  la  reine,  ne  lui  étant  possible  de  survivre  à  une  si 
grande  supercherie  ^  ».  Cette  parole  d'un  bon  Français  fut 
entendue.  La  reine  dépêcha  Concini  à  Conflans. 

C'était  là  qu'était  située  la  maison  de  plaisance  de  Vil- 
leroy.  Le  ministre  venait  de  s'y  réfugier  sous  le  coup  d'un 
accès  de  mauvaise  humeur  causé  par  le  dépit  de  voir  la 
direction  réelle  des  affaires  lui  échapper.  «  Villeroy,  écrit 
Andréa  CioU,  le  8  août,  s'est  en  allé,  sous  le  prétexte  qu'il 
a  besoin  de  prendre  les  eaux  de  Spa;  d'aucuns  affirment 
qu'il  s'est  retiré  à  cause  de  son  indignation  contre  Concini, 
qui  aurait  mal  parlé  de  lui;  d'autres  disent  que  c'est  à  cause 
de  son  mécontentement  des  procédés  de  la  reine.  Il  ne 
peut  en  effet  supporter  que,  lorsque  Sa  Majesté  lui  demande 
conseil  sur  quelque  affaire  et  qu'elle  a  eu  son  avis,  non 
seulement  elle  ne  s'y  conforme  pas,  ce  qui,  dit-il,  lui  importe 
peu,  car  il  appartient  à  Sa  Majesté  d'agir  à  son  gré  et  à  lui 
de  donner  bon  conseil;  mais  qu'elle  fasse  pire  encore,  à 
savoir  qu'elle  dise  à  ceux  du  Conseil  ou  même  à  d'autres 
que  Villeroy  l'a  conseillée  de  telle  ou  telle  façon,  confi- 

1.  L'EsTciLE,  t.  X,  p.  371  et  372. 


102  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

dence  souvent  faite  même  à  ceux  contre  qui  le  conseil  est 
dirigé.  De  la  part  de  Sa  Majesté,  Villeroy  pense  que  c'est  à 
la  fois  montrer  peu  d'estime  pour  lui,  et  lui  faire  des  enne- 
mis dans  sa  vieillesse.  On  donne  aussi  comme  autre  raison 
de  cette  retraite  que  Sa  Majesté  ayant  voulu  faire  signer 
quelque  chose,  Villeroy  s'y  était  refusé,  alléguant  que  ce 
n'était  point  une  chose  juste,  ni  raisonnable,  et  qu'il  en 
reviendrait  à  Sa  Majesté  fort  peu  de  réputation  et  point 
d'utilité,  et  à  lui,  comme  ministre,  le  blâme  le  plus  fondé  '. 
Quelques  paroles  vives  ayant  été  échangées  avec  la  reine, 
Villeroy  en  aurait  pris  prétexte  pour  se  retirer  dans  sa  maison 
de  campagne^.  »  Cette  dernière  allusion  se  rapporte  évidem- 
ment au  f:iit  que  relate  L'Estoile  en  ces  termes  :  «  M.  de  Vil- 
leroy, en  ce  temps,  sort  mal  content  de  la  cour  et  de  la  reine, 
à  laquelle  il  refuse  signer  un  acquit  de  40000  escus  pour 
Conssine  pour  acheter  le  gouvernement  de  Montdidier, 
Roye  et  Péronne,  que  M.  de  Créquy  lui  avait  vendu  ». 
Villeroy,  mandé  par  la  reine,  revint  à  Paris  le  9  août.  Nous 
ne  savons  rien  de  l'entretien  que  Marie  de  Médicis  et  le 
ministre  durent  avoir  ensemble;  ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'un  assez  notable  changement  dans  la  situation  respec- 
tive des  ministres  et  du  favori  se  produisit  presque  immé- 
diatement après.  Le  dimanche  16  août,  M.  de  Villeroy 
était  de  retour  à  Conflans  et  recevait  à  déjeuner  MM.  de 
Bouillon  et  de  Sully,  qui  sortaient  du  prêche  à  Charenton. 
C'est  au  milieu  de  cette  réunion  que  tomba  Concini,  lorsque 
la  reine  l'envoya  trouver  M.  de  Villeroy  pour  l'affaire  du 
remplacement  de  M.  de  Vie. 

Le  vieux  ministre  d'État  et  ses  convives  firent  entendre 
raison  à  l'Italien;  il  lâcha  prise,  et  Ton  n'entendit  plus  parler 
non  plus  de  Rochefort  pour  ce  poste.  D'Arquien  fut  installé 
à  Calais  par  le  comte  de  Saint-Pol,  qui,  n'ayant  aucune 
place    dans   son    gouvernement   de    Picardie,   était   entré 

1.  Andréa  Cioli,  8  et  i  i  août  1610. 

2.  L'Estoile,  t.  X,  p.  366. 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDÉ.  103 

dans  la  ville,  sans  doute  parce  qu'il  craignait  qu'elle  ne  fût 
donnée  à  Concini,  un  étranger  \ 

Il  est  impossible  de  passer  sous  silence  une  insinuation, 
qui  est  sans  preuves,  assurément,  mais  qui  acquiert,  par  le 
rapprochement  des  dates,  une  certaine  gravité.  Le  12  août, 
l'envoyé  Cioli  écrit  que  Sully,  pour  se  faire  bien  venir  de 
Concini,  lui  a  fait  des  dons  considérables  et  qu'on  tient 
pour  certain  que  ce  personnage  est  en  situation  d'arriver  à 
toutes  les  grandeurs.  La  prophétie  ne  tarde  pas  à  s'accom- 
plir :  à  la  fin  du  mois  d'août,  Concini  s'offre  à  lui-même  une 
large  compensation  du  gouvernement  de  Calais,  où  s'est 
définitivement  installé  d'Arquien.  Il  achète  le  marquisat 
d'Ancre  pour  une  somme  de  no  000  écus,  et  se  fait  céder 
par  M.  de  Créquy  le  gouvernement  de  Péronne,  Roye  et 
Montdidier  moyennant  40000  écus';  le  23  septembre,  il 
prêta  au  roi  serment  de  fidélité  pour  ses  gouvernements, 
«  lui  baisant  la  main  et  à  k  reine  aussi  »,  dit  Héroard. 

L'entrée  du  duc  de  Feria,  ambassadeur  extraordinaire 
d'Espagne,  chargé  de  présenter  au  nom  de  son  gouverne- 
ment les  condoléances  officielles  à  l'occasion  de  la  mort  de 
Henri  IV,  cérémonies  dont  on  lira  plus  loin  les  détails, 
permit  à  Marie  de  Médicis  de  témoigner  pubHquement  au 
marquis  d'Ancre  une  faveur  résolue  à  ne  plus  tenir  aucun 
compte  des  protestations  qu'elle  soulevait.  C'est  en  effet 
Concini  qui  fut  chargé  d'aller  en  son  nom  souhaiter  la  bien- 
venue au  duc  de  Feria.  Mais  au  milieu  de  si  grands  honneurs 
la  préoccupation  de  ses  petits  intérêts  continuait  à  pour- 
suivre le  nouveau  marquis.  Au  sortir  du  logis  de  l'ambassa- 
deur d'Espagne,  il  fit  appeler  secrètement  auprès  de  lui  dans 
sa  voiture  le  marquis  Matteo  Botti  pour  lui  demander  des 
nouvelles  d'une  vieille  créance  qu'il  possédait  sur  la  grande 
famille  florentine  des  Corsini  et  dont  il  poursuivait  avec 
acharnement  le  recouvrement  par  l'intermédiaire  de  la  cour 

1.  Scip.  Ammirato,  24  août  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  18  septembre  lôio. 


104  lA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

de  Florence.  Botti  lui  annonça  que  le  grand-duc  avait 
donné  des  ordres  pour  lui  faire  payer  «  ce  bienheureux 
argent  ».  Concini  n'avait  pas  perdu  sa  journée  ^ 

Le  lendemain,  lorsque  Andréa  Cioli,  qui  avait  trouvé 
moyen  de  se  remettre  en  excellents  termes  avec  Concini, 
se  présenta  au  cercle  de  la  reine,  le  marquis  d'Ancre  se 
porta  vivement  à  sa  rencontre.  «  Tu  sais,  lui  dit-il,  que  Son 
Altesse  m'a  fait  la  grâce  de  m'accorder  cet  argent.  Q.uelle 
joie  pour  moi!  —  Je  vous  avais  dit  bien  souvent  qu'il  en 
serait  ainsi,  répond  le  diplomate.  —  Eh  bien,  maintenant, 
toi  aussi  veux-tu  quelque  chose?  reprend  Concini.  Adieu, 
nous  nous  reverrons  à  loisir!  »  Et  il  laissa  sur  cette  explo- 
sion de  facile  générosité,  un  interlocuteur  qui,  nous  le 
savons,  n'aimait  guère  à  se  nourrir  de  viande  creuse. 

La  bonne  nouvelle  arrivait  fort  à  point.  Le  nouveau 
marquis  d'Ancre  trouva  facilement  64000  écus  pour  acheter 
du  maréchal  de  Bouillon  la  charge  de  premier  gentilhomme 
de  la  chambre  du  roi  malgré  les  représentations  du  prési- 
dent Jeannin,  qui  lui  avait  dit  qu'il  se  ferait  des  ennemis 
de  la  plupart  des  gentilshommes  et  qu'avant  de  parvenir 
il  fallait  mériter  -.  Il  vendit  ensuite  la  charge  de  premier 
écuyer  de  la  reine  mère,  dont  il  était  titulaire,  au  chevaher 
de  Sillery,  frère  du  chancelier.  D'un  bond,  le  Florentin  s'éle- 
vait à  une  dignité  essentiellement  nationale,  il  prenait  un 
des  premiers  rangs  dans  la  maison  du  roi;  ce  ne  fut  pas  la 
moindre  de  ses  imprudences.  Le  jour  même  où  il  prêta  ser- 
ment pour  cette  nouvelle  charge,  Louis  XIII  entrait  dans 
sa  dixième  année. 

Désormais,  suivant  l'expression  des  secrétaires  de  Sully 
dans  les  Economies  royales,  «■  il  pouvait  se  dire  en  quelque 
sorte  compagnon  de  M.  de  Bellegarde  avec  lequel  il  n'avait 
jamais  été  guère  bien,  mais  il  y  avait  toujours  eu  entre 
eux  des  envies,  émulations  et  jalousies,  pour  de   certaines 

I.  Andréa  Cioli,  i3  septembre  lûio. 
•2.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  37?. 


LE    PRINXE    HENRI    II    DE    CONDE.  lOD 

causes  que  vous  savez  mieux  que  nous  et  que  nous  laisse- 
rons deviner  aux  autres  ».  Ce  passage  énigmatique  semble 
viser  quelque  rivalité  amoureuse  et  vouloir  faire  monter  le 
soupçon  jusqu'à  la  reine  mère  elle-même.  On  ne  peut 
guère  s'arrêter  à  cette  idée,  lorsque  Ton  sait  que  nos  médi- 
sants diplomates  florentins  s'entendent  unanimement  sur 
ce  point  que  le  maréchal  d'Ancre  n'obtenait  rien  de  la  reine 
qu'en  considération  de  sa  femme.  Nous  verrons  bientôt 
qu'entre  les  deux  gentilshommes  de  la  chambre  s'agitaient 
des  questions  d'une  nature  moins  sentimentale. 

Jusqu'à  ce  moment  Concini  n'avait  pas  été  pris  bien  au 
sérieux  par  la  cour  de  Florence.  Cet  homme,  qui  se  plai- 
gnait toujours,  et  pour  des  affaires  d'argent,  avait  été  peu 
écouté.  On  connaissait  son  origine,  on  savait  ce  qu'il 
valait.  Quelle  revanche  pour  Concini,  le  jour  où  il  put 
mander  devant  lui  le  représentant  de  «  son  seigneur 
naturel  »  le  grand-duc  de  Florence  et  faire  connaître  à  Cioli 
qu'en  raison  de  toutes  les  dignités  qu'il  venait  d'accumuler, 
il  recevait  à  la  cour  de  France  des  honneurs  é2:aux  à  ceux 
des  princes!  Il  demandait  donc  une  amplification  de  titre  et 
désirait  être  traité  désormais  d'Illustrissime,  comme  AI.  le 
Grand,  après  lequel  il  prenait  rang.  Si  on  lui  donnait  cette 
satisfaction,  Son  Altesse  pouvait  compter  sur  lui.  Cioli  était 
prié  d'ailleurs  de  présenter  cette  demande  comme  venant  de 
lui-même  et  non  pas  de  Concini,  le  marquis  étant  disposé  à 
priser  davantage  un  pareil  honneur  si  on  le  lui  accordait 
sans  qu'il  eût  l'air  de  l'avoir  demandé.  Concini  prit  toute- 
fois la  précaution  de  remettre  à  l'ambassadeur  la  ronflante 
suscription  sous  laquelle  il  désirait  que  désormais  lui  fût 
adressée  sa  correspondance.  Elle  était  libellée  en  ces 
termes  :  Al  Signor  Concino  Concini  de  conli  délia  Fenna,  mar- 
chesc  d'Ancre,  governatore  e  luogoîenente  del  re  in  Perona  et 
primo  gentilhuofno  délia  caméra  di  Sua  Maesta.  Andréa  Cioli 
transmit  la  formule  et  pensa  qu'il  était  de  bonne  politique 
d'entrer   encore  plus  à  fond  dans  les  bonnes   grâces  du 


I06  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

favori  et  même  de  faire  sa  cour  à  l'abbé  de  Marmoutiers 
pour  avoir  Foreille  de  sa  sœur,  Mme  Concini.  Il  réussit  à 
merveille  dans  ce  rôle  nouveau  :  lors  d'une  de  ses  visites  au 
marquis  d'Ancre,  celui-ci  poussa  la  confiance  et  la  fami- 
liarité jusqu'à  vouloir  lui  montrer,  mais  à  la  condition  de  ne 
révéler  le  secret  à  personne,  la  manière  dont  il  s'y  prenait 
pour  contrefaire  les  sceaux  des  lettres.  L'arrivée  de  la  reine, 
qui  venait  voir  une  litière  nouvelle  qu'on  lui  avait  faite  pour 
le  voyage  du  sacre,  coupa  court  à  cette  étonnante  confi- 
dence '.  Voilà  l'homme  dont  on  disait  à  ce  moment-là 
même  qu'il  allait  être  appelé  à  remplacer  Sully  ! 

Les  renseignements  et  les  faits  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion dans  les  pages  précédentes  ne  sont  évidemment  pas 
sans  quelque  rapport  avec  le  dîner  de  Conflans,  dont  il  est 
parlé  plus  haut  et  qui  eut  lieu  le  i6  août.  D'après  le  rensei- 
gnement que  donne  L'Estoile  en  passant,  deux  des  contrac- 
tants dans  les  trafics  de  gouvernements  et  offices  qui  eurent 
lieu  aussitôt  après  y  assistaient  :  Concini  et  le  duc  de 
Bouillon.  Le  maître  de  la  maison,  Villeroy,  le  principal 
conseiller  de  plume  de  la  régente,  qui  venait  de  se  retirer 
dans  sa  terre,  avait  des  intérêts  conformes  à  ceux  du  chan- 
celier, frère  du  troisième  des  personnages  engagés  dans  les 
négociations  qui  aboutirent  à  la  fin  du  mois.  Il  n'est  pas 
vraisemblable  qu'il  n'ait  pas  été  question  à  Conflans  de 
tous  ces  arrangements.  Le  succès  dépendait  évidemment  de 
Sully  qui,  tout  récemment,  à  la  suite  du  refus  fait  par  Vil- 
leroy de  signer  l'acquit  de  40  000  écus  au  bénéfice  de  Con- 
cini pour  faciliter  ses  acquisitions,  avait  déclaré  à  son  tour 
qu'il  n'y  avait  pas  moyen  de  trouver  cette   somme,   sans 


I.  lo  con  la  p3:^ien:{a  et  la  destre^^^a  hofatto  tanto  clie  sono  diventato 
tutto  suo,  et  iiîsin''  ogf^i,  se  non  arrivava  a  casa  sua  la  regina  a  vedere 
iina  lettiga  nuova  fatta  per  il  prossimo  viaggio,  voleva  insegnarmi,  ma 
con  pyomessa  di  non  mostrarlo  mai  ad  allri,  a  scontrafare  i  sigilli 
délie  lettere;  spero  di  havermi  a  giiadagnare  anco  la  moglie,  perche 
sono  diventato  tutto  del  s^  abbate  suo  fratello,  teneramente  amato  da 
lei.  (Andréa  Cioli,  16  septembre  1610.) 


LE    PRINCE    HENRI    II    DE    CONDE.  1 07 

toucher  à  l'argent  de  TArsenal.  L'opposition  du  surinten- 
dant fut  moins  absolue  après  l'entrevue  de  Conflans;  Con- 
cini  avait  eu  les  fonds  qui  lui  faisaient  défaut. 

«  Ainsi,  dit  L'Estoile,  se  vidait  petit  à  petit  l'argent  de  notre 
Arsenal  que  le  pauvre  prince  défunt  avec  tant  de  peine  y 
avait  amassé  et  fait  serrer  par  son  confident  Sully,  auquel 
il  en  faisait  assez  de  mal  au  cœur,  mais  lequel  n'en  eût  osé 
parler  qu'à  demi-bouche.  •>  Le  même  écrivain  constate  le 
bruit  «  qu'on  avait  tiré  7  millions  de  livres  de  l'Arsenal 
depuis  la  mort  du  roi  jusqu'au  15  de  ce  présent  mois 
d'août'  ». 

Il  est  certain  que  les  coffres  de  la  Bastille  s'étaient  ouverts, 
et  largement.  La  rigidité  de  Sully  avait  singulièrement  fléchi 
depuis  son  entretien  avec  Condé.  C'est  que,  n'ayant  pu 
s'entendre  avec  le  prince  et  n'espérant  pas  que  le  ferme  et 
honnête  langage  qu'il  lui  avait  tenu  serait  mieux  écouté  par 
d'autres,  il  s'était  décidé  sans  doute  à  faire  la  part  du  feu. 
Désireux  de  conserver  le  pouvoir,  il  chercha  un  point 
d'appui  du  côté  où  la  faveur  de  la  régente  s'attachait,  et  fit 
les  concessions  nécessaires. 

On  observa,  tous  les  témoignages  s'accordent  sur  ce  point, 
pendant  quelques  semaines,  un  rapprochement  très  osten- 
sible entre  le  surintendant  et  les  familiers  de  la  régente. 
Sully  reçoit  des  marques  publiques  de  faveur  :  le  20  août, 
le  jeune  roi  allait  à  Vincennes  poser  la  première  pierre  de 
bâtiments  nouveaux  ',  pour  l'édification  desquels  des  mar- 
chés avaient  été  tout  récemment  passés  par  Sully  ^;  le  29, 
une  cérémonie  semblable  avait  lieu  pour  le  collège  de  Cam- 
brai; le  surintendant  accompagna  le  roi  et  c'est  lui  qui 
présenta  à  Sa  Majesté  la  truelle  d'argent  avec  laquelle  il 
maçonna  la  pierre  *.  Voilà  des  circonstances  notées  comme 

1.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  366,  347,  384. 

2.  «  Corps  de  logis  qui  est  du  côté  du  parc.  «  [Journal  d'Héroard, 
t.II,  p.  17.) 

3.  Malherbe,  p.  icjb. 

4.  L'EsTOiLE,  t.  X,  p.  378. 


Io8  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

importantes  par  les  annalistes  contemporains,  Héroard , 
Malherbe,  L'Estoile;  ajoutons-y  un  renseignement  qui  a  sa 
valeur,  malgré  son  insignifiance  apparente  :  Andréa  Cioli, 
qui,  pendant  près  de  trois  semaines,  avait  été  tenu  éloigné 
de  la  cour  par  une  maladie,  constate  comme  un  fait  digne 
de  remarque  dans  sa  dépêche  du  26  août  que  lorsqu'il  alla 
pour  la  première  fois  revoir  la  reine,  il  la  trouva  s'entrete- 
nant  familièrement  avec  Villeroy  et  Sully.  On  peut  inférer 
de  ces  divers  témoignages  que,  moyennant  les  satisfactions 
données  à  Concini,  le  surintendant  avait  réussi,  dans  une 
certaine  mesure,  à  grouper  autour  de  la  reine  régente  un 
parti  de  gouvernement  dirigé  par  des  hommes  sérieux  sinon 
complètement  désintéressés. 

C'était  là  une  combinaison  politique  suggérée  par  l'idée 
de  tenir  en  échec  le  prince  de  Condé.  Ce  dernier  ne  se  con- 
tentait plus  maintenant  des  satisfactions  pécuniaires  qui 
lui  avaient  été  accordées,  et  visait  au  rôle  de  lieutenant 
général  ou  de  connétable  :  chef  de  la  branche  cadette  des 
Bourbons,  il  s'inspirait  des  souvenirs  de  l'histoire  équivoque 
du  roi  Antoine  de  Navarre,  son  grand-oncle,  et  faisait  des 
avances  au  parti  protestant.  Mais  celui  qui  tenait  véritable- 
ment en  main  cette  force  politique  était  Sully,  et  si  l'on 
s'explique  par  le  désir  de  le  faire  servir  à  ses  propres  inté- 
rêts les  coquetteries  du  prince  vis-à-vis  du  surintendant,  on 
ne  peut  que  louer  ce  dernier  de  n'avoir  point  voulu  mettre 
son  influence  au  service  de  machinations  si  contraires  à 
l'œuvre  historique  et  politique  de  Henri  IV.  Ces  considé- 
rations suffisent  à  justifier  le  surintendant  de  s'être  porté 
du  côté  des  adversaires  de  Condé.  Le  marquis  d'Ancre  ne 
paraissait  pas  encore  à  ce  moment  un  homme  politique- 
ment dangereux.  Sully  crut  pouvoir  se  servir  de  lui.  Mais 
il  ne  tarda  pas  à  être  désabusé.  Concini  n'entendait  tra- 
vailler que  pour  lui-même. 

Sully  eut  le  sentiment  de  ce  que  cette  situation  avait 
d'irrémédiable,  et  c'est  alors  que,  se  voyant  impuissant  à 


LE    PRINCP:    HENRI    II    DE    CONDÉ.  IO() 

arrêter  le  débordement  des  appétits,  à  défendre  le  trésor  de 
l'État  et  la  dignité  même  du  gouvernement,  il  demanda  le 
congé  de  la  reine  pour  se  retirer  dans  ses  terres.  Cette 
marque  de  découragement  laissait  déjà  percer  l'idée  d'une 
retraite  définitive.  La  reine  régente  n'accéda  pas  im.média- 
tement  au  désir  du  surintendant.  Sully  resta  au  poste  où 
il  était  indispensable,  en  attendant  le  jour  du  sacre  de 
Louis  XIIL 

La  situation  intérieure  redevenait  a  ce  moment  fort 
inquiétante  pour  la  reine.  <■<  Sully  dit  ne  vouloir  rester  chez 
lui  qu'un  mois,  lisons-nous  à  la  suite  de  l'information 
donnée  plus  haut  par  Scipione  Ammirato;  mais  on  pense 
que  ce  sera  pour  plus  longtemps;  et  cette  détermination  est 
fort  blâmée.  Le  maréchal  de  Bouillon  doit  aller  à  Sedan;  le 
prince  de  Condé  se  trouve  dans  ses  terres  de  Normandie, 
d'où  il  se  rendra  à  Valéry;  le  duc  d'Aiguillon  est  à  Sois- 
sons;  et  l'on  croit  de  plus  que  le  duc  de  Guise  se  rendra 
en  Provence.  On  est  universellement  mécontent  de  voir 
s'éloigner  tous  ces  princes  de  la  cour  où  ils  ne  peuvent  rien 
faire  de  mal  sans  qu'on  puisse  y  remédier  promptement, 
tandis  que  lorsqu'ils  seront  dehors  dans  leur  gouvernement 
et  leurs  terres,  on  ne  pourra  ni  si  bien  ni  si  vite  régler  leur 
compte.  Le  duc  de  Nevers,  qui  est  dans  son  gouvernement 
de  Champagne,  demande,  paraît-il,  à  Sa  Majesté,  une  bonne 
sommxe  d'argent  pour  payer  ses  dettes;  on  ne  sait  si  on 
la  lui  donnera.  Mais  il  n'est  pas  étonnant  qu'il  s'émeuve 
à  ce  sujet;  car  il  n'a  rien  eu  et  Ton  a  donné  à  tout  le 
miOnde  V  » 

Le  vide  se  faisait  donc  autour  de  la  régente  au  moment 
même  où  il  importait  d'assurer  à  la  cérémonie  du  sacre  de 
Louis  XIII  l'éclat  qui  devait  résulter  du  concours  unanime 
des  princes  et  des  grands  personnages  de  l'État.  Le  mois 
de    septembre    fut  employé    à   frapper    les   imaginations 

I.  Scip.  Ammirato,  3o  août  i(3io. 


IIO  LA    MINORITE    DK    LOUIS    XIII. 

populaires  par  de  pompeuses  réceptions  d'ambassadeurs, 
à  négocier  pour  ramener  les  absents,  à  récompenser  la 
fidélité  de  ceux  qui  ne  s'étaient  pas  encore  éloignés, 
à  faire  taire  les  velléités  d'opposition,  à  désarmer  les 
résistances. 


SCÈNES  INTIMES.  —  AMBASSADES  EXTRAORDINAIRES 
LE  ROI.  —  LES  GUISES  ET  LES  BOURBONS 


Menus  détails  de  l'existence  privée  de  la  régente.  —  Chaleur  de  l'été 
en  1610.  —  Marie  de  Médicis  commande  à  la  fabrique  de  Monte- 
lupo  en  Toscane  un  carrelage  artistique  pour  ses  appartements.  — 
Ses  promenades  de  dévotion.  —  Revue  de  sa  compagnie  d'hommes 
d'armes.  —  Scènes  intimes.  —  Le  dentiste  Tornabuoni.  —  Ambas- 
sades du  comte  de  Bucquoy,  du  comte  de  CoUalto,  du  duc  de  Deux- 
Ponts,  du  duc  de  Feria,  du  comte  de  Hampton.  —  Dignité  précoce, 
esprit  d'à-propos  du  jeune  roi.  —  Son  portrait  d'après  les  ambassa- 
deurs florentins.  —  Anecdotes  diverses.  —  Faveur  éphémère 
du  tireur  d'arbalète  Zanobi  Spini.  —  Projet  d'union  entre  le  duc  de 
Guise  et  la  douairière  de  Montpensier  favorisé  par  la  reine  mère.  — 
Opposition  de  la  marquise  de  Verneuil.  —  La  régente  intervient. 
—  La  marquise  capitule.  —  Satisfaction  de  Marie  de  Médicis.  —  Le 
prince  de  Gondé  revient  à  la  cour  pour  le  voyage  du  sacre. 


Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  recueillir  çà  et  là  dans  nos 
ambassadeurs  quelques  traits  de  la  vie  familière  de  la  régente 
ou  du  jeune  roi.  S'ils  ne  sont  pas  l'histoire  même,  ils  en 
forment  l'accompagnement  naturel  et  reposent  Tesprit  du 
lecteur  au  milieu  de  la  trame  compliquée  des  événements 
politiques  et  des  intrigues  de  cour.  C'est  pourquoi,  avant  de 
poursuivre  l'exposé  des  faits  de  l'ordre  purement  historique, 
nous  grouperons  un  certain  nombre  d'épisodes  qui  ont 
échappé  à  la  curiosité  des  auteurs  de  mémoires  contempo- 
rains ou  qui  n'ont  été  vus  par  eux  qu'imparfaitement. 


112  LA    MINORITE    DE    TOUIS    XIII. 

L'été  de  1610  fut  particulièrement  chaud.  Marie  de 
Médicis  aimait  beaucoup  ses  aises  et  souffrait  de  l'inhabileté 
où  l'on  est  dans  nos  pays  tempérés  à  se  défendre  contre  les 
excès  de  la  chaleur  ou  du  froid.  Ses  plaintes  à  cet  égard 
furent  la  cause  de  modifications  dans  les  aménagements 
intérieurs  de  son  habitation. 

«  L'autre  soir,  parlant  de  la  grande  chaleur  que  l'on  res- 
sent, écrit  Matteo  Botti,  la  reine  me  dit  que,  par  un  temps 
pareil,  elle  trouvait  extrêmement  désagréables  les  parquets 
de  bois  dont  on  fait  usage  ici,  et  elle  dit  qu'elle  avait  l'in- 
tention de  faire  venir  des  carreaux  qu'on  ne  sait  pas  fabri- 
quer à  Paris.  Je  répondis  à  Sa  Majesté  que  ce  qui  vaudrait 
le  mieux,  ce  seraient  de  ces  briques  peintes  et  vernies  que 
Ton  fait  à  Montelupo,  quelquefois  exprès,  et  qui  sont  très 
belles  quand  on  les  commande  avec  un  joli  dessin.  On  s'en 
sert  beaucoup  en  Espagne  comme  carrelage  et  ornement. 
Sa  Majesté  répondit  que  cette  idée  lui  allait  à  merveille.  De 
toute  notre  conversation,  il  résulte  que,  si  Votre  Altesse  en 
faisait  faire  pour  une  ou  deux  chambres  et  les  envoyait  ici 
le  plus  tôt  possible,  elle  pourrait  offrir,  à  peu  de  frais,  un 
présent  extrêmement  agréable  à  Sa  Majesté  \  » 

Marie  de  Médicis  se  montra  en  effet  très  désireuse  d'avoir 
bientôt  l'occasion  de  faire  cette  innovation.  Elle  demanda 
qu'on  lui  fît  parvenir  ces  fameux  mattoni  avant  la  fin  des 
chaleurs  ",  mais  la  fabrication  ne  put  s'en  faire  aussi  promp- 
tement  qu'elle  le  voulait.  Cette  affaire  devint  désormais 
une  de  ses  préoccupations. 

La  haute  température  de  la  saison  n'empêcha  point  la 
régente  de  mener  une  vie  extérieure  fort  active.  On  la  voit 
souvent  dehors;  le  but  de  ses  promenades  nous  est  un 
indice  assez  frappant  de  sa  tournure  d'esprit  et  de  la  direc- 
tion de  ses  pensées. 

La  reine  aimait  beaucoup  à  faire,  comme  on  le  sait  déjà, 

1.  Matteo  Botti,  3  juin  1610. 

2.  Matteo  Botti.  2  juillet  1610. 


SCKNES    INTIMES.  1  I  3 

des  promenades  de  dévotion.  Le  i6  juillet,  Andréa  Cioli 
nous  signale  une  visite  de  Marie  de  Médicis  au  couvent  des 
Carnàélites  où  elle  se  rend  en  voiture,  assiste  à  complies  et 
se  promène  dans  le  jardin  avec  les  nonnes  de  l'endroit  '. 
Deux  jours  après,  c'est  au  monastère  de  Saint-Victor  que 
la  reine  se  rend  en  cavalcade.  Cioli  tombe  de  cheval  ce 
jour-là  et  fait  part  de  cet  accident  à  son  gouvernement 
d'une  manière  assez  comique  ".  Au  moment  des  fausses  ter- 
reurs répandues  à  Paris  et  du  bruit  d'une  nouvelle  Saint- 
Barthélémy,  on  voit  la  reine,  après  une  conférence  avec 
le  duc  de  Mayenne  qu'elle  avait  fait  appeler,  se  rendre  à 
Saint-Cloud  en  carrosse,  accompagnée  des  dames  de  sa 
suite  ordinaire;  elle  prend  dans  sa  voiture  même  le  car- 
dinal de  Joyeuse  ^. 

Un  autre  jour  elle  va  voir  la  litière  qu'on  lui  avait  pré- 
parée pour  cette  entrée  solennelle  à  Paris  dont  le  regret 
paraissait  plus  durable  chez  elle  que  le  deuil  de  son  époux; 
elle  allait  ensuite  se  promener  dans  les  jardins  de  l'hôtel 
du  duc  de  Piney-Luxembourg,  dont  elle  songeait  à  faire 
l'acquisition  pour  y  établir  plus  tard  sa  résidence  particu- 
lière*. Le  14 août,  veille  de  la  fête  de  la  Vierge,  sa  patronne, 
la  régente  se  rend  au  faubourg  Saint- Victor,  et  après  avoir 
fait  ses  dévotions  ordinaires  à  la  madone  du  couvent,  elle 
va  sur  la  colline  qui  s'élevait  hors  du  faubourg  passer  avec 
le  roi  et  toute  sa  cour  la  revue  de  la  compagnie  de  cent 
gentilshommes  commandée  par  M.  de  la  Châtaigneraye,  qui 
lui  servait  de  gardes.  Ils  étaient  tous  admirablement  montés, 
armés  de  pied  en  cap  d'armes  toutes  noires  et  portant  des 
plumes  également  noires  au  morion;  ils  avaient  l'épée  au 
côté,  l'arquebuse  courte  à  la  main.  Après  s'être  mis  en 
ordre  de  bataille,  ils  firent  des  manœuvres  d'attaque  et  de 


1.  Andréa  Cioli,  lô  juillet  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  18  juillet  1610. 

3.  Andréa  Cioli,  23  juillet  161  o. 

4.  Andréa  Cioli,  28  juillet  1610^ 


114  ^-^    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

retraite  et  d'autres  actions  de  guerre,  et  terminèrent  par 
une  salve  d'arquebusades.  Cette  parade  réussit  fort  bien;  la 
reine  mère  et  le  jeune  roi  y  prirent  beaucoup  de  plaisir  '. 
La  reine  se  retire  après  avoir  entendu  vêpres  et  complies  à 
l'abbaye  de  Saint-Victor  et  salut  dans  la  chapelle  souter- 
raine de  la  vierge  miraculeuse  des  Bonnes  Nouvelles,  qui 
existait  dans  l'église  des  moines. 

De  ces  manifestations  extérieures  de  militarisme  et  de 
piété,  convient-il  d'en  revenir  à  des  scènes  intérieures  d'un 
ordre  plus  vulgaire?  La  vie  humaine  est  pleine  de  con- 
trastes. Pourquoi  l'histoire  la  supprimerait-elle  de  Texistence 
des  grands  de  la  terre?  Cioli  nous  rapporte  une  amusante 
anecdote  qui  se  passa  au  Louvre  vers  la  fin  du  mois 
d'août. 

((  La  reine,  écrit-il,  voulait,  ce  matin,  se  faire  ôter  une 
dent  qui  l'a  fait  souffrir  plusieurs  fois,  ces  jours-ci.  C'est 
pourquoi,  me  trouvant  là,  je  dis  à  laForzona  '  qu'avant  de  se 
résoudre  à  ce  martyre,  Sa  Majesté  ne  risquerait  rien  d'es- 
sayer un  remède  du  capitaine  Horatio  Tornabuoni,  lequel, 
en  un  clin  d'œil,  avait  fait  merveille  pour  quelqu'un  d'autre. 
La  Forzona  le  dit  à  Sa  Majesté  qui  voulut  m'entendre  et 
me  manda  exprès  dans  sa  chambre  pendant  qu'elle  se 
faisait  coiffer.  L'on  envoya  aussitôt  chercher  Tornabuoni, 
qui  se  mit  à  lui  appliquer  son  onguent  aux  tempes  et  puis 
dans  les  oreilles,  de  ses  propres  mains,  lui  donnant  aussi 
des  soins,  au  grand  scandale  de  deux  médecins  qui  compa- 
rurent à  ce  moment.  Et  ainsi  est  restée  en  suspens  l'opéra- 
tion de  l'extraction  de  la  dent,  pour  laquelle  on  avait  fait 
venir  un  maître  de  Toulouse.  Celui-ci,  pour  se  faire  la  main 
et  prouver  son  talent,  en  avait  ôté  une  à  un  valet  de  la 
cour,  qui  s'évanouit  presque  de  douleur.  Pour  rendre  cou- 
rage à  la  reine,  le  maître  de  Toulouse  affirmait  que  c'était 
la  peur  et  non  la  douleur  qui  l'avait  ainsi  anéanti,  ce  que 

1.  Matteo  Botti,  iSaoûtiôio. 

2.  C'était  la  première  femme  de  chambre  de  la  reine  mère. 


SCENES    INTIMES.    —    AMBASSADES    EXTRAORDINAIRES.        I  I  D 

le  pauvre  diable  était  contraint  d'affirmer.  »  Le  succès 
d'Horatio  Tornabuoni  fut  complet.  Il  devint  un  des  fami- 
liers de  la  cour,  au  grand  désespoir  de  l'arracheur  de  dents  '. 

Les  allées  et  venues,  les  réceptions  d'ambassadeurs,  pen- 
dant les  premiers  mois  du  règne  de  Louis  XIII,  tout  en 
appartenant  à  la  vie  officielle  de  la  famille  royale,  ne  nous 
en  fournissent  pas  moins  l'occasion  de  relever  quelques 
détails  d'ordre  intime  qui  ne  sont  pas  hors  de  place  dans  ce 
chapitre  où  nous  voulons  laisser  de  côté,  les  réservant  pour 
plus  tard,  les  questions  de  pure  diplomatie.  Les  envoyés  flo- 
rentins ne  voient  pas  seulement  le  côté  extérieur  des  choses, 
le  cérémonial  qui  cependant  les  intéresse  beaucoup;  ils 
vivifient  par  des  observations  personnelles  ce  que  les  docu- 
ments officiels  qui  rapportent  ce  genre  de  curiosité  ont 
généralement  de  froid  et  d'inanimé.  Nous  trouverons  dans 
leurs  dépêches  de  fort  intéressants  renseignements. 

Le  17  juillet,  le  comte  de  Bucquoy,  ambassadeur  extraor- 
dinaire de  Flandre,  fut  reçu  en  audience  solennelle  de  con- 
doléances. Le  maréchal  de  Boisdauphin  alla,  au  nom  de 
Leurs  Majestés,  le  chercher  dans  un  carrosse  de  la  cour.  Il 
fut  fort  bien  accompagné,  ayant  neuf  voitures,  et  fut  reçu 
par  le  roi  et  la  reine,  avec  lesquels  se  trouvait  encore  la  fille 
aînée  de  Henri  IV,  dans  la  chambre  de  la  régente,  en 
présence  de  Conti,  de  Soissons  et  des  autres  princes  et 
princesses.  A  son  arrivée  au  Louvre,  la  garde  était  sous  les 
armes,  ce  qu'on  n'avait  pas  fait  pour  l'ambassadeur  de 
Savoie;  car  on  voulait  réserver  cet  honneur  aux  ambassa- 
deurs royaux.  Il  avait  paru  fort  étrange  que  cet  envoyé 
n'eût  pas  voulu  aller  loger  dans  la  maison  qui  lui  avait  été 
destinée  par  la  cour,  mais  qu'il  y  eût  seulement  fait  aller 
tous  les  siens;  on  les  y  fournissait  de  pain,  de  vin,  de  viande 
et  de  toutes  sortes  de  victuailles  {et  altre  cose  mangiative)\ 
quant  à  lui  il  était  resté  dans  la  maison  du  résident  ordi- 

I.  Andréa  Cioli,  4  et  8  septembre  1610. 


Il6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIIJ. 

naire.  Il  s'excusa  en  disant  qu'étant  par  ses  parents  et  pour 
d'autres  raisons,  très  Français,  et  ayant  été  honoré  par 
l'archiduc  de  cette  mission,  il  voulait  rester  constamment 
avec  la  personne  de  l'ambassadeur  résident,  afin  que  Leurs 
Altesses  fussent  complètement  assurées  de  ses  bons  services. 
Cette  honorable  excuse  fut  acceptée. 

Un  autre  ambassadeur  de  la  maison  d'Autriche,  le  comte 
de  Collalto,  représentant  de  l'archiduc  Ferdinand  de  Gratz, 
était  arrivé  dans  le  même  temps  et  était  descendu  dans  une 
hôtellerie.  On  ne  l'y  découvrit  qu'au  bout  de  quelques  jours  ; 
la  reine  l'envoya  alors  visiter  par  M.  de  Bonneuil,  introduc- 
teur des  ambassadeurs,  et  ordonna  qu'on  lui  envoyât  tous 
les  jours  un  ordinaire  pour  douze  personnes  \ 

Pendant  que  ces  ambassadeurs  de  princes  catholiques 
s'établissaient  pour  quelque  temps  à  la  cour  de  France,  un 
des  premiers  arrivés  parmi  les  représentants  étrangers  ne  se 
décidait  point  à  partir.  C'était  le  duc  de  Deux-Ponts,  fondé 
de  pouvoirs  des  princes  protestants  d'Allemagne;  on  le 
prétendait  amoureux  de  Mme  de  la  Trémouille.  La  pro- 
longation de  son  séjour  s'explique  mieux  encore  par  la 
nécessité  de  surveiller  les  menées  de  ses  collègues  de  Tautre 
parti.  La  reine,  qui  ne  voulait  pas  être  gênée  dans  l'élabo- 
ration d'une  politique  étrangère  sur  laquelle  nous  nous 
étendrons,  se  débarrassa  des  deux  Allemands  en  leur  offrant 
en  guise  de  congé  de  riches  présents  :  «  Le  duc  de  Deux- 
Ponts,  à  son  départ,  dit  Scip.  Ammirato,  a  reçu  comme 
cadeau  de  Leurs  Majestés  une  crédence  d'argenterie  dorée  de 
3  000  écus;  et  l'ambassadeur  du  Sérénissime  de  Griitz  un 
collier  de  800  écus;  mais  en  substance  la  valeur  de  ce  der- 
nier objet  sera  beaucoup  moindre,  ainsi  qu'il  en  a  été  du 
collier  du  Sérénissime  prince  d'L'rbin  que  l'on  donnait  pour 
500  écus  et  qui  n'arrivait  pas  à  300  ".  »  Le  comte  de  Bucquoy 
partit  dans  le  même  temps,  le  8  août;  il  reçut  comme  pré- 

1.  Scip.  Ammirato,  i8  juillet  1610. 

2.  Scip.  Ammirato,  3  août  1610. 


i 


SCÈNES    INTIMES.      —    AMBASSADES    EXTRAORDINAIRES.  II7 

sent  de  la  reine  mère  une  enseigne  *  de  diamants  de  la 
valeur  d'environ  .i  500  écus  ^  Au  sortir  de  la  cour  de 
France  le  comte  de  Bucquoy  s'empressa  d'aller  prendre  le 
commandement  de  l'artillerie  catholique  dans  la  place  de 
Juliers  assiégée  par  les  forces  françaises  combinées  avec 
celles  des  protestants.  Peut-être  avait-il  été,  lui  aussi,  trompé 
sur  la  qualité  de  la  marchandise. 

Bientôt  après  arrivèrent  encore  deux  Allemands,  repré- 
sentant chacun  aussi  l'un  des  deux  partis  en  présence.  Ce 
furent  l'ambassadeur  de  l'archiduc  Maximilien  et  celui  de 
l'électeur  marquis  de  Brandebourg  ^  Mais  leur  présence  fut 
complètement  éclipsée  par  celle  d'un  personnage  dont 
l'arrivée  fut  le  gros  événement  du  commencement  de  sep- 
tembre :  le  duc  de  Feria,  ambassadeur  extraordinaire  du  roi 
d'Espagne.  «  C'était,  dit  L'Estoile,  le  fils  du  duc  de  Feria, 
qui,  pendant  la  Ligue,  régenta  si  bien  Paris,  avec  ses  gar- 
nisons espagnoles,  et  y  estoit  encores,  quant  la  ville  fust 
réduitte  sous  l'obéissance  de  Sa  Majesté,  laquelle  le  con- 
traignist  d'en  sortir  ^.  »  PhiHppe  III  ne  s'était  pas  pressé 
d'accomplir  par  l'envoi  de  Feria  une  démarche  de  cour- 
toisie internationale  que  la  mort  de  Henri  IV  avait  rendue 
nécessaire.  Mais  on  savait  ce  diplomate  porteur  d'instruc- 
tions secrètes,  peut-être  d'un  projet  d'alliance.  C'est  au 
milieu  de  sentiments  très  divers  qu'il  allait  faire  son  appari- 
tion dans  Tancienne  capitale  de  la  Ligue.  Par  un  renver- 
sement bien  remarquable  des  situations,  si,  dans  le  monde 
de  la  cour,  dans  l'entourage  de  la  reine  particuUèrement, 
on  s'apprêtait  à  l'accueillir  avec  satisfaction,  c'est  avec 
défiance  que  le  peuple  et  la  bourgeoisie  voyaient  revenir 
avec  lui  comme  le  spectre  des  mauvais  jours  que  le  génie 
bienfaisant  de  Henri  IV  avait  su  faire  disparaître.  C'est  l'im- 

1.  On  appelait  de  ce  nom  un  ornement  qui  se  mettait  à  la  coiffure 
des  hommes,  chapeau  ou  bonnet. 

2.  Scip.  Ammirato,  ii  août  1610. 

3.  Matteo  Botti,  18  août  1610. 

4.  L'Estoile,  t.  XI,  p.  3. 


Il8  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

pression  qui  dominait  et  que  traduisit  en  jeux  de  mots  fort 
bien  tournés,  une  pièce  de  vers  latins  que  les  amateurs, 
comme  L'Estoile,  se  passaient  de  main  en  main  : 

Cur,  quondam  maie  feriatus.  isiuc 
Redit  Feria?  Filiusne  captam 
Amissamque  patri  reposcit  Urbem:' 
Legatus  venit,  an  superbus  hostis:* 
Mitte  qua;rere  plura,  namque  cœso 
Dira  proditione  quem  timebant 
Henrico.  et  misère  gemente  Gallo, 
Agunt  undique  ferlas  Iberi. 

Au  sujet  de  cette  entrée,  nous  citerons  dans  presque 
toute  sa  teneur  la  dépêche  envoyée  à  son  gouvernement 
par  Andréa  Cioli.  Elle  offre  un  intérêt  tout  particulier 
parce  que,  dans  un  récit  dont  nous  ne  trouvons  pas  ailleurs 
l'équivalent,  le  Florentin  fait  défiler  devant  nous,  dans  des 
scènes  vives  et  curieuses,  la  plupart  des  personnages  dont 
il  a  été  question  dans  les  pages  qui  précèdent  et  notam- 
ment le  jeune  roi. 

«  Dans  ma  dernière  lettre  de  mercredi  dernier  8  septem- 
bre, je  faisais  savoir  à  Votre  Sérénité,  si  je  m'en  souviens 
bien,  que,  ce  jour  même,  devait  faire  son  entrée  M.  le  duc 
de  Feria,  ambassadeur  extraordinaire  d'Espagne.  J'ai  main- 
tenant à  vous  rendre  compte  de  cet  événement,  et  je  puis  le 
faire  en  connaissance  de  cause;  car  étant  montés  à  cheval 
l'Ammirato  et  moi,  nous  allâmes  si  avant  en  dehors  de  la 
porte  que  nous  vîmes  tout,  à  partir  du  moment  où  se  ren- 
contrèrent à  une  lieue  de  distance  de  la  ville  le  duc  de  Feria 
et  le  duc  de  Montbazon  envoyé  là  par  S.  M.  le  roi  à  la 
place  du  maréchal  de  Brissac,  lequel  avait  été  d'abord  dési- 
gné. Montbazon  fut  accompagné  jusque-là  par  environ 
deux  cents  cavaliers;  mais,  après  la  rencontre,  le  nombre 
s'en  accrut  tellement  le  long  de  la  route  qu'ils  étaient  plus 
de  cinq  cents  lorsqu'on  arriva  à  la  ville.  L'ambassadeur 
avait  avec  lui  environ  deux  cents  personnes;  je  ne  puis  dire 
qu'elles  étaient  au  nombre  de  tant  de  chevaux  ou  de  cava* 


SCENES    INTIMES.    AMBASSADES    EXTRAORDINAIRES.        I  I  9 

liers,  parce  qu'elles  étaient  toutes  montées  sur  de  bons  petits 
mulets;  tous  ces  gens  avaient  leurs  fraises  bien  arrangées. 
Devant  marchait  toute  la  cavalerie  française  et  derrière  sui- 
vaient les  Espagnols  si  bien  serrés  ensemble  qu'ils  avaient 
Tair  d'un  escadron  qui  parade.  Pendant  qu'on  marchait  en 
cet  ordre,  on  vit  tout  à  coup  venir  de  la  cité,  bride  abattue, 
une  troupe  de  soixante  chevaux,  qui  dépassant,  mais  en 
dehors  de  la  route  à  travers  champs,  toute  la  cavalcade, 
enveloppaient  d'une  partie  de  leur  troupe  l'escadron  des 
Espagnols;  et  puis  tous,  ne  cessant  de  courir  ou  de  trotter, 
revinrent  en  arrière.  Cette  démonstration  ne  fut  pas  le  fait 
d'un  jeune  inconsidéré,  mais  d'un  homme  âgé,  tenu  pour 
prudent,  le  duc  d'Epernon.  Comme  il  alla  enveloppé  dans 
son  manteau,  ainsi  que  le  font,  pendant  l'hiver,  ceux  qui 
ont  froid,  il  voulut  peut-être  donner  à  entendre  qu'il  vou- 
lait garder  l'incognito.  En  somme  l'entrée  a  été  fort  belle, 
favorisée  par  le  ciel,  à  cause  de  sa  sérénité,  et  par  la  terre,  à 
cause  du  concours  de  presque  tout  le  peuple,  qui  reçut 
avec  applaudissement  les  Espagnols,  sans  que  personne  les 
tournât  en  dérision  ou  s'en  moquât,  soit  par  paroles,  soit 
par  gestes,  ce  qui,  in'affirme-t-on,  est  toujours  arrivé  les 
autres  fois.  De  là,  grand  étonnement  chez  ceux  qui  ne  savent 
pas,  et  grande  joie  chez  ceux  qui  savent  *....  M.  le  marquis 
Botti  envoya  à  la  rencontre  de  l'ambassadeur  dans  un  car- 
rosse, M.  le  cardinal  François  de  Médicis,  qui  s'acquitta  de 
la  manière  la  plus  accomplie  de  ce  devoir  de  courtoisie 
vis-à-vis  de  Son  Excellence,  et  qui  fut  reçu  de  la  manière 
la  plus  gracieuse  par  l'ambassadeur.  M'"'''  le  nonce  y  envoya 
le  S'  Ottaviano  Ubaldini,  son  frère,  lequel  se  trouvant, 
avant  l'arrivée  de  M.  de  Montbazon,  dans  le  même  carrosse 
que  M.  le  duc  de  Feria,  et  se  tenant  par  hasard  à  la  portière 
du  côté  où  nous  nous  trouvions  arrêtés  au  milieu  d'autres, 

I.  Il  y  a  ici  dans  la  dépêche  originale  un  passage  chiffré  qui  n'est 
pas  traduit.  Il  y  est  évidemment  question  des  négociations  déjà 
entamées  pour  les  mariages  d'Espagne. 


I20  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

le  S""  Ammirato  et  moi,  nous  salua,  quand  il  nous  vit,  de 
telle  sorte  que,  pour  nous  voir,  l'ambassadeur,  lui  aussi,  qui 
était  bien  au  fond  de  son  carrosse,  sortit  la  tête.  Il  nous 
honora  en  plus  d'un  geste  plein  de  courtoisie,  parce  que  le 
S""  Ottaviano,  autant  que  nous  pûmes  nous  en  apercevoir, 
lui  dit  qui  nous  étions,  circonstance  qui  nous  décidera  très 
facilement  à  aller  lui  faire  notre  révérence.  Son  logement, 
très  richement  aménagé,  est  dans  le  faubourg  Saint-Ger- 
main, près  de  Thôtel  de  la  reine  Marguerite.  Comme  la 
cavalcade  devait  passer  devant  la  maison  du  S^  Concini, 
S.  M.  la  reine  régente  prit  plaisir  à  se  trouver  là  pour  la 
voir,  sans  être  vue.  Une  heure  avant  l'arrivée  de  M.  l'am- 
bassadeur entra  le  convoi  des  bagages,  composé  de  soixante- 
douze  mules,  dont  quarante-deux  avec  des  couvertures  de 
drap  bleu  ornées  des  armes  de  l'ambassadeur,  et  trente  avec 
des  couvertures  de  velours  rouge  également  ornées  de  ces 
armes.  Le  plus  grand  nombre  des  trente  mules  avaient  les 
garnitures  de  tête  en  argent. 

«  M.  le  marquis,  lequel  a  de  grandes  relations  d'amitié 
avec  le  duc  de  Feria,  a  eu  beaucoup  de  peine  à  s'empêcher 
d'aller  lui  souhaiter  la  bienvenue  le  soir  même  de  son  arri- 
vée, encore  qu'il  fût  déjà  nuit;  il  y  alla  le  jour  d'après  et 
eut  pour  cortège  presque  tous  les  Italiens  qui  sont  ici,  les- 
quels remplissaient  trois  carrosses;  il  n'est  pas  d'ambassa- 
deur qui  puisse  aller  beaucoup  mieux  accompagné.  M.  le 
duc  de  Feria  le  traita  fort  honorablement,  car  d'abord  vint 
en  son  nom  jusqu'au  milieu  de  l'escalier  à  la  rencontre  du 
marquis  Botti,  le  S""  don  Innigo,  ambassadeur  résident,  puis 
en  haut  de  l'escalier  M.  le  duc  lui-même,  qui  le  fit  passer 
devant  lui  à  l'entrée  de  la  porte  de  la  chambre.  Ils  y  étaient 
à  peine  que  Ton  annonça  l'arrivée  de  M.  le  Grand,  qui 
venait  faire  visite  à  l'ambassadeur  au  nom  du  roi.  Le 
marquis  Botti  passa  alors  dans  une  autre  chambre.  Le 
duc  alla  à  la  rencontre  de  M.  le  Grand  en  haut  de  l'es- 
calier jusqu'au  pied  duquel  s'était  déjà  avancé  le  S*"  don 


SCENES    INTIMES.    —    AMBASSADES    EXTRAORDINAIRES.  12  1 

Innigo;  puis  quand  il  s'en  alla,  M.  le  duc  l'accompagna 
jusqu'au  pied  de  l'escalier  et  le  S'  don  Innigo  l'emporta  de 
haute  lutte  dans  son  désir  de  rester  pour  le  voir  monter  à 
cheval  à  l'intérieur  de  la  cour  de  la  maison.  La  compagnie 
de  M.  le  Grand  était  aussi  nombreuse  que  noble;  et  je  fis 
l'observation  que  les  Espagnols  auprès  des  Français  parais- 
saient des  nains,  qu'ils  étaient  presque  des  nègres  et  fort 
laids.  On  ne  peut  pas  dire  que  la  cause  en  fût  ou  la  chaleur 
éprouvée  pendant  le  voyage  ou  la  différence  des  habits,  ni 
rien  de  semblable;  car  M.  le  duc,  lequel  est  grand,  fort  et 
beau,  ne  perdait  aucun  de  ses  avantages.  M.  le  marquis, 
après  le  départ  de  M.  le  Grand,  resta  près  d'une  heure 
auprès  du  duc  de  Feria  et,  pendant  ce  temps,  le  S""  don 
Innigo  s'étant  arrêté  dans  la  salle  près  d'une  fenêtre,  l'Am- 
mirato  et  moi  nous  approchâmes  de  lui,  ce  qui  parut  lui 
faire  plaisir;  il  insista  pour  nous  faire  prendre  des  sièges  à 
côté  de  lui,  et  nous  nous  mîmes  à  causer  des  affaires  d'Itahe 
et  de  différents  sujets. 

«  On  attendait  le  S'  Concino,  qui  devait  venir  visiter 
M.  le  Duc  au  nom  de  S.  M.  la  reine,  et  comme,  à  cette 
occasion,  on  parlait  de  lui  en  présence  d'un  autre  cavalier 
espagnol  qui  était  survenu,  ce  dernier  demanda  qui  était  le 
S"  Concino.  Le  S""  don  Innigo  répondit  gracieusement  : 
«  C'est  le  majordome  de  la  reine,  son  premier  courtisan, 
«  celui  qu'elle  favorise  et  qu'elle  comble  le  plus  de  bienfaits. 
«  En  somme,  c'est  son  duc  de  Lerme.  Q.ue  puis-je  dire  de 
«  plus?  » 

«  Le  cavalier  ne  répondit  pas,  et  le  S""  don  Innigo  reprit 
en  ces  termes  :  «  La  reine,  assurément,  ne  pouvait  nous 
<(  faire  une  plus  grande  faveur  que  de  l'envoyer,  lui;  aussi 
«  faudra-t-il  l'accompagner  jusqu'à  la  rue,  et  non  pas  seule- 
«  ment  jusqu'au  pied  de  l'escalier  ».  Le  marquis  Botti  fut 
ensuite  accompagné  par  Feria  jusqu'en  haut  de  l'escalier  et 
par  le  S""  don  Innigo  jusqu'à  son  carrosse.  Peu  après  notre 
départ,  je  sais  qu'arriva  le  S""  Concino  avec  une  très  belle 


122  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

escorte.  On  usa  avec  lui  des  mêmes  termes  qu'avec  M.  le 
Grand;  mais  il  ne  voulut  en  aucune  façon  que  ledit  duc 
descendît  Tescalier;  comme  il  était  déjà  nuit  quand  il  partit, 
on  vit  paraître  un  grand  nombre  de  torches. 

«  Hier  Leurs  Majestés  ont  donné  la  première  audience  à 
M.  le  duc;  nous  allâmes  la  voir,  le  S""  Ammirato  et  moi; 
mais  il  y  avait  tant  de  seigneurs  et  cavaliers  que  nous  ne 
pûmes  y  trouver  grand  plaisir;  il  nous  fut  particulièrement 
désagréable  de  ne  pouvoir  entendre  les  paroles  du  roi,  qui 
se  comporta  admirablement,  en  raison  de  son  âge.  M.  le 
duc  fit  trois  révérences,  le  genou  presque  en  terre,  et, 
quand  il  se  couvrit,  les  princes  se  couvrirent  aussi  ;  mais  il 
n'y  avait  que  ceux  de  Guise,  les  trois  frères  séculiers,  et  le 
duc  d'Aiguillon,  qui  conduisit  Feria  à  l'audience;  quant 
aux  princes  du  sang,  Condé  est  dehors,  Soissons  souffre 
de  la  goutte,  et  Conti  est,  comme  toujours,  fort  empêché  à 
cause  de  l'imperfection  de  ses  sens.  Tous  les  gentilshommes 
qui  sont  avec  le  duc  de  Feria,  une  fois  l'ambassade  ter- 
minée, baisèrent  la  main  à  l'une  et  à  l'autre  Majesté  ^  » 

Héroard  confirme  et  complète  ce  récit  d'une  manière 
fort  intéressante  en  ce  qui  concerne  le  roi  :  «  Il  se  sur- 
passa, dit-il,  en  contenance  et  prolation  de  paroles;  les 
paroles  furent  :  «  Je  remercie  le  roi  d'Espagne,  mon  frère, 
<(  de  la  souvenance  qu'il  a  de  moi  et  le  prie  de  s'asseurer  que 
«  j'aurai  envers  lui  la  même  affection  qu'a  eue  le  feu  Roi, 
<'  mon  père  »  ;  en  telle  sorte  que  les  Espagnols  en  étaient  tous 
en  admiration,  faisant  le  signe  de  la  croix  ;  deux  d'entre 
eux  qui  étaient  Navarrais  se  traînèrent  de  bien  loin  les 
genoux  en  terre,  lui  allant  faire  la  révérence  et  ne  pou- 
vaient lâcher  sa  cuisse  qu'ils  tenaient  embrassée  ".  » 

Nous  ne  savons  point  s'il  ne  s'était  pas  glissé  quelque 
pointe  d'ironie  dans  les  paroles  adressées  par  le  roi  à  l'am- 
bassadeur. Le  jeune  Louis  XIII  était  très  au   fait  des  sen- 

1.  Andréa  Cioli,  12  septembre  1610. 

2.  HÉROARD,  t.  IF,  p.  21. 


SCÈNES    INTIMES.    AMBASSADES    EXTRAORDINAIRES.         123 

timents  de  son  père  à  l'égard  des  Espagnols  et  il  est  par- 
faitement vrai  qu'il  les  partageait  et  s'en  inspirait.  L'enfant 
royal  sut,  en  tout  cas,  se  comporter  avec  une  dignité  froide 
qui  en  imposa  à  tout  le  monde.  Cette  cérémonie  fit  une 
impression  très  vive  sur  tous  ceux  qui  en  furent  les  témoins. 
On  se  répétait  avec  admiration  que,  peu  avant  l'arrivée  de 
l'ambassadeur,  le  roi  étant  sur  son  trône  et  la  chambre  pleine 
de  seigneurs  et  de  grands,  comme  on  parlait  assez  haut,  le 
roi  demanda  que  l'on  fît  moins  de  bruit,  et  rendit  ainsi 
muets  tous  les  assistants  (et  fece  ammutolire  ogn'  uno).  Après 
le  départ  de  Feria  on  vit  le  chancelier,  qui  avait  assisté  le 
roi,  rapporter  avec  les  signes  de  l'émerveillement  le  plus 
extraordinaire,  les  paroles  que  le  roi  avait  dites;  et  bien 
qu'il  les  eût  d'abord  enseignées,  disait-il,  c'était  pur  miracle 
que  de  les  avoir  retenues  par  cœur  et  d'avoir  su  les  pro- 
noncer à  temps  et  d'une  manière  aussi  parfaite  \ 

Bientôt,  c'est  l'ambassadeur  extraordinaire  d'Angleterre 
qui  arrive  à  Paris.  On  avait  annoncé  d'abord  le  duc  de 
Lennox;  mais  ce  fut  milord  Watton  qui  fut  chargé  de  cette 
mission.  Il  apportait  au  roi  l'ordre  de  la  Jarretière.  On  le 
logea  au  Luxembourg;  c'est  de  là  que  les  envoyés  floren- 
tins le  virent  se  rendre  à  l'audience  royale.  Le  prince  de 
Joinville  alla  avec  deux  cents  chevaux  le  chercher  ainsi  que 
l'ambassadeur  ordinaire  ;  treize  carrosses  suivaient  le  pre- 
mier qui  était  tiré  par  six  chevaux.  Le  comte  de  Soissons,  à 
peine  remis  d'une  violente  attaque  de  goutte,  assista  à  la 
réception.  Lui  et  les  princes  de  la  maison  de  Guise  se  cou- 
vrirent lorsque  l'ambassadeur  prit  la  parole  et  qu'il  se  cou- 
vrit, ce  qu'il  ne  fit  ni  avant,  ni  après.  L'ambassadeur  fit 
trois  révérences,  et  à  la  troisième  il  toucha  presque  la  terre 
du  genou.  «  Je  crois  qu'il  a  parlé  en  langue  anglaise,  dit  à 
ce  propos  Andréa  CioH,  parce  que  l'ambassadeur  résident 
lui  a  servi  d'interprète;  c'est  vraiment  une  chose  stupéfiante 

I.  Andréa  Cioli,  i2  septembre  1610. 


124  ^-^    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

de  voir  comment  le  roi  se  tient  et  comme  il  a  le  sentiment 
de  sa  dignité,  qu'il  soutient  avec  une  autorité  et  une  gravité 
merveilleuse  '.  »  A  propos  de  cette  ambassade,  nous  savons 
encore  par  L'Estoile  que  ((  la  cérémonie  de  la  jarretière  se 
fit  le  jour  de  Sainte-Croix,  à  vespres,  en  l'église  des  Feuil- 
lans,  après  que  Sa  Majesté  eut  donné  à  dîner  magnifiquement 
audit  milord  dans  sa  maison  des  Tuilleries.  Il  ne  traita 
point  le  duc  de  Feria,  ce  qui  fut  remarqué.  Mais  le  roy 
avait  plus  d'occasion  d'aimer  et  se  fier  de  l'un  que  non  pas 
de  l'autre,  joint  que  son  inclination  ne  l'a  jamais  porté  à 
aimer  l'Espagnol,  duquel  avec  le  laict  et  la  mammelle,  il 
semble  avoir  succé  la  haine  ".  » 

L'ambassadeur  extraordinaire  d'Angleterre  ne  fit  pas  un 
long  séjour.  Milord  Watton,  comte  de  Hampton,  après 
avoir  été  reçu  dans  trois  audiences  ",  fut  gratifié  d'un  cadeau 
de  4500  écus  et  fit  ses  préparatifs  de  départe  II  avait  déclaré 
qu'il  voulait  mettre  fin  à  sa  mission  avant  le  voyage  de 
Leurs  Majestés  pour  Reims,  et  repartit  porteur  de  la  signa- 
ture du  jeune  roi  au  pied  d'un  traité  de  renouvellement 
d'alliance  ^ 

La  cérémonie  du  sacre  ne  comportait  évidemment  pas 
la  présence  de  l'ambassadeur  extraordinaire  d'un  roi  pro- 
testant. Il  n'en  était  pas  de  même  du  représentant  de 
Sa  Majesté  Très  Catholique.  Le  duc  de  Feria  annonça 
donc  son  intention  d'y  assister.  Mais  deux  difficultés  se 
présentaient,  la  première  d'ordre  tout  matériel  :  Reims 
n'offrant  que  peu  de  ressources  pour  le  logement  de  la 
suite  nombreuse  du  roi  de  France  dans  une  circonstance 
aussi  solennelle,  Feria  dut  faire  chercher  une  maison  avant 

1.  Andréa  Cioli,  19  septembre  1610. 

2.  L'Estoile,  t.  XI,  p.  40. 

3.  Andréa  Cioli,  27  septembre  16 10. 

4.  Scip.  Ammirato,  19  septembre  161  o. 

5.  Héroard,  t.  II,  p.  25.  «  Mardi  21  septembre.  Le  comte  de  Hamîon 
vient  trouver  le  roi....  Il  va  aux  Feuillants  à  vêpres,  y  mène  les 
ambassadeurs,  qui  ont  juré  Talliance  offensive  et  défensive;  à  leur 
requête  il  signa  les  articles;  ce  sont  les  premiers  qu'il  a  signés.  » 


SCENES    INTIMES.    —    AMBASSADES    EXTRAORDINAIRES.         I2D 

de  prendre  une  résolution  définitive;  Tautre  difficulté, 
d'ordre  diplomatique,  tirait  son  origine  de  la  scène  scan- 
daleuse qui  s'était  passée  au  couronnement  de  la  reine  à 
Saint-Denis.  L'ambassadeur  d'Espagne,  offusqué  de  n'avoir 
été  salué  par  le  représentant  de  Venise  que  du  titre  de  mon- 
sieur l'ambassadeur,  lui  avait  appliqué  son  chapeau  à  tra- 
vers la-  figure  :  il  entendait  qu'on  lui  donnât  de  l'Excel- 
lence *.  On  ne  pouvait  tolérer  le  renouvellement  d'une 
pareille  scène.  Deux  ambassadeurs  extraordinaires  de  la 
république  de  Saint-Marc  s'acheminaient  vers  Paris  au 
milieu  de  septembre.  C'étaient  les  Excellentissimes  Nani  et 
Gussoni.  «  On  attend  dans  un  bref  délai,  écrit  Andréa  Cioli, 
les  ambassadeurs  de  Venise;  il  en  est  cependant  qui  pensent 
qu'ils  doivent  s'arrêter  en  route,  afin  de  s'acquitter  de  leur 
mission  seulement  après  le  retour  de  Leurs  Majestés  de 
Reims.  S'ils  arrivaient  maintenant,  outre  qu'ils  ne  pourraient 
être  reçus.,  ils  tomberaient  dans  la  même  irrésolution  que 
le  duc  de  Feria  relativement  au  voyage  de  Reims,  où,  dans 
le  cas  de  leur  allée,  ils  se  trouveraient  fort  mal  au  point  de 
vue  des  logements  ^  »  Cette  raison  n'était  sans  doute  pas 
la  seule.  Les  représentants  de  la  république  voulaient  être 
assurés  d'un  salut  plus  cordial  de  la  part  de  l'ambassadeur 
d'Espagne  que  celui  dont  avait  été  gratifié  naguère  leur  col- 
lègue. On  s'efforça  de  vider  cet  incident  diplomatique  et  d'en 
prévenir  le  retour.  L'ambassadeur  ordinaire  du  roi  d'Es- 
pagne avait  demandé  qu'on  évitât  au  sacre  du  roi  la  possibi- 
lité d'un  conflit  entre  lui  et  l'ambassadeur  de  Venise;  il  avait 
proposé  ou  que  ce  dernier  lui  donnât  le  titre  d'Excellence  et 
qu'il  se  contentât  d'être  appelé  Illustrissime  Seigneurie, 
ou  bien  qu'il  s'abstînt  soit  de  parler  à  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, soit  de  venir  où  il  serait  ^  Le  duc  d'Épernon  finit 
par  trouver  une  base  d'accommodement.  11  fut  convenu  que 


1.  Cf.  B.  Zeller,  Henri  IV  et  Marie  de  AJédicis,  p.  3o8. 

2.  Andréa  Cioli,  27  septembre  1610. 

3.  Matteo  Botti,  20  juin  1610. 


Il'b  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

les  ambassadeurs  des  deux  puissances  se  salueraient  sans  se 
parler.  Les  Vénitiens  ne  se  fiaient  pas  trop  à  cette  conven- 
tion :  telle  était  la  raison  de  leur  marche  prudente.  En 
attendant,  le  duc  de  Feria  continuait  à  parader  brillamment 
dans  Paris.  Le  24  septembre  il  se  rendait  au  Louvre  précédé 
de  l'ambassadeur  ordinaire  dans  un  carrosse  à  six  chevaux 
suivi  de  cinq  autres,  pour  avoir  sa  seconde  audience  '.  Bien- 
tôt arrivait  M.  Jacob,  ambassadeur  de  Savoie  *,  chargé 
d'une  mission  qui  n'était  pas  de  simple  apparat  et  qui  allait 
bientôt  donner,  comme  on  dit,  du  fil  à  retordre  au  gouver- 
nement ^ 

Toutes  ces  circonstances  avaient  attiré  sur  le  jeune  roi 
l'attention  générale.  On  commençait  à  concevoir  de  lui  et 
de  ses  destinées  une  opinion  favorable.  Aussi  le  représentant 
du  grand-duc,  Andréa  Cioli,  s'empresse-t-il  d'adresser  à  son 
gouvernement  sur  le  compte  du  fils  de  Marie  de  Médicis  une 
longue  dépêche  dont  beaucoup  de  traits  peuvent  être  utile- 
ment rapprochés  de  renseignem.ents  presque  identiques 
donnés  par  le  consciencieux  Héroard  et  par  Malherbe.  Nous 
citons  dans  toute  sa  teneur  cet  intéressant  document. 

«  Je  dois  dire  à  Votre  Altesse  sérénissime  pour  sa  satis- 
faction que  Sa  Majesté  le  roi  son  neveu,  en  donnant  hier 
audience  h  M.  le  duc  de  Feria,  a  rendu  stupéfait  tout  le 
monde,  tant  il  s'est  remarquablement  comporté.  On  a 
admiré  la  gravité  de  son  visage  et  de  ses  gestes,  et  l'à-propos 
de  ses  paroles.  C'est  le  moment  de  m'acquitter  de  ce  que 
j'ai  déjà  dans  plusieurs  lettres  promis  de  vous  faire  savoir 
relativement  aux  grandes  espérances  qu'il  donne  d'un  bril- 
lant avenir.  Il  se  montre  jusqu'à  présent,  non  pas  de  figure, 
car,  de  ce  côté,  il  tient  plutôt  de  sa  mhrQ  (piu  tosto  matngia), 
mais  de   caractère,  d'inclination  et  d'habitudes,  très  sem- 

1.  Matteo  Botti,  5  juillet  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  27  septembre  1610. 

3.  Scip.  Ammirato,  3o  septembre  1610. 


LE    ROI.  I  27 

blable  à  son  glorieux  père;  car  il  est  fier,  ardent,  très  agile; 
il  aime  déjà  particulièrement  les  armes  et  les  chevaux,  et 
parle  très  souvent  de  guerre,  de  capitaines,  de  soldats  et  de 
forteresses  *.  Son  intelligence  est  admirable,  sa  mémoire 
excellente;  il  est  si  avancé  dans  la  langue  latine  qu'il  a  déjà 
commencé  à  traduire  en  français;  il  s'applique  au  dessin 
d'une  façon  remarquable  "  et  l'on  affirme  qu'à  cette  heure, 
il  sait  par  cœur  l'office  de  la  Vierge.  Il  dépasse  encore  les 
bornes  de  son  âge  en  ce  qui  est  du  jugement,  comme  Votre 
Altesse  pourra  s'en  rendre  compte,  d'après  ce  qu'elle 
apprendra  dans  les  Hgnes  qui  suivent.  Le  jour  de  l'entrée 
du  duc  de  Feria,  alla  faire  révérence  à  Sa  Majesté  le  S""  don 
Alonso  Pimentel,  fils  du  comte  de  Bénevent,  vice-roi  de 
Naples,  qui  était  venu  exprès  de  Flandre  en  toute  diligence 
pour  voir  le  susdit  duc,  son  parent;  et  comme  il  pensait  que 
Sa  Majesté  ne  pouvait  pas  encore  avoir  une  capacité  suffi- 
sante, dès  qu'il  eut  présenté  ses  hommages  au  roi,  il  fit 
mine  de  vouloir  s'éloigner  de  sa  vue.  Mais  le  roi  le  retint 
gracieusement  et  lui  demanda  des  nouvelles  de  Flandre  en 
lui  disant  :  «  Avez-vous  vu  que  mon  armée  a  pris  Juliers?  >> 
Il  avait  auprès  de  lui  sur  une  petite  table  des  espèces  de 
cailloux  noirs  et  blancs  et  il  dit  à  l'Espagnol  :  «  Regardez, 
«  je  vais  former  un  escadron  ^  ».  Enfin,  au  moment  de  pren- 
dre congé  de  lui,  il  lui  dit  qu'il  voulait  aller  aux  Tuileries 
pour  s'exercer  à  conduire  de  petits  chevaux  de  carrosse  ^.  Le 

1.  Voir  HÉROARD,  passim. 

2.  «  2  octobre  16  lo.  Il  s'amuse  dans  son  cabinet  à  peindre,  fait  lui- 
même  les  couleurs  sur  le  cuivre,  peint  sur  la  toile  l'Avarice  et  la 
Prudence,  vêtues,  assez  bien,  y  est  attentif,  fait  toutes  les  actions  que 
saurait  faire  un  peintre,  à  la  fin  serre  lui-même  ses  couleurs  et  ses 
pinceaux.  »  (Héroard,  t.  II,  p.  26.) 

3.  «  Un  seigneur  espagnol  venu  avec  le  duc  de  Feria  lui  vient  faire 
la  révérence;  tout  aussitôt  qu'il  l'eut  accueilli,  le  roi  lui  dit  pour 
l'entretenir  :  a  Tenez,  velà  le  plan  de  Juliers  »,  qui  venoit  d'être  prins, 
et  lui  montre  par  là  même  les  particularités  du  siège  :  «  Voilà  ceci, 
«  voilà  cela,  voilà  les  Français,  voilà  les  Flamands,  etc.  »  (Héroard, 
t.  II,  p.  21.) 

4.  Il  est  très  souvent  question  dans  Héroard  de  cette  distraction 
favorite  du  jeune  prince.  Voir  t.  II,  p.  16,  22. 


128  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

S""  don  Alonso  resta  profondément  étonné,  et,  au  sortir  de 
l'audience,  il  ne  tarissait  point  au  sujet  d'une  semblable  mer- 
veille. Le  roi  voulant  une  fois,  pendant  qu'il  déjeunait,  faire 
appeler  je  ne  sais  plus  quelle  personne,  le  dit  à  un  des  cava- 
liers qui  se  tiennent  autour  de  lui;  et  comme  celui-ci  lui 
demandait  s'il  lui  ordonnait  d'y  aller  lui  même  :  «  Non! 
«  répondit  Sa  Majesté,  envoyez-y  de  grâce  votre  portrait  »  ; 
et  il  le  fit  bien  rougir  '  ;  mais  une  autre  fois  il  rendit  encore 
bien  plus  honteux  M.  le  cardinal  de  Sourdis.  Celui-ci  étant 
arrivé  devant  la  reine,  pendant  que  dans  la  même  chambre 
se  trouvait  aussi  le  roi,  s'inclina  profondément  devant  elle 
et  non  devant  lui;  et  le  roi,  non  content  de  dire  à  ceux 
qui  étaient  auprès  de  lui  :  «  Regardez  M.  le  cardinal  de 
((  Sourdis,  qui  ne  me  considère  que  comme  un  enfant  », 
s'approcha  du  cardinal  encore  plus  indigné  parce  qu'il  s'était 
placé  entre  la  reine  et  lui  de  telle  façon  qu'il  en  était  venu 
à  lui  tourner  l'échiné,  et  il  lui  dit  à  haute  voix  :  «  Eh!  bien, 
«  monsieur  le  cardinal  de  Sourdis,  vous  me  considérez  donc 
((  comme  un  enfant?  »  Sur  ce  propos  qu'il  ne  veut  pas  être 
traité  comme  un  bébé  (putto),  je  vous  dirai  qu'ayant  été 
une  fois  battu  par  son  maître,  de  telle  sorte  qu'il  ne  put 
s'empêcher  de  pleurer,  il  s'essuya  tout  de  suite  après  les 
yeux  avec  soin,  et  demanda  avec  beaucoup  d'anxiété  aux 
petits  jeunes  gens  qui  le  servent  si  on  l'avait  vu  pleurer. 
On  lui  demandait  une  autre  fois  lequel  il  aimait  le  plus  de 
Vendôme  ou  du  chevalier,  tous  deux  fils  bâtards  du  roi 
défunt,  dont  l'un  s'appelle  César  et  l'autre  Alexandre;  il 
répondit  qu'Alexandre  venait  avant  César,  voulant  faire  allu- 
sion à  Alexandre  le  Grand  et  à  César  Auguste  ^  On  se  répète 
une  infinité  de  mots  semblables;  en  somme,  rien  n'est  plus 
clair  que  ce  que  l'on  affirme,  à  savoir  qu'à  cet  âge  de 
neuf  ans,  il  dépasse  en  capacité  et  en  jugement,  non  seule- 
ment ceux  de  son    âge,   mais  encore  ceux  de    quinze   et 

1.  Anecdote  inédite. 

2.  Anecdotes  inédites. 


LE   ROI.  129 

seize  ans.  Il  est  très  curieux  de  connaître  ce  qu'il  voit,  et  se 
montre  très  grand  ami  des  pauvres.  On  rapporte  entre 
autres  preuves  de  ce  fait  que,  passant  un  jour  par  la  porte 
Saint-Honoré,  où  a  l'habitude  de  se  tenir  toujours  un 
pauvre  qui  vend  des  baguettes  pour  les  chevaux,  il  entra  en 
une  grande  colère  contre  quelqu'un  qui  le  frappa,  parce 
qu'il  voulait  présentera  Sa  Majesté  une  de  ces  baguettes;  il 
lui  fit  donner  l'aumône,  comme  il  le  fait  toujours  depuis 
chaque  fois  qu'il  passe  là  '.  » 

Les  preuves  de  la  sensibilité  native  de  Louis  XIII,  de  sa 
tendance  à  se  rapprocher  des  petits  et  des  humbles,  de  sa 
compassion  pour  les  misérables,  sont  très  fréquentes  dans 
les  relevés  quotidiens  de  ses  faits  et  gestes.  Il  ordonne  un 
jour  de  porter  sa  grâce  à  un  malheureux  soldat  qui  allait,  à 
sa  vue,  sur  le  rempart  du  faubourg  Saint-Jacques  -,  subir  le 
suppHce  de  l'estrapade  ^  Une  autre  fois,  deux  soldats  des 
gardes  ayant  mangé  du  raisin  dans  les  vignes  et  se  trouvant 
condamnés  pour  ce  fait  à  être  dégradés  et  bannis  pour  deux 
ans,  il  n'eut  point  de  repos  jusqu'à  ce  qu'il  eût  tant  fait 
auprès  de  la  reine  qu'ils  s'en  trouvèrent  quittes  pour  un  an 
de  bannissement  *.  Son  bon  cœur,  son  horreur  de  la  cruauté 
inutile  se  manifestent  encore  dans  d'autres  circonstances. 
La  banlieue  de  Paris  était  hantée  par  des  Bohémiens  ou 
Egyptiens,  comme  on  disait  alors,  qui  allaient  gagnant  leur 
misérable  vie  en  exhibant  des  animaux  féroces.  Un  jour 
qu'après  une  course  dans  la  campagne  il  revenait  à  cheval 
vers  les  Tuileries,  le  roi  vit  près  d'un  campement  de  ces 
malheureux  un  lion  attaché  contre  un  arbre.  (Quelqu'un  de 
sa  suite  jeta  un  chien  au  fauve  qui  l'étrangla  incontinent. 
«  Cela  lui  déplut  tant,  dit  Héroard,  qu'il  s'en  mit  en  colère 

1.  Anecdote  inédite;  Andréa  Cioli  au  grand-duc,  12  septembre  1610. 

2.  C'était  l'endroit  destiné  à  ce  genre  d'exécution,  comme  en  fait 
encore  foi  aujourd'hui  le  nom  de  la  rue  située  sur  l'emplacement  de 
cette  partie  des  anciens  murs  de  Paris. 

3.  HÉROARD,  t.  II,  p.  i5. 

4.  HÉROARD,   t.  II,    p.    18. 


l30  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

et  commanda  que  celui  qui  l'avait  jeté  fût  châtié  \  »  Peu 
après,  comme  on  voulait  mettre  aux  prises  avec  un  lion, 
peut-être  le  même,  un  sanglier  destiné  à  être  forcé  par  des 
chiens,  le  roi  refusa,  craignant  que  le  sangUer  ne  tuât  le 
lion,  en  disant  :  «  Ce  serait  dommage;  car  ces  pauvres  gens 
y  gagnent  leur  vie  "  ». 

11  est  difficile  de  savoir  jusqu'à  quel  point  les  sentiments 
et  les  aptitudes  naturelles  du  jeune  Louis  XIII  furent  com- 
promis ou  modifiés  par  l'éducation  qu'il  reçut.  On  a  cer- 
tainement beaucoup  exagéré  à  cet  égard  les  torts  de  la 
reine  mère  et  Saint-Simon  va  jusqu'à  l'extrême  limite  de 
l'invraisemblable  et  même  du  faux  lorsqu'il  dit  :  <(  On  le  laissa 
croupir  dansToisiveté,  dans  l'inutilité  et  dans  une  ignorance 
si  parfaite  de  tout,  qu'il  s'est  souvent  plaint  à  mon  père 
dans  la  suite,  en  parlant  de  son  éducation,  qu'on  ne  lui  avait 
même  pas  appris  à  lire  "  ».  Sans  doute  entre  les  gourmades 
d'un  gouverneur  assez  morose,  M.  de  Souvré,  la  fréquente 
administration  par  ses  soins  du  châtiment  en  vigueur  à  cette 
époque,  même  pour  les  rois,  le  fouet,  et  les  assez  pauvres 
leçons  du  très  médiocre  M.  des  Yveteaux,  son  précepteur  \ 
Louis  XIII  ne  trouva  qu'une  matière  insuffisante  pour  le 
développement  d'une  intelligence  naturellement  bien 
douée.  L'enfant  avait  le  sentiment  de  l'infériorité  de  son 
maître  en  face  d'une  tâche  faite  pour  des  hommes  émi- 
nents  et  le  malheureux  des  Yveteaux  dut  s'en  excuser  un 
jour  d'une  manière  assez  piteuse  en  disant  à  son  élève,  à 
propos  d'une  réflexion  qui  n'est  pas  venue  jusqu'à  nous, 
((  qu'il  n'était  sans  doute  pas  des  plus  savants,  mais  toute- 
fois qu'il  n'était  pas  un  homme  du  commun  ni  du  vulgaire; 
car  on  ne  l'eût  pas  mis  auprès  de  Sa  Majesté  ^  ».  Louis  XIII 
fut  à  coup  sûr  moins  favorisé  que  son  père,  à  propos  duquel 

1.  HÉROARD,  t.  II,  p.  9,  II  juin  lôio. 

2.  HÉROARD,  t.  II,  p.  10,  24  juin  1610. 

3.  Saint-Simon,  Parallèle  des  trois  premiers  }'ois  Bourbons,  p.  7. 

4.  Tallemant  des  Réaux,  Historiettes,  t.  II.  p.  g. 

5.  HÉROARD,  t.  II,  p.  57. 


LE    ROI.  l3  I 

Saint-Simon  fait  une  réflexion,  celle-là  fort  juste,  en  disant 
que  sa  mère  l'instruisit  et  le  fit  instruire  par  ce  qu'il  y  avait 
de  meilleur  dans  son  parti.  Autant  qu'on  en  peut  juger  par 
les  renseignements  que  donne  Héroard,  le  caractère  des 
exercices  intellectuels  qui  sont  prescrits  au  jeune  roi  est 
assez  puéril  et  incohérent.  Mais  il  ne  se  passe  pas  de  jours 
sans  qu'il  ait  à  fournir  sa  besogne.  «  Levé,  déjeuné,  étudié, 
écrit  »,  tel  est  Femploi  régulier  de  toutes  ses  matinées, 
même  en  voyage.  La  formule  est  presque  toujours  la  même 
chez  Héroard,  sauf  parfois  cette  variante  :  «  Éveillé,  fouetté, 
étudié  *  ».  L'élève  n'est  pas  toujours,  il  est  vrai,  fort  zélé  ^. 
Si  on  ne  lui  octroie  guère  de  congés,  il  sait  fort  bien  en 
réclamer  et  traiter  pour  en  obtenir.  Il  demandera  à  ne  point 
travailler  le  mardi  gras,  parce  que  c'est  fête,  et  ne  voudra  qu'à 
cette  condition  se  laisser  faire  les  cheveux,  opération  qui  lui 
était  parfaitement  désagréable  et  qui,  si  elle  valut  au  coiffeur 
Renard  maints  horions  de  l'enfant  royal,  ne  manqua  pas  d'at- 
tirer sur  ce  dernier  les  représailles  ordinaires  du  terrible  M.  de 
Souvré  '\  Reconnaissons  toutefois  qu'en  matière  de  chô- 
mage des  études  le  jeune  roi  pouvait  encore  servir  d'exemple 
à  la  gent  écolière.  Un  jour  qu'il  avait  été  visiter  le  collège  de 
Navarre,  les  jeunes  gens  voulant  exploiter  cette  bonne  aubaine 
demandèrent  un  mois  de  vacances.  Le  jeune  roi  leur  en  donna 
pour  trois  jours  *;  c'était  encore  se  montrer  généreux. 

Louis  XIII  n'était  jamais  oisif.  A  vrai  dire,  quelques-unes 
de  ses  occupations  ne  laissent  pas  d'être  enfantines.  Mais, 
pour  être  roi,  faut-il  renoncer  à  jouer,  comme  le  font  tous 
les  enfants  de  dix  ans,  à  ranger  en  bataille  des  soldats  de 
plomb  %  à  commander  d'autres  enfants  armés  tant  bien  que 

1.  Saint-Simon,  p.  3. 

2.  HÉROARD,  t.  II,  p.  56.  —  «  Il  dit  qu'il  a  rêvé  en  dormant  et  songé 
que  M.  de  Souvré  le  fouettait.  »  {Ibidem,  p.  b-j.) 

3.  HÉROARD,  t.  II,  p.  54. 

4.  HÉROARD,    t.    Il,    p.    ig. 

5.  26  septembre.  «  A  7  heures  et  demie,  déjeuné  :  il  envoie  quérir 
ses  petits  hommes  de  plomb;  en  dresse  des  escadrons  sur  la  table 
percée.  »  (Héroard,  t.  II,  p.  24.) 


l32  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

mal,  à  se  mettre  soi-même  en  faction? N'était-ce  pas  là,  au 
contraire,  l'amusement  qui  convenait  le  mieux  au  chef  d'une 
nation  guerrière,  au  fils  d'un  grand  capitaine?  Il  ne  nous 
semble  pas  qu'il  y  ait  là  une  raison  suffisante  pour  qualifier 
d'enfant  enfantissùne  un  prince  d'un  sérieux  fort  au-dessus 
de  son  âge  en  général  et  dont  les  enfantillages  ne  font 
que  rendre  plus  intéressante  la  physionomie  très  vive  et 
très  humaine. 

On  aura  peine  à  considérer  comme  des  distractions  pu- 
rement enfantines  les  exercices  extraordinairement  violents 
auxquels  était  consacrée  une  partie  de  l'existence  du  jeune 
roi.  Il  n'est  point  de  jour  qu'on  ne  le  voie  achevai  par  tous 
temps  courir  le  marcassin  ou  le  sanglier  avec  ses  bassets,  le 
lièvre  avec  ses  lévriers  dans  le  parc  du  Luxembourg  ou  celui 
des  Tuileries,  le  cerf  avec  ses  chiens  courants  dans  la  plaine 
de  Grenelle,  le  renard  chez  la  reine  Marguerite,  le  loup  à 
Colombes;  il  va  jusqu'à  forcer  lui-même  des  chats  à  cheval. 
Dans  les  bois  de  Meudon  il  enfonça  d'un  demi-pied  son 
arme  au  corps  d'un  sangHer,  c'est  son  premier  coup  d'épée. 
Et  ce  n'est  pas  une  seule,  c'est  quelquefois  plusieurs  de  ces 
chasses  qui  l'occupent  successivement  pendant  un  après- 
midi  \  Il  aime  aussi  à  lancer  ses  émerillons  sur  les  per- 
dreaux dans  les  plaines  de  Grenelle,  à  la  Roquette,  à  Picpus. 
Rentré  au  Louvre,  il  fait  des  armes,  se  plaît  moins  à  la 
danse,  car  «  il  n'est  pas  damoiseau  »,  dit-il,  et  y  trouve 
encore,  lorsqu'il  ne  peut  sortir,  à  satisfaire  la  passion  chasse- 
resse qui  le  dévore,  en  faisant  voler  des  papillons  par  des 
pies-grièches.  Certes,  voilà  une  large  place  donnée  à  l'en- 
traînement physique.  L'on  aurait  cependant  peine  à  com- 
prendre aujourd'hui  qu'un  corps  d'enfant  pût  résister  à  de 
pareilles  fatigues. 

Si  l'éducation  de  Louis  XIII  fut  tournée,  on  peut  le  dire 
sans  exagération,  vers  le  développement  de  ses  aptitudes 

I.  HÉROARD,  t.  II,  p.  7,  9,  etc. 


LE    ROI.  l33 

physiques,  plutôt  que  de  ses  facultés  intellectuelles,  Tex- 
pansion  naturelle  de  son  humeur  fut  certainement  contra- 
riée dans  une  direction  où  d'ailleurs  les  précautions  prises 
contre  Tenfant  devaient  tourner  à  la  plus  entière  déception  de 
leurs  auteurs.  Louis  XIII  était  né  avec  l'âme  aimante  et 
susceptible  d'attachements  profonds.  Ceux  qui  gouvernaient 
l'esprit  de  sa  mère  et  qui  espéraient  aussi  maintenir  le  jeune 
roi  dans  leur  dépendance  virent  dans  cette  propension  un 
danger  redoutable  pour  la  situation  qu'ils  s'étaient  faite,  et 
leur  jalousie  sur  ce  point  fut  à  tel  point  et  si  durement  exclu- 
sive que  l'on  peut  accorder  sans  difficulté  à  Saint-Simon 
«  qu'ils  ne  songèrent  qu'à  resserrer  la  prison  du  roi  qu'ils 
rendirent  de  plus  en  plus  inaccessible  *  ». 

Leur  système  de  rigueur  commença  au  lendemain  même 
de  la  mort  de  Henri  IV!  «  On  veut  le  faire  devenir  un 
homme,  Hsons-nous  dans  une  dépêche  de  Scipione  Ammi- 
rato  du  25  mai  16 10;  et  comme  il  a  en  sa  compagnie  beau- 
coup de  petits  enfants  de  son  âge,  on  veut  les  enlever  d'au- 
tour de  lui;  ce  qui,  au  commencement,  lui  paraîtra  fort 
déplaisant,  étant  accoutumé  à  s'amuser  avec  eux.  » 

C'est  à  cet  ordre  de  sentiments  contrariés  chez  le  roi  que 
se  rapporte  une  touchante  anecdote.  Au  commencement  de 
septembre  arriva  de  Saint-Germain  un  enfant  de  l'âge  du 
roi,  qui,  pendant  que  celui-ci  était  petit  et  qu'on  l'élevait  à 
Saint-Germain,  avait  obtenu  la  permission  de  devenir  un 
famiUer  du  fils  de  Henri  IV.  Il  apportait  un  nid  de  passe- 
reaux. Cet  enfant  entra  au  Louvre  et  commença  tout  de 
suite  à  demander  «  monsieur  le  dauphin  ».  On  finit,  mais  non 
sans  peine,  par  l'amener  devant  le  roi;  alors  il  lui  dit  plein 
de  joie  :  «  Monsieur  le  dauphin,  comment  vous  portez- 
vous?  Je  suis  venu  pour  vous  voir,  parce  qu'il  y  a  un  bout 
de  temps  que  je  ne  vous  ai  vu  et  que  j'en  avais  grand  désir; 
je  vous  ai  apporté  ce  nid  de  passereaux;  mais  je  ne  puis  vous 

r.  Saint-Simon,  p.  8. 


l34  LA    MINORITÉ   DE    LOUIS    XIII. 

les  donner  tous;  car  j'en  veux  vendre  une  partie,  afin  de 
pouvoir  payer  la  barque  dans  laquelle  on  m'a  passé  quatre 
fois;  et  je  n'ai  jamais,  jusqu'à  présent,  rien  donné  au  brave 
homme  qui  la  conduit.  »  Le  roi  fit  grandTète  à  cet  enfant 
et  après  avoir,  pendant  quelque  temps,  devisé  avec  lui,  non 
sans  grand  plaisir,  il  voulut  lui  faire  donner  un  écu  ;  mais  il 
ne  fut  pas  possible  de  le  lui  faire  accepter,  car  il  ne  cessa  de 
répéter  qu'il  avait  seulement  besoin  de  quatre  sous.  Ce  trait 
plut  tellement  au  roi  qu'il  donna  l'ordre  de  garder  à  la  cour 
son  ancien  petit  compagnon,  et  de  le  vêtir  immédiatement 
d'un  de  ses  habits;  on  lui  fit  observer  qu'il  n'était  pas  con- 
venable qu'un  fils  de  paysan  portât  ses  habillements.  «  Eh 
bien!  donc,  qu'on  lui  en  fasse  un,  reprit  le  roi,  et  qu'on  se 
dépêche!  »  C'est  ce  qui  fut  exécuté. 

«  Ainsi,  dit  en  manière  de  conclusion  le  rapporteur  de 
cet  épisode,  Andréa  Cioli,  le  vil  petit  contadin  pourrait 
devenir  un  grand  seigneur  \  »  Ce  pronostic  ne  devait  point 
se  réaliser.  Le  pauvre  garçon  de  Saint-Germain  n'a  même 
pas  laissé  à  l'histoire  son  véritable  nom  :  Georget  ou 
Pierrot,  L'Estoile  ne  sait  trop  laquelle  des  deux  appellations 
est  la  véritable,  ne  figure  point  sur  la  liste  des  favoris  de 
Louis  XIIL  «  Il  estoit  plus  content  de  sa  fortune  que  le  pre- 
mier de  la  cour  du  roy  ".  »  Pierrot  s'en  retourna;  il  avait 
peur  d'être  battu,  parce  que  son  père  et  sa  mère  ne  vou- 
laient point  qu'il  vînt  à  Paris  voir  M.  le  dauphin.  Il  en  aurait 
sans  doute  été  empêché  d'ailleurs  par  une  garde  désormais 
plus  sévère  faite  autour  de  Louis  XIII. 

L'aventure  du  jeune  Pierrot  de  Saint-Germain  fut,  pour 
la  coterie  des  ItaUens  familiers  de  la  reine,  un  avertissement 
dont  ils  jugèrent  prudent  de  tenir  compte.  Le  roi  cherchait 
à  qui  s'attacher.  Pourquoi  ne  dériverait-on  pas  sur  quelque 


1.  Andréa  Cioli,  iq  septembre  i6ro. 

2.  L'EsToiLE,  t.  X,  p.  383.  —  Le  récit  de  Cioli,  qui  entre  dans  tous 
les  détails  naïfs  de  cette  charmante  petite  aventure,  est  beaucoup  plus 
complet  et  exact  que  celui  de  L'Estoile. 


LE    ROI.  [35 

obscure  créature  des  Concini  ce  besoin  d'affection  que  le 
jeune  roi  paraît  avoir  si  vivement  ressenti? 

Le  13  septembre,  le  roi  ayant  appris  de  plusieurs  gentils- 
hommes qu'un  jeune  Florentin  nommé  Zanobi  Spini  tirait 
merveilleusement  de  l'arbalète  et  faisait  de  vrais  massacres 
d'oiseaux  avec  autant  d'adresse  que  de  rapidité,  l'envoya 
chercher  par  tout  Paris  pour  lui  voir  montrer  son  talent  dans 
le  jardin  des  Tuileries.  Zanobi  vint,  non  seulement  avec 
son  arbalète,  mais  avec  une  chouette,  manières  tout  à  fait 
nouvelles  en  France  de  chasser  aux  oiseaux.  En  se  servant 
de  l'oiseau  de  nuit  pour  attirer  ses  victimes  et  de  son  arme 
pour  les  frapper,  l'Italien  amusa  tellement  le  roi  qu'il  voulut 
le  garder  toute  la  journée  auprès  de  lui.  Zanobi  se  mit  à 
lui  apprendre  le  tir  de  l'arbalète.  Pour  comble  de  bonne  for- 
tune, ayant  dit  au  roi  qu'il  attendait  d'Italie  de  ces  filets  à 
prendre  les  oiseaux  qui  n'étaient  pas  non  plus  encore  en  usage 
de  ce  côté-ci  des  Alpes,  il  les  trouva  en  rentrant  à  son 
logement,  et  le  lendemain  matin  il  alla  les  apporter  au 
roi.  Le  jeune  prince  l'accueilUt  fort  bien  et  lui  renouvela 
le  commandement  qu'il  lui  avait  déjà  fait  la  veille,  de 
le  suivre  à  Monceaux  et  à  Reims.  «  Le  tout  a  eu  lieu  et 
se  poursuit,  dit  Andréa  Cioli,  grâce  à  l'introduction  et  à 
la  faveur  de  Concini  d'accord  avec  madame  sa  femme.  Il 
aime  beaucoup,  et  à  juste- titre,  ce  gentil  garçon,  devenu 
déjà,  suivant  l'habitude,  l'objet  de  l'envie  des  autres  Ita- 
liens qui  sont  ici.  M""  et  Mme  Concini  s'en  servent  en 
plus  d'une  occasion,  et  il  réussit  fort  bien  en  toutes 
choses;  car  il  est  intelligent  et  bien  tourné.  Je  tiens  pour 
certain  qu'ils  lui  feront  du  bien  ^  »  Concini  et  sa  femme 
avaient  eu,  dans  cette  circonstance,  une  inspiration  plus 
heureuse  que  de  coutume.  Ils  connaissaient  Tattrait  qu'exer- 
çait sur  le  jeune  roi  le  plaisir  de  la  chasse  et  le  soin  qu'il 
aimait  à  prendre  des  instruments  matériels  ou  animés  de 

I.  Andréa  Cioli,  24  septembre  1610. 


i36  LA    MINORITÉ   DE    LOUIS   XIII. 

cette  distraction  qui  dégénère  si  facilement  chez  ceux  qui 
s'y  adonnent  de  bonne  heure  en  passion  exclusive  et  enva- 
hissante. Avaient-ils  deviné  la  concurrence  terrible  que  déjà 
peut-être  commençait  à  faire  à  leur  influence  le  lauconnier 
Luynes  ?  Cherchaient-ils  à  le  diminuer  dans  l'esprit  de  l'en- 
fant par  la  comparaison  des  méthodes  anciennes  de  chasse 
avec  les  procédés  ingénieux  et  plus  nouveaux  de  Zanobi? 
C'est  une  supposition  qui  ne  manque  pas  de  vraisemblance. 
Si  les  Concini  firent  ce  calcul,  l'avenir  les  trompa.  Zanobi 
Spini  était  depuis  longtemps  oublié  que  le  maître  des 
oiseaux  du  cabinet  du  roi,  Charles  d'Albert  de  Luynes,  tenait 
déjà  dans  sa  main  la  destinée  des  Concini  et  le  sort  de  la 
France,  grâce  à  l'empire  qu'il  exerçait  sur  Louis  XIIL 

On  n'a  pas  été  sans  remarquer  l'attitude  à  la  fois  loyale 
et  circonspecte  de  la  maison  de  Lorraine  au  milieu  des 
luttes  d'influence  et  d'intérêt,  dont  la  cour  était  devenue  le 
théâtre.  Les  Guises  constituaient  traditionnellement  un  parti 
opposé  à  celui  des  princes  de  Bourbon;  mais  ils  avaient  eu 
l'habileté  de  ne  point  accentuer,  et  même  d'atténuer,  jusqu'à 
le  faire  entièrement  disparaître,  le  vieil  antagonisme  des 
familles.  Toutes  leurs  visées  paraissaient  tournées  vers  le 
bien  de  l'État,  et  si  le  duc  Charles  de  Guise  était  sorti  de 
sa  réserve  une  fois,  c'avait  été,  l'on  s'en  souvient,  pour 
prendre  la  défense  du  duc  de  Sully,  menacé  dans  son  pou- 
voir et  dans  sa  réputation.  Quelque  louable  que  fût  cette 
conduite,  il  ne  faut  pas  croire  qu'elle  fût  absolument  désin- 
téressée. Marie  de  Médicis  en  effet  tenait  le  chef  de  la 
maison  de  Lorraine  par  un  appât  des  plus  séduisants  : 
Charles  de  Guise  était  épris  de  la  beauté  et  de  la  richesse  de 
Mme  Henriette-Catherine  de  Joyeuse  :  c'était  la  fille  de  Henri 
de  Joyeuse,  frère  du  mignon  de  Henri  III,  tué  à  Coutras. 
Henri  de  Joyeuse,  comte  du  Bouchage,  puis  duc  de  Joyeuse, 
était,  après  la  mort  de  sa  femme,  entré  en  religion  et  fut 
connu,  comme  capucin,  sous  le  nom  de  Père  Ange.  Sorti 


LES    GUISES    ET    LES    BOURBONS.  iSj 

du  couvent  pour  reprendre  les  armes  en  faveur  de  la  Ligue, 
il  se  soumit  assez  tardivement  à  Henri  IV,  dont  il  reçut  le 
bâton  de  maréchal  de  France;  il  reprit  l'habit  de  bure  en 
1599  et  mourut  en  1608.  Sa  fille  avait  épousé  Henri  de 
Bourbon,  duc  de  Montpensier,  qui  fut  le  dernier  représen- 
tant de  cette  branche  de  la  famille  royale  et  qui  mourut  éga- 
lement en  1608,  laissant  une  fortune  immense  et  une  fille 
qui  en  était  l'héritière.  Bassompierre  nous  rapporte  que 
«  M.  le  duc  de  Guise,  dès  le  vivant  du  feu  roy,  avait  com- 
mencé fort  secrètement  la  recherche  de  Mme  de  Mont- 
pensier; mais  il  ne  s'osait  descouvrir,  parce  le  roy  y  eût 
difficilement  consenty.  Après  sa  mort,  cette  affaire  se  res- 
chauffa  \  » 

Ce  projet  d'union  qui  intéressait  à  plusieurs  titres  la 
famille  royale  ne  pouvait  être  poursuivi  qu'avec  l'assenti- 
ment de  la  régente.  Le  duc  de  Guise  ne  négligea  rien 
pour  l'obtenir. 

«  C'est  une  belle  princesse  que  Mme  de  Montpensier;  et 
c'est  péché  qu'elle  soit  veuve  »,  écrit  Scipione  Ammirato 
dès  le  15  juillet  1610.  Il  ajoute  que  l'on  ne  croit  pas  beau- 
coup à  la  réalisation  d'un  mariage  projeté  entre  elle  et  le 
duc  de  Guise.  Il  en  donne  pour  raison  que  l'on  songeait 
à  marier  la  petite  héritière  de  Montpensier  avec  le  duc 
d'Orléans,  frère  du  roi;  et  que,  le  premier  mariage,  celui  de 
la  mère  avec  le  duc  de  Guise,  se  faisant,  il  n'était  pas  pro- 
bable que  le  second  pût  s'accomplir.  En  attendant  le  jour 
lointain  où  ce  second  mariage,  considéré  par  Henri  IV  lui- 
même  comme  exigé  par  l'intérêt  de  la  couronne,  en  raison 
de  l'immensité  des  biens  de  la  princesse,  sera  imposé  au 
duc  d'Orléans  par  la  main  de  fer  de  Richelieu,  le  premier 
parut  être  en  assez  bonne  voie  dès  que  la  reine  sentit  com- 
bien l'isolement  dans  lequel  semblaient  vouloir  la  tenir  les 
princes  du  sang  dès  le  commencement  de  septembre,  lui 

I.  Bassompierre,  t.  I,  p.  286. 


l38  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

rendait  nécessaire  l'appui  d'une  famille  restée  malgré  tout 
redoutable.  «  On  dit  que  le  mariage  du  duc  de  Guise  et  de 
Mme  de  Montpensier  aura  lieu  »,  écrit  Scipione  Ammirato 
le  5  septembre  1610;  et  quelques  jours  après,  dans  sa 
dépêche  du  14  septembre,  Andréa  Cioli  déduit  en  parfaite 
connaissance  de  cause  les  raisons  dont  la  régente  s'inspirait 
dans  le  développement  de  cet  épisode  romanesque,  con- 
sidéré à  juste  titre  comme  une  affaire  d'État.  Après  avoir 
constaté  qu'il  règne  partout  une  grande  tranquillité  et  qu'il 
n'est  plus  question  de  querelles  entre  les  princes  et  les 
grands  ,  l'envoyé  florentin  se  fait  l'écho  de  bruits  d'après 
lesquels  le  prince  de  Condé  aurait  formé  à  Nancy  une  ligue 
de  mécontents  ou  même  aurait  engagé  des  négociations 
avec  les  hérétiques  pour  les  faire  entrer  dans  son  jeu  ;  Cioli 
ne  croit  pas  beaucoup  à  ces  arrangements.  «  Mais  ce  qui 
est  bien  vrai,  ajoute-t-il,  c'est  que  cette  cour  est  divisée  en 
deux  partis,  et  il  y  aurait  là  une  situation  dangereuse,  s'il 
naissait  quelque  trouble,  ce  dont  plaise  à  Dieu  nous  garder. 
Avec  une  prudence  consommée,  Sa  Majesté  s'est  proposé 
comme  but  d'affaiblir  celui  des  deux  partis  qui  est  le 
moins  pour  elle.  C'est  pour  cette  raison  qu'elle  favorise  le 
mariage  de  Guise  avec  Mme  de  Montpensier,  sans  regarder 
au  préjudice  qui  pourrait  en  résulter  pour  M.  le  duc 
d'Orléans,  lequel  préjudice,  au  dire  de  quelques-uns,  ne 
saurait  exister.  Car  la  fille  de  Mme  de  Montpensier  possède 
à  l'heure  actuelle,  sans  tenir  compte  de  Théritage  de  sa 
mère,  une  dot  telle,  qu'avec  l'accroissement  qui  s'ensuivra 
dans  l'intervalle  du  temps  nécessaire  pour  faire  les  publica- 
tions de  ce  mariage,  l'alUance,  de  toute  façon,  serait  pro- 
portionnée. On  dit  qu'il  n'en  serait  pas  de  même  si  la  veuve 
y  ajoutait  encore;  dans  ce  cas,  en  effet,  l'enfant  arriverait  à 
une  condition  telle  qu'elle  pourrait  plutôt  aspirer  à  être  la 
reine  que  la  belle-sœur  du  roi.  Mais  ceci  je  l'ai  appris  du 
secrétaire  de  Guise,  qui  parle  selon  l'humeur  de  son  maître, 
lequel  désire  infiniment  cette  union.  Sully  s'est  en  allé  dans 


LES    GUISES    ET    LES    BOURBONS.  I  Sg 

ses  terres,  et  ses  affaires  vont  toujours  en  baissant,  de  sorte 
qu'à  l'heure  actuelle  on  parle  d'annuler  un  grand  nombre 
de  ses  résolutions,  relativement  à  des  contrats  et  adjudi- 
cations faits  de  sa  propre  et  usurpée  autorité  et  passés 
non  conformément  aux  anciens  us  et  coutumes....  Il  me 
paraît  extrêmement  heureux  que  l'on  n'entende  plus  ce 
Sully  faire  du  bruit,  ni  d'autres  pour  lui,  comme  naguère, 
et  on  peut  voir  combien  la  négociation  du  susdit  mariage 
est  utile  à  ce  point  de  vue,  parce  que  Guise,  non  seulement 
ne  parle  plus  en  faveur  de  Sully,  mais  paraît  n'avoir  plus 
d'autre  préoccupation  que  celle  de  servir  Sa  Majesté  la 
reine,  si  bien  que  nul  ne  fréquente  la  cour  plus  que  lui.  Et 
je  ne  vais  jamais  au  Louvre,  moi  qui  m'y  rends  deux  fois 
par  jour,  sans  l'y  trouver  ou  sans  le  voir  arriver  presque 


aussitôt  '.  » 


On  voit  quelle  était  l'importance  du  mariage  de  Mont- 
pensier  dans  le  jeu  de  la  politique  intérieure.  Il  n'y  a  pas 
lieu  de  croire  à  la  prétendue  Ligue  de  Nancy  qui  aurait 
groupé  dans  une  pensée  de  révolte  autour  du  prince  de 
Condé  presque  tous  les  autres  princes,  y  compris  les  Guises 
et  par-dessus  le  marché  les  Protestants  '.  Ce  n'était  là 
qu'une  fable  forgée  de  toutes  pièces  dans  l'imagination  du 
trop  zélé  marquis  Botti,  au  dire  de  ses  collègues  Andréa 
Cioli  et  Scipione  Ammirato.  Mais  il  est  certain  qu'il  n'était 
pas  le  conseiller  d'une  mauvaise  politique  lorsqu'il  disait  : 
('  Il  faut  que  la  reine  ait  pour  agréable  que  la  princesse  de 
Montpensier  se  remarie  avec  le  duc  de  Guise,  malgré  la 
promesse  qu'elle  avait  faite  au  roi  mort,  lorsqu'il  conclut 
le  mariage  entre  la  toute  petite  fille  de  cette  dame  et  le  duc 
d'Orléans  ;  et  il  faut  que  le  duc  de  Guise  soit  secondé  de 

1.  Andréa  Cioli,  14  septembre  1610. 

2.  Voir  à  la  fin  du  volume,  au  catalogue  des  dépêches  des  ambas- 
sadeurs florentins,  les  extraits  de  la  dépêche  de  Matteo  Botti  du 
19  septembre  1610,  relatant  cette  information  très  douteuse  et  taxée 
d'erronée  dans  une  dépêche  ultérieure  de  Cioli  en  date  du  20  no- 
vembre. Nous  donnons  ces  passages  à  titre  de  curiosité. 


140  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Sa  Majesté  dans  son  dessein  d'avoir  pour  femme  celle  qu'il 
a  toujours  désirée  non  moins  pour  sa  grande  richesse  que 
pour  sa  grâce,  sa  modestie  et  sa  beauté  plus  qu'ordinaire. 
Un  si  notable  bienfait  aura  certainement  pour  résultat  de 
détacher  ledit  duc  et  toute  sa  suite  de  Condé  et  des  autres; 
et  c'est  ce  qui  arrivera,  le  mariage  s'accomplissant,  ce  dont 
je  suis  assuré,  moyennant  cette  condition  expresse,  parce 
que  la  reine  non  seulement  n'y  est  pas  opposée,  mais  y 
travaille  de  toutes  ses  forces.  Le  duc  et  la  princesse  se  plai- 
sent; et  on  les  voit  ensemble  maintenant  plus  que  jamais. 
Le  cardinal  de  Joyeuse,  oncle  de  la  dame,  qui  est  son 
héritière,  est  particulièrement  favorable  au  projet  en  ques- 
tion.  » 

Ainsi  tout  semblait  sourire  aux  vœux  du  duc  de  Guise, 
lorsqu'il  se  trouva  en  présence  d'une  difficulté  qui  ne 
prenait  point  son  origine  dans  la  politique.  Le  duc  Charles 
de  Guise  n'avait  pas  été  pour  Henri  IV  un  adversaire  qui 
pût  compter  sur  le  terrain  diplomatique  ou  miHtaire,  mais 
il  paraît  avoir  été  moins  malheureux  dans  un  genre  de 
rivalité  où  la  jeunesse  lui  assurait  d'incontestables  avan- 
tages. On  sait  toutes  les  tribulations  dont  Henri  IV  avait 
souffert  à  cause  de  la  fameuse  promesse  de  mariage  dont  il 
avait  gratifié  Henriette  d'Entragues  pour  venir  à  bout  de  sa 
résistance.  La  marquise  de  Verneuil  avait  pu  apprécier  le 
peu  de  valeur  d'un  semblable  papier  ;  elle  s'en  était  cepen- 
dant fait  donner  un  tout  pareil  par  le  duc  de  Guise;  mais 
l'idée  fixe  du  mariage  poursuivi  par  tous  les  moyens  ne  lui 
réussit  guère.  Le  duc,  pas  plus  que  le  roi,  ne  se  soucia  de 
faire  honneur  à  une  promesse  écrite  dont  les  conséquences 
à  cette  époque  n'étaient  pas  sans  gravité,  mais  qui  n'avait, 
au  fond,  pas  plus  de  sérieux  que  ces  fragiles  serments  devant 
lesquels  ont,  de  tout  temps,  capitulé,  parmi  les  femmes,  les 
«âmes  trop  aimantes,  les  consciences  faibles  ou  les  esprits 
dominés  par  l'am.bition  et  l'avidité.  Ces  faiblesses  ou  ces 
marchés  n'ont  presque  jamais  fait  que  des  dupes.  La  mar- 


LES    GUISES    ET    LES    BOURBONS.  14! 

quise  de  Verncuil  en  fit  par  deux  fois  au  moins  la  pénible 
expérience  :  «  Dans  le  mariage  du  duc  de  Guise  dont  il  est 
parlé  ci-dessus,  écrit  Matteo  Botti,  il  se  produit  une  diffi- 
culté qui  n'est  pas  petite  :  c'est  que  la  marquise  de  VerneuiL 
veut  faire  la  preuve  que  le  duc  s'est  engagé  à  se  marier  avec 
elle.  On  fait  étudier  la  cause  \  »  Mme  de  Verneuil  se 
montra  de  meilleure  composition  que  lorsqu'il  s'était  agi 
de  la  promesse  de  Henri  IV.  L'enjeu  en  valait  évidemment 
moins  la  peine,  et  la  marquise,  moins  jeune  et  moins 
ardente,  était  lasse  d'un  genre  de  lutte  qui  lui  avait  si  mal 
tourné.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  piquant  dans  l'aventure,  c'est 
que  c'est  la  reine  elle-même,  si  directement  et  violemment 
menacée  sous  le  règne  de  Henri  IV  par  les  revendications 
criminelles  de  la  marquise  de  Verneuil,  qui  négocia  cette 
nouvelle  et  délicate  affaire.  Elle  n'eut  pas  besoin  de  recourir 
à  voie  de  justice. 

La  marquise  de  Verneuil  promit  à  la  reine  de  brûler 
solennellement  les  écrits  qu'elle  avait  du  duc  de  Guise; 
mais  elle  ne  voulut  pas  s'engager  encore  à  ne  pas  faire  des 
protestations  qui  risquaient  de  gâter  toute  l'afîaire  ".  Pour- 
suivie dans  ce  dernier  retranchement,  la  marquise  n'opposa 
qu'une  faible  et  courte  défense  ;  mais  elle  prétendit  ne 
sortir  de  ce  réduit  de  sa  vertu  qu'aux  termes  d'une  hono- 
rable capitulation.  «  Le  mariage  de  M.  le  duc  de  Guise  avec 
Mme  de  Montpensier,  lisons-nous  dans  la  dépêche  d'Andréa 
Cioli  du  20  septembre,  est  si  avancé  que  l'on  dit  qu'il  se 
conclurait  avant  le  couronnement,  si  l'on  n'était  déjà  en 
mouvement  pour  aller  à  Reims.  Mme  la  marquise  de  Ver- 
neuil a  finalement  brûlé  tous  les  papiers  sur  lesquels  elle 
fondait  ses  prétentions  à  l'encontre  dudit  seigneur  duc, 
moyennant  la  condition  qu'il  lui  fasse  une  attestation  qu'il 
n'a  jamais  reçu  d'elle  aucune  satisfaction  de  nature  à  enta- 
cher son  honneur;  et  ainsi  se  trouve  écartée  la  majeure  dif- 

1.  Matteo  Botti,  19  septembre  1610. 

2.  Matteo  Botti,  19  septembre  161  o. 


142  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

ficulté  qui  se  posât  dans  la  négociation  de  ce  mariage  \  )> 
Par  le  bruit  fliit  encore  autour  de  son  nom,  beaucoup  plus 
que  par  la  déclaration  d'innocence  qui  résultait  pour  elle  de 
ce  nouveau  papier  du  duc  de  Guise,  la  marquise  de  Ver- 
neuil  trouva  moyen  de  s'assurer  une  satisfaction  d'amour- 
propre  aux  dépens  de  la  vanité  de  son  ancien  amant.  Cette 
manière  de  vengeance  ne  manquait  pas  d'esprit. 

La  reine,  à  ce  moment,  se  montra  fort  satisfaite  de  la 
façon  dont  elle  était  sortie  de  toutes  les  difficultés  qui 
s'étaient  présentées  dans  le  cours  de  cette  première  étape 
de  sa  régence.  Sa  joie  naïve  s'exprime  avec  une  volubilité 
incohérente  qui  déroule  à  nos  yeux  tous  ses  sujets  de  con- 
tentement dans  la  dépêche  suivante  de  Matteo  Botti  :  «  Il 
me  paraît,  dit-il,  que  cette  grande  princesse  prend  tous  les 
jours  un  très  véritable  accroissement  de  prudence.  Et  Sa 
Majesté  elle-même  m'a  confié,  en  discourant  avec  moi, 
comme  elle  le  fait  souvent  longuement,  qu'elle  commence 
maintenant  à  entendre  son  métier,  et  que  dans  peu  de 
temps  elle  pense  en  savoir  encore  davantage.  Elle  m'a  dit 
qu'il  n'est  pas  vrai  que  le  roi  son  mari  eût  pris  à  cœur  de 
l'initier  aux  affaires;  qu'il  est  vrai  qu'actuellement  toute 
chose  consiste  dans  la  garde  de  sa  propre  vie,  et  qu'on  y 
veille,  bien  qu'elle  n'ait  pas  peur.  Elle  a  une  extrême 
confiance,  en  cas  de  besoin,  dit-elle,  dans  les  forces  de  sa 
propre  personne;  car  lorsque  le  roi  son  mari  se  mit  à  se 
promener  en  tête  à  tête  avec  Biron,  elle  lui  dit  qu'elle 
voulait  être  auprès  de  lui  pour  se  jeter  par  derrière  sur  le 
maréchal,  si  elle  avait  vu  qu'il  voulût  faire  le  moindre  mou- 
vement. Elle  connaît,  a-t-elle  ajouté,  quels  sont  ceux  d'ici 
qui  ont  un  mauvais  esprit.  Outre  le  soin  de  se  garder  et  de 
s'assurer  au  moyen  de  puissants  appuis,  elle  a  pour  but  de 
confondre  et  de  s'attacher  un  chacun  à  force  de  prévenances 
et  de  bienfaits.  Elle  a  éprouvé  beaucoup  de  satisfaction  de 

r.  Andréa  Cioli,  20  septembre  1610. 


LES    GUISES    ET    LES    BOURBONS.  148 

l'issue  des  affaires  de  Juliers,  de  la  tranquillité  qui  règne  en 
Allemagne,  du  désarmement  qui  s'opère  en  Lombardie; 
elle  est  enchantée  que  le  prince  Philibert  aille  en  Espagne; 
que  don  Innico  de  Cardenas  continue  à  lui  témoigner  une 
aussi  grande  bonne  volonté  ;  que  le  duc  de  Feria  se  montre 
plein  de  satisfaction;  que  le  Concino  soit  content;  que  ses 
briques  de  Montelupo  se  fassent  et  que,  puisqu'il  y  en  a 
pour  douze  chambres,  on  puisse  encore  en  arranger  quel- 
ques-unes à  Monceaux.  Elle  est  heureuse  que  soit  arrivée  la 
grande  lunette  de  Galilée,  bien  que  l'on  ne  voie  pas  beau- 
coup plus  qu'avec  les  autres;  que  le  roi  son  fils  se  montre 
si  obéissant  malgré  toute  sa  vivacité;  que  Souvré  soit  un  si 
excellent  gouverneur,  bien  qu'un  peu  trop  complaisant  \  » 

Il  y  avait  cependant  quelques  ombres  au  tableau  enchan- 
teur que  la  reine  se  plaisait  à  faire  de  sa  féUcité  présente. 
Le  prince  de  Condé  s'était  absenté  de  la  cour.  Pour  gou- 
verner on  pouvait  aisément  se  passer  de  lui.  Mais  son 
abstention,  lorsqu'il  s'agissait  d'assister  à  une  cérémonie 
publique  aussi  importante  que  le  couronnement  du  roi,  ne 
pouvait  être  envisagée  que  comme  une  manifestation  d'hos- 
tihté,  on  pourrait  même  dire  un  acte  de  rébeUion.  Marie  de 
Médicis  n'était  pas  sans  inquiétude  à  ce  sujet. 

«  Voilà  déjà  plusieurs  jours,  écrit  Andréa  Cioli,  que  le 
prince  de  Condé  est  dehors;  le  bruit  de  la  cour  veut  que  ce 
soit  pour  rendre  d'autant  meilleure  sa  situation  au  point  de 
vue  de  ses  espérances  et  de  ses  prétentions  sur  la  dignité 
de  connétable.  Mais  le  Père  Dubois,  que  j'ai  été  voir 
aujourd'hui,  m'a  dit  comme  une  chose  certaine  qu'il  n'est 
parti,  et  son  départ  a  eu  lieu  seulement  quand  on  annonça 
la  prochaine  arrivée  du  duc  de  Feria,  que  pour  éviter  de 
donner  à  redire,  en  faisant  à  l'égard  de  cet  ambassadeur 
certaines  démonstrations  auxquelles  il  se  serait  cru  obligé 
par  devoir  de  gratitude  envers  l'Espagne.  Le  Père  Dubois 

I.  Matieo  Botti,  19  septembre  1610. 


144  ^^    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

m'a  affirmé  qu'il  tenait  cette  raison  de  Condé  lui-même;  en 
conséquence  il  ne  croit  point  qu'il  soit  pour  venir  d'un 
jour  à  l'autre,  comme  le  bruit  en  court,  bien  qu'il  ait  été 
rappelé  par  la  reine,  laquelle,  si  elle  ne  l'a  pas  su,  saura  la 
cause  légitime  de  son  absence  et  l'excusera.  Le  duc  de 
Nevers,  lui  aussi,  reste  absent  de  la  cour;  il  est  mal  satisfait 
parce  qu'il  n'a  point,  comme  les  autres,  été  gratifié  soit 
d'une  pension,,  soit  de  toute  autre  chose.  Bien  qu'il  n'eût 
rien  demandé,  comme  on  avait  fait  généralement,  il  avait 
cependant  laissé  entendre  qu'il  avait  des  dettes,  et  pensait 
que  cela  devait  suffire.  On  dit  que  le  duc  d'Aiguillon,  son 
beau-frère,  ira  le  trouver  pour  lui  faire  savoir,  de  la  part  de 
la  reine,  qu'on  lui  donnera  satisfaction  *.  » 

Ces  incertitudes  ne  furent  pas  de  longue  durée.  Un  coup 
de  théâtre  vint  rassurer  la  régente  :  «  Hier  au  soir,  à  la  nuit, 
est  arrivé  M.  le  prince  de  Condé;  et,  ce  matin,  il  a  été  se 
présenter  à  la  reine;  par  là  on  voit  que  Sa  Majesté  a  voulu 
qu'il  revienne  pour  de  bon  non  obstantihus  quihuscunque  \  et 
le  fait  d'être  arrivé  ici  deux  jours  seulement  avant  le  départ 
pour  Reims  suffit  à  affranchir  la  reine  de  ces  préoccupations 
qui,  au  dire  du  Père  Dubois,  lui  causaient  de  l'ennui  ^  » 

Le  duc  de  Nevers  ne  se  fit  pas  non  plus  attendre.  La  cour 
pouvait  se  mettre  en  marche.  Les  habitants  de  la  Cham- 
pagne, déjà  foulés  par  le  séjour  de  l'armée,  avaient  demandé 
que  le  voyage  à  Reims  fût  différé  après  les  récoltes;  elles 
étaient  rentrées  depuis  longtemps. 

1.  Andréa  Cioli,  27  septembre  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  28  septembre  1610. 


VI 


LE  SACRE  DU  ROI.  —  LA  POLITIQUE  DU  MARQUIS  D'ANCRE 


Apaisement  et  bonne  entente  générale  au  moment  du  sacre  de 
Reims.  —  Distribution  des  rôles  officiels.  —  Départ  de  la  cour.  — 
Séjour  à  Monceaux.  —  Les  cérémonies  du  sacre.  —  Attitude  pro- 
vocatrice de  Concini.  —  Insuccès  de  ses  prétentions.  —  Faveur 
croissante  du  marquis  d'Ancre.  —  Renouvellement  des  intrigues 
des  princes  du  sang.  —  Rappel  de  Sully.  —  Rentrée  du  roi  à 
Paris.  —  Réconciliation  du  prince  de  Condé  et  du  comte  de  Sois- 
sons.  —  Coalition  des  princes  du  sang.  —  Condé  vise  à  la  lieute- 
nance  générale  du  royaume.  —  L'idée  d'une  convocation  des  Etats 
généraux  mise  en  avant.  —  Conversation  politique  du  favori  Con- 
cini à  ce  sujet.  —  La  reine  essaye  de  tenir  la  balance  égale  entre 
les  Guises  et  les  Bourbons.  —  Esclandre  suscité  par  le  duc  d'Eper- 
non.  —  Le  prince  de  Condé  et  le  comte  de  Soissons  quittent  la 
cour.  —  La  présence  de  Sully  aux  affaires  est  nécessaire  pour  l'éta- 
blissement de  l'état  des  recettes  et  des  dépenses.  -  Inimitiés  aux- 
quelles il  est  en  butte.  —  Sa  brouille  avec  Villeroy.  —  Raisons 
financières  et  motifs  tires  de  la  politique  étrangère.  —  La  régente 
cherche  à  s'entendre  avec  les  princes  et  les  fait  revenir  pour  la 
clôture  de  l'année  1610. 

Septembre-Décembre  i6io. 


La  cérémonie  du  sacre  du  jeune  roi  laissa  en  suspens 
les  dissentiments  qui  s'agitaient  à  la  cour,  et  montra  la 
maison  de  France  presque  complètement  unie  en  appa- 
rence autour  de  Tenfant  espiègle  mais  déjà  réfléchi,  vif  et 
taciturne,  docile  et  quelquefois  cependant  impérieux,  dont 
cet  acte  solennel  inaugurait  le  tragique  et  glorieux  règne. 

10 


1^6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Le  prince  de  Condé  devait  représenter  à  cette  cérémonie  le 
duc  de  Bourgogne;  les  princes  de  Conti  et  de  Soissons  y 
figurer  pour  les  ducs  de  Normandie  et  d'Aquitaine;  les 
ducs  de  Nevers,  d'Elbœuf  et  d'Épernon  y  tenir  la  place 
des  comtes  de  Flandre,  de  Champagne  et  de  Toulouse. 
Tous  ces  hauts  personnages,  Bourbons,  Guises  ou  grands 
seigneurs,  allaient  rendre  un  éclatant  hommage  aux  tradi- 
tions de  la  monarchie  française  en  reconnaissant  dans  le 
fils  de  l'homme  qui  avait  tant  fait  pour  réconcilier  les 
partis  et  pacifier  les  esprits,  le  roi  désormais  incontestable 
devenu  la  base  solide  de  l'édifice  fragile  de  la  régence. 

Ceux  des  princes  ou  des  grands  officiers  de  la  couronne 
qui  furent  absents  ne  pouvaient  être  soupçonnés  de  mé- 
contentement ou  de  réserve  inquiétante,  vu  la  nature  des 
excuses  qu'ils  avaient  à  faire  valoir.  En  effet  les  chefs  de  la 
maison  de  Guise  ne  se  rendirent  pas  au  sacre  à  cause  d'une 
vieille  et  insoluble  question  de  préséance  avec  la  maison  de 
Nevers,  d'où  il  était  résulté  que,  par  une  convention  tacite, 
chacune  des  deux  familles  allait  à  son  tour  aux  cérémonies 
publiques;  et  cette  fois-là,  c'était  le  tour  des  Nevers.  Le 
connétable  de  Montmorency,  de  son  côté,  dut  rester  à  Paris; 
il  vint  en  effet  prendre  le  commandement  supérieur  de  la 
capitale,  pendant  l'absence  de  la  cour,  pour  trancher  un 
autre  genre  de  différend  qui  se  fût  produit  pour  le  gou- 
vernement de  la  place  entre  le  duc  de  Mayenne,  gouver- 
neur de  l'Ile-de-France,  et  monseigneur  de  Liancourt, 
premier  écuyer  du  roi,  gouverneur  en  titre  de  Paris  \  Le 
grand  maître  de  l'artillerie,  Sully,  s'était,  il  est  vrai,  rendu 
dans  ses  terres  au  château  de  Montrond,  mais  il  trouvait 
dans  sa  qualité  de  protestant  une  dispense  légitime.  La 
population  parisienne  apporta  aussi  au  nouveau  règne  une 
adhésion  qui  n'était  pas  sans  valeur,  quand  on  se  rappelle 
quelle  guerre  acharnée  elle  avait  faite  au  père  de  Louis XIII. 

I.  Scip.  Ammirato,  20  octobre  1610. 


LE    SACRE    DU    ROI.  I47 

«  Il  .ne  reste  plus  à  Paris  que  les  boutiquiers,  écrit  le  secré- 
taire Scipione  Ammirato;  tout  le  reste  est  allé  aux  fêtes  de 
Reims  \  » 

Le  départ  de  la  cour  pour  le  sacre  eut  lieu  le  2  octobre. 
La  superstitieuse  régente  avait  choisi  exprès  ce  jour  qui 
était  l'anniversaire  de  celui  où  elle  partit  de  Florence  pour 
se  marier  ^  Aussi  attendit-elle,  sous  prétexte  de  la  pluie,  le 
retour  de  cette  date  de  bon  augure;  car  la  mise  en  route 
avait  été  primitivement  fixée  au  jeudi  30  septembre.  Les 
bagages  furent  envoyés  en  avant  ^.  La  régente,  au  moment 
de  partir,  crut  devoir,  dans  des  circonstances  qui  invitaient 
plutôt  à  la  clémence  qu'à  la  rigueur,  faire  montre,  en  matière 
de  justice,  d'une  inflexibilité  qui  n'était  guère  dans  ses 
habitudes  politiques.  Elle  résista  aux  instances  du  comte 
de  Soissons,  du  duc  d'Épernon  et  de  beaucoup  d'autres 
seigneurs  qui  la  suppliaient  d'accorder  sa  grâce  à  un  jeune 
homme  de  vingt  ans,  neveu  d'un  procureur  au  parlement 
de  Grenoble,  qui,  venu  à  Paris  pour  étudier,  volait  la  nuit 
dans  les  maisons,  avec  deux  autres  compagnons.  Tous. les 
trois  furent  pendus  \ 

Louis  XIII,  «  éveillé  à  cinq  heures,  se  leva  avec  allégresse 
et  impatience  d'aller  à  son  sacre  ».  Il  est  intéressant  de  se 
faire  une  idée  de  l'incroyable  activité  physique  exigée  d'un 
enfant  aussi  jeune  et  de  la  part  énorme  qu'elle  prenait 
dans  l'éducation  destinée  à  former  un  roi,  par  quelques 
détails  de  l'emploi  de  son  temps  pendant  les  premières 
journées  de  voyage.  Le  jour  du  départ,  au  rapport  d'Hé- 
roard,  «  à  six  heures  et  demie,  il  déjeune.  Botté  à  sept 
heures,  il  entend  la  messe  en  Bourbon.  A  sept  heures  trois 
quarts,  il  entre  en  carrosse  et  part  de  Paris.  Dîné  à  dix 
heures  à  Livry,  peu  après  il  monte  à  cheval,  est  allé  à  la 


1.  Scip.  Ammirato,  i5  octobre  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  7  octobre  1610. 

3.  Andréa  Cioli,  28  et  3o  septembre,  2  octobre  1610. 

4.  Andréa  Cioli,  3o  septembre  1610. 


148  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

chasse.  A  trois  heures  goûté  à  la  campagne;  arrivé  à 
Fresne  par  les  allées,  il  se  promène  à  pied  et  îi  cheval.  La 
reine,  qui  avait  dîné  à  Bondy,  arrive  à  cinq  heures  et 
demie.  A  sept  heures  soupe;  et  s'amuse  en  son  cabinet  à 
peindre,  fait  lui-même  ses  couleurs  sur  le  cuivre,  peint  sur 
la  toile  l'Avarice  et  la  Prudence,  assez  bien,  y  est  attentif, 
fait  toutes  les  actions  que  saurait  faire  un  peintre,  à  la  fin 
serre  lui-même  ses  couleurs  et  ses  pinceaux.  Le  dimanche  3, 
à  sept  heures  trois  quarts,  il  part  de  Fresne  en  carrosse  et 
va  à  Meaux.  Peu  après  il  monte  à  cheval,  vient  chassant 
par  Trie-le-Port  et  arrive  à  quatre  heures  à  Monceaux.   » 

C'est  dans  cette  résidence  que  la  régente  résolut  de 
s'arrêter  quelques  jours,  en  raison  de  bruits  fâcheux  qui 
couraient  sur  l'état  sanitaire  dans  la  ville  de  Reims*.  Elle  tint 
une  cour  brillante  dans  l'endroit  délicieux  où  jadis  avait 
rêvé  de  la  couronne  Gabrielle  d'Estrées.  L'ambassadeur 
florentin  CioH,  qui  suivait  la  cour  dans  la  même  voiture 
que  le  marquis  d'Ancre,  vint  y  rendre  visite  à  Marie  de 
Médicis,  qui  l'accueillit  avec  les  éclats  ordinaires  de  sa  vani- 
teuse bonne  humeur  :  «  Tu  verras,  lui  dit-elle,  ce  que  tu 
n'as  jamais  vu  et  ce  que  je  ne  me  soucie  plus  de  voir  ». 
Cette  réflexion  véritablement  singulière  semblait  évoquer, 
comme  le  souvenir  d'événements  dont  le  retour  ne  parais- 
sait pas  impossible  à  la  régente,  l'image  des  trois  sacres 
auxquels  avait  assisté  comme  reine,  épouse  et  comme  reine 
mère  Catherine  de  Médicis.  L'agent  florentin  répondit,  non 
sans  à-propos  :  «  Et  je  désire  également  que  mes  enfants, 
si  j'en  ai  jamais,  ne  voient- jamais  ce  spectacle;  car  je 
souhaite  que  le  présent  roi  vive  de  très  longues  années,  ce 
pourquoi  je  prie  Dieu  et  le  prierai  continuellement  ». 

Le  4  octobre  la  reine  se  promena  dans  le  jardin  et  le 
parc;  elle  allait  tantôt  à  pied,  tantôt  dans  le  petit  carrosse 
à  six  bidets  dont  le  roi  aimait  à  se  servir,   en  conduisant 

1 .  Héroard,  t.  II,  p.  26. 


LE    SACRE    DU    ROI.  I49 

lui-même  les  petites  montures;  la  reine  était  accompagnée 
de  la  princesse  de  Conti.  Derrière  suivait  dans  un  véhicule 
plus  grand,  mais  sans  coussin  ni  fermeture,  la  marquise 
Concino  avec  plusieurs  dames  de  haute  qualité.  La  reine 
alla  entendre  la  messe  dans  la  galerie,  parce  que  la  cha- 
pelle n'était  pas  encore  terminée.  Le  marquis  de  Tresnel, 
le  vidame  du  Mans,  le  maréchal  de  Lavardin  l'escortaient. 
Le  roi  avait  appris  la  veille  dans  la  conversation  du  soir 
que,  pendant  la  route,  l'Italien  Spini  avait  fait  merveille 
avec  son  arbalète.  Il  le  fit  venir  ce  matin-là  dans  le  parc 
avec  son  arme  et  sa  chouette;  la  reine,  invitée  par  son  fils 
à  la  séance,  y  prit  beaucoup  de  plaisir  ainsi  que  toute  la 
cour.  Chacun  voulut  s'essayer  îi  tirer,  mais  sans  succès. 
On  était  stupéfait  de  voir  Spini  abattre  une  tête  d'épingle, 
et  atteindre  d'une  balle  de  son  arbalète  une  seconde  balle 
tirée  par  une  autre  personne  pendant  que  le  projectile  rou- 
lait à  terre  '. 

La  faveur  de  Mme  Concini  se  manifesta  d'une  manière 
éclatante  pendant  tout  le  cours  du  voyage.  A  Monceaux 
notamment,  où  la  reine  se  promenait  dans  le  parc,  dans  le 
jardin,  tantôt  à  pied,  tantôt  dans  un  petit  carrosse  où  elle 
avait  fait  asseoir  à  côté  d'elle  la  princesse  de  Conti,  on 
voyait  la  marquise  d'Ancre  se  pavaner  dans  un  autre  car- 
rosse, mais  plus  grand  et  sans  coussin  ni  couverture, 
accompagnée  de  deux  des  plus  grandes  dames  de  la  cour. 

Quant  au  marquis  d'Ancre,  il  ne  fit  qu'une  assez  maigre 
figure  pendant  ce  voyage  où  tant  de  haute  noblesse  devait 
naturellement  éclipser  l'étranger  et  le  parvenu.  Il  se  rabattit 
sur  les  ItaUens,  objets  de  son  mépris  quand  il  se  sentait  le 
vent  en  poupe,  et  confidents  de  ses  heures  de  décourage- 


I.  Andréa  CioH,  4  octobre  iGio.  Seul  parmi  les  contemporains, 
Héroard  fait  dans  les  lignes  suivantes  une  allusion  à  cette  distraction 
dont  s'éprit  si  vivement  le  roi  :  «  11  disait  à  M.  de  Bellegarde,  grand 
écuyer,  qu'il  avait  une  arbalète  :  «  Sire  dit-il,  vous  en  tirez  bien.  — 
«  Non  je  ne  tire  pas  bienj  mais  peu  à  peu  nous  apprendrons.  »  (T.  II, 
p.  27.) 


I  5o  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

ment.  Il  offrit  à  Cioli  une  place  dans  son  carrosse  pour  se 
rendre  à  Monceaux,  puis  à  Reims  et  occupa  les  loisirs  de  la 
route  en  racontant  à  son  compagnon  toutes  ses  mésaven- 
tures sous  le  feu  roi.  Sans  doute  il  en  croyait  le  retour 
impossible  ;  cette  pensée  Fobsédait  néanmoins  :  Louis  XIII 
avait  pour  la  mémoire  de  son  père  un  culte  profond  et  les 
antipathies  paternelles  s'étaient  comme  transfusées  dans 
sa  jeune  âme.  Q.u'adviendrait-il  de  Concini  quand  le  roi 
serait  devenu  grand?  On  ne  peut  s'empêcher  de  croire  que 
l'Italien  y  songeait,  lorsqu'il  rapporta  dans  la  voiture  à  son 
compatriote  ce  mot  de  Fenfant  royal  qui  a  échappé  à 
Héroard  :  un  soir,  comme  le  roi  se  mettait  au  lit,  la  reine 
mère,  qui  dormait  dans  la  même  chambre  que  son  fils,  lui 
dit  :  ((  Je  veux  vous  faire  tirer  par  les  bras  et  par  les  jambes. 
—  Et  pourquoi,  madame?  demanda  le  roi.  —  Afin  que  vous 
grandissiez  plus  vite,  répliqua-t-elle.  — A  quoi  bon?  reprit 
vivement  Louis  XIII,  puisque  je  n'aurais  pas  en  même 
temps  la  capacité  de  l'esprit.  »  Elle  devait  venir  plus  tôt  que 
ne  sut  le  prévoirie  marquis  d'Ancre. 

Le  Florentin  croyait  en  son  étoile.  A  Reims  où  les  céré- 
monies officielles  se  passèrent  suivant  les  formes  accoutu- 
mées \  du  14  au  19  octobre,  il  n'hésita  pas  à  attirer  l'atten- 
tion sur  lui  en  faisant  du  scandale.  Il  chercha  querelle  pour 
des  questions  de  préséance  à  de  vieux  serviteurs  de  la  cou- 
ronne. M.  d'Aiguillon,  un  fils  de  Mayenne,  grand  cham- 
bellan, et  le  duc  d'Épernon  en  vinrent  aux  injures  et 
menaces  à  l'égard  de  l'outrecuidant  personnage;  et  le  duc 
de  Bellegarde  dut  l'emporter  de  haute  lutte  pour  figurer  à 
la  cérémonie  comme  premier  gentilhomme  de  la  chambre 

I.  Mercure  français,  t.  I,  p.  53o  et  suiv.  —  Dorât,  la  Xymphe  ré- 
moise au  roi.  —  Bassompierre,  Mémoires,  t.  I,  p.  284.  Les  dépêches 
des  Florentins  relatives  à  la  cérémonie  du  sacre  ont  disparu;  il  n'en 
existe  plus  qu'une,  celle  dans  laquelle  Scip.  Ammirato,  s'en  remettant 
sur  Botti  du  soin  de  donner  les  détails,  se  plaint  du  froid  très  vif  qui 
régnait  dans  la  basilique  à  cause  des  vitraux  brisés  par  la  foule  de 
ceux  qui  s'étaient  hissés  jusqu'aux  fenêtres  pour  voir  le  spectacle. 
(20  oct.  1610.) 


LE    SACRE    DU    ROI.  l5  I 

en  fonction.  Ce  qu'il  y  eut  de  plus  fflcheux  dans  cette  con- 
duite audacieuse,  c'est  qu'elle  révéla  toute  la  faiblesse  de 
cette  main  de  reine  qui  n'avait  d'énergie  que  pour  soutenir 
le  favori. 

Le  gouvernement  de  la  régente  sortit  en  effet  de  cette 
solennité  du  sacre  compromis  et  ébranlé.  Des  mécontente- 
ments légitimes  cherchèrent  l'occasion  de  se  manifester,  et, 
pendant  que  le  roi  était  ramené  dans  sa  capitale,  des  con- 
ciliabules se  tenaient  derrière  lui.  Le  duc  de  Bouillon  ,  un 
vieux  conspirateur,  cherchait  à  nouer  une  coalition  entre 
tous  les  princes  du  sang  et  les  grands  du  royaume  attachés 
à  leurs  intérêts.  Les  ducs  de  Longueville,  de  Nevers,  le 
marquis  de  Cœuvres  et  quelques  autres  le  suivirent  à  Sedan 
où  «  il  estreignit,  dit  RicheHeu,  la  nouvelle  liaison  qu'il 
avait  faite,  par  un  second  nœud,  pour  la  rendre  indissoluble  » . 

Dans  la  détresse  où  commençait  à  se  trouver  le  gouver- 
nement de  la  régente,  il  fallut  rappeler  le  pilote  expérimenté 
qui  avait  récemment  quitté  le  gouvernail.  Le  départ  du 
surintendant  Sully  avait  cependant  laissé  beau  jeu  à  ses 
ennemis. 

«  Le  duc  de  Sully  reste  loin  de  la  cour,  écrit  le  Vénitien 
Foscarini.  C'est  assurément  avec  la  permission  de  la  reine; 
mais  cette  absence  a  donné,  à  ceux  qui  lui  veulent  peu  de 
bien,  matière  de  s'unir  et  d'essayer  de  l'abaisser  autant  que 
possible,  ce  qui  n'est  pas  sans  leur  réussir  en  quelque  façon; 
car  ses  ennemis  sont  en  faveur  auprès  de  la  reine  et  de  ceux 
qui  ont  une  grande  part  au  gouvernement  *.  » 

Sully,  cette  fois  encore,  n'était  point  parti  sans  esprit 
de  retour.  Comme  le  dit  pittoresquement  L'Estoile  :  «  Les 
pensées  des  grands  ne  les  laissent  jamais  guères  reposer  sur 
telles  affaires.  C'est  la  plaie  des  mouches  très  importunes 
d'Egypte;  vous  avez  beau  les  chasser,  elles  reviennent  tou- 
jours. »  La  pensée  d'être  désormais  condamné  à  l'inaction 

I.  Ambas.  vénit.  Foscarini,  6  octobre  iGio.  Filza  42. 


l52  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

politique,  le  chagrin  que  lui  avaient  causé  tant  d'événe- 
ments douloureux  survenus  dans  l'espace  de  quelques 
semaines,  les  efforts  f^iits  sur  lui-même  pour  s'accommoder 
au  nouveau  régime,  produisirent  chez  le  surintendant  une 
réaction  violente.  Il  tomba  si  dangereusement  malade  au 
château  de  Montrond,  qu'on  le  crut  perdu.  Le  bruit  courut 
même  à  Paris  qu'il  était  mort  après  avoir  reçu  les  sacre- 


ments V 


C'est  ce  moment  de  la  narration  que  l'auteur  des  Écoiio- 
mies  royales  choisit  pour  y  intercaler  deux  grandes  compo- 
sitions poétiques  de  sa  fiiçon.  L'une  est  un  Parallèle 
de  Henri  IV  et  de  César,  où  les  rapprochements  ingénieux 
ne  manquent  pas,  mais  dont  l'inspiration  lourde  et  le  ton 
monotone  rendent  la  lecture  peu  attrayante.  L'autre  con- 
tient les  Adieux  de  Sully  à  la  cour',  l'homme  s'y  peint  bien 
lui-même,  avec  son  âpre  amour  du  pouvoir  et  son  dévoue- 
ment à  la  patrie,  ses  rancunes  personnelles  et  ses  vues 
prophétiques.  Il  y  parle  en  termes  indignés  au  jeune  roi 

De  ceux  qui  m'ont  ravi  estais  et  récompense, 
Tous  lesquels  abusant  de  la  minorité 
Et  du  seing  et  du  sceau  de  \'otre  Majesté 
Profaneront  honneur,  dissiperont  richesses, 
Changeront  alliés,  raseront  forteresses, 
Banniront  de  la  cour  les  meilleurs  serviteurs 
De  la  France  et  de  vous,  et  pour  nos  conducteurs 
Mettront  des  gens  de  rien  qui  n'osaient  comparaître 
Ni  se  faire  nommer  du  vivant  de  mon  maître. 

Il  est  facile  de  s'apercevoir,  à  certains  détails,  que  la 
rédaction  de  ces  œuvres  poétiques  doit  être  de  beaucoup 
postérieure  à  Tannée  1610;  et  c'est  bien  plus  en  vue  de 
l'effet  à  produire  sur  le  lecteur  que  par  respect  pour  l'ordre 
chronologique  des  pensées  du  surintendant  qu'elles  se  trou- 
vent à  cette  place.  En  proie  à  la  maladie,  aux  regrets,  soutenu 
par  un  vague  espoir  que  son  rôle  n'était  pas  fini,  Sully  ne 

^i.  Scipione  Ammirato  et  Matteo  Botti,  12  et  i3  octobre  lôio.  —  Cf. 
Economies  royales^  p.  400,  col.  2. 


LE    SACRE    DU    ROI.  I  53 

nous  paraît  guère  avoir  été  dans  l'état  d'esprit  favorable  à 
cette  échappée  d'une  Muse  longuement  plaintive  et  maus- 
sade. Les  transpositions  ne  manquent  pas  dans  l'œuvre 
historique  de  Sully  :  le  ministre  vieilli  tenait  à  tous  ses 
papiers  et  ne  s'est  pas  toujours  suffisamment  gêné  pour  les 
placer  un  peu  au  hasard  ou  suivant  les  besoins  de  la  cause. 
Mais  comme  nous  ne  faisons  pas  ici  la  critique  de  la  com- 
position des  Economies  royales^  nous  n'insisterons  pas  davan- 
tage sur  cette  observation,  pour  en  venir  immédiatement 
aux  dernières  semaines  de  la  vie  ministérielle  de  Sully. 

Les  mémoires  contemporains  sont  d'accord  sur  ce  point  : 
la  reine,  voyant  bien  que  le  sacre  du  roi  apporterait  seule- 
ment une  courte  trêve  aux  hostilités  des  princes  et  des 
grands  entre  eux  et  à  leurs  exigences  vis-à-vis  de  la  cou- 
ronne, fit  de  Reims  même  un  appel  à  Sully,  pour  l'engager 
à  revenir  au  plus  tôt.  Elle  lui  écrivit  à  ce  sujet  une  lettre 
que  reproduisent  les  Economies  royales.  D'après  RicheUeu, 
la  reine  fit  plus  encore.  «  Le  conseiller  d'État  BuUion  eut 
ordre  de  s'avancer  pour  le  trouver  à  Paris  au  retour  de  ses 
maisons,  et  lui  faire  entendre  la  bonne  volonté  de  la  reine, 
qui  voulait  avoir  en  lui  pareille  confiance  qu'avait  eue  le  feu 
roi  *.  »  En  face  de  pareils  engagements,  Sully  se  retrouva 
sur  pied.  Il  regagna  Paris,  fit  placer  des  pièces  de  canon  sur 
les  murailles  de  l'Arsenal  et  de  la  Bastille,  et  attendit  le  fils 
de  Henri  IV  '. 

Le  roi  revint  à  Paris  le  30  octobre  16 10  à  la  tombée  de 
la  nuit.  La  reine  mère,  arrivée  dès  le  matin,  s'arrêta  pour 
déjeuner  dans  la  maison  du  banquier  florentin  Zamet,  d'où 
elle  voulait  voir  passer  le  jeune  roi.  Louis  XIII  ne  fit  point 
une  entrée  solennelle,  puisqu'on  ne  le  reçut  point  sous  un 
dais  et  que  la  cour  de  Parlement  et  les  autres  magistrats  ne 
se  portèrent  point  à  sa  rencontre.  Le  prévôt  des  marchands 
et  les  officiers  de  la  ville  furent  seuls  au-devant  de  lui.  Cette 

1.  Economies  royales,  p.  405.  —  Richelieu,  Mémoires,  p.  33. 

2.  Andréa  Cioli,  29  octobre  1610. 


l54  LA    MINORITK    DE    LOUIS    XIII. 

entrée  n'en  fut  pas  moins  imposante.  Hors  de  la  porte 
Saint- Antoine  une  foule  considérable  accueillit  Louis  XIII 
aux  cris  de  :  «  Vive  le  roi  !  »  Le  grand  maître  fit  entendre 
au  milieu  des  acclamations  populaires  le  tonnerre  de  son 
artillerie,  «  cent  canonnades  de  cent  canons»,  dit  Héroard. 
«  Le  roi,  ajoute  L'Estoile,  regarda  d'un  œil  gai  et  attentif 
tirer  les  bouches  à  feu,  à  quoi  il  montra  grand  plaisir.  » 
Louis  XIII,  tout  vêtu  de  rouge,  avec  de  larges  garnitures 
d'or  sur  tous  ses  habits,  montant  un  grand  cheval  blanc  et 
entouré  de  princes  et  de  seigneurs,  s'achemina  à  la  lueur 
des  torches  vers  le  Louvre,  «  l'air  altier  et  hardi,  suivant  son 
habitude  {seconda  il  solito^  iuît'  alîiero  et  haldan:^so)  *  ». 

Le  jeune  roi  donnait  de  lui  la  meilleure  opinion.  De 
bouche  en  bouche  on  se  répétait  le  joli  mot  qu'il  avait  dit 
à  l'issue  du  sacre.  La  reine  lui  ayant  dit  de  se  reposer 
parce  qu'il  devait  être  fatigué  et  lui  demandant  s'il  voudrait 
accomplir  une  autre  fois  le  même  acte  :  "  Oui,  madame, 
répondit-il,  pour  un  autre  royaume  !  »  La  repartie  n'était 
pas  indigne  du  fils  de  Henri  IV.  Il  fît  également  une  vive 
impression  sur  des  ambassadeurs  hongrois  venus  pour 
saluer  le  nouveau  roi.  «  Ces  bonshommes,  lisons-nous  dans 
les  dépêches  de  Cioli,  ne  font  que  louer  Leurs  Majestés 
et  restent  émerveillés  du  roi  qui,  dans  un  âge  si  tendre, 
donne  des  preuves  manifestes  qu'il  ne  veut  pas  être  infé- 
rieur à  son  père  ;  car  dans  ses  actes  et  ses  paroles,  il  ne 
se  conduit  pas  comme  un  entant,  mais  comme  un  homme, 
et  ils  ont  dit  mais  n'ont  pas  été  les  premiers  à  le  faire,  que 
le  seigneur  Dieu,  voulant  rendre  parfait  cet  enfant,  lui  avait 
donné  la  beauté  et  la  bonté  de  sa  mère,  et  la  vivacité 
d'esprit  et  de  corps  de  son  père  -.  » 

Il  manquait  cependant  à  l'entourage  du  jeune  roi  quel- 
ques-uns de  ceux  dont  la  présence  eût  été  de  nature  à 
rehausser  encore  aux  yeux  de  tous  la  dignité  ro3'ale.  Le 

1.  Andréa  Cioli,  29  octobre  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  g  novembre  1610. 


LE    SACRE    DU    ROI.  I  DO 

prince  de  Condé,  que  le  roi  avait  fait  seul  chevalier  de 
l'ordre  le  lendemain  de  son  sacre,  après  avoir  été  visiter  le 
duc  de  Bouillon  à  Sedan  et  le  duc  d'Épernon  à  Metz,  s'était 
dérobé  sous  un  fort  honnête  prétexte  :  celui  d'aller  retrouver 
sa  femme  ^  à  Valéry;  mais  on  ne  pouvait  guère  se  tromper 
sur  la  signification  de  son  attitude.  «  Il  ne  montre  pas,  écrit 
Matteo  Batti,  le  calme  et  la  satisfaction  que  Ton  désirerait.  » 
La  retraite  du  duc  d'Épernon  à  Metz  était  également  un 
signe  non  équivoque  de  mécontentement.  Quant  au  comte 
de  Soissons,  il  demandait  à  s'en  aller  pour  quinze  jours 
dans  ce  magnifique  gouvernement  de  Normandie  que  la 
reine  avait  commis  l'imprudence  de  lui  concéder  pour  faire 
taire  ses  prétentions  au  partage  de  la  régence  -.  Cette 
désertion  de  quelques-uns  des  personnages  les  plus  en  vue 
de  l'État  inquiéta  le  gouvernement;  et  le  Conseil  intime  de 
la  régente  essaya,  par  divers  moyens,  de  déjouer  les  com- 
binaisons hostiles  qui  semblaient  se  préparer. 

Le  maréchal  de  Bouillon  et  le  duc  d'Épernon  ne  pou- 
vaient faire  aboutir  leur  plan  de  coalition  qu'à  la  condition 
de  rapprocher  les  princes  de  Condé  et  de  Soissons,  divisés 
par  la  rivalité  politique  et  par  des  afi'aires  d'intérêt.  Le 
connétable  de  Montmorency,  tout  en  conformant  sa  con- 
duite à  ses  hauts  devoirs  de  grand  officier  de  la  couronne, 
n'était  pas  fâché  de  témoigner  de  la  mauvaise  humeur 
contre  la  princesse  qui,  parmi  tant  de  faiblesses,  n'avait 
pas  encore  consenti  à  celle  qui  eût  été  un  acte  de  clémence 
vraiment  politique  :  l'élargissement  du  comte  d'Auvergne, 
gendre  du  connétable,  toujours  captif  à  la  Bastille.  Mont- 
morency s'employait  donc  activement  à  la  réconciliation 
des  deux  cousins.  Ne  pouvant  empêcher  leur  réunion,  la 
reine  voulut  s'en  attribuer  le  mérite  et  crut  habile  de  pres- 
crire au  connétable  d'amener  un  accommodement  chez  les 
deux  princes.  Soissons  et  Condé  se  virent  donc  à  l'hôtel  de 

1.  Scipione  Ammirato,  3i  octobre  1610. 

2.  Scipione  Ammirato,  17  novembre  1610. 


l56  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

Montmorency,  firent  leur  accord,  et,  le  lendemain,  Sois- 
sons  alla  voir  Condé  et  resta  avec  lui  plus  de  trois  heures. 
Quelles  avaient  été  les  bases  de  leur  entente?  On  allait 
bientôt  connaître  à  leurs  exigences  vis-à-vis  de  la  cour  que 
la  reine  mère  n'avait  rien  gagné  à  favoriser  leur  réconciliation. 
En  face  du  parti  des  princes,  des  Bourbons,  qui  commen- 
çaient à  dessiner  un  jeu  hostile  à  la  reine  étrangère,  Marie 
de  Médicis,  par  calcul,  non  moins  que  par  inclination, 
s'était,  comme  on  le  sait,  ménagé  un  appui  éventuel  dans 
la  maison  de  Guise.  Cette  grande  famille,  sincèrement  ral- 
liée à  la  dynastie,  attendait  de  son  loyalisme  des  bénéfices 
réels.  Les  po  urparlers  en  vue  du  mariage  du  duc  de  Guise 
et  de  Mme  de  Montpensier  furent  repris  vivement  après  les 
fêtes  du  sacre.  Or  le  comte  de  Soissons  s'était  toujours 
montré  fort  hostile  à  un  projet  qui  faisait  entrer  dans  une 
famille  autre  que  la  sienne  une  des  plus  grosses  fortunes  de 
France  et  qui  soumettait  à  l'influence  des  Guises  l'enfant 
qui  en  était  alors  l'héritière.  Remis  en  bons  termes  avec 
le  comte  de  Soissons,  Condé  n'hésita  pas  à  l'appuyer  dans 
ses  protestations,  sans  rompre  ouvertement  avec  le  duc  de 
Guise  qui  alla  déjeuner  chez  lui  vers  la  fin  de  novembre. 
Néanmoins  la  vieille  inimitié  entre  la  maison  de  Guise  et  la 
maison  de  Bourbon  risquait  fort  de  se  réveiller  par  refl"et 
de  ces  nouvelles  intrigues  '. 

Ce  n'est  pas  la  seule  cause  d'embarras  que  la  coalition 
se  proposait  de  susciter  à  la  régente.  Le  bruit  que  les  prin- 
ces allaient  demander  à  se  rendre  dans  leurs  gouvernements 
ne  tarda  pas  à  se  répandre.  On  pensait  bien  que  c'était 
pour  s'y  ménager  la  faveur  des  habitants,  exploiter  les 
causes  de  mécontentement,  et  présenter  des  réclamations 
qui,  si  elles  étaient  favorablement  accueillies,  grandiraient 
le  prestige  des  intermédiaires,  et,  dans  le  cas  contraire, 
indisposeraient  contre  la  régence. 

I.  Andréa  Gioli,  23  novembre  1610. 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aN'CRK.  iS/ 

L'idée  d'une  réunion  des  États  généraux  commençait 
aussi  à  se  faire  jour  \  C'était  la  ressource  suprême  des 
temps  de  minorité  ou  d'incapacité  du  pouvoir  royal  :  on 
pouvait  en  espérer  ou  le  bien  public  ou  la  satisfaction  d'in- 
térêts particuliers.  Pour  le  moment,  les  promoteurs  de  l'idée 
leur  assignaient  comme  tâche  principale  la  remise  de  l'ad- 
ministration du  royaume  entre  les  mains  du  prince  de 
Condé,  qui  serait  nommé  lieutenant  général. 

Ainsi  se  trouvait  préparé  le  terrain  d'une  opposition  dont 
les  premiers  symptômes  jetèrent  dans  le  trouble  le  cercle 
intime  de  la  reine  mère.  «  On  remarque  une  extraordinaire 
mélancolie  chez  le  seigneur  Concino,  écrit  Andréa  Cioli  le 
25  novembre  léio.  Quelques  paroles  qui  lui  sont  échap- 
pées dénotent  chez  lui  une  véritable  consternation.  Le 
S*"  Filippo  Gondi  lui  ayant  demandé  ce  qu'on  pensait  de 
cette  réunion  des  princes  lui  a  entendu  dire  :  «  Oh!  pauvre 
«  reine!  Je  ne  sais  plus  que  devenir  maintenant  !  »  —  Dieu 
garde  la  reine,  ajoute  le  secrétaire  florentin,  de  toute  occa- 
sion de  troubles!  Elle  peut  bien  dire  qu'elle  est  seule  et 
presque  abandonnée;  car  le  S""  Concino,  avec  son  assis- 
tance, lui  fera  désormais  plus  de  tort  qu'il  ne  lui  apportera 
d'aide,  pour  s'être  mis  à  dos,  non  seulement  la  jalousie, 
mais  on  peut  dire  la  haine  de  tous  les  princes  et  grands 
d'ici,  en  voulant  trop  se  mettre  en  avant.  Sa  mauvaise 
intelligence  avec  Épernon  est,  de  l'avis  général,  la  plus  per- 
nicieuse chose  qu'il  ait  jamais  pu  faire,  vu  que  ce  personr 
nage  serait  un  grand  et  utile  ami  pour  la  reine.  Il  a  de  la 
valeur  et  dispose  de  grandes  forces,  en  raison  de  sa  charge 
et  de  son  étroite  intelligence  avec  Soissons  et  d'autres.  Le 
seigneur  Concino  m'a  dit  une  fois  qu'il  connaissait  fort 
bien  la  conduite  à  tenir  avec  les  Français  et  que  c'était  un 
procédé  fort  sûr  que  de  se  jeter  successivement  tantôt  dans 
un  parti,  tantôt  dans  l'autre.  Si  l'on  en  juge  par  les  appa- 

I.  Scip.  Ammirato^  21  décembre  1610. 


l58  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

rences,  voilà  qui  ne  lui  réussit  guère  pour  le  moment. 
Quand  il  me  parla  ainsi,  je  lui  répondis  :  «  Il  ne  faut  pas  s'y 
«  fier  ».  Et  maintenant  je  lui  dirais  :  «  Personne  ne  voudra 
«  se  fier  à  vous  y .  Voyons  toujours  combien  de  temps  durera 
son  entente  avec  la  maison  de  Guise.  » 

Cet  entretien  nous  prouve  avec  quelle  sûreté  l'auteur  des 
Économies  royales  juge  l'intrigant  qui,  au  milieu  de  jan- 
vier i6i  I,  parviendra  à  Tévincer  du  pouvoir,  quand  il  dit  : 
«  Le  marquis  d'Ancre,  qui  possédait  la  faveur,  tenait  les 
grands  en  division,  afin  qu'ils  ne  s'accordassent  à  empêcher 
son  élévation,  balançant  les  partis  de  telle  sorte  que  nul  ne 
se  pût  rendre  supérieur,  en  nourrissant  l'envie  et  la  jalousie 
entre  eux,  afin  qu'ils  ne  se  pussent  accorder  à  son  dom- 
mage ».  Il  fallait  être,  pour  jouer  un  pareil  jeu,  bien  habile 
ou  bien  puissant. 

Un  instant  décontenancé,  le  marquis  d'Ancre  reprit  bien 
vite  son  audacieuse  confiance  en  lui-même.  Il  affecta  de 
n'attacher  aucune  importance  à  la  coalition  des  princes.  A 
ceux  qui  remarquaient  l'air  inquiet  de  la  reine,  il  répondit 
sans  sourciller  :  «  Tranquillisez-vous!  La  reine  ne  manque 
pas  de  cœur  *.  »  Pour  lui,  il  affecta  de  pencher  ouverte- 
ment du  côté  des  Guises.  Pendant  que  la  régente  se  dépen- 
sait auprès  du  duc  d'Epernon  en  efibrts  que  ne  désespérait 
pas  la  hauteur  du  colonel  général,  pour  amener  un  rappro- 
chement entre  ce  dernier  et  Concini,  le  marquis  prenait 
médecine  et  faisait  défendre  sa  porte  par  les  Suisses  de 
garde  aux  visiteurs  indiscrets  ".  Il  ne  sortit  de  sa  retraite 
que  pour  offrir  le  7  décembre  16 10  un  banquet  solennel  au 
duc  de  Guise,  en  l'honneur  du  mariage  projeté  dont  l'an- 
nonce  devenait  désormais  officielle  ^  On   ne  devait  plus 

1.  Andréa  Cioli,  26  novembre  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  25-27  novembre  1610. 

3.  Alla  casa  Guisa  la  Regina  fa  gran  care:^^e  et  verra  hora  a  obbli- 
gare  il  Sig"^  Duca  mediante  il  matrimonio  con  Sladama  di  Montpensiero 
tenendosi  oggi  per  concluso  affatto  corne  ha  affermato  questa  mat- 
tina  ne  Cordielleri  Mons.  délie  Fonte  che  sta  in  casa  del  Sig^  Principe 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNCRE.  I  Sq 

attendre  que  la  fin  de  Favent  pour  le  terminer  de  toute 
façon,  ominnamenîe\  Pendant  ce  temps,  le  comte  de  Soissons 
était  en  Normandie  ^  et  le  prince  de  Condé,  resté  dans  la 
place,  faisait  valoir  celles  de  ses  prétentions  auxquelles  il 
pensait  qu'un  gouvernement  sans  souci  du  lendemain  don- 
nerait le  plus  facilement  satisfaction.  Ce  qu'il  lui  fallait  avant 
tout,  c'était  de  l'argent;  or  il  déclarait  que  son  père  et  son 
aïeul  avaient  dépensé  tout  leur  avoir  pendant  les  guerres 
civiles  au  service  du  roi  Henri  IV,  et  qu'il  lui  restait  à 
peine  trois  ou  quatre  mille  livres  de  rentes;  la  couronne 
lui  devait,  disait-il,  au  moins  huit  cent  mille  francs.  Bien 
qu'il  eût  déjà  reçu  de  larges  gratifications,  il  réclamait  cette 
somme  immédiatement  et,  de  plus,  la  survivance  du  conné- 
table, et,  en  sa  qualité  de  gouverneur  de  la  Guienne,  le 
commandement  direct  d'un  certain  nombre  de  places  dans 
cette  province,  notamment  Bordeaux,  avec  le  droit  de 
nommer  dans  tout  le  gouvernement  des  officiers  de  son 
choix  \  Ces  demandes  étaient  exorbitantes  :  le  prince 
réclamait  en  fait  une  véritable  souveraineté  dans  un  pays 
sur  lequel  Henri  IV,  étant  roi  de  Navarre  et  gouver- 
neur de  Guienne,  n'avait  jamais  revendiqué  de  pareils 
droits.  «  Le  prince  de  Condé  ne  peut  se  tenir  tran- 
quille, écrit  Scip.  Ammirato.  Plus  on  lui  donne,  plus  il  en 
voudrait  *.  » 

Des  réclamations   directes   ou   indirectes,   le    prince   de 
Condé  ne  tarda  pas  à  passer  aux  actes  de  mécontentement. 

di  Janville;  ma  il  Sig'  Cardinale  di  Gioiosa  die  è  :^io  di  Madama,  et 
tiitto  di  Siiisson  et  d'Espernon  et  per  amicitia  et  per  parentela  tra 
loro,  et  tutti  tre  questi  vogliono  maie  di  morte  alSig^  Concino  et  contro 
di  esso  si  racontano  parole  de  Suisson  che  insin  minacciano  nella  vita 
et  potrebbono  tirar  casa  Guisa  dalla  loro,  et  i  Ministri  per  mantenersi 
nella  loro  autorita  atterranno  da  che  vince.  (Andréa  Cioli,  25  novem- 
bre 1610.) 

1.  Scip.  Ammirato,  7  décembre  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  4  décembre  1610. 

3.  Ambass.  vénit.,  29   décembre.  —  Scipione  Ammirato,  7  décem- 
bre 1610. 

4.  Scip.  Ammirato,  7  décembre  1610. 


l6o  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

Le  mardi  7  décembre  16 10,  le  prince  était  allé  au  Louvre 
au  Conseil  des  finances,  auquel  n'assista  point  la  reine. 
Comme  chacun  sortait  et  que  le  prince  prenait  le  chemin 
de  la  porte,  le  chancelier  lui  dit  en  manière  de  demande  : 
«  Votre  Excellence  ne  veut  pas  venir  chez  Sa  Majesté  au 
Conseil  d'État?  »  11  lui  fut  répondu  non.  Le  chancelier 
reprit  :  «  Il  est  cependant  bon  que  Votre  Excellence  y 
vienne;  car  on  doit  traiter  des  affaires  militaires.  »  Condé 
répliqua  encore  qu'il  ne  se  souciait  pas  d'y  assister.  Le 
chancelier  monta  alors  chez  la  reine;  et  celle-ci  lui  demanda 
si  Condé  était  en  bas  et  s'il  voulait  venir;  ayant  appris  du 
chancelier  les  réponses  qui  avaient  été  faites  à  ce  dernier, 
elle  envoya  La  Varenne  dire  au  prince  que  s'il  voulait  venir 
au  Conseil,  elle  l'attendait.  Condé  fit  à  ce  message  les  mêmes 
réponses  qu'aux  paroles  du  chancelier,  en  ajoutant  que,  le 
comte  de  Soissons  n'étant  pas  là,  il  ne  voulait  pas  aller  au 
Conseil  :  et  c'est  ce  qu'il  fit.  Les  amateurs  de  spéculations 
politiques  prirent  texte  de  ces  dernières  paroles  pour  dire  que 
Condé  avait  voulu  laisser  entendre  que  la  reine  et  les  ministres 
ne  pouvaient  rien  faire  sans  l'intervention  de  l'un  ou  l'autre 
des  deux  princes.  Mais  comme  il  retourna  depuis  au  Conseil, 
il  devint  évident  qu'il  s'était  plutôt  laissé  aller  à  un  mouve- 
ment de  mauvaise  humeur  que  livré  à  une  manœuvre  poli- 
tique, et  qu'il  avait  voulu  manifester  son  mécontentement 
de  n'avoir  reçu  satisfaction  pour  aucune  de  ses  demandes. 
On  disait  aussi  que,  par  ses  impertinences,  le  prince  voulait 
mettre  la  reine  en  demeure  de  lui  céder,  parti  fort  impru- 
dent, si  elle  s'y  résolvait;  car  le  prince  pourrait  alors  se  dire 
le  maître  de  la  Guienne;  puis,  outre  l'autorité  qu'a  d'ordi- 
naire un  premier  prince  du  sang,  celle  qui  s'y  ajouterait  par 
la  survivance  de  la  connétablie,  le  porterait  à  une  grandeur 
excessive,  et  encore  ne  se  serait-il  pas  contenté;  car  on  le 
verrait  aussitôt  prétendre  sinon  à  la  régence,  au  moins,  à  la 
lieutenance  générale  du  royaume.  Les  mieux  avisés  des 
discoureurs  auraient  voulu  que  la  régente  n'accordât  rien  et 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNXRE.  i6i 

laissât  le  prince  ronger  son  frein,  puisqu'il  n'était  possible 
de  le  satisfaire  qu'au  prix  de  la  ruine  du  gouvernement  et 
de  la  réputation  de  la  reine.  Il  était  bien  certain  toutefois 
que  lorsque  Condé  se  verrait  exclu  de  ses  prétentions,  il  ne 
serait  plus  possible  de  le  retenir  à  la  cour  et  de  l'empêcher 
d'aller  dans  son  gouvernement  où  il  pourrait  faire  du  mal; 
car,  en  raison  de  son  titre  seul  de  gouverneur,  les  com- 
mandants et  lieutenants  particuliers  des  forteresses  de  la 
province  ne  pouvaient  lui  refuser  l'entrée  de  chacune  de 
leurs  places,  avec  le  nombre  de  gens  qu'il  voudrait,  s'il  se 
présentait  pour  les  visiter,  et  peut-être  ainsi  pourrait-il,  si 
bon  lui  semblait,  s'en  rendre  le  maître.  On  répondait  à  cette 
objection  que  la  reine,  dans  le  cas  où  elle  concevrait  à  ce 
sujet  les  craintes  qu'elle  devait  avoir  en  effet,  pouvait  remé- 
dier à  la  situation  en  écrivant  à  ces  gouverneurs  parti- 
culiers des  lettres  leur  enjoignant  ou  de  ne  pas  laisser 
le  prince  entrer  dans  leurs  forteresses,  ou  de  ne  lui  en 
permettre  la  visite  qu'avec  un  petit  nombre  de  gens;  de 
manière  à  ce  qu'ils  n'eussent  à  craindre  aucun  mau- 
vais tour.  Ainsi  le  prince  de  Condé  resterait  en  proie  à 
sa  rage.  (Et  cosi  il  principe  di  Conde  rimarra  nella  sua 
rahhia  '.) 

Cette  politique  était  la  meilleure  à  suivre  et  la  force  des 
choses  devait  y  amener  le  gouvernement.  Il  eût  été  plus 
simple  de  commencer  par  où  l'on  devait  fatalement  finir. 

Déjà  éclatait  comme  une  menace  dans  la  bouche  du  prince 
de  Condé  l'annonce  d'un  appel  aux  États  généraux  pour 
régler  constitutionnellement  la  question  de  gouvernement. 
Cette  éventualité,  dont  il  n'avait  pas  été  possible  que  l'on 
écartât  complètement  l'idée,  au  commencement  de  la 
Régence,  devint  l'objet  des  préoccupations  universelles.  La 
réunion  des  trois  ordres  parut  bientôt  ne  pouvoir  être 
évitée.   Quels   furent   les   sentiments    et   l'opinion    de    la 

I.  Andréa  Cioli,  lo  décembre  1610,  2°  dépêche. 

II 


102  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

régente  au  début  de  ce  mouvement  qui  devait  aboutir  à 
la  convocation  de  la  dernière  des  assemblées  parlementaires 
qui  aient  fonctionné  conformément  au  droit  de  l'ancienne 
monarchie?  Contrairement  à  l'opinion  généralement  admise, 
Marie  de  Médicis  ne  manifesta  aucune  opposition,  quant  au 
fond,  au  projet  que  mettait  en  avant  le  prince  de  Condé;  et 
il  est  certain  qu'en  fin  de  compte,  le  gouvernement  de  la 
reine  sut  fort  habilement  retourner  contre  le  premier 
prince  du  sang  Tarme  dont  il  entendait  se  servir  contre  la 
régente  :  «  J'ai  appris  de  quelqu'un  qui  dit  l'avoir  entendu 
de  la  bouche  même  de  la  reine,  écrit  Andréa  Cioli,  que  Sa 
Majesté  n'a  aucune  inquiétude,  et  même  qu'elle  donnera  son 
consentement  à  la  réunion  des  Etats,  dès  que  des  instances 
lui  auront  été  faites  à  ce  sujet.  Car  ne  voulant  que  le  bien 
de  ce  royaume  et  du  roi  son  fils,  elle  tient  pour  certain  que 
les  États,  de  leur  côté,  n'auront  point  d'autre  but.  Comme 
jusqu'à  présent  Sa  Majesté  n'a  rien  fait  qui  soit  domma- 
geable à  l'État,  il  ne  paraît  pas  qu'elle  ait  rien  à  redouter  en 
ce  qui  est  du  maintien  de  sa  régence.  Que  si  les  États  lui 
donnent  une  ou  plusieurs  personnes,  comme  on  en  donna 
douze,  à  ce  que  j'entends  dire,  à  la  reine  mère  de  Charles  VI  ' 
sans  1  intervention  desquelles  elle  ne  pouvait  rien  faire  de 
valable.  Sa  Majesté  a  dit  qu'elle  y  consentirait,  parce  que, 
tout  en  étant  Hbre,  à  cette  heure,  elle  n'ose  rien  faire,  de 
peur  que  ses  décisions  soient  sans  valeur,  tandis  qu'alors  elle 
pourra  opérer  plus  franchement;  elle  aura  moins  d'occasions 
de  suspecter  les  conseils  de  ces  personnes,  alors  que  main- 
tenant elle  vit  à  leur  égard  dans  un  état  de  défiance  perpé- 


I.  Les  connaissances  historiques  de  l'agent  florentin  ou  de  ceux  qui 
le  renseignaient  sont  sur  ce  point  fort  en  défaut.  La  mère  de  Char- 
les VI  était  morte,  quand  ce  prince  arriva  au  trône,  et  tout  le  monde 
sait  que  ses  oncles  exercèrent  le  gouvernement  à  sa  place.  —  Cioli 
veut  évidemment  parler  de  la  sœur  de  Charles  VII,  Anne  de  Beau- 
jeu,  à  laquelle  fut  adjoint  ou  plutôt  subordonné  un  conseil  de  douze 
membres.  —  Voir  Jehan   Masselin,  Journal  des  États  généraux  de 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNCRE.  i63 

tuelle.  Le  personnage  de  qui  je  tiens  tous  ces  détails  croit 
que,  les  États  venant  à  se  réunir  et  le  prince  y  étant  con- 
voqué, celui-ci  ne  voudra  certainement  pas  3^  assister;  et  il 
en  donne  cette  raison  que,  dans  ces  occasions,  les  Majestés 
royales  ont  un  plus  grand  nombre  de  soldatesque  pour  leur 
garde  que  d'habitude,  tandis  qu'un  autre  personnage  ne 
peut  en  tenir  sur  pied.  Or,  comme  le  prince  de  Condé  est 
fâché  avec  la  reine  et  qu'il  redoute  quelque  affront  de  sa 
part,  il  se  tiendra  certainement  éloigné.  Cette  considération, 
placée  sous  les  yeux  de  la  reine,  contribuera  à  lui  faire 
accepter  plus  facilement  la  réunion  des  États  '.  » 

L'embarras  général  de  la  situation  et  cette  grave  ques- 
tion des  États  généraux,  qui  allait  prendre  la  première  place 
dans  le  développement  de  la  politique  intérieure,  donnèrent 
lieu,  de  la  part  du  marquis  d'Ancre,  à  un  entretien  dont  les 
détails  nous  ont  été  conservés  par  le  même  agent  du  grand- 
duc  de  Toscane  et  où  nous  pouvons  voir  Concini  s'essayer 
dans  le  rôle  d'homme  d'État. 

Malade  le  lendemain  du  banquet  du  7  décembre,  Concini 
envoya  le  médecin  qui  avait  pris  la  place  de  Duret,  le  doc- 
teur Carosio,  prier  Andréa  Cioli  de  passer  chez  lui.  Le  Flo- 
rentin trouva  le  marquis  d'Ancre  au  lit,  souffrant  d'un  mal 
de  gorge  auquel  il  était  sujet.  Le  malade  commença  par  se 
faire  exposer  les  différentes  phases  d'une  indisposition  ana- 
logue dont  Cioli  avait  été  atteint,  les  remèdes  qu'on  lui 
avait  appliqués,  les  tourments  qu'il  avait  endurés.  La  con- 
versation passant  ensuite  de  la  médecine  à  la  politique,  on 
en  vint  à  parler  des  prétentions  du  prince  de  Condé.  L'en- 
voyé du  grand-duc  exprima  l'opinion  qu'elles  n'avaient 
d'autre  but  que  de  forcer  la  reine  à  faire  réunir  les  États 
généraux.  Concini  avoua  que  les  affaires  étaient  en  très 
mauvaise  voie.  11  ajouta,  tout  à  fait  en  confidence,  que  la 
reine,  par  son  excessive  bonté,  s'en  était  réduite  à  un  état 

I.  Andréa  Cioli,  10  décembre  161  o,  2*^  dépêche. 


164  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

tel  que,  si  elle  ne  se  résolvait  au  suprême  remède  pro- 
posé par  ses  véritables  serviteurs,  le  royaume  était,  avant 
six  mois,  complètement  ruiné.  On  connaissait  si  bien, 
disait-il,  le  caractère  de  Sa  Majesté  que  les  ministres  et  les 
princes  avaient  trouvé  plus  qu'eux-mêmes,  c'est-à-dire  lui 
et  sa  femme,  le  moyen  de  la  circonvenir  et,  trop  sincère 
aveu  dans  une  pareille  bouche,  de  lui  en  faire  accroire, 
di  aggirarla  et  ingannarla.  La  reine  suspectait  tout  son 
entourage  et  n'avait  confiance  dans  le  conseil  de  personne  : 
«  Moi-même,  disait-il,  je  ne  compte  plus.  Comme  au 
temps  du  feu  roi,  je  suis  tenu  tout  à  fait  à  l'écart.  Je  suis 
désespéré.  »  Concini  parlait  d'un  ton  grave  et  convaincu,  que 
son  interlocuteur  ne  sait  trop  s'il  doit  prendre  au  sérieux. 
Interrogé  sur  le  grand  remède,  et  poussé  dans  ses  derniers 
retranchements,  le  marquis  d'Ancre  consent  enfin  à  le 
révéler,  sous  le  sceau  du  plus  grand  secret.  «  Sa  Majesté, 
dit-il,  doit  se  résoudre  à  convoquer  les  États;  et  moi,  je 
suis  un  de  ceux  qui  cherchent  à  le  lui  persuader.  »  Et  il  le 
jure  en  se  lamentant  de  n'être  pas  considéré  comme  un 
homme  de  bien  qu'il  est.  Andréa  Cioli,  qui  savait  que  son 
gouvernement  n'était  pas  favorable  à  la  décision  dont  Con- 
cini se  déclarait  le  partisan,  se  souvient  à  propos  qu'au  com- 
mencement de  la  Régence,  la  reine  mère  lui  avait  dit  que 
cette  réunion  des  États  était  dirigée  contre  elle-même;  il 
le  rappela  à  Concini  et  affirmant  que  c'était  encore  l'opi- 
nion générale,  traita  de  paradoxe  l'opinion  du  marquis 
d'Ancre.  Celui-ci  répondit  que  l'utilité  et  même  la  néces- 
sité d'un  pareil  remède  étaient  reconnues  par  d'autres  bons, 
fidèles  et  expérimentés  serviteurs  du  bien  public;  et  il  fit  le 
raisonnement  suivant  par  lequel  il  cherchait  à  justifier  des 
dilapidations  au  bout  desquelles  il  n'y  avait  évidemment 
plus  d'autre  expédient  pour  rétablir  les  finances  de  l'État, 
qu'un  appel  à  la  nation.  Un  bon  payeur,  toujours  prêt  à 
payer,  disait-il,  peut  quelquefois  se  trouver  gêné  par  la  mul- 
tipUcité  de  ses  obligations.  Il  en  était  de  même  de  la  reine. 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNCRE.  i65 

N'ayant  pendant  sa  régence  d'autres  devoirs,  elle  ne  pou- 
vait avoir  d'autre  but,  ni  d'autre  intérêt  à  cœur  que  le  salut 
de  son  fils  et  celui  du  royaume.  C'est  pourquoi  elle  n'avait 
ni  à  s'inquiéter,  ni  à  se  soumettre  à  aucune  règle  lorsqu'il 
s'agissait  de  satisfaire  en  bonne  payeuse  ceux  qui  pouvaient 
concourir  à  pareille  fin.  Quant  au  repos  personnel  de  la 
reine,  seuls,  les  Etats,  qui  réformeraient  toutes  ces  choses, 
étaient  capables  de  la  délivrer  des  demandes  impertinentes, 
des  perfidies,  des  désordres  qui  faisaient  comme  une  lèpre 
dans  l'État.  Le  marquis  d'Ancre  déclara  ensuite,  non  sans 
franchise,  qu'il  était  l'une  des  trois  sortes  de  personnes  à 
qui  devait  déplaire  la  réunion  des  Etats;  car  il  pouvait 
craindre,  attendu  le  mécontentement  causé  par  l'achat  de 
ses  dignités,  qu'on  ne  vînt  à  lui  demander  des  comptes; 
et  néanmoins  il  désirait  infiniment  cette  convocation  des 
trois  ordres,  comme  véritable  serviteur  de  la  reine  et  du 
roi,  à  la  conservation  de  la  grandeur  desquels  il  était  prêt 
à  sacrifier  son  intérêt  et  sa  vie.  Les  deux  autres  sortes  de 
personnes  à  qui  ce  remède  pouvait  causer  de  l'ennui, 
étaient,  d'après  lui,  Sully,  qui  courait  le  risque  d'une  revi- 
sion de  ses  comptes,  puis  Villeroy,  le  chancelier,  et  les 
autres  ministres,  qui  pouvaient  redouter  qu'on  leur  retirât 
l'autorité,  pour  le  maintien  de  laquelle  ils  n'hésiteraient  pas 
à  trahir  la  reine,  non  par  méchanceté,  mais  par  bassesse; 
car  les  princes  avaient  commencé  à  les  intimider  à  force  de 
bravades  et  de  menaces,  quand  ils  avaient,  à  l'occasion,  vu, 
su  ou  même  pensé  que  quelqu'un  d'entre  eux  s'opposait  à 
un  de  leurs  désirs  ou  de  leurs  demandes.  Puis  il  qualifia 
'Villeroy  d'ambitieux,  Sillery  de  corruptible;  et  Cioli  ajoute 
que  ces  bruits  fâcheux  lui  étaient  revenus  de  plusieurs 
autres  côtés. 

Une  fois  en  train  de  faire  parler  Concini,  le  Florentin 
ne  s'arrêta  pas.  Il  fit  au  marquis  d'Ancre  cette  objection 
que  les  États  donneraient  sûrement  à  la  reine  un  lieute- 
nant, c'est-à-dire  un  compagnon  de  sa  régence,  ce  qui 


l66  LA    MINORITÉ   DE    LOUIS    XIII. 

serait  pour  elle  une  sorte  de  déchéance;  Condé,  disait-il, 
n'avait  pas  d'autre  but  en  présentant  ses  fameuses  réclama- 
tions. Concini,  après  avoir  hésité  un  instant,  n'abandonna 
rien  de  sa  précédente  opinion  et  déclara,  au  grand  étonne- 
ment  de  Cioli,  que  M.  de  Condé  n'avait  pas  ces  idées,  que 
c'était  un  bon  prince  et  son  ami.  Devant  cette  déclaration 
inattendue,  Cioli  passa  à  un  autre  sujet.  Il  dit  au  marquis 
que,  pour  tous  ceux  qui  désiraient  son  bien  et  sa  grandeur, 
il  paraissait  avoir  commis  une  grosse  erreur  en  rompant 
avec  le  duc  d'Épernon;  car  l'amitié  de  ce  seigneur  ne  pou- 
vait que  lui  être  utile,  et  son  inimitié  lui  serait  sûrement 
nuisible;  il  devait  en  conséquence  faire  la  paix  avec  lui  \ 
Concini  accorda  le  premier  point  :  quant  au  second,  il 
répondit  que,  n'a3\int  rien  fait  d'indigne,  il  ne  consentirait  à 
aucun  rapprochement  si  son  honneur  et  sa  réputation  ne 
restaient  pas  absolument  intacts.  Cioli  lui  fit  observer  que 
les  voies  et  moyens  seraient  faciles  à  trouver,  à  la  condition 
qu'il  y  eût  de  la  bonne  volonté  de  part  et  d'autre;  et  il 
ajouta  savoir  de  bonne  source  que  le  duc  d'Épernon  éprou- 
vait du  regret  de  n'être  pas  son  ami.  Il  interrogea  ensuite 
le  marquis  sur  son  intimité  présente  avec  la  maison  de 
Guise  en  lui  rappelant  le  banquet  du  mardi  7.  Concini 
répondit  qu'il  n'était  l'ami  de  celui-ci  ou  de  celui-là  qu'au- 
tant que  le  demandait  l'intérêt  de  la  reine  et  du  royaume; 
et  comme  Cioli  faisait  cette  réflexion  qu'il  y  avait  un  grand 
avantage  pour  la  reine  dans  l'instabiUté  des  cervelles  de  la 

I.  Cette  affaire  de  la  réconciliation  du  marquis  d'Ancre  et  du  duc 
d'Épernon  préoccupait  vivement  la  reine.  Scipione  Ammirato  en 
parle  aussi  à  son  gouvernement.  //  segretario  Cioli  et  io  credevamo 
che  il  marchese  d'Anchre  si  fusse  accordato  cou  Mous-  d'ÉpernoJi 
pev  opéra  di  S.  M.  che  lo  procura,  et  a  me  era  stato  detto  di  si,  da 
chi  di  dovere  lo  doveva  sapere,  ma  ritroviamo  che  non  evero  essendosi 
ancora  su  le  pratiche,  et  forse  questo  Espernon  come  huomo  molto 
superbo,  et  che  in  queste  congiunture  che  corrono  si  conosce  necessario 
a  S.  3/'-'  ne  dcve  volere  troppo  ;  tuttavia  quei  che  amano  la  quiète  et 
desidcrano  bcne  al  sig.  marchese  d'Ancre,  vorrebbero  questo  accorda 
in  ogni  maniera,  et  si  crede  da  tutti  che  sen:{a  dubbo  seguira,  metten- 
doci  S.  Af'"*  le  tnani  da  vero.  (Scip.  Ammirato,  7  déc.  1610.) 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aN'CRE.  1 67 

nation  française,  puisque,  toutes  les  amitiés  et  unions  se 
formant  contre  elle,  il  en  résulterait  de  bien  pires  effets,  si 
elles  étaient  durables,  le  marquis  en  convint  et  termina 
l'entretien  en  disant  qu'en  vérité  les  cervelles  de  ce  peuple 
étaient  comme  le  ciel  même  du  pays  qui  présente  plus  de 
cent  variations  dans  une  même  journée. 

Parmi  les  réflexions  personnelles  dont  le  diplomate  flo- 
rentin fait  suivre  le  récit  de  cette  curieuse  conversation, 
il  en  est  qui  méritent  d'être  relevées  '.  Ainsi,  pour  Cioli,  la 
ténacité  avec  laquelle  Concini  adhérait  à  l'idée  de  la  réunion 
des  États  n'était  point  l'effet  d'une  opinion  personnelle  et 
raisonnée  sur  la  question  ;  elle  était  due  à  l'influence  de  ses 
conseillers  ordinaires,  l'avocat  Dolet  et  le  vidame  du  Mans; 
ceux-ci  lui  auraient  en  effet  persuadé  qu'il  avait  tout  à 
gagner  en  déroutant  l'opinion  et  en  se  montrant  bien  diffé- 
rent de  ce  qu'on  le  croyait.  Quant  à  cette  prétendue  amitié 
pour  le  prince  de  Condé,  Cioli  n'y  croit  pas  le  moins  du 
monde.  Mais  ce  qui  l'inquiète,  c'est  que  le  marquis  ait  l'air 
de  prendre  le  prince  pour  un  maladroit  et  un  incapable, 
opinion  fausse  assurément;  car,  en  admettant  même  qu'elle 
eût  quelque  fondement,  Condé  avait  parmi  les  siens  des 
homiTies  fort  habiles  pour  le  guider,  ne  fût-ce  que  le  duc 
de  Bouillon,  dont  on  attendait  le  retour.  Médiocre  comé- 
dien et  pauvre  politique  :  telle  était  l'opinion  que  se  faisait 
du  favori  tout-puissant  le  représentant  même  du  grand-duc. 

Comme  la  grosse  difficulté  du  moment  était  la  réponse 
à  faire  aux  réclamations  du  prince  de  Condé,  la  régente 
essaya  de  s'en  tirer  par  une  manifestation  de  fermeté  qui 
lui  parut  avoir  la  vertu  de  mettre  fin  aux  jalousies  et  aux 
divisions.  Le  1 1  décembre,  le  duc  de  Guise  ayant,  avec 
beaucoup  de  déférence,  adressé  à  la  reine  une  double 
demande  :  la  charge  de  lieutenant  de  la  Provence  pour  un 
de  ses  frères,  et  le  gouvernement  de  Toulon  pour  un  de 

I.  Andréa  Cioli,  10  décembre  1610. 


l68  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

ses  capitaines,  Marie  de  M  édicis  refusa  d'accéder  à  ses  désirs 
et  profita  de  roccasion  pour  déclarer  dans  le  grand  cabinet 
en  présence  des  princes  et  d'un  grand  nombre  de  seigneurs 
qu'elle  avait  été  trop  faible  par  le  passé,  mais  qu'il  n'en 
serait  plus  de  même  à  Tavenir  *. 

L'accord  pouvait-il  être  rétabli  au  moyen  d'un  mécon- 
tentement général?  Les  amis  de  la  reine  eurent  un  instant 
cette  illusion.  «  Toutes  les  mutations  et  du  ciel  et  de  la  terre 
se  voient  dans  cette  cour,  écrit  Cioli  :  tantôt  des  nuages, 
tantôt  le  ciel  serein;  de  furieuses  tempêtes,  des  averses, 
l'ouragan,  et  puis  après  la  bonace;  des  orages  terribles  et 
le  calme  plat.  Tout  s'est  apaisé  en  un  clin  d'œil  en  même 
temps  que  la  furie  des  demandes  et  prétentions  de  Condé  ; 
tout,  les  rumeurs  et  les  craintes;  de  telle  sorte  que  l'on 
n'en  parle  même  plus;  et  tandis  qu'auparavant,  on  semblait 
cheminer  vers  l'abaissement  complet  de  l'autorité  de  la 
régente,  on  court  maintenant  à  son  exaltation.  »  Pronostic 
enthousiaste  et  trop  prompt  d'un  ami  sincère,  qu'allait 
démentir  le  jour  même  de  la  déclaration  du  grand  cabinet, 
l'incurable  faiblesse  d'une  reine  mal  conseillée. 

En  effet,  le  vendredi  lo  décembre,  le  duc  d'Épernon 
voulut  entrer  en  carrosse  dans  la  cour  du  Louvre,  privilège 
réservé  aux  princes.  La  garde  s'y  opposa  et  le  duc  mit  pied 
à  terre,  sans  proférer  une  parole.  Le  lendemain,  pensant 
que  la  reine,  sachant  ce  qui  avait  eu  lieu,  aurait  donné  des 
ordres  contraires,  il  prescrivit  à  son  cocher  de  pénétrer  de 
force  dans  la  demeure  royale.  Les  gardes  refusèrent  encore 
l'entrée;  et  comme  la  consigne  allait  être  violée,  ils  mirent 
la  pointe  de  leurs  hallebardes  à  la  poitrine  des  chevaux;  et 
la  voiture  dut  rester  dehors.  Le  duc  descendit  de  voiture, 
accabla  d'injures  les  soldats,  particulièrement  l'officier  qui 
les  commandait,  et  monta  à  l'appartement  de  la  reine.  Il  ne 
voulait   demander   rien    moins   que   le   licenciement   des. 

I.  Andréa  Cioli,  12  décembre  1610. 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNCRE.  1 69. 

hommes  qui  composaient  le  poste.  On  lui  fit  observer 
qu'obéir  à  une  consigne  ne  méritait  pas  punition.  Il  parla 
cependant  du  fait  à  la  reine;  et  celle-ci,  apprenant  que  le 
roi  Henri  avait  accordé  au  duc  d'Épernon,  par  faveur  et  en 
raison  des  rhumatismes  dont  il  souffrait,  la  permission  de 
faire  entrer  son  carrosse  dans  le  Louvre  pendant  la  nuit,  lui 
confirma  ce  privilège  et  Tétendit  même  à  la  durée  de  la 
journée,  mais  sous  cette  condition  qu'il  ne  saurait  pas  mau- 
vais gré  aux  gardes  de  ce  qu'ils  avaient  fait  '.  Ainsi  parut 
apaisé  ce  scandale  par  une  concession  qu'arracha  sans  doute 
à  la  reine  le  désir  de  ne  pas  envenimer  les  rapports  du 
colonel  général  et  du  marquis  Concini.  Mais  la  faiblesse  ne 
peut  qu'encourager  l'audace;  et  le  duc  d'Épernon  s'en  remit 
à  ses  gens  du  soin  de  montrer  son  mépris  pour  la  cour  où 
«trônait  son  rival.  Cinq  jours  après  l'affaire,  un  écuyer  du 
duc  d'Épernon,  rencontrant  le  sous-ofticier  qui  avait  barré 
le  chemin  à  son  maître,  suscita  une  querelle  frivole  en  se 
faisant  heurter  par  lui,  et  lui  asséna  de  son  épée  un  formi- 
dable coup  sur  la  tête.  Le  soldat  se  jette  sur  son  agresseur 
pour  se  venger;  à  ce  moment  accourent  des  laquais  du 
duc  d'Épernon,  qui  tombent  à  coups  de  bâton  sur  le 
malheureux  et  le  laissent  pour  mort.  La  reine,  à  la  nouvelle 
de  cette  violence  dont  l'odieux  remontait  jusqu'à  elle- 
même,  entra  dans  une  colère  qui  ne  remédiait  à  rien.  L'opi- 
nion fut  justement  sévère  pour  la  régente  :  on  lui  reprocha 
non  seulement  d'avoir  admis  les  prétentions  du  duc 
d'Épernon,  mais  surtout  d'avoir  présenté  des  excuses  pour 
ce  malheureux  soldat  qui  n'avait  mérité  que  des  éloges  en 
faisant  son  devoir,  et  qui,  s'il  était  vrai,  comme  on  le 
rapportait,  que  le  colonel  général  l'eût  pris  par  la  barbe  pen- 
dant la  scène  du  lo,  méritait  d'être  puni  pour  ne  lui  avoir 
point  passé  sa  pertuisane  au  travers  du  corps  ". 


1.  Andréa  Cioli,  i3  décembre  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  17  décembre  i6io. 


IJO  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Oa  pouvait  donc  braver  impunément  la  régente.  Le 
prince  de  Condé  se  le  tint  pour  dit.  Voyant  qu'il  ne  pou- 
vait obtenir  aucune  des  satisfactions  qu'il  avait  demandées, 
il  partit  le  vendredi  17  décembre  après  déjeuner,  sans  dire 
un  mot  à  la  reine.  Sa  femme  le  suivit  le  lendemain;  ils  se 
rendirent  à  Valéry.  Ce  départ  précipité  avait  été  concerté 
sans  nul  doute  avec  le  comte  de  Soissons.  En  effet,  celui-ci, 
après  avoir  annoncé  à  la  reine  par  un  de  ses  gentilshommes 
son  prochain  retour,  avait  fait  savoir  ensuite  qu'il  ne  lui 
serait  pas  possible  de  revenir  avant  la  fin  des  fêtes  de  Noël. 
La  régente  ne  dissimula  pas  sa  vive  et  légitime  contrariété; 
elle  ne  pouvait  voir  sans  inquiétude  le  gouverneur  de  la 
Normandie  inspecter  toutes  les  forteresses  de  cette  pro- 
vince et  se  diriger  vers  le  Havre  de  Grâce.  Elle  prit  sur  elle 
de  lui  ordonner,  par  l'intermédiaire  de  la  comtesse  de  Sois- 
sons,  restée  à  Paris,  d'avoir  à  prendre  garde  qu'aucun  désordre 
ne  se  produisît.  «  Tous  ceux  qui  veulent  du  bien  à  la  reine, 
écrit  Scipione  Ammirato,  ne  peuvent  désirer  en  elle  qu'une 
chose  :  c'est  que  le  courage  qu'elle  a  dans  le  cœur,  elle  le 
manifeste  davantage  extérieurement.  Il  faut  qu'elle  dénonce 
hardiment  le  cas  fâcheux  dans  lequel  se  mettent  les  princes.  » 

Marie  de  Médicis  eût  certainement  été  encouragée  dans 
cette  voie  par  la  puissante  famille  vers  laquelle  son  propre 
penchant  l'entraînait  d'ailleurs.  Le  vénérable  et  loyal  doyen 
de  la  maison  de  Lorraine,  le  duc  de  Mayenne,  disait  le 
lendemain  même  du  départ  de  la  princesse  de  Condé,  le 
dimanche  19  décembre,  à  un  des  familiers  de  la  reine? 
venu  pour  le  visiter,  qu'il  était  prêt,  en  toute  occurrence 
et  besoin,  à  se  faire  porter  dans  sa  chaise  auprès  de  Sa 
Majesté  puisqu'il  ne  pouvait  pas  fiiire  autrement  étant 
malade,  afin  de  la  défendre  et  se  faire  tuer  sur  la  place. 
Il  ajouta,  non  sans  une  exagération  attribuable  peut-être 
au  rapporteur  et  non  à  l'auteur  de  cette  conversation,  que 
son  fils  était  prêt  à  en  faire  autant  et  que  si  lui,  le  père, 
en  doutait  le  moins  du  monde,  il  serait  le  premier  à  vou- 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNCRE.  I7I 

loir  le  frapper  d'un  coup  de  poignard.  Mayenne  dit  encore 
avec  justesse  que,  si  la  reine  saisissait  l'occasion  qui  lui 
était  offerte  d'agir  vigoureusement,  Condé  et  Soissons  prou- 
veraient qu'ils  étaient  plus  capables  de  faire  peur  que  de 
causer  du  mal.  D'autres,  et  en  grand  nombre,  allaient  plus 
loin  :  «  Si  Condé  veut  faire  le  fou,  disaient-ils,  et  que 
Sa  Majesté  se  résolve  à  le  mettre  en  compagnie  du  comte 
d'Auvergne,  cela  se  fera  sans  trop  de  peine  et  il  y  aura  peut- 
être  moins  de  gens  que  l'on  ne  pense  à  s'en  émouvoir 
et  à  faire  du  tapage  ».  Marie  de  Médicis  ne  sut  pas  écouter 
à  temps  ces  bons  conseils  qui  arrivaient  jusqu'à  elle.  «  Il 
paraît,  écrit  Scipione  Ammirato,  que  la  reine  sait  tout  ce 
qui  se  passe  et  ce  qui  se  dit.  La  plus  grande  peine  qu'elle 
ait,  c'est  de  n'avoir  personne  qui  la  conseille  dans  son  propre 
intérêt.  On  m'a  rapporté  qu'elle  dit  elle-même  :  «  Chacun 
«  tire  Teau  à  son  moulin.  Tous  cherchent  non  seulement  à 
«  conserver  l'autorité  qu'ils  avaient,  mais  à  en  ajouter  tou- 
«  jours  davantage  \   » 

Ces  lamentations,  si  justes  qu'elles  fussent,  ne  tiraient  pas 
d'affaire  la  régente.  La  situation  était  cependant  bien  favo- 
rable pour  déployer  un  peu  d'énergie.  En  réalité,  Condé  ne 
savait  pas  lui-même  ce  qu'il  voulait  faire;  il  redoutait,  non 
sans  raison,  que,  s'il  paraissait  en  Guienne,  la  population 
de  la  province  ne  voulût  point  le  reconnaître  comme  gou- 
verneur. Les  manœuvres  de  Soissons  en  Normandie  ne 
rencontraient  pas  non  plus  grand  succès.  Il  ne  fut  pas  difti- 
cile  à  la  régente  de  ramener  ce  dernier  à  la  cour.  Elle 
réexpédia  le  gentilhomme  qui  était  venu  lui  dire  que  Sois- 
sons reviendrait  seulement  après  les  fêtes,  avec  l'ordre  de 
lui  prescrire  de  retourner  immédiatement,  toute  affaire 
cessante.  Le  23  décembre  au  soir,  le  compte  de  Soissons 
rentra  dans  Paris.  La  reine  était  dans  une  église  des  capu- 
cins située  au  faubourg  Saint-Honoré  et  devant  laquelle 

I.  Scipione  Ammirato,  21  décembre  iôig. 


1-2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

devait  passer  le  comte.  Arrivé  là,  il  mit  pied  à  terre,  entra 
dans  l'église,  fit  sa  révérence  à  la  reine,  et  sur  son  invita- 
tion, entra  dans  son  carrosse  et  l'accompagna  jusqu'au 
Louvre  où  il  demeura  pendant  quelque  temps  avec  elle 
dans  le  petit  cabinet.  Peu  de  temps  après  y  arriva  le  roi. 
Les  causes  du  mécontentement  du  comte  de  Soissons  furent 
l'objet  de  ces  premières  conversations.  «  La  reine,  inquiète 
du  rapprochement  de  Condé  et  de  Soissons,  écrit  Scipione 
Ammirato,  a  fait  revenir  ce  dernier  à  la  cour.  Ils  ont  eu 
ensemble  un  long  entretien  particulier,  dans  lequel  le 
comte  lui  a  exposé  ses  griefs  et  lui  a  déclaré  que  la  cause 
de  sa  réconciliation  avec  le  prince  de  Condé,  c'étaient  les 
faveurs  prodiguées  par  la  reine  aux  Guises.  Sa  Majesté,  a 
dit  le  comte,  l'avait  sans  aucun  doute  généreusement  traité 
en  lui  donnant  le  gouvernement  de  la  Normandie  et  à  son 
fils  celui  de  la  Gascogne.  Mais  depuis,  on  avait,  en  plusieurs 
occasions,  manqué  d'égards  pour  lui.  La  reine  l'assura  de  ses 
bonnes  grâces  et  lui  promit  que  les  Guises  ne  seraient  pas  plus 
favorisés  que  lui-même  * .  »  Ainsi  la  reine  faiblissait  de  nouveau. 
Marie  de  Médicis  avait  cru  nécessaire  de  rappeler  le 
comte  de  Soissons  parce  que  l'on  se  trouvait  à  la  fin  de 
l'année,  à  Tépoque  oia  l'on  établissait  l'état  des  finances 
pour  l'année  suivante.  Comme  il  y  avait  beaucoup  de  ques- 
tions à  résoudre,  la  reine  tenait  à  ce  que  les  princes  fussent 
présents,  par  considération  pour  eux  et  en  vue  de  sa  propre 
sauvegarde,  afin  que  jamais,  en  aucune  occasion,  quelqu'un 
pût  lui  faire  un  reproche  d'avoir  pris  à  elle  seule  une  résolu- 
tion d'importance  pour  TEtat.  Il  y  avait,  dans  ces  déclara- 
tions de  la  régente,  beaucoup  plus  d'ostentation  que  de  sin- 
cérité. Elle  entendait  bien,  au  fond,  ne  faire  que  ce  qu'elle- 
même  ou  les  gens  de  son  entourage  intime  voulaient;  mais 
elle  prétendait  faire  endosser  la  responsabilité  de  ses  actes 
par  les  conseillers-nés  de  la  couronne  tombée  en  minorité. 

I.  Scip.  Ammirato,  3  janvier  1611.  - 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    DANCRE.  Ij3 

Ce  résultat  ne  pouvait  être  obtenu  sans  de  nouveaux  sacri- 
fices, puisque  la  régente  s'écartait  de  la  voie  de  rigueur. 

C'est  ce  qui  donne  une  importance  toute  particulière  au 
rôle  du  surintendant  des  finances,  le  duc  de  Sully,  pendant 
les  dernières  semaines  de  la  funeste  année  1610. 

Depuis  le  retour  de  Reims,  au  milieu  de  tant  d'intrigues 
et  de  complications,  Sully  avait  été  l'objet  d'attentions 
toutes  particulières  dans  la  famille  royale;  mais  il  ne  put 
prendre  sur  lui  de  faire  des  avances  au  favori  Concini.  Le 
marquis  d'Ancre  ne  pardonna  pas  au  duc  de  Sully  de  n'avoir 
pas  voulu  paraître  devoir  à  sa  déplorable  influence  un  rappel 
que  les  embarras  politiques  et  financiers  de  la  régente  ren- 
daient nécessaire.  A  la  suite  d'une  froide  entrevue  dont  le 
marquis  dut  prendre  l'initiative,  ils  se  séparèrent  «  assez 
mal  édifiés  l'un  de  l'autre  ».  La  reine  essaya  cependant  de 
faire  croire  à  la  solidité  de  ce  replâtrage  des  affaires,  lors- 
qu'elle donna  au  surintendant  «  sa  foi  et  sa  parole,  jusqu'à 
ôter  son  gant  pour  lui  toucher  la  main,  qu'elle  .l'assisterait 
de  son  autorité,  comme  faisait  le  feu  roi  ^  ». 

Si  l'on  jugeait  la  présence  de  Sully  indispensable,  c'est 
pour  la  même  raison  qui  rendait  la  régente  si  désireuse  de 
ramener  à  la  cour  les  princes  du  sang.  C'était  l'époque  de 
l'année  où  il  devenait  urgent  d'établir  l'état  financier.  Le 
surintendant  était  seul  en  mesure  de  dresser  promptement 
le  budget,  qui  était  fort  en  retard,  et  de  défendre  les  finances 
de  l'État  contre  les  assauts  répétés  de  la  foule  des  protec- 
teurs et  des  protégés  de  Marie  de  Médicis.  Ce  rôle  utile, 
cette  situation  ingrate,  furent  encore  acceptés  courageu- 
sement, patriotiquement,  par  le  duc  de  Sully.  C'est  sans 
illusion  qu'il  se  mit  à  la  tâche,  pour  ne  l'abandonner  que  le 
jour  où  il  fut  pleinement  convaincu  de  l'impossibilité  de 
Taccomplir  sans  s'abaisser  à  de  lâches  complaisances  et  à 
une  indigne  servilité,  non  seulement  dans  l'administration 

I.  Economies  royales,  p.  407,  col.  i. 


1 -_j.  L\    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

financière,  mais  dans  la  direction  de  la  politique  géné- 
rale. 

u  M.  de  Sully,  écrit  Scipione  Ammirato  le  17  novembre 
16 10,  a  recommencé  à  être  ce  qu'il  était  auparavant,  parce 
que,  outre  qu'il  n'est  pas  mort,  comme  on  l'avait  dit,  il  a 
conservé  toutes  ses  charges  intégralement,  et  les  exerce 
comme  de  coutume,  quoique    avec   moins  de  rigueur.   » 

C'était  le  moment  où  le  cortège  qui  s'était  formé  autour 
du  jeune  roi,  pour  la  cérémonie  du  sacre,  s'était  presque 
complètement  dissous  et  où  la  maison  de  Guise  semblait 
seule  ne  pas  vouloir  se  départir  d'une  attitude  fidèle  et  bien- 
veillante pour  le  gouvernement.  Resté  en  assez  bons  termes 
avec  les  princes  lorrains,  le  surintendant  était  peut-être 
encore  de  taille  à  tenir  tète  à  tous  les  mécontentements  des 
autres,  à  leur  refuser  au  moins  en  partie  les  augmentations 
de  pension,  les  doublements  de  gages,  les  paiements  de 
dettes  et  les  concessions  de  forteresses  dont  la  longue  énu- 
mération  tient  toute  une  colonne  des  Economies  royales.  Mais 
il  était  nécessaire,  pour  réussir,  qu'il  fut  secondé  dans  le 
conseil  par  les  anciens  ministres  de  Henri  IV,  par  les 
hommes  de  gouvernement  dont  l'influence  reposait  sur  de 
longs  et  grands  services.  Si  à  l'unanimité  de  vues  se  substi- 
tuait parmi  eux  le  désaccord,  au  souci  de  l'intérêt  public 
celui  des  intérêts  particuliers,  au  service  du  royaume  celui 
de  la  régente  et  de  sa  coterie,  tout  était  perdu;  et  c'est  ce 
qui  arriva.  Sully  pouvait  lutter  contre  une  ligue  de  princes; 
il  succomba  sous  une  coalition  de  ministres  et  de  favoris. 

Dès  que  l'on  se  mit  à  l'établissement  du  budget,  des 
conflits  latents,  de  sourdes  animosités  éclatèrent  dans  le 
conseil.  «  La  reine  et  le  conseil,  écrit  le  Vénitien  Foscarini 
à  la  date  du  21  décembre  16 10,  ont  commencé  à  dresser 
Tétat  des  dépenses  que  l'on  doit  faire  l'année  prochaine.  La 
besogne  avance,  mais  bien  souvent  avec  une  grande  diver- 
sité d'opinions  sur  des  points  essentiels.  On  a  résolu  de 
remettre  les  compagnies  françaises  des  gardes  du  roi  sur  le 


LA  politiquj:  du  marqi'is  d'ancre.  173 

pied  de  cent  vingt  liommes  par  compagnie,  contrairement 
à  l'avis  du  duc  d'Épernon,  colonel  général  de  l'infanterie, 
qui  voulait  les  maintenir  à  l'effectif  actuel  de  deux  cents 
hommes.  On  mettra  à  Lyon  trois  cents  Suisses.  Sully  s'y 
est  opposé,  M.  de  Villcroy  a  cependant  donné  l'ordre  de 
faire  la  levée.  Quelques  mots  vifs  ont  été  échangés  entre 
eux,  sur  la  question  de  savoir  à  qui  appartient  ce  droit.  Le 
duc  de  Rohan  y  prétend,  comme  général  des  milices  de 
cette  nation  ;  et,  d'autre  part,  M.  d'Alincourt  aussi,  comme 
gouverneur  de  Lyon.  Le  premier  a  pour  lui  Sully,  son  beau- 
père,  et  l'autre,  Villeroy,  son  père.  Ce  qui  s'est  passé  entre 
les  deux  ministres  n'est  pas  de  grande  conséquence;  car  du 
temps  du  feu  roi,  il  y  avait  ordinairement  entre  eux  des 
conflits  beaucoup  plus  graves.  » 

La  querelle  devait  cependant  avoir  des  conséquences 
sérieuses.  L'objet  en  paraît  par  lui-même  assez  mesquin; 
Sully  donne  toutefois  à  l'affaire  des  proportions  plus  impor- 
tantes lorsqu'il  rapporte  que  «  le  sieur  d'Alincourt,  porté 
du  chancelier  et  de  son.  père,  sans  se  souvenir  de  son 
extraction,  voulut  non  seulement  faire  le  seigneur  d'illustre 
maison,  mais  le  prince;  et,  pour  se  fortifier  contre  ceux  de 
la  ville  de  Lyon,  qui  s'opposaient  à  l'usurpation  de  leurs 
droits,  privilèges  et  prérogatives  anciennes,  poursuivait  le 
dessein  de  mettre  garnison  dans  la  ville  de  Lyon  et,  pour 
l'entretenir  et  fournir  aux  dépenses  de  prince  qu'il  voulait 
faire,  d'obtenir  la  révocation  d'un  traité  conclu  pour  le 
rachat,  au  profit  de  la  couronne,  du  domaine  de  Lyon  ». 

Il  faut  avouer  qu*on  aimerait  mieux  ne  pas  voir  se  mêler 
à  ces  combinaisons  financières,  sur  lesquelles  Sully  s'étend 
longuement,  des  préoccupations  d'un  ordre  personnel  dont 
il  ne  souffle  mot  dans  son  récit;  la  façon  dont  il  traite 
Villeroy,  «  ce  petit  esprit  fier,  vague  et  hautain  »,  dit-il,  y 
gagnerait  certainement  en  autorité. 

Mais  le  vrai  Sully  de  ce  moment  ne  fut  pas  l'homme 
qui  prfend  plaisir  à  rapetisser  son  propre  rôle  quand  il  se 


IjG  L\    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

montre  chicanant  avec  âpreté  sur  l'étendue  des  attributions 
du  marquis  d'Alincourt  et  toisant  dédaigneusement  les 
ambitions  de  ce  personnage.  Cet  incident  démesurément 
grossi  dans  les  Économies  royales,  et  que  Sully  veut  faire 
prendre  pour  la  cause  déterminante  de  son  éloignement 
définitif,  doit  être  rejeté  au  second  plan.  Des  questions  d'un 
ordre  bien  plus  élevé  s'agitaient  entre  Sully  et  Villeroy.  Ce 
ne  sont  pas  en  effet  les  rivalités  de  deux  hommes,  de  deux 
pères  qu'il  faut  envisager;  c'est  la  lutte  de  deux  politiques 
opposées  longtemps  menées  parallè'ement  et  se  démas- 
quant subitement. 

Écoutons  l'ambassadeur  vénitien  dans  sa  dépêche  du 
26  décembre   : 

(<  Le  duc  d'Epernon  et  M.  de  Villeroy,  dit-il,  ont  con- 
seillé à  la  reine  de  Hcencier  les  4000  fantassins  et  les  com- 
pagnies de  cavaliers,  que  l'on  continue  encore,  depuis  la  mort 
du  roi,  à  payer  aux  États  de  Hollande.  Le  duc  de  Sully  s'y 
est  opposé  avec  beaucoup  de  chaleur,  et,  élevant  la  voix, 
il  a  dit  que  l'on  conseille  à  la  reine  d'abandonner  les  bons 
et  anciens  amis  de  la  couronne  et  de  se  porter  entièrement 
dans  les  bras  de  l'Espagne  pour  la  perdre  elle  et  pour  ruiner 
le  royaume;  il  a  ajouté  à  ces  paroles  d'autres  propos  très 
vifs  dans  le  même  sens.  Sur  le  moment  on  n'a  pris  aucune 
résolution,  mais  Villeroy  ayant  fait  une  absence  de  trois 
jours,  la  reine  a,  vendredi  dernier,  donné  sa  parole  de  con- 
tinuer l'allocation,  qui  a  été  mise  sur  l'état  des  dépenses 
pour  l'année  prochaine  et  imputée  sur  un  fonds  déterminé. 
Cependant  les  mécontentements  réciproques  de  Sully  et  de 
Villeroy  ont  toujours  la  même  vivacité.  Ce  dernier  demande 
la  permission  de  laisser  sa  charge  à  M.  de  Puisieux,  qui  doit 
lui  succéder;  mais  il  rencontre  des  difficultés,  parce  que  la 
reine,  au  commencement  de  sa  régence,  reconnaît  combien 
ses  services  lui  sont  nécessaires  et  ne  veut  pas  confier  une 
charge  aussi  importante  à  un  homme  jeune  et,  par  consé- 
quent, de  peu  d'expérience.  Sully  fait  de  grands  progrès  dans 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    D  ANCRE.  I77 

les  bonnes  grâces  de  la  régente;  sa  valeur  le  rend  souverai- 
nement nécessaire.  Sa  Majesté  montre  qu'elle  le  tient  plus 
en  estime  que  jamais.  Lundi  on  commencera  à  travailler  à 
cette  partie  de  l'état  des  dépenses  pour  l'année  prochaine 
qui  concerne  le  règlement  des  pensions  que  l'on  estime 
devoir  s'élever  à  un  chiffre  beaucoup  plus  considérable  qu'à 
présent  \  » 

Sully  venait  d'engager  un  combat  suprême,  et  sur  un 
tout  autre  terrain  que  celui  de  l'administration  financière, 
du  gaspillage  et  du  déficit.  Nous  ne  l'avions  pas  vu  jusqu'à 
présent  se  départir  d'une  attitude  assez  effacée  en  ce  qui 
concernait  la  direction  donnée  à  la  politique  extérieure. 
Mieux  que  personne  il  avait  compris  qu'une  minorité  n'était 
pas  un  temps  propice  à  la  réalisation  de  grands  desseins. 
Une  politique  de  temporisation  et  d'expectative  lui  semblait 
conforme  à  la  situation  et  indiquée  par  la  prudence  la  plus 
élémentaire.  Il  n'était  cependant  pas  sans  ignorer  que,  dès 
les  premiers  jours  du  gouvernement  de  Marie  de  Médicis, 
des  négociations  secrètes  avaient  été  engagées  entre  la 
cour  d'Espagne  et  celle  de  Florence,  la  curie  romaine  et  le 
conseil  intime  de  la  reine,  pour  constituer  un  système 
d'alliances  tout  nouveau,  et  qui  devait  reposer  sur  une 
double  union  matrimoniale  entre  la  France  et  l'Espagne. 
Ce  projet,  qui  détruisait  toutes  les  combinaisons  de 
Henri  IV,  portait  évidemment  atteinte  aux  intérêts  de 
puissances  que  le  roi  défunt  avait  fait  entrer  dans  son  jeu, 
notamment  la  répubUque  des  Provinces-Unies,  sa  vieille 
aUiée,  et  le  duché  de  Savoie  dont  l'amitié  plus  récente  avait 
été  achetée  au  prix  d'une  promesse  formelle  de  mariage 
entre  une  fille  de  France  et  le  prince  héritier  Victor-Amé- 
dée,  fils  de  Charles-Emmanuel.  Les  pourparlers  en  vue 
des  mariages  espagnols,  engagés  et  menés  secrètement, 
échappaient  à  la  compétence  officielle  du  conseil  régulier, 

I.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  29  décembre  1610.  Filza  42. 

12 


IjS  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIIl. 

et  Sully,  qui  se  tenait  strictement  dans  la  limite  de  ses  attri- 
butions, ne  crut  pas  devoir  s'en  mêler  tant  qu'ils  restèrent 
à  l'état  de  spéculation  et  qu'ils  ne  sortirent  point  du  cercle 
de  la  coterie  florentine.  Mais  le  jour  où  il  sut  qu'un  des 
ministres  d'État,  Villeroy,  revenant  à  ses  inclinations  de 
jeunesse  et  revêtant  de  nouveau  la  peau  du  ligueur,  était 
gagné  à  l'établissement  d'un  système  politique,  manifeste- 
ment contraire  aux  intérêts  du  pays  et  dans  les  liens  duquel 
la  France  fut  bientôt  engagée  pour  de  trop  longues  années, 
Sully  n'hésita  plus.  Il  saisit  avec  habileté  l'occasion  qui  lui 
était  offerte  dans  la  discussion  du  budget  des  dépenses, 
pour  rappeler  énergiquement  le  conseil  au  respect  des 
anciennes  alliances  et  des  engagements  pris  sous  le  règne 
précédent.  Cette  véhémente  sortie  fit  une  telle  impression 
sur  l'esprit  de  la  reine  que  l'on  put  croire  la  partie  gagnée 
pour  le  surintendant.  «  De  différents  côtés,  écrit  l'ambas- 
sadeur vénitien  le  29  décembre,  on  a  mis  sous  les  yeux  de 
la  reine  tout  ce  qui  peut  miUter  pour  la  rupture  de  ces 
négociations.  Sully,  en  particulier,  pendant  les  quelques 
jours  que  Villeroy  est  resté  absent,  a  fait  beaucoup,  et  il 
paraît  que  Sa  Majesté  a  dit  très  clairement  qu'elle  ne  vou- 
lait pas  continuer  ces  pourparlers.  » 

En  effet,  pendant  quelques  jours  Sully  put  tenir  en  res- 
pect ses  adversaires  ;  mais  la  reine  était  trop  obstinée  pour 
renoncer  à  sa  politique  personnelle,  et  Villeroy,  dans  sa 
retraite  momentanée,  ne  perdit  pas  son  temps  :  il  prépara 
une  trame  serrée  dans  laquelle  ne  tarda  pas  à  se  trouver 
enveloppé  celui  qui  n'était  plus  pour  lui  qu'un  rival  poli- 
tique et  un  ennemi  personnel. 

Il  fallait  d'abord  priver  le  surintendant  de  tous  ses 
appuis  éventuels.  Le  prince  de  Condé  n'envisageait  que  son 
intérêt  personnel  et  préparait  déjà  l'opposition  violente 
qu'il  fera  plus  tard  aux  mariages  espagnols;  il  pouvait  se 
porter  en  faveur  de  Sully  avec  autant  de  facilité  qu'il  s'était 
précédemment  séparé  de  lui.  Retiré  à  Valéry,  il  continuait 


LA    POLITIQUE    DU    MARQUIS    d'aNCRE.  1 79 

à  observer  le  cours  du  marché;  sachant  que  Ton  avait  besoin 
de  lui  pour  donner  plus  d'autorité  aux  décisions  que  le 
conseil  prenait  en  matière  de  finances,  il  laissait  marchander 
son  retour  à  Paris.  Il  fit  rappeler  une  fois  de  plus  à  la  reine 
que,  pour  servir  le  roi  défunt,  le  prince  son  père  avait  con- 
sumé tout  son  bien  et  ne  lui  avait  laissé  à  lui,  son  fils,  que 
3  000  ou  4  000  écus  de  rente  et  une  créance  inattaquable 
de  plus  de  800  000  francs  sur  la  couronne.  Puisque 
Sa  Majesté  était  en  veine  de  libéraUté  à  l'égard  de  tous 
par  pure  courtoisie,  elle  ne  devait  pas  oubUer  ce  qui  était 
un  dû,  mais  satisfaire  à  des  obligations  qui  s'imposent 
même  à  de  grands  rois.  On  ajoutait  que  le  prince  se  con- 
tenterait, au  lieu  des  800  000  francs,  de  400  000  ;  on  en 
verserait  la  moitié  entre  les  mains  du  gouverneur  du  Châ- 
teau-Trompette, à  Bordeaux,  et  le  reste  au  gouverneur 
d'une  autre  place  de  la  Guienne,  lesquels  renonceraient  à 
leurs  charges,  ce  qui  permettrait  à  la  reine  de  donner  au 
prince  au  moins  l'une  de  ces  deux  forteresses  comme  place 
de  sûreté. 

A  cette  communication  d'une  ironie  qui  frisait  Tinso- 
lence,  la  reine  fit  une  réponse  qui,  tout  en  ne  manquant  pas 
de  dignité,  prouvait  qu'elle  tenait  à  faire  sortir  le  prince  du 
camp  des  mécontents.  Elle  déclara  qu'en  ce  qui  concernait 
le  payement  de  la  somme  indiquée,  comme  c'était  là  une 
demande  fort  raisonnable,  elle  donnerait  satisfaction  au 
prince;  quant  aux  places  de  sûreté,  elle  ne  voulait  pas  en 
entendre  parler,  car,  ni  à  lui  ni  à  d'autres,  elle  ne  ferait 
jamais  une  pareille  concession.  Elle  estimait  que,  pour  les 
princes  du  sang  royal,  toute  la  France  était  une  place  de 
sûreté,  ainsi  que  le  palais  du  roi  dans  lequel  ils  pouvaient 
et  devaient  être  comme  les  enfants  de  la  maison;  elle  le 
Verrait  donc  toujours  volontiers  et  l'accueillerait  comme  le 
prince  du  sang  le  plus  rapproché  du  roi  *. 

1.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  2()  décembre  1610. 


l8o  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Condé  jugea  que  ce  que  lui  offrait  la  reine  était  toujours 
bon  à  prendre.  Il  rentra  à  Paris  le  29  décembre  et  le  lende- 
main se  rendit  au  Parlement  pour  assister  à  la  réception  de 
Tamiral,  frère  du  connétable  de  Montmorency,  en  qualité 
de  duc  d'Anville  et  de  pair.  Il  ne  put  débattre  immédiate- 
ment ses  «  intérêts  avec  la  reine  »,  car  elle  tomba  malade 
et  lui-même  fut  atteint  de  la  fièvre  tierce  '.  Marie  de 
Médicis  ne  le  laissa  pas  trop  languir  dans  l'attente  des  satis- 
factions nouvelles  qui  devaient  être  le  prix  de  sa  rentrée  en 
cour. 

I.  Scip.  Ammirato,  4  janvier  1611. 


VII 


DÉBUTS  ORAGKUX  DE  L'ANNÉE  1611 
RETRAITE  DE  SULLY 


Commenceraents  de  l'cinnce  iGii.  —  Conflit  violent  de  deux  gentils- 
hommes de  la  chambre,  le  marquis  d'Ancre  et  le  duc  de  Bellegarde. 
—  Satisfactions  accordées  au  prince  de  Condé.  —  Mariage  du  duc 
Charles  de  Guise  et  de  la  douairière  de  Montpensier.  —  Prétentions 
du  comte  de  Soissons  sur  la  main  de  l'héritière  de  Montpensier 
pour  son  fils.  —  Opposition  du  cardinal  de  Joyeuse  et  de  la  maison 
de  Guise,  —  La  régente  accusée  d'abandonner  les  intérêts  de  la 
couronne.  —  Affaire  entre  le  comte  de  Soissons  et  le  prince  de 
Condé  transformée  en  conflit  aigu  entre  le  comte  de  Soissons  et  le 
duc  de  Guise,  la  maison  de  Bourbon  et  la  maison  de  Lorraine.  — 
Difficiles  négociations  en  vue  d'un  arrangement.  —  Explications 
données  en  présence  de  la  régente.  —  Noble  et  loyale  attitude  du 
duc  de  Mayenne.  —  Nouveaux  événements  de  cour.  —  L'influence 
du  duc  d'Epernon  battue  en  brèche.  —  Episode  judiciaire  des  révé- 
lations de  la  Descomans.  —  Querelle  du  baron  de  la  Châtaigneraie 
et  du  duc  d'Epernon.  —  Faiblesse  de  Marie  de  Médicis.  —  Mécon- 
tentement du  duc  d'Epernon.  —  La  reine  tient  cependant  à  le 
ménager.  —  Concini  entremetteur  de  toutes  les  réconciliations  et 
syndic  des  mécontentements.  —  Son  alliance  avec  le  ministre  Vil- 
leroy  et  les  princes  mécontents  détermine  la  disgrâce  définitive  de 
Sully.  —  Circonstances  détaillées  de  cet  événement.  —  Revirement 
de  l'opinion  populaire  en  faveur  de  Sully.  —  Le  roi  regrette  son 
départ. 


.  L*année  1611  commença  par  une  série  de  querelles  au 
milieu  desquelles  continua  à  s'amoindrir  la  dignité  de  Marie 
de  Médicis,  tandis  que  le  marquis  d'Ancre,  mêlé  directement 


l82  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

OU  indirectement  à  ces  altercations  et  à  leurs  conséquences, 
cherchait  à  les  faire  tourner  au  profit  de  son  influence. 

Le  3  janvier,  au  soir,  une  violente  dispute  éclata  dans  le 
cabinet  même  du  roi  entre  M.  de  Bellegarde  et  le  marquis 
d'Ancre.  Il  s'agissait  de  savoir  lequel  des  deux  coucherait 
dans  une  chambre  voisine  de  celle  du  roi.  Avec  la  nouvelle 
année  commençait  le  tour  de  service  de  Concini,  devenu, 
comme  on  le  sait,  premier  gentilhomme  de  la  Chambre.  Le 
grand  écuyer  refusa  de  laisser  l'étranger  prendre  possession 
de  ce  poste  de  confiance  et  d'honneur.  Concini  ne  pouvait 
céder.  Il  lança  une  parole  de  défi  à  l'oreille  de  M.  de  Belle- 
garde  et  réussit  à  sortir  du  Louvre  par  les  couloirs  et  les 
escaliers  dérobés  qu'il  connaissait.  Il  prévoyait  ce  qui  allait 
arriver  :  la  reine,  immédiatement  prévenue  de  l'incident, 
fit  arrêter  M.  le  Grand  dans  le  cabinet  du  roi;  les  gardes 
se  transportèrent  ensuite  dans  une  autre  partie  du  Louvre 
pour  exécuter  le  même  ordre  à  l'égard  du  maréchal  d'Ancre. 
Mais  celui-ci  avait  déjà  su,  par  une  fuite  habile,  mettre  hors 
de  doute  son  désir  de  se  battre,  puisque  c'était  seulement 
en  dehors  du  Louvre  et  clandestinement  qu'un  pareil  des- 
sein pouvait  s'exécuter.  Une  vive  émotion  se  produisit,  à 
cette  nouvelle,  dans  les  appartements  de  la  reine  mère. 
Mme  Concini,  au  comble  de  l'anxiété,  mit  tout  son  monde 
sur  pied  pour  aller  à  la  recherche  de  son  mari,  fuyard  par 
bravoure;  et  jusqu'à  une  heure  du  matin,  gentilshommes, 
seigneurs  et  sergents  fouillèrent  tout  Paris.  Le  secrétaire 
CioU,  après  avoir  mis  ordre  à  sa  correspondance  toujours 
longue,  «  car,  dit-il,  quand  je  prends  la  plume  en  main, 
je  ne  puis  plus  trouver  moyen  de  la  laisser  »,  venait  de  se 
mettre  à  table  à  minuit  pour  souper  avec  les  courriers  qui 
portaient  ses  dépêches  et  qui  étaient  ses  commensaux 
habituels,  Pietro  Capacci,  Sciorina  et  Piero  Lacche;  la 
compagnie  se  demandait  ce  qui  pouvait  bien  être  arrivé, 
car  on  avait  entendu  toute  la  soirée  aller  et  venir  de-ci  et 
de-là  des  hommes  à  cheval,  en  troupe  ou  isolément,  lors- 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNT^E     i6iI.  i83 

que  entra  brusquement  un  personnage  que  Cioli  ne  con- 
naissait que  de  vue,  et  qui  vint  tout  droit  lui  demander  à 
Toreille  s'il  savait  ce  qu'était  devenu  le  marquis  d'Ancre, 
sans  même  lui  dire  s'il  s'était  enfui  ou  égaré.  Très  étonné 
de  la  question,  Fagcnt  du  grand-duc  restait  immobile  et 
n'avait  pas  encore  ouvert  la  bouche,  lorsque  arriva  le  sieur 
Giovanni  degli  Effetti,  Romain,  un  des  gentilshommes 
ordinaires  du  roi.  Il  fit  à  Cioli  la  même  question,  en  le 
mettant  sommairement  au  courant  de  ce  qui  s'était  passé. 
Dix  minutes  après,  entre  un  nouvel  émissaire  qui  vient 
conjurer  Cioli  de  découvrir  la  cachette  du  marquis,  afin 
d'obliger  Mme  Concini  et  la  reine  elle-même. 

Cioli,  craignant  de  s'être  attiré  quelque  mauvaise  affaire, 
laisse  là  le  souper,  se  précipite  hors  de  chez  lui,  saute  à 
cheval,  et  suivi  de  ses  convives  désappointés,  arrive  au 
Louvre  où  il  monte  à  l'antichambre  de  la  reine  pour  se 
justifier  du  soupçon  d'avoir  donné  asile  au  fugitif.  Il  atten- 
dait là  que  Mme  Concini  voulût  bien  entendre  ses  explica- 
tions, lorsque  arrivèrent  enfin  des  nouvelles  du  marquis. 
La  marquise  d'Ancre  remercia  le  porteur  de  l'heureux  mes- 
sage, ainsi  que  le  timoré  diplomate;  mais  elle  s'emporta  en 
âpres  et  menaçantes  paroles  contre  ceux  qui  avaient  accom- 
pagné son  mari  sans  lui  rien  envoyer  dire.  «  Ces  malheu- 
reux, écrit  Andréa  Cioli,  sont  le  sieur  Antonio  Miniati, 
Mariotto,  employé  de  la  garde-robe,  et  le  fameux  Zanobi 
Spini  :  le  premier  est  détesté  de  la  marquise;  le  second 
l'est  du  marquis;  le  troisième  était  d'abord  le  favori  de  tout 
le  monde  et  le  voici  en  passe  de  tomber  dans  la  plus  pro- 
fonde disgrâce,  si  Madame  ne  s'apaise  pas.  Il  ne  manquerait 
plus  que  cela  au  pauvre  diable  après  cinq  années  de  male- 
chance  et  au  sortir  d'une  grave  maladie  qui  l'a  mis  au  plus 
bas  et  dont  il  est  à  peine  relevé.  » 

Concini  avait  été  assez  adroit  pour  rester  introuvable  jus- 
qu'au moment  où  il  put  être  sûr  de  l'arrestation  de  son 
adversaire.  Il  se  laissa  alors  reconduire  au  Louvre.  Le  len- 


184  LA    MINORITI^    DE    LOUIS    XIII. 

demain  matin,  en  l'hôtel  du  comte  de  Soissons,  juge  naturel 
comme  grand  maître  de  la  maison  du  roi,  d'un  conflit  advenu 
dans  le  Louvre  même,  eut  lieu  une  réconciliation  honorable 
pour  les  deux  rivaux  ^  Presque  tous  les  seigneurs  de  la  cour 
y  assistaient.  Le  marquis  d'Ancre  avait  joué  avec  dextérité 
une  partie  sérieuse  et  l'avait  gagnée.  Cette  affaire  servit  à 
merveille  son  talent  d'équilibriste.  11  avait  pu  voir  qu'il 
n'aurait  pas  été  isolé  dans  le  conflit  armé  qui  avait  failli  se 
produire.  Le  duc  d'Aiguillon,  le  duc  de  Nevers,  le  duc  de 
Longueville,  le  comte  de  Bassompierre  ^  lui  avaient  ofl"ert 
leurs  épées.  Si  de  l'autre  côté  s'étaient  portés  les  trois  frères 
de  Guise,  le  duc  d'Épernon  et  ce  qu'il  y  avait  de  plus  con- 
sidérable à  Paris  en  fait  de  princes  et  de  seigneurs,  ce  n'en 
était  pas  moins,  pour  le  petit-fils  du  notaire  de  Florence,  un 
signalé  succès  que  d'avoir  pu  diviser  en  deux  camps  cette 
cour  dont  il  avait  été  le  mépris  et  la  risée. 

Il  n'y  avait  pas  seulement,  dans  cette  aff"aire,  une  question 
d'amour-propre  en  jeu.  L'intrigant  et  ambitieux  Florentin 
espérait  tirer  parti  pour  sa  fortune  de  l'accès  intime  que  lui 
assurait  auprès  du  roi  l'exercice  de  ses  fonctions,  et  il  comp- 
tait captiver  l'esprit  de  son  maître  par  un  genre  de  séduction 
auquel  un  enfant  qui  devient  jeune  homme  résiste  rarement, 
celui  des  paroles  légères,  et  peut-être  même  des  mauvais 
exemples.  Le  marquis  d'Ancre  sut  vite  à  quoi  s'en  tenir  sur 
le  peu  de  succès  qui  attendait  ces  agréments  trop  faciles.  La 
piquante  anecdote  que  raconte  Héroard  en  fait  foi  :  «Un  soir 
de  la  fin  du  mois  de  mars  léii,  comme  on  mettait  au  lit  le 
jeune  roi,  M.  d'Aiguillon  et  le  marquis  d'Ancre  y  étaient, 
la  nourrice  aussi;  M.  le  marquis  d'Ancre  lui  dit,  mettant 


1.  Andréa  Cioli,  4  janvier  1611.  —  Malherbe,  Lettres  à  Peircsc, 
p.  2i5.  —  D'EsTRÉES,  Mémoires^  p.  382  et  suiv.  —  Pontchartrain, 
Mémoires,  p.  807.  —  Richelieu,  Mémoires,  p.  33.  —  Bassompierre, 
Journal,  p.  284. 

2.  «La  reine  me  commanda  d'assister  ledit  marquis  d'Ancre,  ce  que 
je  fis  avec  nombre  d'amis  qui  me  voulurent  accompagner.  »  Bassom- 
pierre, Journal,  p.  284. 


DÉBUTS  ORAGEUX  DE  l' ANNEE  161I.  l85 

la  main  sur  sa  nourrice  :  «  Sire,  il  faut  que  les  femmes  qui 
«■  sont  à  votre  coucher  couchent  avec  M.  d'Aiguillon,  qui 
«  est  grand  chambellan,  et  avec  moi,  qui  suis  premier  gentil- 
«  homme  de  votre  chambre  »;  le  roi  le  regarde  avec  colère 
et  lui  tourne  le  dos,  disant  ces  mots  :  «  Oh!  les  vilaines!  » 
Le  bon  Héroard  souligne  deux  fois  ces  mots  et  les  com- 
mente par  cette  indication  marginale  qui  nous  montre  au  vif 
l'enfant  rougissant  de  honte  devant  ces  malséantes  insinua- 
tions :  Nota,  nota  serium  et  pudicum  responsum.  La  fameuse 
chambre  qui  avait  fait  l'objet  de  la  contestation  entre  Concini 
et  Bellegarde  avait  été  heureusement  attribuée  à  ce  dernier  par 
cette  raison  que  le  marquis  d'Ancre  était  déjà  pourvu  d'un 
appartement  au  Louvre.  C'était  une  décision  fort  prudente. 

L'incident  clos,  Marie  de  Médicis,  dans  la  crainte  de  trou- 
bles qu'il  était  facile  de  susciter  à  tout  propos,  résolut  de 
gagner  le  prince  de  Condé.  Huit  jours  après  son  retour,  le 
mercredi  5  janvie.r  161 1,  elle  lui  fit  savoir  qu'elle  avait  tou- 
jours désiré  la  satisfaction  des  princes  du  sang  et  particu- 
lièrement celle  du  prince  de  Condé;  que  lui,  au  contraire, 
en  présentant  des  demandes  peu  raisonnables  et  inspirées 
par  de  mauvais  conseils,  avait  insisté  sur  des  prétentions 
qu'il  ne  pouvait  ni  ne  devait  soutenir.  En  témoignage  de  sa 
bonne  volonté,  elle  lui  assignait  toutefois  une  somme  de 
200  000  écus,  qui  lui  seraient  payés  en  trois  ans  à  raison 
de  200000  francs  par  an,  pour  lui  donner  satisfaction 
relativement  à  ses  prétendues  créances  vis-à-vis  de  la  cou- 
ronne. En  outre,  elle  lui  faisait  cadeau  du  comté  de  Cler- 
mont  qui  avait  été  engagé  par  Charles  IX  au  duc  de  Lor- 
raine et  que  le  roi  défunt  n'avait  pas  entièrement  libéré; 
la  reine  promit  d'ajouter  la  somme  due.  Enfin  elle  concéda 
au  prince  le  commjandement  de  deux  compagnies  soldées 
en  tout  temps  par  la  couronne,  l'une  de  cent  hommes 
d'armes  et  l'autre  d'autant  de  chevau-légers. 

C'est  au  favori  du  prince,  Rochefort,  que  la  reine  fit  part 
de  ses  intentions;  pour  gagner  ce  personnage,  elle  lui  con- 


l86  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

fera  sur-le-champ  le  titre  de  lieutenant  avec  autorité  de  capi- 
taine dans  la  compagnie  de  chevau-légers  qui  venait  d'être 
donnée  au  prince.  Rochefort  rapporta  ces  nouvelles  à  son 
maître  et  sut  si  bien  faire  valoir  la  bonne  grâce  de  Sa  Majesté^ 
que  le  prince  de  Condé  se  montra  l'homme  le  plus  heureux 
du  monde.  «  En  quelques  heures,  dit  l'ambassadeur  vénitien, 
il  se  trouva  délivré  d'une  petite  indisposition  pour  laquelle  on 
lui  avait  tiré  du  sang  et  administré  une  médecine,  et  il  s'en 
fut  baiser  les  mains  de  la  reine,  lui  rendre  grâce  et  lui  donner 
avec  ostentation  l'assurance  d'un  dévouement  sincère  et 
d'une  éternelle  soumission  *.  » 

Les  largesses  de  la  reine  formaient,  à  vrai  dire,  la  contre- 
partie de  la  condescendance  avec  laquelle,  presque  à  la 
même  heure  où  elle  envoyait  prévenir  le  prince  de  Condé 
de  ses  résolutions,  elle  venait  de  laisser  s'accomplir  sous  ses 
auspices  le  grand  mariage  dont  la  célébration  paraissait  depuis 
quelques  jours  imminente.  «  Dès  que  l'on  pourra  se  feront 
les  noces  de  Mme  de  Montpensier  et  de  M.  le  duc  de  Guise, 
écrivait  Scip.  Ammirato,  dès  le  commencement  de  janvier. 
On  voulait,  paraît-il,  qu'elles  eussent  lieu  d'une  façon  tout  à 
fait  retirée,  à  Gaillon.  Mais  M.  le  cardinal  de  Joyeuse  étant 
revenu  delà,  elles  se  feront  maintenant  ici.  On  dit  encore 
que  S.  M.  la  reine  veut  retirer  à  la  cour  la  fille  de  Mme  de 
Montpensier,  laquelle  est  extrêmement  recherchée  par  le 
comte  de  Soissons  pour  son  fils.  Il  paraîtrait  que  Sa  Majesté 
veut  se  servir  d'elle  comme  d'un  appeau  pour  obtenir  que 
Soissons,  entretenu  dans  cette  espérance,  serve  bien  la  reine, 
qu'il  s'abstienne  de  toute  nouveauté  fâcheuse  et  qu'il  en 
détourne  même  le  prince  de  Condé.  Cette  politique 
pourrait,  dit-on,  réussir,  à  la  condition  que  la  régente 
ne  lui  abandonne  point  la  petite  princesse  pour  de  vrai  ". 
Car  le  comte  de  Soissons  deviendrait  alors  assez  puissant 

1.  Ambass.  vénit.  Foscarini,   ii  janvier.  —  Andréa  Cioli,  lo   jan- 
vier iGii. 

2.  Scip.  Ammirato,  4  janvier  lôii. 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE     i6iI.  187 

pour  susciter  les  plus  grands  embarras  à  la  maison  de 
Guise.  » 

On  alla  au  plus  pressé  :  le  lendemain  du  jour  où  cette 
dépêche  était  écrite,  le  mercredi  5  janvier,  à  quatre  heures 
du  matin,  le  cardinal  de  Joyeuse  donnait,  en  la  chapelle  de 
l'hôtel  de  Montpensier,  la  bénédiction  nuptiale  au  duc  de 
Guise  et  à  sa  fiancée  \  Le  comte  de  Soissons  fit  immé- 
diatement grand  bruit  des  compensations  vraiment  illu- 
soires dont  il  prétendait  avoir  l'assurance.  On  affirmait  que 
la  reine  lui  avait  décidément  promis  pour  son  fils  la  fille 
de  la  nouvelle  duchesse  de  Guise,  mais  d'autre  part  on 
disait  aussi  que  la  reine  la  lui  avait  promise,  sous  la  réserve 
qu'il  faudrait  d'abord  voir  si  le  duc  d'Orléans  la  voulait 
pour  lui.  Les  deux  prétendants  n'ayant  alors  qu'environ 
quatre  ans  l'un  et  l'autre,  la  question  de  préférence  devait 
être  forcément  remise  à  beaucoup  plus  tard;  et  c'est  là  ce 
qui  inquiétait  ceux  qui  jugeaient  imprudents  les  engage- 
ments de  la  reine,  même  pris  dans  des  termes  aussi  vagues 
et  dilatoires.  Car  on  ne  voyait  pas  bien  comment  la  reine 
parviendrait  à  se  soustraire  à  de  plus  pressantes  instances 
du  comte  de  Soissons,  lorsqu'il  lui  susciterait  de  nouveaux 
embarras  pour  faire  un  pas  de  plus  en  avant.  «  Il  est  fort 
à  croire  qu'il  ne  démordra  pas  de  son  dessein,  écrit  Andréa 
Cioli,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  des  assurances  fermes,  cette  fille 
ayant,  comme  je  l'ai  déjà  plusieurs  fois  écrit,  plus  de 
70000  florins  de  rentes  en  duchés_,  marquisats  et  autres 
terres  nobles,  dot  suffisante  pour  n'importe  quel  grand 
prince  ^  » 

Le  cardinal  de  Joyeuse  et  le  duc  d'Épernon  se  montraient 
parmi  les  adversaires  les  plus  déterminés  des  ambitions  de 
la  maison  de  Soissons  et  ne  cachaient  point  leur  méconten- 
tement de  ce  que  la  reine  se  fût  laissé  aller  à  donner  de  si 
grandes  espérances  au  comte  de  Soissons,  qui,  tout  en  étant 

1.  L'ESTOILE,  t.  X[,  p.  62.  —  Bassompierre,  t.  I,   p.  28G. 

2.  Andréa  Cioli,  10  janvier  1611. 


l88  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

prince  du  sang,  en  avait  d'autres  devant  lui,  et,  de  plus, 
était  fort  pauvre.  Le  cardinal  pouvait  alléguer,  non  sans 
raison,  qu'il  s'était  dépouillé  d'une  grande  partie  de  ses 
biens,  lorsque  le  défunt  roi  avait  fait  promettre  la  main  de 
l'héritière  de  Montpensier  pour  le  duc  d'Orléans. 

Q.uant  au  duc  de  Guise,  une  fois  son  mariage  avec  la 
duchesse  de  Montpensier  consommé,  il  se  montra  beaucoup 
moins  disposé  qu'auparavant  à  entendre  parler  de  cette  pro- 
messe. Il  y  inclinait  d'autant  moins  que  l'on  pensait  Marie  de 
Médicis  décidée  à  poursuivre  son  idée  d'enlever  la  petite 
princesse  des  mains  de  sa  mère  pour  la  prendre  à  la  cour. 
Cette  éventualité  ne  devait  pas  plaire  aux  Guises;  car  ils 
pouvaient  penser  que,  l'enfant  étant  élevée  par  sa  mère,  il 
n'y  avait  pas  lieu  de  perdre  toute  espérance  d'arriver,  avec 
le  temps,  à  la  marier  avec  un  prince  de  leur  maison  et 
d'avoir  ainsi  le  tout. 

D'autres  raisonnaient  d'une  façon  plus  haute  et  plus  désin- 
téressée. «  Combien,  disaient-ils,  quand  il  sera  en  âge,  le 
duc  d'Orléans  n'aura-t-il  pas  à  se  plaindre  de  la  reine  sa 
mère,  qui,  non  contente  de  lui  avoir  enlevé  le  gouverne- 
ment de  la  Normandie  pour  le  donner  à  Soissons,  lui  aura 
aussi  enlevé  sa  femme  pour  la  donner  au  fils  du  même 
prince!  De  même,  ajoutaient-ils,  qu'il  n'était  pas  possible 
d'avoir  un  plus  beau  gouvernement  en  France,  ainsi  ne 
peut-on  savoir  où  il  pourrait  trouver  une  autre  femme  qui 
lui  fût  mieux  assortie,  étant  aussi  du  sang  de  France  et 
pourvue  d'une  dot  telle  que  bien  certainement  il  ne  pourrait 
en  trouver  une  autre  pareille  ^  » 

Au  fond,  on  pensait  généralement  que  la  reine  y  regar- 
derait à  deux  fois  avant  d'aggraver  des  promesses  faites  au 
détriment  de  l'intérêt  de  son  fils  et  du  sien  propre.  Mais  on 
pense  bien  aussi  que  le  comte  de  Soissons  entendait  battre 
le  fer  pendant  qu'il  était  chaud.  De  là  vient  la  tournure  tout 

I.  Andréa  Cioli,  lo  janvier  i'hi. 


DÉBUTS  ORAGEUX  DE  L ANNEE  lôll.  189 

à  fait  imprévue  que  prit  une  querelle  survenue  seulement 
quelques  jours  après  l'émotion  causée  par  l'affaire  des  gen- 
tilshommes de  la  chambre  ^  Le  mardi  ii  janvier  1611,  le 
prince  de  Conti  et  le  comte  de  Soissons,  les  deux  frères, 
étant  par  la  cité  en  carrosse,  se  trouvèrent  dans  la  rue  Saint- 
Honoré  près  de  la  croix  du  Trahoir  ".  Le  comte  de  Soissons 
était  en  avant  et  Conti  venait  par  derrière.  Le  cocher  de  ce 
dernier  voulut  passer  devant  celui  de  Soissons  et  se  faire 
place.  Mais  l'écuyer  du  comte  de  Soissons,  qui  était  à  cheval 
ainsi  que  beaucoup  d'autres  gentilshommes,  soit  qu'il  n'eût 
pas  reconnu  la  voiture  du  prince  de  Conti,  soit  qu'il  y  eût 
une  autre  raison,  mit  la  main  sur  les  guides  des  chevaux  de 
la  voiture  et  l'empêcha  de  passer  devant  son  maître.  A  cette 
vue,  le  prince  de  Conti,  qui  était  fort  irritable,  entra  dans 
une  furieuse  colère;  bègue  et  sourd,  il  se  mit  à  vociférer  et 
demanda  qui  s'était  permis  cette  violence.  Sa  colère  ne 
connut  plus  de  bornes  quand  il  sut  que  c'était  son  frère,  car 
il  était  en  mauvaise  intelligence  avec  lui,  et,  connaissant  son 
humeur  hautaine  et  querelleuse,  il  prenait  tout  ce  que  ce 
dernier  faisait  à  son  égard  comme  des  marques  de  mépris. 
Le  comte  de  Soissons  s'était  cependant  empressé  de  des- 
cendre et  d'excuser  son  écuyer  en  disant  qu'il  n'avait  pas 
reconnu  le  prince.  Pour  toute  réponse  Conti  se  contenta  de 
crier  par  la  portière  de  son  carrosse  :  «  A  demain,  pourpoint 
bas!  » 

Sur  ce,  chacun  des  deux  frères  s'en  revint  à  son  hôtel. 
Soissons  n'attacha  pas  grande  importance  au  défi  de  son 
frère.  Il  crut  cependant  devoir  prévenir  la  reine.  Marie  de 
Médicis  donna  l'ordre  au  duc  de  Guise  de  faire  entendre 
raison  au  prince  de  Conti,  son  beau-frère;  car  elle  craignait 

1.  Voir  Bassompierre,  Journal,  t.  I,  p.  286  et  suiv,  —  Richelieu, 
Mémoires,  p.  36.  —  Pontchartrain,  Mémoires,  p.  807  et  suiv.  —  D'Es- 
TRÉES,  Mémoires^  p.  287  et  suiv.  —  Sully,  Econ.  roy^ales,  p.  388. 

2.  L'ancien  emplacement  de  la  croix  du  Trahoir  est  occupé  actuel- 
lement par  un  petit  édifice  qui  sert  de  fontaine,  situé  à  l'un  des 
angles  de  la  rue  Saint-Honoré  et  de  la  rue  de  l'Arbre-Sec. 


IQO  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XlII. 

que  la  princesse  de  Conti,  Tintelligente  et  impérieuse  Louise- 
Marguerite  de  Lorraine,  dont  la  haine  contre  le  comte  de 
Soissons  était  bien  connue,  n'exaspérât  davantage  son  mari. 
Le  lendemain  matin  donc,  le  duc  de  Guise  monta  à  cheval 
avec  ses  frères  et  une  suite  d'environ  soixante  gentilshommes 
pour  aller  trouver  Conti.  En  partant  il  dit  à  sa  femme,  dans 
la  maison  de  laquelle  il  avait  passé  la  nuit  :  «  Vous  verrez 
que  Soissons  dira  que  je  lui  fais  un  affront  ».  Puis  il  sortit 
et  passa  par  la  rue  Saint-Honoré,  qui  était  très  voisine  de 
l'hôtel  de  Soissons.  Guise  étant  ainsi  passé  à  cheval  et  en 
nombreuse  compagnie,  Soissons,  au  bruit  de  cette  cavalcade, 
sentit  se  réveiller  toute  la  haine  d'un  Bourbon  contre  un 
Lorrain;  et  il  se  mit  en  fureur,  jurant  que  le  duc  de  Guise 
se  conduisait  ainsi  afin  de  le  déshonorer  et  de  montrer  qu'il 
prenait  fait  et  cause  pour  Conti.  Grefiant  une  querelle  sur 
une  autre,  il  fit  immédiatement  part  de  l'incident  au  prince 
de  Condé  et  à  ses  amis  qui  montèrent  à  cheval  au  nombre 
de  plus  de  deux  cents,  parmi  lesquels  se  trouvait  le  duc  de 
Longueville.  Après  s'être  promenés  quelque  temps  par  la 
ville  pour  rencontrer  Guise,  qui  était  chez  le  prince  de 
Conti,  ils  se  rendirent  au  Louvre,  où  le  comte  se  plaignit 
amèrement  à  la  reine,  en  répétant  ce  qu'il  avait  déjà  dit 
plusieurs  fois,  à  savoir  que  les  Guises  dépassaient  la  mesure 
et  qu'il  était  impossible  de  supporter  qu'ils  voulussent  mar- 
cher de  pair  avec  les  princes  du  sang  et  même  s'attaquer  à 
eux.  Condé  renchérit  et  cria  plus  fort  encore  que  son  cousin. 
Dès  que  l'on  eut  appris  la  scène  faite  par  le  comte  de 
Soissons  à  propos  de  la  chevauchée  du  duc  de  Guise,  la 
cour  se  divisa  en  deux  factions  :  d'une  part  le  prince 
de  Condé,  le  comte  de  Soissons  et  le  duc  de  Longueville;  de 
ce  côté,  faisant  l'application  de  ses  principes  politiques,  se 
rangea  également  le  marquis  d'Ancre,  qui,  trouvant  que 
le  duc  de  Guise  ne  l'avait  pas  suffisamment  appuyé  dans  sa 
récente  querelle  avec  M.  le  Grand,  avait  opéré  une  conver- 
sion facile  à  prévoir  vers  le  prince  de  Condé  et  le  comte  de 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE     IÔII.  IQI 

Soissons;  d'autre  part  on  vit  adhérer  au  duc  de  Guise,  outre 
ses  frères,  le  duc  de  Mayenne  et  son  fils,  le  prince  de  Vau- 
demont,  le  duc  de  Nevers,  le  duc  de  Vendôme,  puis  Sully  et 
le  duc  de  Rohan,  les  deux  chefs  du  parti  huguenot,  enfin  les 
ducs  de  Bellegarde  et  d'Epernon,  le  premier  parce  que  Con- 
cini  était  dans  le  camp  contraire,  le  second  pour  le  même 
motif  et  en  outre  parce  qu'il  était  hostile  aux  visées  du  comte 
de  Soissons j  en  faveur  de  son  fils,  sur  l'héritière  de  Mont- 
pensier.  Le  duc  de  Bouillon  eut  l'air  de  pencher  vers  les 
Guises;  il  désirait  au  fond  rester  neutre,  car  il  ne  voulait 
mécontenter  ni  Condé,  ni  les  Guises,  ni  les  huguenots. 
Cette  attitude  équivoque  avait  en  outre  l'avantage  de  le  faire 
considérer  presque  comme  le  seul  grand  seigneur  qui, 
n'ayant  pas  pris  parti,  s'attachait  uniquement  à  l'intérêt  de 
la  couronne.  Le  connétable  de  Montmorency  et  son  fils  pri- 
rent une  contenance  analogue. 

Au  premier  moment,  le  roi  et  la  reine  mère  se  trouvèrent 
complètement  isolés;  car  non  seulement  les  princes  et  les 
grands  seigneurs,  mais  les  gentilshommes,  ceux  mêmes  qui 
étaient  pensionnés  par  la  couronne,  quittèrent  le  Louvre 
pour  courir  vers  les  quartiers  généraux  des  deux  factions  en 
présence,  due  d'étrangeté  et  d'incohérence  dans  cette  situa- 
tion! Les  princes  du  sang  prenant  pour  associé  Concini;  la 
catholique  maison  des  Guises  donnant  la  main  aux  chefs  du 
parti  protestant,  c'était  le  complet  renversement  de  la  com- 
position ordinaire  des  partis.  Quelle  direction  sûre  la  régente 
pouvait-elle  adopter  au  milieu  d'une  pareille  confusion?  Le 
conseil  pourvut  au  plus  pressé;  comme  on  craignait  une 
rencontre  entre  le  duc  de  Guise  et  le  comte  de  Soissons, 
défense  fut  faite  à  chacun  d'eux  de  sortir  de  sa  maison.  On 
doubla  la  garde  du  Louvre;  ordre  fut  donné  aux  Parisiens 
de  prendre  les  armes  et  de  tendre  les  chaînes  par  les  rues, 
afin  que  la  ville  ne  fût  point  à  la  merci  des  belligérants,  si 
des  troubles  éclataient. 

Ces  précautions  prises,  il  fallait  tâcher  d'arranger  raff"aire 


192  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

elle-même,  non  pas  celle  du  prince  de  Conti  et  de  son 
frère,  car  on  remarquera  qu'elle  passait  complètement  au 
second  plan,  mais  celle  de  la  cavalcade  jugée  offensante  par 
le  comte  de  Soissons.  Celui-ci  n'avait-il  pas  été  jusqu'à  dire, 
au  milieu  de  ses  récriminations  en  face  de  la  reine,  qu'il  fallait 
que  sortît  de  France  ou  la  maison  de  Lorraine  ou  la  maison 
de  Bourbon*?  Le  conseil  se  réunit  de  nouveau.  «  La  reine 
était  en  son  petit  cabinet,  nous  dit  Héroard,  en  peine  pour 
accommoder  la  querelle  de  M.  le  comte  de  Soissons  avec 
M.  de  Guise;  M.  le  prince  de  Condé  y  entre  brusquement, 
sans  aucun  respect  et  se  couvre  tout  aussitôt,  sans  saluer  le 
roi  autrement,  et  s'assied;  il  parle  assis  à  M.  de  Bouillon. 
Le  roi  va  à  M.  de  Souvré,  son  gouverneur  :  Mousseu  de 
Souvré,  voyez,  voyez  Mousseu  le  prince .  Il  est  assis  devant  moi  ; 
il  est  insolent.  —  Sire,  c'est  qu'il  parle  à  M.  de  Bouillon  et  ne 
vous  voit  pas.  —  Je  m'en  vas  mettre  près  de  lui,  pour  voir 
s'il  se  lèvera.  —  Il  s'approche  près,  puis  encore  plus  près, 
et,  ne  se  levant  point,  il  va  à  M.  de  Souvré  :  Mousseu  de 
Souvré,  a  vous  pas  vu  qu'il  s'est  pas  levé  :  il  est  bien 
insolent.  )>  Héroard  ne  nous  a  conservé  sur  ce  conseil  que 
les  détails  de  cette  petite  scène  si  intéressante  à  relever, 
quand  on  songe  qu'à  la  même  page,  le  fidèle  médecin  dit  de 
son  jeune  maître  :  «  Il  écoute  tout,  retient  tout,  sait  tout, 
n'en  fait  pas  semblant  ».  Nous  trouvons  dans  les  dépêches 
de  Scipione  Ammirato  le  complément  de  cet  épisode  :  la 
délibération  du  conseil.  Le  maréchal  de  Bouillon  s'exprima 
vis-à-vis  de  Condé  avec  une  franchise  et  une  fermeté  dignes 
d'un  soldat  plus  fidèle  qu'il  ne  se  montra  souvent.  Il  lui  dit 
en  termes  excellents  que  «  le  devoir  du  premier  prince  du 
sang  était  de  se  trouver  toujours  avec  Leurs  Majestés  afin  de 
prendre  les  mesures  nécessaires  en  cas  de  besoin.  Au  lieu 
de  courir  au  Louvre  prendre  les  ordres  de  la  reine,  il  avait 
été   faire  acte  d'adhésion  au  comte  de  Soissons;  il  s'était 

î.  Ambass.  vénit.,  19  janvier  1611. 


DÉBUTS   ORAGEUX    DE    l'aNNÉE     i6iI.  IqS 

constitué  partie,  quand  son  rôle  était  celui  d'arbitre.  »  Condé 
n'en  renouvela  pas  moins  ses  exigences  démesurées.  Il  alla 
si  loin  que  la  reine  se  mit  à  éclater  de  rire  en  l'entendant, 
et  le  maréchal  dut  imposer  silence  aux  clameurs  du  prince. 

Les  fauteurs  du  comte  de  Soissons,  s'appuyant  sur  la 
nécessité  de  faire  respecter  les  princes  du  sang,  dressèrent 
un  projet  d'accord  par  écrit,  aux  termes  duquel  Guise  devait 
déclarer  qu'il  était  le  très  humble  serviteur  du  comte  de 
Soissons  (le  mot  très  humble  fut  effacé)  et  qu'il  n'avait 
jamais  eu  la  pensée  de  l'offenser;  que,  le  reconnaissant  pour 
un  prince  du  sang,  il  savait  par  là  même  la  grande  distance 
qui  existait  entre  eux.  Cet  écrit  devait  être  lu  en  présence 
de  Leurs  Majestés,  et  la  reine  répondrait  en  substance  au  duc 
de  Guise  que,  si  elle  avait  pu  supposer  un  instant  de  sa  part 
l'intention  de  déplaire  au  comte  de  Soissons  ou  de  l'offenser, 
quand  il  y  avait  tant  de  différence  entre  le  duc  et  un  prince 
du  sang,  non  seulement  elle  ne  l'aurait  pas  supporté,  mais 
elle  aurait  chassé  Guise  de  la  cour,  on  voulait  même  qu'elle 
ajoutât  «  du  royaume  »,  vu  que,  offenser  le  comte,  c'était 
offenser  le  roi  lui-même. 

Une  pareille  forme  d'accommodement  ne  pouvait  être 
adoptée  par  la  maison  de  Guise;  elle  ne  fut  approuvée  au 
conseil  qu'après  une  très  orageuse  discussion.  Il  était  facile 
de  comprendre  qu'elle  mettait  complètement  à  la  merci  de 
Condé  et  de  Soissons  la  reine  mère,  qui  avait  cependant,  à 
l'origine  de  cet  imbrogUo,  sollicité  l'intervention  du  duc  de 
Guise  auprès  du  prince  de  Conti.  Le  comte  de  Soissons 
s'empressa  d'adhérer  aux  termes  de  l'accord.  Mais  lorsqu'ils 
furent  communiqués  aux  Guises,  une  légitime  indignation 
s'empara  d'eux.  On  avait  tout  récemment  répandu  le  bruit 
que  le  duc  de  Mayenne  était  peu  satisfait  du  duc  de  Guise, 
parce  que  celui-ci  voulait  que  son  oncle  usât  vis-à-vis  de 
lui  de  déférence  en  sa  qualité  de  chef  de  la  branche  aînée, 
tandis  que  Mayenne  prétendait  que  le  duc  de  Guise  devait 
lui  céder  à  lui,  le  plus  vieux,  le  plus   expérimenté  de  la 

13 


]Q4  ^-^  MiNOUTÉ  DG  uocns  xm. 

Eunille,  le  plus  profiDodëmcot  attaché  an  bien  CTonwnnn  *. 
Quoi  qu^il  en  fôt,  dans  les  drcanstanccs  dffîcatcs  où  Ton 
se  trouvait,  le  duc  de  Mayenne  agpt  et  paria  en  Sgpc  dicf 
de  la  maison.  Inébranlable  dans  sa  fidélité,  mais  aussi  dans  le 
sentiment  de  llionnenr  des  sens,  il  dédara  qnH  était 
impossible  de  laisser  raflBôie  prendre  ce  ooorsy  quand  bien 
m^ne  il  en  coûtciait  la  vie  à  diaam  dTeux;  car  Guise  n^'avait 
offensé  Scnssons  ni  en  paroles,  ni  même  en  apparence.  La 
ionnule  d'accommodement  (ai  reponssèe. 

Les  choses  restèrent  en  Fétat  pendant  deux  jouis,  le  mer- 
credi  et  le  jeudi,  Soissons  ne  voulant  pas  entendre  raison. 
U  s'ouvrit  même  à  un  de  ses  amis  et  confidents,  coiwfilky 
au  Pariement,  du  pnqet  quH  avait  Ibnné  de  £ûre  intervenir 
cette  assemUée  pour  abaisser  Foigoeil  de  la  maison  de  Gmse. 
n  rappdait  un  précédent  du  temps  de  la  rône  Catherine  : 
le  Parlement,  k  Fépoque  du  voyage  de  Bayonne,  avaôt,  en 
cffiEt,  interdit  au  cardinal  de  Guise  dTaller  dans  Paris  avec  un 
nombre  de  chevaux  qui  passerait  un  dnffine  déterminé. 
Mais  on  Êôsait  observer  au  comte  qu'alors  les  pnnocsdnsaiig 
étaient  d'accord  avec  le  Parlement;  mab  qu'il  n'en  était  plus 
de  même,  cette  cour  étant  au  contraire  on  ne  peut  plus  mé- 
contente de  leurs  procédés. 

Le  conseil  finit  par  décider  que  le  duc  de  Guise  dédare- 
lait  seulement  qu^  n'avait  eu  ni  la  vdmité,  ni  Fintention 
dTofenser  en  aucune  manière  le  comte  de  Soissons-  En 
OMisèquence,  le  lendemain  lundi  après  d^euner,  on  vit  se 
diriger  vers  le  Louvre  le  duc  de  Guise  avec  ses  trais  Ibères, 
le  prince  de  Vaudemont,  le  duc  de  Mayeime  etson  fils,  les 
ducs  de  Nevers,  de  Vendôme,  d'Ëpemon  et  le  grand  écuycr 
de  BeEegarde.  Le  duc  de  Guise  était  à  cfaevalavec  une  demi- 
douzaine  de  oivafiersyksautres  en  carrosse.  Quand  ils  fisrent 
arrivés  en  présence  du  rm,  de  la  rdne,  du  prince  de  Condé, 
du  prince  de  Conti,  lequd  s'était,  sans  autre  cérémonie, 

I.  Andréa  Cioli,  lo  jainiTâËr  o^ai. 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    L*ANNÉE    161I.  196 

réconcilié  avec  son  frère  en  acceptant  ses  excuses,  du  con- 
nétable, des  maréchaux  et  des  ministres,  le  duc  de  Mayenne, 
doyen  de  la  famille,  prit  la  parole  en  s'adressant  à  Leurs 
Majestés  au  nom  du  duc  de  Guise;  celui-ci,  en  effet,  ne  pro- 
nonça pas  un  mot.  Mayenne  déclara  en  substance  que  le 
duc  de  Guise  n'avait  pas  voulu  offenser  le  comte  de  Sois- 
sons.  La  reine  répondit  qu'elle  se  tenait  pour  satisfaite  de 
cette  déclaration.  Le  comte  de  Soissons,  voyant  qu'il  avait 
perdu  la  partie,  s'était  abstenu  de  paraître.  Quant  au  prince 
de  Condé,  à  peine  eut-il  entendu  les  paroles  prononcées 
de  part  et  d'autre,  qu'il  tourna  les  talons.  L'assistance  ne 
bougea  presque  pas,  dans  l'attente  de  ce  qui  allait  se  passer. 
Alors,  avec  une  remarquable  présence  d'esprit,  Mayenne 
se  tourna  vers  le  seul  des  princes  du  sang  qui  restât  présent, 
celui-là  même  qui  avait  été  la  cause  de  tout  l'esclandre 
et  pour  lequel  son  neveu  s'était  employé,  le  prince  de 
Conti,  et  s'adressant  à  lui,  l'assura  que  le  duc  de  Guise  et 
toute  leur  maison  honoreraient  les  princes  du  sang  et 
seraient  leurs  serviteurs,  s'ils  voulaient  bien  vivre  avec  eux. 
Parlant  ensuite  à  la  reine,  ce  vieillard  en  la  personne  de  qui 
s'incarnait  toute  la  grande  et  dramatique  histoire  des  Guises, 
lui  dit  en  versant  des  larmes  que  tous  ensemble  ils  n'avaient 
qu'une  seule  volonté,  celle  de  servir  sincèrement  le  roi  et 
S.  M.  la  reine,  et  qu'ils  ne  demandaient  qu'une  chose, 
c'était  d'avoir  l'occasion  de  le  prouver  *. 

Cette  scène  émouvante  et  si  heureusement  improvisée 
acheva  de  faire  tourner  l'événement  à  la  complète  confusion 
des  princes  du  sang.  L'affaire  produisait,  en  somme,  des 
résultats  avantageux  pour  le  gouvernement.  La  reine  put 
se  convaincre  qu'elle  avait  peu  de  chose  à  redouter  des 
princes,  puisqu'ils  étaient  restés  dans  un  isolement  à  peine 
croyable.  D'autre  part,  le  peuple  de  Paris,  qui  avait  les 
armes  en  mains,  ne  bougea  pas;  il  ne  se  prononça  ni  pour 

I.  Scip.  Ammirato,  17  janvier  1611.  --1 


ig6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

les  princes  du  sang,  ni  pour  les  Guises,  bien  qu'il  inclinât 
plutôt  vers  la  maison  de  Lorraine.  Cette  attitude  apportait 
une  incontestable  force  à  la  régente  et  au  jeune  roi. 

L'orgueilleux  Soissons,  qui  avait  saisi  l'occasion  de  cette 
querelle  pour  essayer  de  mettre  à  bas  la  maison  de  Lorraine, 
se  trouva  ainsi  bien  loin  de  compte.  Au  lieu  d'avoir  gagné, 
il  perdit  beaucoup  en  considération.  Il  avait  pu  se  con- 
vaincre que  le  duc  d'Epernon  lui-même,  au  mépris  de  tant 
de  protestations  de  dévouement,  lui  échappait,  et  qu'il  ne 
pouvait  compter  sur  personne.  En  effet,  si  le  prince  de 
Condé  n'avait  point  pris  fait  et  cause  en  sa  faveur,  il  restait 
seul  de  son  parti.  «  Les  princes  du  sang  voudraient  bien, 
en  somme,  s'être  abstenus  d'être  ainsi  entrés  en  danse,  écrit 
Scip.  Ammirato.  Ils  savent  maintenant  qu'ils  sont  uni- 
versellement peu  aimés.  » 

La  vieille  duchesse  de  Guise,  la  veuve  du  Balafré,  pou- 
vait avec  juste  raison  triompher  dans  le  cabinet  de  la  reine 
en  disant  que  le  comte  de  Soissons,  en  voulant  humilier 
ses  fils,  les  avait  au  contraire  grandis,  parce  qu'ils  avaient 
pu  voir  de  combien  d'amis  ils  disposaient,  tous,  comme 
eux-mêmes,  bons  serviteurs  de  Leurs  Majestés. 

Il  y  avait  dans  cette  famille,  revenue  de  ses  ambitions 
d'autrefois  et  sincèrement  ralliée  au  gouvernement  étabU, 
un  contrepoids  soUde  à  opposer  aux  ambitions  désordon- 
nées des  princes  du  sang.  Mais  le  gouvernement  de  la 
régente  ne  savait  prendre  aucun  point  d'appui  fixe,  croyant 
habile  d'en  changer  à  tous  propos.  Elle  chargea  de  regagner 
le  comte  de  Soissons,  l'homme  qui  personnifiait  cette  poli- 
tique sans  suite.  Le  comte  faisait  de  bruyants  préparatifs 
de  départ,  et  il  allait  quitter  la  cour  avec  éclat.  Marie  de 
Médicis  lui  dépêcha  Concini,  dont  on  n'est  pas  sans  avoir 
remarqué  le  rôle  en  apparence  effacé,  au  milieu  des  inci- 
dents qui  précèdent.  Le  marquis  sortit  de  la  coulisse  et 
persuada  au  comte  de  Soissons  de  renoncer  à  cette  mani- 
festation tapageuse. 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE    i6iI.  1 97 

A  la  suite  de  ces  événements,  la  régente  crut  devoir 
prendre  des  mesures  de  sécurité  devenues  indispensables. 
Elle  édicta  que  tous  les  gentilshommes  et  pensionnaires  de 
Leurs  Majestés  qui  feraient  suite  et  cortège  à  tout  autre 
prince,  seraient  ipso  facto  privés  de  leurs  pensions  et  pro- 
visions. Elle  défendit  aussi,  sous  peine  de  mort,  que  l'on 
portât  des  pistolets.  Cette  prohibition  était  rendue  néces- 
saire par  ce  fait  que  lorsque  Soissons  et  Condé  vinrent  au 
Louvre,  ils  avaient  avec  eux  une  infinité  de  gens  armés  de 
pistolets,  et  qu'un  grand  nombre  d'entre  eux  avaient  pénétré 
dans  la  chambre  et  le  cabinet  de  la  reine.  Marie  de  Médicis 
commanda  en  outre  que  l'on  fît  stationner  aux  environs  de 
Paris,  à  deux  ou  trois  lieues,  huit  compagnies  d'hommes 
d'armes,  celle  du  roi,  la  sienne  et  celles  de  ses  autres  fils, 
afin  qu'elles  se  trouvassent  prêtes  à  agir  dans  le  cas  où  se 
produiraient  des  incidents  semblables  à  celui  qui  venait 
d'avoir  lieu,  crainte  qui  ne  devait  pas  tarder  à  être  justi- 
fiée. 

Il  faut  rattacher  à  tout  un  ensemble  d'intrigues  destinées 
à  abaisser  et  à  relever  alternativement  les  principaux  per- 
sonnages en  vue,  au  profit  de  l'importance  croissante  du 
favori  Concini,  les  événements  de  cour  assez  graves  qui 
firent  suite  aux  précédents. 

Parmi  les  hommes  dont  l'influence  personnelle  sur  la 
reine  devait  porter  ombrage  au  perfide  Italien,  l'un  des 
plus  considérables  était  assurément  le  duc  d'Épernon. 
Marie  de  Médicis  avait  en  lui  une  grande  confiance  et  lui 
était  particulièrement  attachée  pour  le  sang-froid  et  l'éner- 
gie qu'il  avait  déployés  dans  l'aff'aire  de  la  proclamation  de 
la  régence.  Leur  bonne  intelligence,  assaisonnée  de  la  part 
du  duc  d'Épernon  d'une  pointe  de  galanterie  au  moins 
extérieure,  n'était  généralement  pas  vue  d'un  très  bon  œil; 
mais  il  y  a  de  fort  bonnes  raisons  de  croire  qu'elle  déplai- 
sait plus  spécialement  à  ceux  qui  pouvaient  redouter  de 


198  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

sa  part  tout  au  moins  une  rivalité  d'influence.  Ce  n'est  cer- 
tainement pas  l'expression  anonyme  de  l'opinion  populaire 
ou  des  appréhensions  de  quelque  politique  avisé  qu'il  faut 
découvrir  dans  le  fait  suivant  que  nous  rapporte  Scip.  Ammi- 
rato,  mais  bien  plutôt  une  basse  manifestation  de  jalousie. 

«  Le  duc  d'Épernon  n'est  pas  seulement  extrêmement 
favorisé  de  Sa  Majesté;  mais  il  le  paraît  encore  davantage 
au  dehors,  et  il  ne  manque  pas  de  gens  qui,  ou  par  envie 
ou  parce  qu'il  leur  paraît  être  trop  puissant,  voudraient  le 
voir  un  peu  plus  bas;  et  c'est  à  cet  eff"et  que  tendait  un 
billet  trouvé  la  semaine  dernière  dans  la  voiture  de  la  reine 
et  où  il  était  écrit  qu'elle  ne  devait  pas  se  fier  autant  à  cet 
homme  *.  » 

11  était  imprudent  d'attaquer  en  face  le  duc  d'Épernon, 
mais  il  n'était  pas  impossible  de  l'abattre  par  des  moyens 
détournés.  C'est  le  point  de  vue  auquel  il  faut  se  placer, 
croyons-nous,  pour  apprécier  à  sa  juste  valeur  la  significa- 
tion d'un  événement  qui  agita  fortement  l'opinion  et  sur 
lequel  s'est  exercée  depuis  la  sagacité  des  historiens,  préoc- 
cupés de  dissiper  le  sombre  mystère  dans  lequel  resteront 
sans  doute  à  jamais  ensevelies  les  complicités  vraies  ou  sup- 
posées qu'a  toujours  paru  comporter  le  crime  de  Ravaillac. 

Au  milieu  de  janvier  161 1  sort  tout  à  coup  de  l'ombre 
une  femme  de  mauvaise  vie,  Jacqueline  Le  Voyer,  femme 
d'un  soldat  aux  gardes  nommé  Descomans,  dont  elle  était 
d'ailleurs  séparée  pour  cause  d'adultère.  Poussée  par  la 
misère,  cédant  peut  être  à  des  instigations  puissantes,  elle 
prétend  avoir  à  faire  des  révélations  sur  la  mort  de  Henri  IV 
et  sur  les  promoteurs  de  l'assassinat.  Mise  entre  les  mains 
de  la  justice,  elle  est  minutieusement  interrogée  et  prise  en 
flagrant  délit  d'erreur  sur  des  points  essentiels,  notamment 
sur  la  personne  de  l'assassin  qu'elle  disait  connaître  et 
qu'elle  déclara  ressembler  à  un  personnage  dont  aucun  trait 

i.^Scip.  Ammirato,  28  juillet  i6io. 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE     i6iI.  1 99 

n'avait  rapport  avec  ceux  du  meurtrier.  Ses  bavardages,  ses 
déclarations  entachées  d'évidente  fausseté,  l'interprétation 
abusive  des  documents  sans  importance  qu'elle  pouvait  avoir 
entre  les  mains,  ne  pouvaient  servir  qu'à  corroborer  des 
faits  bien  connus,  tels  que  les  mauvais  desseins  de  la  mar- 
quise de  Verneuil  à  l'égard  du  roi  et  ses  trahisons  non 
moins  avérées  en  matière  amoureuse  qu'en  matière  poli- 
tique. Les  écrivains  contemporains  \  sauf  le  soupçonneux 
L'Estoile,  ne  semblent  pas,  quant  au  fond  des  choses,  atta- 
cher grande  importance  à  cette  histoire.  Richelieu  la  passe 
presque  sous  silence,  et  le  Mercure  français,  qui  donne  de 
l'instruction  et  du  procès  un  compte  rendu  presque  officiel, 
tend  à  démontrer  le  néant  des  accusations  de  la  Des- 
comans.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  une  discussion  épuisée 
après  la  curieuse  étude,  si  souvent  signalée  ici,  de  M.  Loi- 
seleur.  Nous  nous  contenterons  d'apporter  à  l'appui  de 
l'opinion  qui  tend  à  ne  voir  dans  cette  affaire  qu'un  coup 
monté  contre  des  personnages  dont  il  s'agissait  de  battre  en 
brèche  l'influence,  les  documents  suivants,  où  se  trouvent 
reproduites  avec  une  vérité  saisissante  les  impressions  res- 
senties presque  au  jour  par  les  personnes  les  plus  directe- 
ment intéressées  dans  les  dénonciations  de  la  Descomans. 
Ce  sont  les  dépêches  ou  extraits  de  dépèches  du  très  per- 
spicace et  intelligent  secrétaire  d'ambassade  Scipione  Ammi- 
rato.  Voici  la  première  communication  importante  qu'il 
fait  à  ce  sujet  au  gouvernement  du  grand-duc  : 

«Je  vous  ai  écrit  il  y  a  huit  jours,  dit-il,  que  l'on  avait 
mis  en  prison  une  femme  qui  disait  savoir  qui  avait  fait  tuer 
le  roi  Henri  IV.  N'ayant  alors  recueilli  aucune  particularité 
sur  ce  sujet,  je  n'ai  pu  vous  en  parler.  Je  puis  vous  dire 
aujourd'hui  ce  qui  est  advenu  jusqu'à  présent. 


I.  Mercure  français,  t.  II,  p.  14.  —  Pontchartrain,  Mémoires^  p.  3io, 
col.  2.  —  L'Estoile,  Mémoires,  t.  XI,  p.  64,  68,  85.  —  D'Estrées,  Me- 
moires,  p.  385,  col.  2.  —  Richelieu,  Mémoires,  p.  43.  —  Loiseleur, 
Ravaillac  et  ses  complices. 


200  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

<(  Cette  femme  a  servi  de  demoiselle  à  Mme  Du  Tillet  \ 
et  a  servi,  il  y  a  longtemps,  la  marquise  de  Verneuil  en  la 
même  qualité.  Pendant  la  vie  même  du  roi  Henri  IV,  on 
dit  qu'elle  voulut  parler  à  la  reine  de  choses  qui  lui  impor- 
taient; mais,  comme  elle  ne  put  jamais  en  avoir  la  facilité, 
elle  dit  à  une  femme  de  chambre  de  la  reine  que  la  mar- 
quise de  Verneuil  voulait  empoisonner  Sa  Majesté  et  que  le 
duc  d'Epernon  prêtait  les  mains  à  ce  dessein,  qui  n'avait 
d'autre  objet  que  de  permettre,  en  cas  de  succès,  à  la  Ver- 
neuil, de  se  marier  avec  le  roi. 

«  La  reine,  ayant  été  informée  de  ces  dires,  fit  en  sorte 
de  tirer  la  chose  au  clair,  et  particulièrement  en  ce  qui  tou- 
chait le  duc  d'Épernon,  qui  lui  fournit  des  justifications 
telles  qu'elle  ne  tint  aucun  compte  des  propos  de  cette 
femme.  Épernon  avait  fait  toucher  du  doigt  à  la  reine  que 
non  seulement  il  n'y  avait  aucune  entente  entre  lui  et  la 
Verneuil  sur  le  fait  en  question,  mais  que,  le  roi  ayant  voulu 
lui  faire  abandonner  le  gouvernement  de  Metz  au  fils  de  la 
marquise,  moyennant  un  dédommagement  de  cent  mille 
écus,  il  avait  refusé  son  consentement. 

«  Cette  femme  a  ensuite,  et  depuis  quelques  mois, 
cherché  à  parler  de  nouveau  à  la  reine  et,  entre  autres  fois, 
à  ce  que  j'ai  oui  dire,  au  retour  de  Reims;  mais  comme  on 
ne  lui  a  jamais  donné  accès  auprès  de  Sa  Majesté,  elle  s'est 
finalement  adressée  à  la  reine  Marguerite,  laquelle  ayant 
écouté  le  tout,  l'a  menée  auprès  de  la  régente  le  15  de  ce 
mois,  et  lui  a  fait  raconter  ce  qu'elle  dit  savoir.  Il  en 
résulte  qu'elle  accuse  monseigneur  d'Épernon,  la  Verneuil 
et  le  duc  de  Guise  de  la  mort  du  roi,  et  elle  déclare  vou- 
loir maintenir  et  justifier  son  dire. 

«  Elle  a  été  immédiatement  mise  entre  les  mains  de  la 

I.  Charlotte  Du  Tillet,  personne  d'assez  haute  condition,  puisqu'elle 
était  la  belle-sœur  du  président  Séguier,  passait  pour  la  maîtresse 
du  duc  d'Épernon. Elleet  la  Descomans, confrontées  en  pleineaudience, 
se  gourmèrent  fort  plaisamment,  paraît-il,  au  sujet  de  leur  mauvaise 
vie. 


DÉBUTS    ORAGEUX   DE    l'aNNÉE    i6iI.  201 

justice  et  s'y  trouve  encore  actuellement;  et  bien  que,  dans 
ses  interrogatoires,  elle  ait  maintenu  les  mêmes  déclara- 
tions avec  beaucoup  de  constance,  elle  n'a  cependant  pas 
apporté  les  témoignages  et  justifications  qui  pourraient  la 
rendre  digne  de  foi.  Elle  a  bien  fait  voir  quelques  lettres  en 
chiffres  de  la  Verneuil  au  duc  de  Guise  et  du  duc  de  Guise 
à  Mme  de  Verneuil;  elle  croit  y  trouver  beaucoup  de  force 
pour  ses  accusations;  mais  on  n'a  pu  en  tirer  autre  chose 
que  la  preuve  de  l'amour  qui  existait  entre  eux  deux  et  des 
recommandations  mutuelles  de  garder  le  secret,  afin  que  le 
roi  ne  s'aperçût  pas  de  leurs  relations.  Aussi  croit-on  que 
cette  pauvre  femme  ne  fera  du  mal  qu'à  elle-même;  et  le 
fait  que  les  Guises  et  le  duc  d'Epernon  étaient,  il  y  a  encore 
quatre  jours,,  ennemis  comme  au  temps  de  la  mort  du  roi 
rend  encore  moins  croyable  ce  que  dit  cette  femme. 

«  Néanmoins  le  peuple  s'est  fait  sur  ces  choses  une  opi- 
nion telle  qu'il  estime  que  d'Epernon  n'est  pas  sans  culpa- 
bilité et  on  voit  bien,  par  les  conversations,  qu'on  lui  en 
veut  grand  mal.  L'opinion  de  la  cour  est  que  cette  femme  a 
été  suscitée  par  quelqu'un,  et  on  dit  très  tranquillement  que 
c'est  le  prince  de  Condé,  afin  de  donner  un  croc-en-jambe 
à  Guise. 

«  On  parlait,  il  y  a  deux  soirs,  de  tout  cela,  dans  le 
cabinet  de  la  reine  et  Sa  Majesté  elle-même  y  mettait  beau- 
coup de  passion,  en  présence  de  beaucoup  de  personnes, 
parmi  lesquelles  le  duc  d'Aiguillon,  le  prince  de  Joinville, 
le  chevalier  de  Guise,  le  duc  de  Rohan,  la  princesse  de 
Conti,  Mme  de  Guise,  la  nouvelle  épouse,  Mme  de  Ven- 
dôme, Mme  de  Sully  et  d'autres.  J'entendis  la  princesse  de 
Conti  dire  que  cettefemme,  dans  ses  interrogatoires,  s'était 
montrée  si  constante  que,  non  seulement  elle  n'avait  pas 
varié  dans  la  substance  de  ses  relations,  mais  pas  même 
dans  les  paroles;  et  que,  par  là,  on  pouvait  bien  se  rendre 
compte  que  c'était  là  une  trame  tissue  par  quelque  malin- 
tentionné. 


202  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

«  Les  personnages  accusés,  et  d'Épernon  en  particulier, 
voudraient,  à  ce  que  l'on  m'a  dit,  que  Sa  Majesté  ordonnât 
qu'elle  fût  soumise  à  la  torture;  ils  espèrent  qu'au  milieu 
des  tourments,  non  seulement  elle  se  dédira,  mais  qu'elle 
désignera  même  celui  qui  lui  a  fait  faire  cela  ;  ils  voudraient 
enfin  qu'elle  fût  exécutée,  mais  qu'auparavant  on  la  fît 
parler  en  public,  afin  que  la  vérité  fût  entendue  de  tous. 

((  Il  paraît  que  Sa  Majesté  ne  veut  ni  l'un  ni  l'autre, 
parce  que,  les  dires  de  cette  femme  ne  présentant  rien  de 
substantiel,  Sa  Majesté  ne  veut  point  qu'elle  découvre 
Condé  ou  d'autres,  et  qu'ainsi  les  parties  en  présence  en 
viennent  à  une  telle  haine  l'un  de  l'autre  que  quelqu'un 
soit  forcé  d'en  venir  aux  armes  et,  comme  la  cour  est 
divisée,  fasse  quelque  fâcheuse  extravagance;  car  Sa  Majesté 
trouve  bien  son  compte  à  ce  que  les  princes  ne  soient  pas 
d'accord,  mais  non  à  ce  qu'ils  en  viennent  aux  armes. 
Aussi  pense-t-on  que  cette  femme  ne  sera  pas  torturée, 
mais  qu'on  la  laissera  tout  bonnement  mourir  dans  une 
prison  ;  et  ainsi  verrons-nous  bientôt  la  fin  de  cette  affaire  '.  » 

Les  choses  devaient  en  eff"et  suivre  le  cours  que  semblait 
indiquer  à  l'avance  la  façon  de  faire  habituelle  à  Marie  de 
Médicis,  toujours  prudente  ou  cauteleuse  dans  sa  politique, 
mais  que  la  violence  et  l'échaufî'ement  des  passions  en  pré- 
sence eussent  assurément  rendue  impuissante,  si  les  accusa- 
tions de  la  Descomans  avaient  eu  quelque  fondement 
sérieux,  à  briser  l'action  de  la  justice  par  une  prévarication 
criminelle.  Il  y  a  beaucoup  de  naturel  et  de  vraisemblance 
dans  la  façon  dont  le  Florentin  nous  montre  le  développe- 
ment et  le  dénouement  de  cette  obscure  intrigue. 

«  Cette  femme,  qui  a  été  mise  en  prison  et  qui  accuse  le 
duc  d'Épernon  et  le  duc  de  Guise  dont  on  ne  fait  plus 
mention,  la  marquise  de  Verneuil  et  Mlle  Du  Tillet,  aurait 
aussi  dit  quel  était  celui  qui  allait  et  venait  pour  parler  à  ce 

I.  Scip.  Ammirato,  23  janvier  1611. 


DÉBUTS  ORAGEUX  DE  L ANNEE  161I.  2o3 

scélérat  de  Ravaillac.  La  Verneuil  a  été  interrogée  sur  une 
grande  quantité  d'articles  dans  la  maison  du  premier  prési- 
dent, comme  Mlle  Du  Tillet.  M.  d'Épernon  ayant  été  parler 
audit  premier  président,  et  lui  ayant  exposé  tout  ce  qui  lui 
paraissait  occurrent,  celui-ci  lui  répondit  avec  une  grande 
gravité  que  l'on  ferait  justice  à  chacun,  ce  à  quoi  d'Épernon 
répondit  qu'il  lui  parlait  comme  un  bon  juge  et  non  pas 
comme  un  ami  :  «  —  Dans  une  pareille  affaire,  aurait  riposté 
«  le  premier  président,  je  ne   puis  répondre  autrement  ». 

«■  On  dit  encore  que  cette  femme  a  nommé  un  jésuite 
qui  est  mort,  auquel  étant  allée  se  confesser,  du  vivant  du 
roi  Henri,  et  lui  ayant  dit  qu'elle  connaissait  la  conjuration, 
le  jésuite  aurait,  affirme-t-elle,  répondu  qu'il  ne  fallait  en 
rien  dire  ;  car  elle  mettrait  en  peine  trop  de  gens.  Cette 
particularité,  la  reine  l'a  dite  à  table,  il  y  a  huit  jours;  et  le 
secrétaire  Cioli  l'a  aussi  entendue. 

«  Mais,  à  cette  heure,  quiconque  veut  du  mal  à  cet  ordre, 
et  véritablement,  ici  en  France,  on  n'a  pas  de  peine  à 
trouver  des  gens  de  cette  sorte,  peut  facilement  inventer  \  » 

Il  est  important  de  faire  observer  ici  en  passant  de  quelle 
imperturbable  audace  il  faudrait  supposer  que  Marie  de 
Médicis  ait  été  douée,  pour  s'exprimer  avec  autant  de  liberté 
au  sujet  de  toutes  les  personnes  que  pouvaient  mettre  en 
peine  les  révélations  d'une  intrigante,  si  elle  avait  pu,  à 
aucun  degré,  s'y  croire  comprise  elle-même  dans  une  hor- 
rible complicité  avec  le  duc  d'Épernon.  Quant  à  celui-ci, 
on  ne  saurait  inférer  aucune  preuve  à  sa  charge  des 
paroles  échangées,  au  dire  du  secrétaire  florentin,  entre 
lui  et  le  premier  président  de  Harlay,  ni  même  de  celles 
beaucoup  plus  vives  que  relate  L'Estoile  ".  La  première  ver- 

1.  Scip.  Ammirato,  4  février  1611. 

2.  M.  Desparnon  en  mesme  temps,  qui  avoit  le  plus  d'intérêt  en 
ceste  affaire,  et  lequel  poursuivoit  animeusement  contre  ceste  damoi- 
selle,  pour  la  faire  mourir,  allant  ordinairement  au  conseil  pour 
cela  à  M.  le  président  Séguier,  vinst  voir  M.  le  premier  président  en 
son  logis,  pour  tascher  à  en  apprendre  des  nouvelles.  Mais  ce  per- 


204  ^^    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

sien  nous  montre  un  juge,  la  seconde  un  magistrat  suscep- 
tible :  aucune  des  deux  ne  peut  nous  faire  trouver  un  accu- 
sateur dans  le  président  Harlay. 

En  effet  l'accusation  devait  succomber  sous  son  inanité 
même  encore  plus  que  par  l'absence  de  preuves  matérielles 
ou  même  morales;  et  l'on  put,  sans  causer  de  scandale, 
s'abstenir  d'appliquer  à  la  Descomans  rigueur  de  justice  en 
lui  infligeant  la  peine  suprême  qu'elle  faisait  encourir  aux 
personnages  dénoncés  par  elle.  «  On  avait  dit,  écrit  Scip. 
Ammirato  le  19  février,  que  cette  femme,  qui  est  prison- 
nière, avait  été  empoisonnée;  mais  ce  n'était  pas  vrai.  On  se 
doute  bien,  comme  on  n'en  parle  plus,  que  cette  affaire  se 
terminera  tout  tranquillement  par  sa  mort,  et  il  paraît  qu'elle- 
même  le  croit  déjà.  » 

On  n'en  vint  pas  à  cette  extrémité.  L'affaire  se  termina 
par  une  ordonnance  d'élargissement  en  faveur  de  quelques 
inculpés  secondaires  et  par  un  arrêt  de  réclusion  pris  contre 
la  Descomans.  ancienne  habituée  de  la  prison  et  dont  l'in- 
ternement entre  quatre  murs  n'est  guère  digne  de  pitié. 


sonnage  avec  sa  gravité  accoustumée,  et  maintien  assez  rébarbatif,  à 
l'endroit  principalement  de  ceux  qui  ne  lui  plaisoient  pas,  le  rebuta 
fort,  lui  dit  qu'il  n'estoit  pas  son  rapporteur,  mais  son  juge.  Et  comme 
le  dit  sieur  Desparnon  lui  eust  répliqué  que  ce  qu'il  lui  en  deman- 
doit  estoit  en  ami,  et  qu'en  ceste  qualité  il  en  avoit  pris  la  hardiesse  : 
«  Je  n'ay  point  d'amis,  lui  respondit  le  premier  Président;  je  vous 
ferai  justice;  contentez-vous  de  cela  '>.  Duquel  rebut  M.  Desparnon 
s'en  estant  retourné  fort  mal  content,  et  en  aiant  fait  sa  plainte  à  la 
Reine,  Sa  Majesté  lui  dépescha  aussitôt  un  des  siens,  avec  charge  de 
lui  dire  de  sa  part,  qu'elle  avoit  entendu  qu'il  traictoit  mal  M.  Des- 
parnon, mais  qu'elle  le  prioit  de  le  vouloir,  en  sa  faveur,  traicter  à 
l'avenir  plus  doucement  et  gracieusement,  comme  un  seigneur  de  la 
qualité  et  mérite  qu'il  estoit.  A  quoy  M.  le  premier  Président  fit  res- 
ponse  en  ces  mots  :  •  Vous  direz  à  la  Roine,  qu'il  y  a  cinquante  ans 
que  je  suis  juge,  et  trente  que  j'ay  cest  honneur  d'estre  chef  de  la 
Cour  souveraine  des  Pairs  de  ce  Roiaume:  mais  que  je  n'ay  jamais 
veu  homme  ni  seingneur,  de  quelque  grande  qualité  qu'il  fust,  ni  duc 
ni  pair,  accusé  et  déféré  sur  un  crime  de  leze-majesté,  comme  est 
M.  Desparnon,  qui  vînt  voir  ses  juges,  tout  botté  et  esperonné,  avec 
une  espée  à  son  costé.  Ne  faillez  de  le  dire  à  la  Roine.  •  C'est  parler 
en  premier  Président,  cela;  que  je  n'eusse  enregistré  ici,  si  je  ne 
l'eusse  sceu  bien  et  certainement.  (L'Estoile,  t.  XI,  p.  69.) 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE     i6iI.  2o5 

«  M.  Marescotti  m'a  dit,  écrit  Scip.  Ammirato  le  15  mars 
161 1,  que  cette  femme  qui  accusait  la  Verneuil  et  les  autres 
de  la  mort  du  roi,  et  était  en  prison,  en  a  été  retirée  pour 
être  mise  dans  un  monastère  *  et  que  ce  serviteur  de  Mme  Du 
Tillet  est  sorti  lui  aussi  de  prison  et  qu'ainsi  la  cause  est 
restée  pendante,  sans  qu'intervienne  de  jugement.  »  Le  fait 
même  que  ne  furent  supprimés  ni  Fauteur  des  révélations 
suspectes  ni  les  malheureux  impliqués  dans  le  procès  nous 
semble  une  présomption  très  grande  que  Thistoire  ne  doit, 
pas  plus  que  la  justice  du  temps,  tenir  compte  d'un  épisode 
judiciaire  insignifiant  en  lui-même.  On  le  comprendra  sans 
doute  mieux  en  le  rapprochant  de  faits  voisins,  simultanés 
et  peut-être  connexes,  au  milieu  desquels  il  semble  que 
l'importante  personnalité  du  duc  d'Epernon  ait  été  l'objet 
d'audacieuses  et  multiples  tentatives  de  renversement.  Telle 
fut  la  fameuse  affaire  du  baron  de  la  Châtaigneraie. 

M.  de  la  Châtaigneraie,  capitaine  des  gardes  de  la  reine, 
son  sauveur  au  bac  de  Neuilly,  passait  pour  être  amoureux 
de  la  fille  du  secrétaire  d'État  Loménie,  dame  d'honneur 
de  Marie  de  Médicis,  que  le  comte  de  Rebat  recherchait 
également.  Le  samedi  soir  5  février,  après  que  la  reine 
se  fut  retirée,  ainsi  que  tous  les  courtisans,  il  ne  resta  plus 
dans  le  grand  cabinet  que  les  deux  rivaux  et  les  dames  de 
la  reine.  Rebat  s'entretenait  avec  la  fille  de  Loménie,  lorsque 
sortit  du  petit  cabinet  une  des  femmes  de  chambre  de  la 
reine  pour  dire  que  chacun  eût  à  se  retirer,  car  la  reine 
allait  se  coucher.  La  Châtaigneraie,  poussé  soit  par  la 
jalousie,  soit  par  son  caractère  un  peu  altier,  se  tourna  vers 
Rebat  et  lui  dit  de  sortir. 

Celui-ci  répondit  aussitôt  qu'il  sortirait,  parce  que  la  reine 
le  commandait  et  que  cette  femme  de  chambre  l'avait  dit,  et 
non  parce  que  La  Châtaigneraie  le  lui  ordonnait;  car  cela 

I.  L'arrêt  qui  la  condamne  définitivement  à  l'emmurement  est  du 
3o  juiHet  1611. 


206  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

ne  le  regardait  pas  pour  le  moment,  et  il  devait  s'en  aller 
aussi,  ni  plus  ni  moins  que  lui.  La  Châtaigneraie  répondit 
avec  plus  de  hauteur,  sans  cependant  faire  de  bruit,  que 
Rebat  devait  sortir,  parce  qu'il  le  disait,  vu  que  c'était  son 
office,  et  que,  s'il  ne  voulait  pas  sortir,  il  l'y  contraindrait 
par  la  force. 

Le  comte  Rebat  partit  en  grommelant,  mais  ne  se  fit  pas 
faute,  le  soir  même  et  le  lendemain  matin,  de  raconter 
l'aventure  à  d'autres,  et  de  se  plaindre  de  La  Châtaigneraie. 
Ses  doléances,  encore  amplifiées,  revinrent  aux  oreilles  du 
capitaine  des  gardes  de  la  reine.  Marie  de  Médicis,  ce 
dimanche  matin-là,  se  mit  à  table  dans  son  antichambre,  où, 
pour  la  seconde  fois,  elle  déjeuna  en  public.  Dans  le  grand 
cabinet  étaient  restés  plusieurs  seigneurs  et  gentilshommes, 
entre  autres  La  Châtaigneraie,  Rebat,  M.  le  Grand  et  son 
frère,  M.  de  Thermes  S  lesquels  étaient  tant  soit  peu  parents 
de  Rebat.  La  Châtaigneraie,  se  trouvant  tout  près  des  deux 
frères,  prit  un  prétexte  quelconque  pour  dire  que  certaines 
personnes  avaient  dit  du  mal  de  lui,  et  toute  espèce  de 
choses,  mais  qu'il  les  défiait  bien  d'oser  répéter  leurs  propos 
en  sa  présence;  car  il  saurait  les  en  empêcher.  Cette  sortie 
ridicule  fut  endurée  avec  assez  de  patience  par  M.  de  Belle- 
garde;  mais  son  homme  continuant  à  marmotter  entre  ses 
dents,  il  se  leva  tout  à  coup  et  lui  demanda  pourquoi  il 
faisait  un  pareil  abattage  en  cet  endroit  et  en  sa  présence 
(perche  ci  faceva  quivi  quelle  tagliate  alla  sua  presen:(a)\  car 
il  ne  pouvait  le  prendre  pour  lui  et  ne  croyait  pas  davan- 
tage que,  dans  cette  compagnie,  se  trouvât  quelqu'un  qui, 
s'il  Teût  blâmé  en  quoi  que  ce  fût,  ne  sût  fort  bien  main- 
tenir son  propos.  Mais  La  Châtaigneraie,  continuant  sur  le 
même  ton  à  crier  que  ceux-là  en  avaient  menti,  M.  le  Grand 


I.  Le  maréchal  de  Bellegarde,  père  du  grand  écuyer,  avait  épousé 
Marguerite  de  Saluces,  la  veuve  de  son  oncle  et  collègue  le  maréchal 
de  Thermes,  célèbre  dans  les  guerres  de  Henri  II.  —  Thermes  et  Bel- 
legarde dont  il  est  question  ici  étaient  frères  utérins. 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE    i6iI.  207 

et  de  Thermes  se  tournèrent  vers  les  assistants  qui  s'étaient 
formés  en  cercle  :  «  Eh  bien!  messieurs,  crièrent-ils,  est-il 
quelqu'un  de  vous  qui  ait  parlé  de  La  Châtaigneraie?  s'il  en 
est  un,  qu'il  vienne  ici  faire  face  et  qu'il  parle!  »  Aucun 
d'eux  ne  se  présenta  :  «  C'est  bien,  dit  La  Châtaigneraie,  qui 
a  la  gale  se  gratte  et  ne  s'en  vante  pas!  »  —  M.  d'Épernon, 
qui  se  trouvait  aussi  là,  voyant  et  entendant  les  bravades 
hors  de  propos  que  se  permettait  le  capitaine,  s'approcha 
de  lui  pour  lui  dire  qu'il  eût  à  porter  respect  à  M.  le  Grand, 
qui  était  si  fort  au-dessus  de  lui.  Alors,  La  Châtaigneraie, 
ne  se  possédant  plus,  répondit  au  duc  d'Epernon  avec  une 
solennité  superbe  que,  dans  cette  cour,  il  ne  connaissait 
personne  qui  dût  passer  avant  lui;  et  que  céans  il  ne  cédait 
le  pas  qu'aux  princes  et  aux  maréchaux.  D'Epernon  recevait 
là  un  coup  droit,  car  il  n'était  ni  l'un  ni  l'autre,  quoique 
fort  grand  et  très  considéré  personnage.  Pris  de  fureur,  il 
riposta  que  de  cette  prétention  il  saurait  bien  lui-même  le 
désabuser,  et,  se  reculant  de  quelques  pas,  il  mit  l'épée 
à  la  main  en  même  temps  que  le  grand  écuyer  et 
d'autres. 

Les  fers  allaient  se  croiser,  lorsque  le  duc  de  Guise,  qui 
se  trouvait  aussi  là,  parut  tout  à  coup  au  milieu  des  épées, 
en  disant  que  l'on  portât  respect  à  l'endroit  où  l'on  se 
trouvait,  si  l'on  ne  voulait  le  faire  pour  lui-même.  Le  fils 
du  premier  président,  M.  de  Beaumont,  pris  d'un  zèle 
inconsidéré,  se  précipita  avec  une  telle  furie  pour  annoncer 
le  tout  à  la  reine,  qu'arrivé  auprès  d'elle,  peu  de  temps 
après  qu'elle  s'était  mise  à  table,  il  ne  s'avisa  même  pas  de 
retirer  son  chapeau,  et  conservant  l'épée  sous  le  bras,  lui 
dit  :  «  Que  Votre  Majesté  coure  dans  le  cabinet,  on  s'y 
tue!  »  La  malheureuse  reine,  affolée,  craignant  pour  le  roi, 
se  leva  immédiatement  de  table  et  accourut;  en  un  instant 
le  tumulte  s'apaisa.  La  régente  s'enquit  des  circonstances  de 
l'événement  et  s'étant  convaincue  que  la  responsabilité  de 
la  querelle  incombait  à  La  Châtaigneraie,  qui  s'était  laissé 


208  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

aller  à  d'impudentes  provocations,  lui  ordonna  de  déposer 
son  épée  et  son  bâton  de  capitaine,  et  le  fit  enfermer  dans 
la  chambre  qu'il  avait  au  Louvre.  Elle  se  remit  ensuite  à 
déjeuner. 

Le  soir,  Marie  de  Médicis  fit  mener  La  Châtaigneraie  à 
la  Bastille,  en  prison.  Mais  on  pensait  bien  qu'elle  ne  tar- 
derait pas  à  lui  faire  faire  sa  paix  avec  le  duc  d'Épernon  et 
M.  le  Grand  et  à  lui  rendre  sa  charge,  en  même  temps 
que  la  liberté.  Épernon  disait  que,  le  tout  étant  arrivé 
dans  le  cabinet  de  Sa  Majesté,  c'était  à  elle  à  en  tenir 
compte,  et  non  pas  à  lui.  Ce  propos  n'était  en  réalité  qu'une 
échappatoire  destinée  à  donner  le  change  sur  une  situation 
qui  n'était  pas  aussi  indifférente  au  duc  d'Épernon  qu'il 
voulait  bien  le  dire.  En  effet,  le  lendemain  même  de  la 
scène,  comme  on  discutait  sur  ce  sujet  dans  l'endroit 
même  où  elle  s'était  passée,  et  en  présence  du  maréchal  de 
Bouillon,  le  duc  d'Epernon  dit  à  la  reine  que  lorsqu'elle 
aurait  fait  faire  à  la  Châtaigneraie  ce  qui  lui  paraîtrait  con- 
venable, elle  devrait  encore  l'obliger  à  donner  satisfaction 
à  M.  le  Grand  et  à  lui-même;  et  que,  sur  ce  point,  il  s'en 
remettait  au  connétable  et  aux  maréchaux  de  France.  La 
régente  répondit  que  La  Châtaigneraie  était  son  serviteur, 
et  qu'elle  ne  voulait  pas  qu'il  fût  maltraité.  Épernon  reprit 
qu'il  croyait  être  aussi  bon  serviteur  de  Sa  Majesté  que  La 
Châtaigneraie;  qu'il  lui  en  avait  donné  et  pouvait  lui  en 
donner  des  preuves  telles  que  l'autre  serait  certainement 
bien  embarrassé  d'en  faire  autant  durant  toute  sa  vie;  qu'au 
demeurant  si  Sa  Majesté  voulait  avoir  de  la  sorte  des  servi- 
teurs en  particulier,  elle  en  aurait  moins  en  général.  Telles 
sont  les  confidences  que  d'Épernon  lui-miême  fit  à  ses  amis 
tandis  qu'il  tenait  pour  le  public  le  langage  que  nous  avons 
rapporté  plus  haut,  lorsqu'il  vit  qu'il  ne  pourrait  obtenir  de 
satisfactions  convenables. 

En  effet  La  Châtaigneraie  ne  tarda  pas  à  être  tiré  de  la 
Bastille;  il  demanda  pardon  à  la  reine  de  ce  qu'il  avait  dit 


DÉBUTS    ORAGEUX    DE    l'aNNÉE    i6iI.  209 

et  fait;  son  bâton  de  capitaine  lui  fut  immédiatement  rendu 
et  il  reprit  son  service  comme  auparavant  ^ 

Le  duc  d'Epernon  ne  put  dissimuler  longtemps  son 
mécontentement,  et,  lui  aussi,  fit  mine  de  vouloir  sortir  de 
la  cour,  comme  ces  princes  auxquels  La  Châtaigneraie  lui 
avait  irrévérencieusement  interdit  de  se  comparer.  Ainsi 
un  premier  mécontentement  causé  par  le  projet  de  mariage 
entre  Mlle  de  Montpensier  et  le  fils  du  comte  de  Soissons 
l'avait  rangé  du  côté  des  Guises;  maintenant  l'affaire  de  La 
Châtaigneraie  allait  lui  faire  quitter  Paris  bruyamment.  Il 
se  ravisa  toutefois,  et  voulut  sans  doute  prouver  au  capi- 
taine des  gardes  de  la  reine  qu'il  ne  lui  était  pas  besoin 
d'être  prince  pour  se  faire  acheter  aussi  son  obéissance  et  sa 
soumission. 

Il  ht  valoir  qu'il  avait  été  premier  gentilhomme  de  la 
chambre,  du  temps  de  Henri  III,  pour  demander  que  cette 
charge  fût  donnée  à  son  second  fils.  Cette  réclamation  sus- 
cita une  vive  opposition.  On  objecta  que,  si,  à  la  vérité,  il 
avait  été  sous  Henri  III  premier  gentilhomme  de  la  chambre, 
pendant  plus  de  vingt  ans  qu'avait  duré  le  règne  de  Henri  IV 
il  n'en  avait  jamais  exercé  les  fonctions.  Mais  d'Epernon 
rétorquait  l'argument  en  disant  que  ses  brevets  dataient  du 
temps  de  Henri  III,  et  que,  comme  Henri  IV  ne  l'en  avait 
jamais  privé,  encore  qu'il  n'eût  pas  exercé  sa  charge,  il  en 
restait  néanmoins  le  possesseur.  «  Mais  Sa  Majesté,  qui  con- 
naît l'homme,  dit  Scip.  Ammirato,  et  qui  veut  le  tenir  aussi 
satisfait  que  possible,  lui  donnera,  dit-on,  quelque  chose  en 
échange.  Le  marquis  Concino  est  celui  qui  traite  l'affiire 
avec  Epernon.  Celui-ci  est  considéré  comme  démesurément 
astucieux,  ambitieux  et  superbe;  il  voudrait  que  Sa  Majesté 
l'estimât  plus  que  n'importe  quelle  autre  personne,  lui  com- 
muniquât toutes  les  affaires  et  lui  donnât  en  quelque  sorte 
une  place  à  part,  comme  à  un  personnage  considéré  encore 

I.  Scip.  Ammirato,  i5  février  1611. 

14 


2IO  I^A    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

comme  très  puissant.  Malgré  tout,  ceux  qui  le  connaissent 
de  longue  main  et  qui  en  usent  avec  lui  familièrement,  ne 
pensent  pas  qu'il  soit  jamais  pour  mettre  en  train  quelque 
nouveauté  contre  l'état  de  choses  actuel.  Car  étant  arrivé 
maintenant  à  l'âge  de  cinquante-sept  ans  et  ayant  des  fils 
auxquels  il  prétend  laisser  toutes  ses  charges,  et  les  établir 
ainsi,  lui-même  dit  qu'il  ne  saurait  mieux  atteindre  son  but 
que  par  la  conservation  du  pouvoir  de  la  reine,  dont  il  peut 
attendre  beaucoup  plus  que  des  princes.  Mais  avec  tout  cela, 
et  bien  qu'il  se  soit  réduit  à  mener  une  vie  toute  spiri- 
tuelle, en  se  retirant  assez  souvent  dans  un  de  ces  couvents 
de  frères  mendiants,  où  il  passe  son  temps  à  se  confesser  et 
à  communier,  il  est  bien  peu  de  gens  qui  ne  le  considèrent 
comme  fort  dangereux  '.  » 

Ainsi  se  maintenait  au-dessus  des  accusations,  des  atta- 
ques et  des  intrigues,  l'ancien  compagnon  des  folies  dévotes 
du  roi  Henri  III,  l'adversaire  des  Guises  maintenant  con- 
fondu avec  eux  dans  une  accusation  que  ce  rapprochement 
même  suffit  à  rendre  invraisemblable,  trop  habile  et  trop 
puissant  pour  se  laisser  entamer  au  fer  de  la  calomnie. 
Concini  n'était  pas  de  taille  à  se  mesurer  avec  un  tel  adver- 
saire. Il  valait  mieux  traiter.  C'est  ce  qu'il  entreprit,  suivant 
son  habitude. 

Si  Ton  réfléchit  que  tous  les  auteurs  de  mémoires  contem- 
porains placent  immédiatement  à  la  suite  des  divers  incidents 
que  nous  venons  de  mentionner  et  sans  en  expliquer  le 
rapport  évident  qu'elle  eut  avec  eux,  une  crise  depuis  long- 
temps menaçante,  celle  qui  amena  la  retraite  définitive  du 
duc  de  Sully,  on  ne  peut  s'empêcher  de  penser  que  le  per- 
sonnage toujours  prêt  à  tout  dénouer  était  celui  qui  avait  le 
talent  de  troubler  tout,  à  son  profit.  Le  marquis  d'Ancre  fut 
le  syndic  de  tous  les  mécontentements  à  éteindre,  de  toutes 

I.  Scip.  Ammirato,  26  février  1611. 


RETRAITE    DE    SULLY.  2  F  I 

les  satisfactions  à  faire  espérer,  lorsqu'il  finit  par  donner  le 
coup  de  grâce  à  la  victime  expiatoire  dont  l'immolation,  au 
détriment  de  l'intérêt  public,  sembla  devoir  être  le  gage  du 
rassasiement  à  offrir  aux  appétits  les  plus  discordants. 

De  tous  les  mécontents  le  plus  acharné  après  l'existence 
ministérielle  du  duc  de  Sully  était  le  comte  de  Soissons. 
Lorsqu'il  s'était  agi  du  mariage  de  son  fils  avec  la  demoi- 
selle de  Montpensier,  Sully  n'avait  pu,  sans  protestation,' 
laisser  passer  de  telles  espérances  dans  une  branche  colla- 
térale et  remuante  de  la  famille  royale.  Il  ne  fut  donc  pas 
difficile  d'attirer  Soissons  dans  le  camp  des  ennemis  du 
surintendant,  du  côté  de  ces  ministres  jaloux  et  hostiles 
dont  il  s'évertuait  à  gagner  les  bonnes  grâces  \  Marie  de 
Médicis,  conseillée  par  eux,  avait  répondu  aux  avances  du 
comte  de  Soissons  par  des  engagements  que  le  jeune  âge 
de  la  promise  rendait  bien  illusoires,  mais  qui  mettaient  ce 
prince  à  la  discrétion  de  Villeroy  ". 

Quant  au  prince  de  Condé,  nous  ne  savons  pas  positive- 
ment si  le  surintendant  des  finances  mit  obstacle  aux  géné- 
rosités de  la  régente  à  son  égard.  On  pourrait  peut-être  l'in- 
férer de  ce  passage  où  Sully  met  le  prince  de  Condé  en  tête 
de  tous  ceux  qui,  disent  les  Economies  royales,  «  avaient  fait 
et  expressément  dressé  la  partie,  ou  pour  ruiner  toutes  les 
affaires  du  roi  et  lui  faire  recevoir  un  blâme  à  jamais,  s'il  ne 
s'y  opposait  absolument,  ou  pour  l'accabler  de  malveillances 
s'il  faisait  son  devoir  ».  Nous  avons  un  renseignement  bien 
plus  grave  que  cette  vague  indication,  une  imputation  for- 
mulée en  termes  précis  et  qui  ne  peut  laisser  aucun  doute 
sur  la  duplicité  du  prince  de  Condé  et  sur  les  motifs  secrets 
qui   l'entraînèrent,   lui   aussi,  dans  la  conjuration  formée 

1.  «  Il  a  commencé  à  servir  la  reine  d'une  manière  extraordinaire. 
Il  manœuvre  en  même  temps  de  façon  à  rendre  siens,  plus  qu'aupa- 
ravant, les  ministres  qui  la  conseillent  et  qui  paraissent  le  plus  aimés 
d'elle  et  qui  sont  considérés  comme  lui  étant  chers.  »  (Ambass.  vénit. 
Foscarini,  ii  janvier  1611.) 

2.  Richelieu,  Mémoires,  p.  36,  col.  i. 


212  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

contre  le  duc  de  Sully;  ce  renseignement  se  trouve  dans  un 
passage  chiffré  de  la  dépêche  du  Vénitien  Foscarini  déjà 
citée  :  «  Avant  que  le  prince  de  Condé  reçût  les  dernières 
faveurs  de  la  reine,  dit-il,  il  a  fait  l'offre  de  sa  personne  aux 
huguenots  de  ce  royaume,  pour  être  leur  chef;  mais  comme 
il  y  a  chez  eux  la  résolution  et  le  ferme  désir  de  se  tenir  en 
repos,  ils  se  sont  montrés  tout  à  fait  contraires  à  cette  pro- 
position, et  ils  ont  fait  répondre  qu'ils  ne  veulent  pas  d'autre 
chef  que  le  roi.  Le  duc  de  Sully,  qui  est  sans  doute  celui 
qui  a  porté  la  parole  en  leur  nom,  n'est  plus  en  bons  termes 
avec  le  prince,  et  précisément  pour  cette  raison.  »  A  la 
veille  de  l'assemblée  que  les  huguenots,  conformément  aux 
clauses  de  l'édit  de  Nantes,  allaient  tenir,  et  dans  la  situation 
précaire  du  surintendant,  cette  déclaration  était  aussi  hono- 
rable pour  lui  que  fâcheuse  pour  le  prince  de  Condé. 

Le  cercle  d'investissement  se  resserra  donc  bientôt 
autour  de  SuU}^;  on  s'en  aperçut  lorsqu'après  un  court  éloi- 
gnement  Villeroy  reparut.  «  Les  conflits  entre  Sully  et  Vil- 
leroy  continuent,  dit  l'ambassadeur  vénitien;  on  a  résolu  de 
tirer  du  conseil  d'État  un  conseil  des  finances  et  de  s'arranger 
de  manière  à  diminuer  l'autorité  de  SuU}-.  Mais  il  menace 
de  renoncer  à  sa  charge,  sachant  qu'il  est  nécessaire,  et  que, 
lui  parti,  la  confusion  se  mettrait  dans  l'administration  des 
finances.  »  On  n'en  était  plus  à  s'arrêter  à  une  pareille  baga- 
telle. Villeroy  s'empara  d'ailleurs  avec  habileté  de  la  position. 
Dans  les  querelles  de  cour  qui  s'étaient  élevées  au  com- 
mencement de  janvier  et  avaient  mis  aux  prises  la  maison 
de  Bourbon  et  la  maison  de  Guise,  Concini  se  rangea  du 
côté  des  Bourbons;  Sully  se  trouva  constamment  dans  le 
cas  contraire. 

Le  moment  était  venu  «  de  mettre,  suivant  l'énergique 
expression  de  Richelieu,  les  fers  au  feu  pour  éloigner  le  duc 
de  Sully  ».  On  laissa  se  répandre  autour  du  vaniteux  et 
avide  Florentin  le  bruit  qu'il  serait  appelé  à  prendre  la  suc- 
cession  du  surintendant.  Devant  cette  union  des  ennemis 


RETRAITE    DE    SULLY.  21  3 

politiques,  des  mécontents,  des  ambitieux  et  des  incapables, 
en  face  de  cette  ligue  de  princes  du  sang,  de  ministres  et 
de  courtisans,  Sully  n'avait  plus  qu'à  opérer  sa  retraite  en 
bon  ordre.  Il  le  fit  en  temps  utile  et,  ne  pouvant  plus  rien 
pour  la  chose  publique,  ne  voulut  point  laisser  en  péril  sa 
chose  particulière. 

«  Ily  a  quelques  jours,  écrit  Foscarini  le  27  janvier  161 1, 
le  duc  de  Sully  est  allé  trouver  la  reine  et  lui  a  dit  que,  vu 
la  multiplication  des  demandes  qui  se  produisaient  de  toutes 
parts,  la  très  grande  libéralité  de  la  reine  et  l'impossibilité  où 
il  se  trouvait,  lui,  de  résister  aux  exigences  des  princes  du 
sang  et  autres,  n'ayant  plus  l'appui  qui  lui  venait  autrefois 
du  roi,  il  préférait  renoncer  à  sa  charge.  »  La  reine  décon- 
certée insista  vivement  auprès  de  Sully  pour  qu'il  continuât 
d'exercer  seul  ses  fonctions.  Le  surintendant  parut  rester 
inébranlable  dans  sa  résolution  de  partir,  mais  au  milieu 
des  puissants  ennemis  qui  le  battaient  en  brèche,  il  se  tint 
encore  à  son  poste,  fier,  inflexible,  n'abandonnant  rien 
de  son  autorité,  jusqu'au  moment  où  il  serait  formellement 
relevé  de  ses  charges.  Dès  ce  moment  commencent  les 
innombrables  et  interminables  écritures  que  Sully,  en 
homme  d'affaires  très  formaliste,  crut  devoir  établir  dans 
la  forme  authentique,  pour  la  sauvegarde  de  son  honneur, 
de  ses  intérêts,  de  sa  sécurité  et  de  son  renom  dans  l'his- 
toire. Il  a  versé  quelques-uns  de  ces  papiers  dans  les  Écono- 
mies royales;  d'autres  encore  plus  étendus  se  retrouvent  dans 
les  archives  et  les  collections  de  documents. 

Sully  commença  par  présenter  au  chancelier  un  écrit  par 
lequel  il  requérait  instamment  que  deux  millions  d'écus  d'or 
qui  se  trouvaient  encore  à  la  Bastille  et  qui  formaient  le  res~ 
tant  de  l'épargne  amassée  par  l'industrie  du  feu  roi  et  la 
sienne  fussent  laissés  intacts  jusqu'à  la  majorité  du  roi.  Le 
chancelier  en  référa  à  la  reine,  qui,  au  premier  moment,  ne 
parut  pas  prendre  mal  cette  requête  inattendue;  elle 
s'abstint  toutefois  de  répondre.  Sully,  voyant  qu'il  ne  pou- 


2  14  ^^    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

vait  tirer  du  chancelier  aucune  résolution,  s'adressa  au  pre- 
mier président.  Celui-ci,  vu  la  gravité  de  l'affaire,  réunit  le 
Parlement,  qui  se  montra  peu  disposé  à  y  donner  suite.  Mais 
Sully  exigea  qu'en  tout  état  de  cause  sa  requête  fût  couchée 
sur  les  registres  de  la  cour,  et  que  copie  lui  en  fût  délivrée  *. 

Cette  manifestation,  qui  impliquait  un  blâme  évident 
pour  Tadministration  passée  de  la  régente  et  une  défiance 
formelle  pour  l'avenir,  devait  être  prise  de  la  part  de--5ully 
comme  une  rupture  définitive  :  «  La  reine,  écrit  l'ambassa- 
deur vénitien,  qui  avait  témoigné  désirer  avec  tant  de  pas- 
sion le  maintien  du  duc  de  Sully  dans  la  charge  des 
finances,  a  changé  en  un  instant  et  manœuvré  d'une  tout 
autre  façon.  Sully  a  donc  remis  ses  fonctions  en  même 
temps  que  la  Bastille  entre  les  mains  de  Sa  Majesté  ".  » 

Telles  furent  les  manifestations  extérieures  de  la  crise 
qui  aboutit  au  renversement  de  Sully.  Mais  si  nous  voulons 
en  reconnaître  les  causes  intimes  et  décisives,  nous  les 
trouverons  dans  une  dépêche  que  l'ambassadeur  vénitien, 
après  avoir  recueilli  les  informations  les  plus  sûres,  écrivit 
à  la  Sérénissime  Seigneurie.  Foscarini  s'exprime  dans  les 
termes  suivants  quelques  jours  après  l'événement  :  «  A  la 
suite  de  ces  démêlés  qui  ont  eu  lieu  entre  le  duc  de  Sully 
et  M.  de  Villeroy,  celui-ci  s'éloigna  pour  quelques  jours 
de  la  cour  et  demanda  son  congé  à  la  reine.  Sully  prit  alors 
sur  lui  beaucoup  d'avantage;  mais  Villeroy  employa  tout 
son  esprit  et  redoubla  tous  ses  efforts  pour  abaisser  son 
rival.  Reconnaissant  l'insuffisance  de  ses  forces,  même 
unies  à  celles  du  chancelier,  il  s'est  mis  à  machiner  et  à 
gagner  ceux  qu'il  a  jugés  être  en  faveur  et  en  autorité 
auprès  de  la  reine  mère,  ce  qui  n'a  pas  été  très  difficile  à  un 
homme  d'une  expérience  aussi  vieille,  qui  connaît  les  pas- 
sions d'un  chacun  et  qui  sait  frapper  juste.  Le  fait  que  le 
duc  de  Sully,  dans  les  récents  démêlés  entre  le  comte  de 

1.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  26  janvier  1611. 

2.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  9  février  1611. 


RETRAITE    DE    SULLY.  2  I  5 

Soissons  et  le  duc  de  Guise,  s'est  déclaré  contre  le  comte, 
a  accru  chez  ce  dernier  d'anciens  mécontentements,  des 
mésintelligences  que  Villeroy  a  fort  gentiment  fomentées. 
Le  prince  de  Condé,  depuis  quelque  temps,  règle  complè- 
tement sa  conduite  d'après  les  conseils  de  Soissons.  A 
Bullion,  à  Jeannin  et  à  d'autres,  Villeroy  a  fait  croire  que 
la  chute  de  Sully  tournerait  à  leur  exaltation  et  il  a  fait 
valoir  dans  ce  sens  des  considérations  accommodées  à  leur 
intérêt  personnel.  Cela  fait,  pour  être  sûr  de  son  coup  et 
pour  donner  le  dernier  branle,  il  a  gagné  le  Concini,  favori 
de  la  reine,  qui  s'appelle  maintenant  le  marquis  d'Ancre  et 
dont  le  crédit  auprès  de  Sa  Majesté  grandit  de  jour  en  jour. 
Ce  personnage  se  montre,  et  les  effets  le  prouvent  bien, 
entièrement  dépendant  du  grand-duc  et  de  la  grande- 
duchesse  mère.  De  là  vient  qu'il  a  fait  encore  tout  ce  qu'il 
peut  auprès  de  la  reine  pour  la  porter  en  faveur  des 
mariages  avec  l'Espagne,  exaltant  la  bonté  du  roi  de  cette 
nation,  multipliant  en  ce  sens  les  raisonnements,  sans  la 
moindre  réserve  ni  circonspection.  Le  bruit  court  mainte- 
nant, et  plusieurs  princes  me  l'ont  confirmé,  que  Villeroy, 
pour  se  venger  de  Sully,  a  fait  à  Concini  la  promesse  de 
porter  la  reine  à  favoriser  ses  désirs  en  cette  matière;  et,  en 
effet,  il  n'y  manque  pas.  Concini,  d'autre  part,  qui  est  d'une 
force  presque  omnipotente,  avec  l'assistance  de  sa  femme, 
a  décidé  Sa  Majesté  à  priver  la  couronne  de  France  du  plus 
digne  et  du  plus  utile  ministre  qu'elle  eut  jamais.  Comme 
on  craignait  du  mécontentement  de  la  part  des  huguenots 
qni  pouvaient  prendre  pour  une  offense  publique  et  une 
marque  de  défiance  le  fait  d'enlever  à  un  homme  de  leur 
rehgion  le  gouvernemeut  absolu  de  la  Bastille  et  des 
finances,  on  a  publié  que  Sully  a  renoncé  à  ces  charges  de 
lui-miême  et  non  par  le  commandement  de  la  reine,  ce  qui 
est  d'ailleurs  conforme  à  la  vérité  \  » 

I.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  17  février  1611. 


2i6  LA   MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Voici  en  effet  ce  que  nous  lisons  dans  le  document  offi- 
ciel que  vise  l'ambassadeur  vénitien,  et  dont  une  copie 
manuscrite,  insérée  dans  la  collection  Dupuy,  permet  de 
combler  une  lacune  importante  dans  cette  partie  des 
Économies  royales  où  Sully  accumule  les  preuves  relatives 
aux  formalités  de  son  départ,  aux  décharges  et  compensa- 
tions qu'il  se  fit  octroyer  ^ 

«  Aujourd'hui,  vingt-sixième  jour  de  janvier  1611,  le  roi 
étant  à  Paris,  M.  le  duc  de  Sully  s'est  présenté  à  Sa  Majesté 
et  l'a  très  humblement  suppliée  d'avoir  pour  agréable  qu'il 
déposât  et  remît  entre  ses  mains  les  charges  de  superinten- 
dant des  finances  et  de  capitaine  de  la  Bastille  audit  Paris; 
lesquelles  remises  et  démissions  Sa  Majesté  a  plusieurs  fois 
refusées  et  prié  ledit  sieur  duc  de  Sully  de  vouloir  servir  en 
icelles  charges,  tout  ainsi  qu'il  avait  accoutumé  de  faire  ci- 
devant.  Mais  voyant  sa  volonté  en  être  du  tout  aliénée, 
Sa  Majesté  a  reçu  et  accepté  lesdites  remises  et  démissions 
des  charges  de  superintendant  des  finances  et  de  capitaine 
de  la  Bastille.  » 

Sully  résigna,  avec  beaucoup  plus  de  dignité  que  ne  le 
laisse  entendre  Richelieu,  les  hautes  fonctions  qui  lui  étaient 
retirées.  «  Bien  que  ce  coup  ne  le  surprît  pas  à  l'imprévu,  et 
qu'il  le  vît  venir  de  loin,  dit  le  cardinal  dans  ses  Mémoires-, 
il  ne  put  toutefois  composer  son  esprit  en  sorte  qu'il  ne  le 
reçût  avec  faiblesse.  Il  céda  parce  qu'il  fallait  obéir,  mais  ce 
fut  avec  plaintes.  »  Le  cardinal  fait  sans  doute  ici  allusion  à 
la  lettre  fameuse  insérée  dans  le  Mercure  françois  ^  par 
laquelle  Sully  présente  à  la  reine  un  résumé  des  services 
qu'il  a  rendus  à  la  couronne  et  semble  vouloir  se  donner 

1.  Biblioth.  nationale,  mss,  coll.  Dupuy,  t.  XL,  f»  204. 

2.  Richelieu,  Mémoires^  p.  38,  col.  i. 

3.  Mercure  frayiçois,  t.  II,  f°'  6  et  suiv.  «  Si  mon  affection  première, 
lit-on  dans  ce  document,  n'a  reçu  autre  changement  que  de  s  être  rendue 
ardente  et  plus  forte,  permettez-moi,  Madame,  pour  ma  plus  digne 
satisfaction,  de  souffrir  le  mal  que  vous  me  faites,  sans  accepter  le 
bien  que  vous  m'offrez.  Retirez  mes  charges  sans  cette  dure  charge.  » 


RETRAITE    DE    SULLY.  217 

Tair  de  repousser  les  compensations  de  toute  nature  qui 
lui  étaient  offertes.  Nous  ne  trouvons  aucune  mention 
de  cette  mauvaise  humeur,  de  ces  manifestations  de  dépit 
dans  les  informations  que  les  ambassadeurs  étrangers  adres- 
sèrent à  leurs  gouvernements. 

Sully  trouva  plus  d'une  occasion  d'exprimer  les  senti- 
ments qui  l'animaient.  Au  moment  où  il  allait  prendre  le 
chemin  de  ses  maisons  de  campagne,  quelques-unes  de  ces 
conversations  ont  été  recueillies;  elles  mettent  dans  leur 
vrai  jour  le  caractère  et  les  dispositions  du  grand  ministre 
qui  allait  s'éloigner  des  affaires.  Le  2  février  161 1,  il  se 
présenta  au  Louvre  pour  prendre  congé  de  la  reine.  Elle  ne 
le  reçut  pas  et  il  revint  le  lendemain;  Sully  ne  paraît  pas 
avoir  été  ce  jour-là  plus  heureux  que  la  veille.  L'entrevue 
était  embarrassante  pour  la  reine,  elle  s'en  dispensa. 

En  revanche,  l' ex-surintendant  reçut  la  visite  du  lieute- 
nant d'Elbène,  premier  maître  d'hôtel  de  Marie  de  Médicis. 
Cet  homme  de  confiance  de  la  régente  n'approuvait  pas  en 
tout  la  révolution  ministérielle  qui  venait  de  s'accomplir.  Il 
avait  déclaré  à  Scipione  Ammirato  que  la  confusion  ne 
tarderait  pas  à  se  mettre  dans  l'administration,  ajoutant  avec 
une  rudesse  toute  militaire  que  Sully  était  sans  doute  una 
hestia,  mais  que,  de  toute  manière,  il  avait  admirablement 
fait  le  service  du  roi  *.  Dans  son  entretien  avec  d'Elbène, 
Sully,  loin  de  laisser  échapper  des  paroles  amères,  écarta 
d'abord  toute  idée  d'un  mécontentement  personnel  à  l'égard 
de  la  reine.  Il  jura  au  lieutenant  qu'il  remerciait  Dieu 
d'être  sorti  de  sa  charge,  parce  qu'il  voyait  très  bien  qu'il 
ne  pouvait  plus  y  suffire  avec  des  façons  d'agir  si  diffé- 
rentes de  ce  qu'elles  étaient  sous  le  roi  Henri.  On  avait 
placé  trop  haut  le  point  de  mire,  disait-il,  en  élevant  les 
dépenses  et  les  pensions;  et  il  était  persuadé  que  les  revenus 
de  l'État  n'y  pourraient   suffire;  si  dans  une  année  on 

I.  Scip.  Ammirato,  3  février  1611. 


2l8  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

ne  mettait  pas  la  main  sur  les  coffres  de  la  Bastille,  il 
serait  bien  trompé  :  «  J'ai  servi  le  feu  roi,  dit-il  en  termi- 
nant, du  mieux  que  je  l'ai  pu  et  su  faire;  je  suis  prêt  à 
agir  de  même  à  Tégard  du  roi  d'aujourd'hui  et  de  la  reine, 
pour  peu  qu'ils  daignent  me  le  commander.  J'espère  qu'on 
reconnaîtra  mes  services  et  qu'on  en  saura  gré  à  ma  per- 
sonne, car  je  ne  sais  aucun  homme  qui  puisse  faire  ce  que 
j'ai  fait  *.  » 

Le  surintendant  estimait  à  leur  valeur  et  savait  taxer,  au 
besoin,  ses  éminents  services.  Ses  dernières  paroles  à 
d'Elbène  avaient  une  signification  plus  positive  que  senti- 
mentale. On  le  comprit  fort  bien.  «  Il  est  vrai,  dit  Riche- 
lieu, qu'on  n'avait  autre  intention  que  de  lui  faire  un  pont 
d'or.  »  Déjà  en  effet  étaient  signés  des  brevets  qui,  après 
avoir  constaté  la  satisfaction  et  contentement  qu'avait 
Sa  Majesté  des  grands,  signalés  et  recommandables  ser- 
vices que  Sully  avait  rendus  au  défunt  roi,  lui  constituaient 
en  don  la  somme  de  trois  cent  mille  livres;  et  sous  les 
formes  les  plus  explicites  le  confirmaient  et  continuaient 
tant  lui  que  ses  enfants  en  toutes  autres  charges  (exception 
faite  de  la  surintendance  des  finances  et  capitainerie  de  la  Bas- 
tille), dans  tous  leurs  états,  offices,  commissions,  pouvoirs, 
dignités,  bienfaits  et  récompenses  qu'ils  possédaient  ". 

Si  Ton  met  en  regard  de  ce  don  de  J03^eux  congé,  fixé  à 
trois  cent  mille  Uvres,  les  sommes  énormes  que  le  sieur 
Concini  puisait  à  cette  époque  dans  le  trésor  de  l'État  pour 
payer  son  marquisat  d'Ancre,  acheter  les  châtellenies  de 
Péronne,  Roye  et  Montdidier,  ainsi  que  le  gouvernement 
d'Amiens,  on  peut  bien  reconnaître  avec  Richelieu  que 
Sully,  en  faisant  bien  les  affaires  du  roi,  n'avait  pas  oubUé 
les  siennes  ^;  mais,  pour  être  équitable,  on  ajoutera  qu'il 
avait  encore  mieux  fait  que  les  siennes  les  affaires  du  roi. 

1.  Scip.  Ammirato,  4  février  1611. 

2.  Sully,  Économies  royales,  t.  II,  p.  410. 

3.  Richelieu,  Mémoires,  p.  Sy,  col.  2. 


RETRAITE    DE    SULLY.  2ig 

Kous  trouvons  un  dernier  témoignage  de  la  manière 
honorable,  digne  aux  yeux  de  tous,  dont  Sully,  au  grand 
préjudice  du  pays,  quitta  le  pouvoir,  dans  la  dépêche  sui- 
vante de  l'ambassadeur  Foscarini,  en  date  du  12  février  : 

<(  Trois  jours  avant  le  départ  de  Sully,  dit  le  Vénitien,  je 
fus  lui  rendre  visite.  Je  le  trouvai  en  compagnie  d'un  grand 
nombre  de  seigneurs.  Peu  avant,  étaient  partis  en  même 
temps  d'auprès  de  lui  les  ducs  de  Nevers,  de  Guise,  de 
Bouillon,  et  le  prince  de  Joinville  avec  lequel  le  duc  de 
Sully  avait  eu  une  grande  conférence.  Je  lui  tins  le  langage 
qui  me  parut  convenir  à  la  circonstance  en  lui  disant  que  sa 
retraite  me  causait  un  déplaisir  particulier,  parce  qu'il  avait 
toujours  montré  dans  les  affaires  de  la  République  une  bien- 
veillance toute  spéciale  et  appuyé  ses  ministres  auprès  du 
feu  roi,  ce  qui  nous  donnait  l'assurance  qu'il  en  aurait  fait 
de  même  dans  l'avenir,  auprès  de  la  reine  pour  le  moment, 
et  auprès  du  roi  quand  le  temps  serait  venu.  Il  me  répondit 
que  je  devais  assurer  Vos  Seigneuries  de  son  parfait  et  inal- 
térable dévouement;  il  ajouta  qu'il  avait  volontiers  accédé 
au  désir  de  la  reine,  déclarant  qu'après  la  mort  du  roi  le 
désordre  s'était  mis  dans  les  finances  et  que  l'on  avait 
dépensé  plus  de  la  moitié  de  l'or  que  le  roi  et  lui  avaient 
mis  de  côté  ;  il  me  laissa  entendre  qu'il  voulait  conserver  sa 
propre  réputation,  et  que  les  derniers  actes  d'un  homme 
politique  sont  toujours  ceux  auxquels  on  regarde  le  plus;  il 
m'indiqua  qu'il  aurait  bien  pu  se  maintenir  dans  une  situa- 
tion supérieure.  Mais  Dieu  le  préservait,  disait-il,  d'être  le 
premier  à  troubler  la  paix  intérieure.  Enfin  il  me  fit  remar- 
quer que  plus  tard  on  aurait  pu  lui  demander  compte  de 
l'argent  qui  se  trouvait  à  la  Bastille  au  moment  de  la  mort 
du  roi  et  qui  ne  tardera  pas  à  être  épuisé,  le  restant  se  mon- 
tant seulement  à  la  somme  de  un  million  six  cent  soixante 
mille  écus,  tandis  que  dès  maintenant  il  avait  des  lettres 
patentées  fort  détaillées,  qui  le  garantissaient  à  jamais  contre 
toute  recherche;  que  la  reine  lui  avait  en  outre  assigné  un 


220  LA   MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

dédommagement  de  cent  mille  écus,  et  la  première  dignité 
de  maréchal  vacante.  Il  me  fit  connaître  aussi  qu'indépen- 
damment de  ces  considérations,  il  avait  sans  cesse  des  occa- 
sions de  mécontentements  et  de  contestations,  parce  que 
l'on  voulait  jeter  ce  royaume  dans  les  bras  de  l'Espagne  et 
l'éloigner  de  ses  anciens  et  vrais  amis,  de  ceux  qui  ne  son- 
gent qu'à  sa  conservation  et  à  sa  prospérité.  Après  divers 
propos  dans  le  même  sens,  tenus  avec  la  plus  vive 
éloquence,  Sully  me  dit  observer  qu'il  lui  restait  encore  la 
charge  de  grand  maître  de  l'artillerie  et  deux  autres  égale- 
ment importantes,  et  en  plus  le  gouvernement  du  Poitou, 
province  qu'il  avait  la  certitude  de  bien  gouverner  jusqu'à  la 
majorité  du  roi,  parce  que  toutes  les  forteresses  y  étaient  à 
sa  dévotion,  la  noblesse  et  le  peuple,  presque  en  totalité, 
fidèles  à  la  religion  réformée.  Un  peu  avant  le  départ  de 
Sully,  le  duc  de  Rohan  s'en  est  allé  par  la  même  occasion 
fort  mécontent.  Tous  les  deux  se  trouveront  à  l'assemblée 
générale  que  vont  tenir  les  huguenots  \  « 

L'auteur  des  Économies  royales  ne  néglige  pas  de  nous  dire 
que  M.  de  Sully  «  sortit  de  la  cour  avec  la  plus  grande 
gloire  d'honneur  et  réputation  que  remporta  jamais  favori 
ni  ministre  de  prince  ;  qu'il  fut  accompagné  de  plus  de  trois 
cents  chevaux  en  sortant  de  Paris,  et  d'une  infinité  de 
larmes  des  Parisiens  ^  ».  Sully  avait  servi  les  intérêts  du 
peuple;  mais  il  était  trop  grand  seigneur  pour  faire  étalage 
d'une  popularité  qu'il  n'avait  d'ailleurs  jamais  recherchée  ni 
gagnée.  Cette  allusion  à  l'émotion  du  peuple  de  Paris,  jetée 
à  la  fin  de  la  phrase,  comme  une  marque  de  reconnaissance 
dédaigneuse,  peut  donc  surprendre  d'autant  plus  que  ces 
larmes  n'ont  guère  laissé  de  traces  dans  les  récits  contem- 
porains. Il  fut  cependant  réel  et  sincère  ce  revirement  subit 
de  la  conscience  populaire  en  faveur  de  l'impuissant  gardien 
des  trésors  de  la  Bastille. 

1.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  12  février  1611.  (F'ilza  42.) 
•2.  Économies  royales,  p,  410. 


RETRAITE    DE    SULLY.  22  1 

«  Quelle  folle  bête  est  le  peuple!  écrit  le  secrétaire  Sci- 
pione  Ammirato.  Du  temps  du  roi  Henri,  il  haïssait  à  mort 
M.  de  Sully,  l'appelant  chien,  assassin,  lui  donnant  de  pires 
noms  encore  que  je  ne  puis  répéter.  Aujourd'hui  qu'on  lui 
a  enlevé  la  Bastille  et  les  finances,  il  dit  tout  ému  de  com- 
passion :  «  Il  est  vrai  que  c'était  un  superbe,  mais  il  est  vrai 
«  aussi  qu'il  a  bien  servi  le  roi  et  le  royaume,  qu'il  a  été  un 
«  excellent  serviteur  de  Sa  Majesté,  puisque  pour  le  servir  il 
«  s'est  fait  tant  d'ennemis.  Sans  doute  il  en  a  retiré  honneur 
«  et  profit;  mais,  ne  pouvait-il  pas  en  faire  tout  autant  et  se 
«  créer,  par-dessus  le  marché,  des  amis  avec  le  bien  de  Sa 
((  Majesté  PPourquoi  donc  l'avoir  privé  de  sa  charge  au  lieu  de 
«  le  garder  et  de  le  récompenser?  Après  tout,  ses  brutalités, 
«  les  mauvais  traitements  qu'on  lui  reproche,  n'avaient-ils 
«  pas  l'approbation  du  roi^?  » 

L'instinct  de  la  foule,  si  malveillante  à  l'égard  des  grands 
qui  tombent,  avait  été  juste  cette  fois;  et  ces  regrets  mêlés 
de  restrictions  qui  accompagnaient  Sully  à  son  départ  étaient 
plus  honorables  et  le  protégeaient  plus  sûrement  contre  ses 
ennemis  que  les  trois  cents  cavaliers  qui  lui  avaient  été 
donnés  comme  escorte  et  dont  quelques-uns,  tout  prêts  à 
tourner  bride,  avaient  entendu  murmurer  autour  d'eux  par 
les  partisans  de  la  disgrâce  du  ministre  :  «  Dans  l'adminis- 
tration des  finances,  il  n'a  fait  du  bien  qu'à  lui-même,  car  il 
s'est  enrichi  de  telle  sorte  qu'aucun  prince  ne  peut  s'égaler 
avec  lui.  S'il  a  mis  de  l'argent  dans  la  Bastille,  tout  autre 
l'eût  fait  à  sa  place.  Il  n'y  avait  peut-être  que  la  ferme  du 
sel  dans  laquelle  il  n'eût  aucune  part.  On  pouvait  juger  par 
là  de  la  quantité  d'écus  qu'il  avait  dû  amasser  ainsi  et  d'autre 
façon  encore.  Pour  le  moment,  ce  qui  importait,  c'était  de 
mettre  les  finances  entre  les  mains  des  cathoHques  et  au 
pouvoir  de  la  reine.  » 

Ces  propos  de  cour  exprimaient  bien  la  pensée  intime  du 

I.  Scip.  Ammirato,  4  février  1611. 


LA    MINORITE    DE    LOUIS   XIII. 


frivole  entourage  de  la  reine.  Mais  la  preuve  allait  être 
bientôt  faite  qu'il  était  plus  facile  de  faire  sortir  les  fameux 
écus  de  la  Bastille  que  de  les  y  amasser.  La  lettre  qui  don- 
nait décharge  au  duc  de  Sully  de  la  garde  du  château  avait 
été  accompagnée  d'une  autre  qui  instituait  comme  lieutenant 
dans  la  place  le  conseiller  d'Etat  de  Châteauvieux,  chevalier 
d'honneur  de  la  reine  mère,  laquelle  se  réservait  pour 
elle-même  le  gouvernement  en  titre  de  la  Bastille  (27  et 
28  janvier  161 1)  *.  Le  pont  d'or,  suivant  le  mot  de  Riche- 
lieu, que  l'on  avait  fait  pour  Sully  et  par  lequel  il  était  sorti 
de  la  Bastille,  était  le  même  qui  devait  y  donner  accès  à  la 
reine  et  à  ses  avides  favoris.  Châteauneuf  à  la  Bastille;  Châ- 
teauvieux,  de  Thou  et  Jeannin  aux  finances  sous  la  haute 
direction  du  chancelier  et  avec  l'assistance  des  intendants 
Arnault,  Maupeou  et  d'Attici,  tel  est  le  personnel  auquel  fut 
remise  la  lourde  succession  du  duc  de  Sully  -. 

C'est  ici  le  lieu  de  préciser  le  chiffre  des  retraits  qui, 
depuis  le  commencement  de  la  régence,  avaient  été  opérés  sur 
l'épargne  de  la  Bastille.  Nous  pouvons  le  faire  à  l'aide  d'un 
document  qui  ne  se  trouve  pas  dans  les  Economies  royales, 
mais  que  nous  fournissent  les  papiers  de  Dupuy.  C'est  la 
décharge  en  bonne  et  due  forme,  que  Sully  se  fit  dresser, 
des  sommes  confiées  à  sa  garde.  Cette  pièce,  qui  fait  l'his- 
torique de  la  fameuse  épargne  jusqu'au  moment  où  elle  est 
à  la  veille  de  sombrer,  étabUt  qu'en  l'année  1602  Henri  IV 
avait  décidé  que  chaque  année,  une  fois  toutes  les  dépenses 
acquittées,  le  surplus  des  sommes  encaissées  par  l'État  serait 
versé  «  en  coffres  qu'à  cet  effet  Sa  Majesté  fit  transmettre  à 
la  Bastille  ».  Les  trésoriers  de  l'épargne,  entre  lesquels  était 
établi  un  roulement  annuel,  se  transmettaient  de  main  en 
main,  à  la  fin  de  leur  exercice,  un  bordereau  portant  men- 
tion des  sommes  ainsi  accumulées.  Du  vivant  de  Henri  IV, 
il  ne  fut  touché  qu'une  fois  à  ce  trésor,  dont  seuls  avaient 

1.  Economies  royales,  p.  410  et  411. 

2.  Scip.  Ammirato,  3,4,8,  ib  février  1611. 


RETRAITE    DE    SULLY.  22  3 

chacun  une  clef  le  surintendant  des  finances,  le  contrôleur 
général  et  le  trésorier  de  l'épargne  en  exercice.  En  1606 
on  en  tira  douze  cent  mille  livres;  ce  fut  tout  pendant  l'es- 
pace de  huit  années.  Or,  pendant  les  huit  mois  que  la 
régence  avait  duré  jusqu'en  janvier  161 1,  Sully  avait  dû 
laisser  partir  deux  millions  de  livres.  Le  reste  de  l'épargne 
se  montait  à  cinq  millions  *;  on  voit  que,  du  train  dont 
marchaient  les  dépenses ,  il  n'y  en  avait  plus  en  effet 
pour  longtemps,  comme  Sully  l'avait  dit  à  l'ambassadeur 
florentin. 

Ces  diverses  constatations  faites  et  dressées,  une  des  clefs 
du  Trésor  fut  officiellement  remise  à  la  reine.  C'était  les 
avoir  toutes. 

La  reine  pouvait  donc  enfin  prendre  possession  des  tré- 
sors dont  elle-même  et  ses  conseillers  convoitaient  depuis  si 
longtemps  la  libre  disposition.  Un  de  ses  premiers  soins, 
après  le  départ  du  surintendant  disgracié,  fut  d'aller  visiter 
ces  richesses  amassées  avec  tant  de  prévoyance  en  vue  de  la 
grandeur  du  pays.  Elle  se  rendit  à  la  Bastille  le  25  février. 
Le  comte  d'Auvergne,  qui  expiait  là,  depuis  quatre  années, 
sa  complicité  dans  les  tentatives  criminelles  du  maréchal  de 
Biron  et  de  sa  sœur  la  marquise  de  Verneuil,  crut  l'occasion 
favorable  pour  se  jeter  aux  pieds  de  la  régente  et  implorer 
sa  clémence.  Marie  de  Médicis,  informée  à  temps,  dépêcha 
en  avant  le  nouveau  capitaine  M.  de  Châteauvieux,  pour 
signifier  au  prince  de  ne  pas  se  montrer;  car  cela  ne  servirait 
à  rien,  vu  qu'elle  ne  pouvait,  pour  le  moment,  lui  donner 
satisfaction  ^.  La  fille  des  banquiers  de  Florence  ne  voulait 
être  distraite  par  aucune  importunité  de  son  avide  contem- 
plation des  sacs  d'or  amoncelés.  Ce  jour-là,  Marie  de  Médicis 
mit  la  main  sur  de  puissants  ressorts  dont  elle  n'allait  pas 
tarder  à  faire  l'usage  le  plus  maladroit  et  le  plus  funeste. 

1.  T.  XL,  fo  2o5. 

2.  Scip.  Ammirato,  26  février  1611. 

r. 


224  LV    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

Sullv  ne  se  rendit  pas  immédivitement  dans  son  gouver- 
nement du  Poitou.  Il  alla  passer  quelques  jours  à  Rosny  et 
fit  un  court  séjour  à  Paris,  à  son  retour  de  cette  résidence. 
Il  parut  alors  tout  transformé  à  ceux  qui  le  virent  :  «  M.  de 
Sully  est  en  ce  moment  ici,  écrit  Scipione  Ammirato  le 
15  février  161 1;  il  ne  va  que  fort  peu  à  la  cour.  On  dit 
qu'il  est  devenu  l'homme  le  plus  courtois  du  monde;  et 
quand  les  cavaliers  et  les  seigneurs  ses  amis  vont  le  visiter, 
il  les  traite  chacun  selon  son  mérite  et  il  3^  a  plutôt  chez  lui 
surabondance  que  manque  de  courtoisie.  Il  leur  dit  de  ne 
point  s'étonner  de  cette  manière  d'agir,  parce  que,  tapt  qu'il 
a  eu  la  charge  des  finances,  il  savait  bien  que  chacun  ne 
Fallait  voir  que  par  intérêt  et  parce  qu'on  avait  besoin  de 
lui;  et  conséquemment  le  service  de  Sa  Majesté  demandait 
qu'il  se  comportât  comme  il  le  faisait.  Mais  sachant  que  main- 
nant,  lorsqu'on  va  chez  lui,  c'est  uniquement  pour  le  visiter 
et  lui  faire  honneur,  il  donne  également  à  tous  des  marques 
d'honneur  et  d'estime.  Et  il  se  montre  en  effet  envers  tous 
plein  de  courtoisie  et  d'amabilité.  ^> 

Voilà  une  impression  que  donne  rarement  le  personnage 
de  Sully  et  sous  laquelle,  en  le  laissant  au  seuil  de  sa 
retraite,  on  aimera  peut-être  à  rester.  Xous  n'y  ajouterons 
qu'un  mot,  mais  il  a  son  prix;  car  il  est  de  l'enfant  qui  déjà 
semblait  juger  les  hommes  avec  sagacité  et  qui  à  tout  le 
moins  s'inspirait  avec  une  passion  contenue,  mais  profond, 
des  sentiments  de  son  père.  A  la  date  du  samedi  29  janvier 
161 1,  on  lit  dans  le  journal  d'Héroard  :  «  M.  de  Sully  fut 
aujourd'hui  démis  de  la  garde  de  la  Bastille  et  de  la  surin- 
tendance des  finances;  le  roi  dit  à  M.  de  Souvré  :  «  L'on 
((  a  ôté  M.  de  Sully  des  finances  ?  —  Oui.  Sire.  —  Pourquoi  ? 
<c  demanda-t-il  avec  contenance  d'étonnement.  —  Je  n'en 
((  sais  pas  les  raisons,  mais  la  reine  ne  l'a  pas  fait  sans  beau- 
«  coup  de  sujet,  comme  elle  fait  toutes  choses  avec  grande 
«  considération.  En  êtes-vous  marri?  —  Oui.  » 

La  France  avait  parlé  par  la  bouche  de  son  petit  roi  de 


RETRAITE    DE    SULLY  225 

dix  ans.  Oui,  le  roi  fut  marri,  et  la  France  pâtit  de  la  dis- 
grâce de  Sully. 

Louis  XIII  n'oublia  jamais  le  principal  ministre  de  son 
père.  Aux  heures  de  crise  de  son  règne,  quand  il  fut 
devenu  le  maître,  il  est  toujours  question  du  retour  aux 
affaires  du  solitaire  de  Villebon.  Après  avoir  combattu 
Concini,  élevé  Luynes,  toléré  impatiemment  les  fantômes 
de  ministres  qui  s'agitent  dans  l'interrègne  de  1621 
à  1624,  Louis  XIII  un  jour  prit  la  détermination  d'en 
finir  avec  la  politique  espagnole  et  ultramontaine  qu'il  haïs- 
sait. C'est  au  duc  de  Sully  qu'il  songea;  c'est  lui  qu'on  s'at- 
tendait à  voir  prendre  le  timon  des  affaires.  Mais  une  stra- 
tégie d'une  habileté  consommée  avait  fait  tomber  toutes  les 
avenues  du  pouvoir  entre  les  mains  d'un  homme  qui  mettra 
au  service  des  mêmes  idées  que  Sully  un  génie  plus  haut, 
une  âme  encore  plus  énergique.  Où  l'on  pensait  voir  revenir 
ce  serviteur  alors  vieilli  de  Henri  IV,  dont  LouisXIII  n'avait 
cessé  de  regretter  l'absence,  apparut,  dans  toute  la  maturité  de 
l'âge,  de  l'ambition  et  du  génie,  le  véritable  continuateur  du 
glorieux  Béarnais,  celui  que  le  jeune  roi  n'aimait  point,  quoi 
qu'on  en  ait  dit,  le  cardinal  de  Richelieu.  L'exclusivisme 
jaloux  de  son  orgueilleuse  et  triomphante  personnalité  n'a 
point  permis  à  Richelieu  de  rendre  au  duc  de  Sully,  dans  ses 
Mémoires,  toute  la  justice  qui  lui  est  due.  Et  ce  n'est  pas  une 
compensation  suffisante  que  le  cardinal  ait  tardivement 
acquitté  une  promesse  formelle  que  la  régente  avait  faite  au 
surintendant  démissionnaire  quand  elle  se  sépara  de  lui.  En 
1634,  ^^^  moment  où  la  guerre  contre  les  deux  branches  de 
la  maison  d'Autriche  allait  recommencer,  le  premier  ministre 
de  Louis  XIII  envoya  au  duc  de  Sully,  alors  âgé  de  soixante- 
quatorze  ans,  ce  brevet  dont  la  reine  régente,  au  mépris 
de  la  parole  donnée,  allait  disposer  au  profit  de  celui 
que  l'histoire  aura  bientôt  à  rougir  d'appeler  le  maréchal 
d'Ancre. 


15 


VIII 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.   —    RENVERSEMENT    DES    PLANS 
DE  HENRI  IV.  —  RAPPROCHEMENT  AVEC  L'ESPAGNE 


Longue  inimitié  du  duc  de  Savoie  Charles-Emmanuel  I"  et  de 
Henri  IV.  —  Projets  de  politique  extérieure  du  roi  de  France  à  la 
tin  de  son  règne.  —  Rapprochement  avec  la  Savoie.  —  Double 
convention  de  Brusol.  —  Alliance  politique,  militaire  et  matrimo- 
niale. —  Après  la  mort  de  Henri  IV,  bonnes  dispositions  de  Marie 
de  Médicis  à  l'égard  du  duc  de  Savoie.  —  Manœuvres  de  l'ambas- 
sadeur extraordinaire  du  duc  de  Florence,  Matteo  Botti,  pour 
faire  incliner  la  régente  du  côté  de  TEspagne.  —  Changement 
opéré  dans  les  dispositions  de  Marie  de  Medicis  par  les  factions 
des  princes  et  des  grands.  —  Elle  pense  pouvoir  marier  une  de  ses 
filles  en  Espagne  et  l'autre  en  Savoie.  —  Point  de  vue  du  cabinet 
de  Madrid,  qui  veut  la  rupture  de  toute  alliance  politique  et  matri- 
moniale avec  la  Savoie.  —  Propositions  d'accord  entre  la  cour  de 
France  et  la  cour  de  Madrid  subordonnées  à  l'acceptation  d'un 
accommodement  pour  les  affaires  de  Clèves,  Berg  et  Juliers.  — 
Expédition  conduite  sous  les  murs  de  Juliers  par  le  maréchal  de 
la  Châtre.  —  Prise  de  la  place.  —  Retraite  des  troupes  fran- 
çaises à  travers  les  Pays-Bas.  —  Le  roi  d'Espagne  Philippe  III  et 
la  régente  conviennent  d'offrir  au  duc  de  Savoie  pour  son  fils  une 
des  sœurs  du  grand-duc  de  Toscane.  —  Protestations  de  Charles- 
Emmanuel.  —  Duplicité  de  la  diplomatie  des  cabinets  de  Madrid 
et  de  Turin.  —  Le  duc  de  Savoie  cherche  à  rentrer  en  grâce  auprès 
de  l'Espagne.  —  Marie  de  Médicis  persuadée  que  les  princes  ont 
noué  des  intelligences  avec  les  Espagnols  pour  exciter  des  troubles 
dans  le  royaume.  —  La  régente  prend  définitivement  parti  en  faveur 
des  mariages  espagnols.  —  Le  roi  d'Espagne  consent  à  donner  en 
mariage  au  roi  de  France  l'aînée  de  ses  filles.  —  Communication 
faite  aux  princes  à  ce  sujet.  —  Leur  opposition.  —  La  notification 
officielle  des  mariages  est  remise  après  la  prochaine  assemblée  des 
Huguenots.  —  Démonstration  armée  du  duc  de  Savoie.  —  Il  menace 
Genève  et  réclame  l'exécution  de  la  promesse  de  Henri  IV.  —  Pré- 
paratifs d'une  expédition  contre  la  Savoie. —  Instructions  énergiques 


POLITIQUE    EXTERIEURE.  2 27 

données  au  maréchal  de  Lesdiguières.  —  Défaite  des  troupes  de 
Charles-Emmanuel  au  pont  de  Gresin.  —  Mission  diplomatique 
confiée  à  M.  de  la  Varenne.  —  Il  réussit  à  faire  signer  au  duc  de 
Savoie  un  traité  de  désarmement  et  de  garantie. 


Nous  avons  à  montrer  l'étroite  corrélation  qui  existe 
entre  les  révolutions  intérieures  qui  aboutissent  à  la  chute 
de  Sully  et  les  modifications  essentielles  survenues  dans  la 
direction  de  la  politique  extérieure  pendant  la  première 
année  du  gouvernement  de  Marie  de  Médicis.  C'est  parti- 
culièrement dans  les  rapports  de  la  France  avec  l'Espagne 
et  avec  la  Savoie  que  se  manifeste  un  changement  de  front 
qui  aura  les  conséquences  les  plus  graves.  Quant  aux  autres 
questions,  ou  bien  elles  se  rattachent  subsidiairement  à  ces 
deux  principales,  ou  elles  n'ont  par  elles-mêmes  qu'un 
intérêt  secondaire. 

Comment  fut  détruite  l'alliance  qui,  dans  les  derniers 
temps  de  la  vie  de  Henri  IV,  avait  été  choisie  par  lui  comme 
le  pivot  de  sa  politique  future?  C'est  ce  que  nous  avons 
d'abord  à  nous  demander.  Il  est  nécessaire,  pour  l'intelli- 
gence de  cette  affaire,  de  revenir  quelque  peu  en  arrière. 

Charles-Emmanuel  P"",  duc  de  Savoie,  avait  été  tour  à 
tour  pour  Henri  IV  un  ennemi  dangereux  et  un  ami  per- 
fide. Après  le  traité  de  Vervins,  qui  stipulait  la  restitution 
par  ce  prince  du  marquisat  de  Saluces,  occupé  contre  tout 
droit  à  la  faveur  des  troubles  civils  de  la  France,  il  avait 
fallu  recourir  de  nouveau  à  la  force  des  armes  pour  décider 
le  duc  à  s'exécuter.  On  sait  qu'à  la  suite  d'une  courte 
guerre  qui  coïncide  avec  le  second  mariage  du  roi  de  France, 
Charles-Emmanuel,  délogé  par  Tartillerie  de  Sully  de  ses 
forteresses  du  côié  occidental  des  Alpes,  avait  dû  venir  à 
résipiscence  et  consentir,  par  le  traité  de  Lyon,  à  l'échange 
du  marquisat  de  Saluces  qu'il  gardait  dans  la  vallée  du  Pô, 
contre  la  Bresse  et  le  Bugey  qu'il  cédait  à  Henri  IV  dans  la 
vallée  du  Rhône  (1601).  Il  n'en  continua  pas  moins,  durant 


22  8  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

la  paix  qui  suivit,  à  tremper  dans  les  criminelles  intrigues  du 
maréchal  de  Biron  et  de  la  marquise  de  Verneuil.  Mais  le 
supplice  du  maréchal  ayant  été  pour  les  fauteurs  d'agita- 
tion un  avertissement  salutaire,  la  paix  intérieure  sembla 
définitivement  rétablie  en  France,  et  Henri  IV  put  songer  à 
établir  sur  des  bases  durables  ses  combinaisons  de  politique 
étrangère. 

Le  premier  point  à  obtenir,  c'était  de  mettre  à  tout 
jamais  la  France  à  l'abri  des  entreprises  des  deux  branches 
de  la  maison  d'Autriche.  Tel  fut  l'objet  réel  des  derniers 
projets  de  Henri  IV,  amplifiés  et  idéalisés  par  Sully  jusqu'à 
en  faire  ce  fameux  grand  dessein  que  l'histoire  doit  -ranger 
au  nombre  des  conceptions  chimériques  et  généreuses  qui 
peuvent  se  produire  dans  le  cerveau  d'un  grand  homme, 
mais  qui  ne  sont  pas  appelées  à  entrer  dans  le  domaine  de 
la  réalité. 

Pour  la  sécurité  de  la  France,  il  était  indispensable  que 
la  domination  de  l'Espagne  fût  complètement  anéantie  et 
dans  les  Pays-Bas  et  dans  la  péninsule  itafienne.  En  vue 
d'assurer  la  déUvrance  de  l'Italie,  le  roi  de  France  résolut 
de  conclure  une  alliance  solide  avec  le  duc  de  Savoie  et  de 
lui  faire  abandonner  le  parti  des  Espagnols,  auquel  celui-ci 
était  attaché  par  les  liens  du  sang,  par  la  crainte  que  lui 
inspirait  leur  voisinage  dans  le  duché  de  Milan  et  par  des 
dettes  d'argent  que  lui  ou  ses  fils  avaient  contractées  vis-à- 
vis  de  la  cour  de  Madrid.  Depuis  l'année  1605,  Henri  IV 
adopta  vis-à-vis  de  la  Savoie  une  pofitique  de  rapprochement 
intime.  Il  commença  par  promettre  au  duc  la  restitution 
de  la  Bresse  et  du  Bugey,  s'il  conservait  la  neutralité  dans 
le  cas  où  la  guerre  éclaterait  entre  la  France  et  l'Espagne; 
bientôt  ses  promesses  devinrent  plus  alléchantes.  Henri  IV 
s'engagea  à  donner  sa  fille  Elisabeth  au  fils  du  duc  de 
Savoie  *  et  à  lui  attribuer  la  Lombardie  en  échange  de  la 

I.  Charles-Emmanuel   eut  de   sa    femme  Catherine,    sœur   de  Phi- 
lippe m,  cinq   fiis  :  Philippe,  Victor-Amédée,   Philibert,   Maurice  et 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  229 

Savoie,  s'il  prenait  les  armes  contre  l'Espagne.  Pour  ses 
autres  fils,  il  fit  brillera  leurs  yeux  de  riches  possessions  en 
France  et  de  larges  pensions,  afin  de  se  les  concilier  et  de 
les  arracher  aux  avances  flatteuses  des  Espagnols. 

Charles-Emmanuel,  de  son  côté,  désirait  s'affranchir  de 
la  tutelle  et  de  la  domination  des  Espagnols;  il  prêta  donc 
facilement  l'oreille  aux  propositions  de  Henri  IV.  Mais 
comme  il  ne  voulait  pas  être  complètement  à  la  merci  du 
roi  de  France,  il  essaya  de  former  une  alliance  entre  toutes 
les  cités  et  les  peuples  qui  désiraient  ardemment  se  sous- 
traire au  joug  des  Espagnols.  Ce  projet,  contrarié  par  le 
saint-siège  et  par  le  duc  de  Mantoue,  ne  réussit  pas. 

Quant  à  l'Espagne,  à  ce  moment  même  elle  faisait  son- 
der le  roi  de  France  relativement  à  l'éventualité  d'une 
alliance  matrimoniale  entre  les  deux  couronnes.  C'est  en  vue 
d'une  combinaison  semblable  qu'avait  été  envoyé  à  Fon- 
tainebleau l'ambassadeur  don  Pedro  de  Tolède.  Mais  cet 
envoyé  convenait  si  peu  à  la  mission  dont  il  était  chargé 
que  la  manière  dont  il  s'en  acquitta  aurait  suffi  à  la  faire 
échouer,  même  s'il  avait  trouvé  Henri  IV  favorablement 
disposé  '.  Cependant  le  duc  de  Savoie  prit  ombrage  de  ces 
ouvertures  et  il  se  hâta  d'envoyer  à  la  cour  de  France 
M.  Jacob,  qui  avait  déjà  représenté  Charles-Emmanuel  au 
moment  des  négociations  de  la  paix  de  Vervins,  et  qui  fut 
chargé  cette  fois-ci  d'amener  un  rapprochement  complet 
entre  les  cabinets  de  Paris  et  de  Turin.  Henri  IV  ne  répondit 
aux  premières  démarches  de  M.  Jacob  que  par  des  paroles 
évasives,  jusqu'au  moment  où  l'ouverture  de  la  succession 
de  Clèves,  Berg  et  Juliers  mit  le  trouble  dans  presque  toute 
l'Europe.  Henri  IV  fit  alors  savoir  au  duc  de  Savoie  que 
le  moment  d'agir  était  venu  et  il  lui  envoya,  pour  poser  les 
bases  d'une  alliance   étroite,  un  prince   moitié  savoyard, 

Thomas,—  et  quatre  filles  :  Marguerite,  Isabelle,  Marie  et  Catherine. 
Marguerite  épousa  François  de  Gonzague;  Isabelle,  Alphonse  d'Esté. 
1.  B.  Zeller,  Henri  IV  et  Marie  de  Médicis,  chap.  xiv. 


23o  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

moitié  français,  le  duc  Henri  de  Nemours  \  et  un  conseiller 
d'État  fort  expert  dans  les  choses  de  la  diplomatie  :  M.  de 
Bullion.  Des  instructions  très  précises  furent  remises  aux 
négociateurs  à  la  date  du  13  octobre  1609  ". 

Le  28  décembre  1609,  une  des  filles  de  Henri  IV  fut  for- 
mellement promise  au  prince  héritier  de  Savoie  Victor- 
Amédée;  quelques  jours  après,  le  13  janvier  léio  furent 
ébauchées  les  conditions  de  l'alliance  franco-savoisienne  ;  et 
malgré  les  menaces  de  l'Espagne,  tenue  au  courant  des  pro- 
grès de  la  négociation,  le  duc  de  Savoie,  dans  une  entrevue 
au  château  de  Rivoli,  une  de  ses  résidences,  avec  le  maré- 
chal de  Lesdiguières,  gouverneur  du  Dauphiné,  et  le  con- 
seiller d'Etat  Bullion,  traita  lui-même  la  question. 

Comme  il  lui  répugnait  de  céder  au  roi  de  France  le 
duché  de  Savoie  en  totalité,  le  maréchal  demanda  pour  son 
maître  au  moins  le  droit  d'occuper  militairement  Montmé- 
lian  et  Pignerol.  Charles-Emmanuel  se  refusa  encore  à 
cette  concession.  On  rechercha  une  autre  combinaison  pour 
donner  satisfaction  au  roi  de  France.  Enfin,  le  25  avril  1610, 
à  Brusol,  près  de  Suze,  furent  dressées  deux  conventions 
par  lesquelles  une  alliance  étroite  était  conclue  entre  la 
France  et  la  Savoie  en  vue  d'une  guerre  prochaine  contre 
l'Espagne. 

1.  Ces  Nemours  descendaient  du  deuxième  des  enfants  de  Philippe, 
duc  de  Savoie,  et.  de  Claudine  de  Brosses  de  Bretagne,  sa  seconde 
femme.  Philippe  accompagna  Louis  XII  en  Italie  et  François  I"  lui 
donna  en  France  le  duché  de  Nemours.  Henri  de  Savoie,  duc  de 
Nemours,  de  Genevois,  de  Chartres  et  d'Aumale;  marquis  de  Saint- 
Sorlin  et  de  Saint-Rambert,  comte  de  Gisors,  de  Maulevrier  et  de 
Saint- Vallier;  vicomte  de  Lyonne,  de  Vernon  et  d'Andeley;  baron  de 
Faucigny  et  de  Beaufort;  seigneur  de  Poncin,  de  Cerdon,  de  Verneuil, 
d'Ussé,  Nogent,  Pons  et  Bray-sur-Seine,  de  l'Estoile  et  de  la  Vache, 
chevalier  de  l'ordre  de  l'Annonciade,  était  né  le  2  novembre  1572  et 
s'appela  le  marquis  de  Saint-Sorlin  tant  que  vécut  son  frère  aîné.  Il 
prit  part  à  la  Ligue  et  fit  sa  paix  avec  Henri  IV  à  Folembray.  Pendant 
la  guerre  entre  la  France  et  Charles-Emmanuel,  il  s'abstint  de  prendre 
les  armes.  Le  choix  du  négociateur  de  l'alliance  franco-savoisienne 
était  excellent. 

2.  Voir  le  texte  de  ces  instructions  ap.  B.  Zeller,  De  dissolutione 
contracti  apud  Brusolum  fœderis,  appendice  I. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  23  I 

Par  la  première,  il  était  convenu  que  le  roi  de  France  et 
le  duc  de  Savoie,  voulant  resserrer  leurs  liens  d'étroite 
amitié  et  de  bon  voisinage,  principalement  en  raison  du 
mariage  décidé  entre  Mme  Elisabeth,  fille  aînée  du  roi  de 
France,  et  le  prince  de  Savoie  Victor-Amédée,  contractaient 
une  alliance  offensive  et  défensive.  Cette  alliance  ne  devait 
.pas  durer  seulement  pendant  la  vie  des  deux  princes  con- 
tractants, mais  elle  aurait  son  effet  pendant  six  mois  encore 
après  la  mort  de  leurs  successeurs  immédiats.  Devaient 
être  invités  à  se  confédérer  avec  les  deux  alliés  les  princes 
et  cités  intéressés  à  la  liberté  des  peuples  chrétiens,  de 
l'Église  elle-même  et  de  l'Italie,  menacée  par  l'insatiable 
esprit  de  domination  de  l'Espagne.  Dans  le  plus  bref  délai, 
les  alliés  devaient  prendre  les  armes  contre  le  roi  catholique 
et  attaquer  les  pays  qui  lui  étaient  soumis,  quels  qu'ils  fus- 
sent, et  en  particulier  le  duché  de  Milan.  Aucune  des  deux 
parties  contractantes  ne  devait  conclure  paix  ou  trêve 
qu'avec  le  consentement  de  l'autre. 

La  seconde  convention  fixait  le  nombre  d'hommes  qui 
entreraient  en  campagne  sous  le  commandement  du  maré- 
chal de  Lesdiguières  et  du  duc  de  Savoie.  Elle  stipulait 
qu'en  compensation  de  l'annexion  du  duché  de  Milan,  des- 
tiné au  duc  de  Savoie,  dès  que  celui-ci  aurait  occupé  la  ville 
et  la  citadelle  de  Milan,  les  murailles  de  la  forteresse  de 
MontméUan  seraient  rasées.  En  attendant,  seraient  remises 
entre  les  mains  du  roi  de  France  les  places  de  Valence  et 
d'Alexandrie,  alors  encore  possédées  par  les  Espagnols,  ou 
deux  autres  places  de  même  importance.  Le  25  juin  1610 
devait  être  dressé  dans  la  forme  authentique  le  contrat  de 
mariage  entre  Victor-Amédée  et  la  princesse  Elisabeth  \ 

I.  Voir  SoLARO  DELLA  Margherita,  Traïtés  publics  de  la  maison  de 
Savoie.  —  Guichenon,  Histoire  généalogique  de  la  maison  de  Savoie.  — 
Carutti,  Storia  délia  diploma^ia  délia  corte  di  Savoia,  —  Ricotti, 
Storia  délia  monarchia  piemontese.  —  De  Saint-Genis,  Histoire  de  la 
Savoie.  —  Bianchi,  la  Materie  politiche  relative  all'estero  degli 
archivi  di  stato  piemontesi.  De  nombreuses  dépêches  de  Jacob  ont  été 


232  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

Ainsi  la  double  convention  de  Brusol,  tout  en  réservant 
certains  points  sur  lesquels  n'étaient  pas  complètement 
d'accord  les  deux  princes,  décidait  en  principe  l'extension 
de  la  France  jusqu'aux  crêtes  des  Alpes  du  côté  de  la  Savoie 
et  celle  du  Piémont  jusqu'aux  cantons  de  la  république  de 
Venise.  Une  alliance  de  famille  cimentait  Talliance  politique 
et  militaire.  Les  conventions  conclues  entre  Henri  IV  et 
Charles-Emmanuel  ne  devaient  pas  être  exécutées;  mais  il 
semble  que  ce  soit  le  programme  même  de  Brusol  qui,  deux 
siècles  et  demi  après,  fut  repris  en  1859  par  l'empereur 
Nnpoléon  III  et  par  le  roi  de  Sardaigne  Victor-Emmanuel  II, 
et  qui,  poursuivi  contre  la  maison  d'Autriche  jusque  dans 
ses  dernières  conséquences,  devait  assurer  à  l'Italie  cette 
prodigieuse  fortune  dont  notre  âge  a  été  le  témoin. 

Dans  ses  dernières  conversations  familières,  Henri  IV 
s'était  plusieurs  fois  ouvert  sur  ses  projets  relativement  à 
l'Italie,  et  l'ambassadeur  vénitien  Antoine  Foscarini  pouvait 
écrire  à  son  gouvernement,  quelque  temps  après  la  mort  du 
roi  :  «  Tout  a  été  convenu  de  la  façon  la  plus  certaine 
entre  le  roi  et  le  duc.  Sa  Majesté  Très  Chrétienne  a,  en  effet, 
promis  par  écrit  que  lorsque  l'archiduc  Albert*  des  Pays-Bas 
lui  aurait  accordé  le  libre  passage  en  Allemagne,  qu'il  lui 
aurait  remis  l'épouse  fugitive  du  prince  de  Condé  et;  qu'il 
aurait  cessé  d'assister  l'archiduc  Léopold  ",  archevêque  de 

insérées  dans  le  Memorie  recoyidite  de  Vittorio  Siri.  —  Voir  aussi  aux 
archives  de  Turin  :  Lettere  del  duca  al  conte  Chabo  Jacob  di  San 
Maurizio,  1608-1612,  Carteggio  diplomatico.  Francia.  —  Domande  del 
duca  di  Savoia  al  re  di  Frayicia  per  etitrare  nella  futura  lega  contra 
gli  Spagnoli  (1609).  — Nuove  proyoste  del  duca,  risposte  e  sentimenti 
manifestation  dalla  corte  di  Francia  pej-  una  lega  contro  la  Spagna  e 
per  Vacquisto  del  Milanese  (i6o(.).  —  Preliminari  del  trattato  di  Bru- 
solo  del  2  5  aprile  16 10.  —  Pratiche  di  matrimonio  délia  primogenita 
del  Re  di  Francia  col  principe  di  Piemonte  (1609),  Categoria  nego- 

ZIAZIONI. 

1.  L'archiduc  Albert,  le  plus  jeune  des  frères  de  l'empereur  Ro- 
dolphe II,  d'abord  archevêque  de  Tolède  et  cardinal,  quitta  Tétat  ecclé- 
siastique en  1698  pour  épouser  Tinfante  Isabelle-Claire-Eui^énie,  fille  de 
Philippe  II,  et  gouverna  conjointement  avec  elle  les  Pays-Bas  espagnols. 

2.  L'archiduc  Léopold   était   cousin  de  l'empereur  Rodolphe  II  et 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  233 

Strasbourg  et  de  Passau,  toute  cause  de  guerre  ayant  cessé 
de  ce  côté,  il  se  rabattrait  avec  toutes  ses  forces  au  delà  des 
Alpes,  afin  de  chasser  les  Espagnols  non  seulement  de 
Milan,  mais  encore  de  toute  la  péninsule,  les  diversions  et 
les  secours  de  l'Angleterre  et  du  Danemark  n'étant  pas  suf- 
fisants pour  réduire  cette  puissance.  Les  conquêtes  en  Italie 
seraient  ensuite  partagées  entre  les  princes  italiens  qui  se 
seraient  joints  aux  deux  principaux  alliés  ^  » 

Un  commencement  d'exécution  de  ces  desseins  eut  lieu 
du  vivant  de  Henri  IV.  En  effet,  le  duc  Charles  de  Guise, 
gouverneur  de  la  Provence,  reçut  l'ordre  de  reconnaître  les 
côtes  de  l'Italie  et  de  l'Espagne,  et  il  s'acquitta  de  cette  mis- 
sion sous  le  prétexte  de  donner  la  chasse  aux  pirates.  Il 
releva  le  plan  des  défenses  de  Barcelone,  de  Gênes  et 
d'autres  villes  et  se  déclara  prêt  à  s'en  emparer  ^ 

Telles  étaient  les  conventions  faites  par  Henri  IV;  tels 
étaient  ses  projets.  Délivrer  Tltalie,  l'affranchir  de  la  lourde 
domination  espagnole  qui  pesait  sur  elle  depuis  plus  de 
cent  ans  ;  rendre  les  différents  Etats  à  leur  ancienne  indépen- 
dance sous  le  patronage  du  royaume  national  de  Lombardie 
interposé  entre  les  Allemands  ou  les  Français  et  le  reste  de 
l'Italie,  la  proie  toujours  convoitée,  c'était  assurément  là  un 
grand  et  généreux  dessein.  Henri  IV,  après  avoir  congédié 
en  termes  brusques  l'ambassadeur  d'Espagne  ^,  allait  prendre 

frère  de  Ferdinand  de  Styrie,  ce  dernier  bientôt  empereur  sous  le 
nom  de  Ferdinand  II. 

1.  //  re  et  duca  havevano  stabilito  certamente  tutte  le  cose  et 
S.  M.  christianissime  havea  promesso  in  scrittura  che  quando  l'arci- 
duca  havesse  conceduto  il  passo,  restituita  la  principessa,  lasciato  di 
assistere  Leopoldo,  ceduto  in  tutte  le  cose  et  levato  ogni  pretesto  di 
moversi  contro  di  lui,  non  potendo  travagliar  Spagna  con  la  diver- 
sione  et  ajuti  di  Inghilterra  et  Danimarca,  si  sarebbe  spinto  con  tutte 
le  sue  for:^e  in  persona  verso  Italia,  per  scacciar  Spagnoli  non  solo  da 
Milano,  ma  anco  da  tutta  quella  provincia,  dividendo  H  acquisti  tra 
i  principi  di  essa  che /ossero  stati  seco.  Cio  so  io  benissimo  da  persona 
sicura,  et  signor  di  Trogliu  non  me  llia  saputo  negare.  —  Ambass. 
vénit.,  2  juin  1610. 

2.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  19  août  1610. 

3.  Voir  B.  Zeller,  De  dissolutione...,  appendice  III. 


234  ^-^    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

le  commandement  de  l'armée  qui  avait  Clèves  pour  objectif, 
tandis  que  le  maréchal  de  Lesdiguières  s'acheminerait  du 
Dauphiné  vers  les  confins  de  la  Savoie,  lorsqu'il  tomba 
frappé  aux  ides  sanglantes  de  mai  1610. 

Comme  nous  l'avons  constaté  dans  l'évolution  de  la  poli- 
tique intérieure,  le  gouvernement  de  Marie  de  Médicis,  pour 
la  politique  extérieure,  ne  renonça  pas  brusquement  aux  plans 
arrêtés  par  Henri  IV,  notamment  en  ce  qui  concernait  les 
relations  nouvelles  de  la  France  et  de  la  Savoie.  Pendant  les 
premiers  jours  de  la  régence,  le  maréchal  Bonne  de  Lesdi- 
guières reçut  l'ordre  de  tenir  prête  son  armée  composée  de 
8  000  hommes  d'infanterie.  Le  duc  de  Savoie  demanda 
en  outre  l'adjonction  d'un  corps  de  4  000  hommes  à  ses 
troupes,  afin  de  pouvoir  tenir  tête  au  duc  de  Fuentès,  gou- 
verneur de  Milan,  un  vieil  ennemi  de  la  France,  qui  prenait 
à  ce  moment  une  attitude  menaçante  *.  La  reine  déclara 
virilement  qu'elle  se  porterait  au  secours  du  duc  de  Savoie, 
s'il  était  attaqué  ".  Il  n'est  pas  douteux  qu'à  ce  moment 
Marie  de  Médicis  témoigna  vis-à-vis  des  espérances  de 
Charles-Emmanuel  des  dispositions  plus  bienveillantes  que 
plus  tard.  Elle  désirait  en  effet  encore  l'accomplissement  du 
mariage  décidé  par  Henri  IV,  n'osant  pas  répudier  sitôt  les 
suprêmes  volontés  de  son  mari.  Mais  un  parti  contraire  à 
cette  politique  se  trouvait  déjà  tout  formé;  il  se  composait 
de  ceux  qui,  par  intérêt  personnel,  espéraient  que  la  reine 
inclinerait  plutôt  du  côté  de  ces  mariages  espagnols  qu'elle 
avait  préconisés  sous  le  règne  précédent,  et  pour  lesquels 
Henri  IV  n'avait  pu  cacher  son  aversion.  Le  fameux  Matteo 
Botti,  marquis  de  Campiglia,  qui  avait  été  envoyé  en  France 
en  1610  à  l'occasion  de  la  mort  du  grand-duc  Ferdinand, 
et  qui  de  là  s'était  rendu  en  Espagne  pour  s'y  acquitter  du 
même  office  de  condoléances,  y  avait  été  sollicité  au  nom 
du  roi  et  de  la  reine  par  le  confesseur  de  la  cour  de  renou- 

1.  Andréa  Cioli,  26  juin  1610. 

2.  Ambass.  vénit.,  7  juillet  1610. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  235 

vêler  en  France  les  ouvertures  déjà  faites  en  vue  d'un  double 
mariage  entre  les  deux  couronnes.  Henri  IV,  à  son  retour, 
lui  avait  déclaré  qu'il  n'avait  pas  de  temps  à  perdre  à  de 
pareilles  billevesées. 

La  mort  du  roi  de  France  rendit  toutes  ses  espérances  à 
la  ténacité  intéressée  du  marquis  de  Campiglia.  Il  put 
croire  toutefois,  pendant  quelques  jours,  que  ses  efforts 
resteraient  aussi  vains  qu'auparavant.  C'est  pourquoi  il 
s'attacha  à  ébranler  par  des  paroles  perfides,  par  des  plaisan- 
teries de  mauvais  goût,  l'esprit  très  hésitant  de  la  reine,  et 
la  sollicita  vivement  de  donner  une  réponse  formelle  aux 
ouvertures  dont  il  était  chargé.  Ayant  appris  que  le  conseiller 
Bullion  avait  été  appelé  à  conférer  plusieurs  fois  avec  le 
chancelier  Sillery,  le  cardinal  de  Joyeuse  et  le  président 
Jeannin,  le  marquis  de  CampigUa  eut  l'audace  de  dire  à  la 
régente  qu'on  lui  avait  mandé  de  Milan  qu'elle  avait  l'inten- 
tion de  convoler  avec  le  duc  de  Savoie.  La  reine  se  mit  à 
rire  et  déclara  «  que  ce  serait  pour  une  reine  de  France  un 
fâcheux  changement  de  condition  ;  qu'elle  ne  se  remarierait 
du  reste  jamais,  fût-ce  avec  le  roi  d'Espagne  ».  Botti  ainsi 
éconduit  assez  spirituellement  n'en  revint  pas  moins  à  la 
charge  quelques  jours  après.  Il  avait  reçu  des  lettres  de  la 
reine  d'Espagne  Marguerite,  et,  d'après  leur  contenu,  il  s'en 
alla  trouver  la  régente  pour  lui  demander  si  elle  n'avait  pas 
appris  que  le  duc  de  Savoie  disait  partout  tenir  d'un  très 
véridique  astrologue  que  le  roi  de  France  ne  tarderait  pas  à 
mourir  et  que  lui  deviendrait  le  mari  de  la  reine  de  France 
et  l'administrateur  du  royaume.  Ce  propos  prêta  également 
à  rire  à  Marie  de  Médicis;  il  semblait  qu'il  eût  dû  exciter 
chez  elle  plutôt  l'indignation  que  la  gaieté. 

Sa  poUtique  ne  semblait  pas  encore  favorable  aux  desseins 
de  l'Espagne,  vis-à-vis  de  laquelle,  pendant  les  premiers 
temps,  elle  manifesta  une  certaine  défiance;  nous  relèverons, 
à  ce  propos,  un  fait  qui  a  échappé  aux  historiens  et  qui, 
tout  sujet  qu'il  puisse  être  à  des  interprétations  diverses, 


236  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

prouve  que  Marie  de  Médicis  entendait  se  tenir  sur  la 
réserve  à  Tégard  du  cabinet  de  Madrid.  Quand  elle  reçut 
l'ambassadeur  d'Espagne,  quelques  jours  après  la  mort  de 
Henri  IV,  don  Innigo  de  Cardenas  crut  devoir  insister  lon- 
guement sur  la  protestation  que  le  roi  son  maître  n'avait  eu 
aucune  part  dans  l'assassinat.  «  La  reine,  dit  l'ambassadeur 
vénitien,  de  qui  nous  tenon  s  ces  importants  détails,  a  changé 
de  couleur  et  répondu  brièvement  *.  » 

Ce  n'était  pas  non  plus  un  gage  d'inclination  irrésistible 
vers  la  politique  matrimoniale  du  gouvernement  espagnol 
que  la  recommandation  faite  par  la  régente  à  l'ambassa- 
deur ordinaire  qu'on  ne  lui  envoyât  point  pour  s'acquitter 
de  l'office  de  condoléances  à  propos  de  la  mort  de  Henri  IV 
un  homme  u  fêlé  »  comme  don  Pierre  de  Tolède,  un  huomo 
roîîo  corne  fu  D.  Pidrodi  Toledo'.  C'était  répondre  à  la  pensée 
de  Henri  IV  qui  appelait  le  même  personnage  «  un  idiot 
solennel  ».  Pendant  quelques  semaines,  cette  fidélité  au  sou- 
venir de  Henri  IV  ne  se  démentit  guère  dans  la  direction 
de  la  politique  étrangère. 

Les  intérêts  de  l'Espagne  étaient  ardemment  soutenus  par 
les  deux  nonces  du  saint-siège  apostolique,  Ubaldini  et 
l'évêque  de  Nazareth,  nonce  extraordinaire.  Ils  demandaient 
que  l'on  renonçât  à  secourir  Clèves  et  à  protéger  la  Savoie. 
On  leur  répondit,  en  ce  qui  concernait  Clèves,  que  »  c'était 
là  une  guerre  politique  et  non  religieuse  ».  Villeroy  se 
montra  très  ferme  vis-à-vis  d'eux.  Les  nonces  lui  ayant  dit 
que  les  conseils  que  recevait  le  roi  n'étaient  pas  bons,  le 
vieux  ministre  leur  répondit  en  engaillardissant  ses  paroles 
et  sa  voix  :  «  On  dit  qu'il  est  question  de  proposer  des 
mariages  entre  les  enfants  de  France  et  ceux  d'Espagne 
pour  nous  endormir,  mais  tenez  pour  certain  que  cela  ne 
plaira  pas  et  que  ce  sera  peine  perdue  ^  ». 

1.  Ambass.  vénit.,  2  juin  1610. 

2.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 

3.  Di  che  offesosi^  ingagliardi  le  parole  et  la  voce  :  vien  dette  che 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  23 7 

Cependant  l'ambassadeur  d'Espagne  ne  se  découragea  pas. 
Il  protesta  officiellement  contre  l'envoi  de  locoo  hommes 
de  troupes  françaises  sur  Clèves;  et,  voyant  que  les  deux 
nonces  n'avaient  pas  réussi  dans  leur  mission,  il  s'adressa  à 
l'ambassadeur  florentin  Botti  pour  le  prier  de  s'entremettre 
afin  d'obtenir  que  l'ordre  de  départ  du  secours  fût  sus- 
pendu. Le  Florentin  fit  observer  que  cette  décision  du  gou- 
vernement firançais  provenait  de  ce  que  Tarchiduc  Albert 
avait  mis  sur  pied  toutes  ses  forces.  La  reine  et  Villeroy 
accordèrent  toutefois  que  le  secours  ne  se  mettrait  pas  en 
marche  avant  le  retour  d'un  courrier  envoyé  à  l'archiduc;  et 
Matteo  Botti  obtint  aussi  que  le  gouvernement  français 
agirait  auprès  des  Hollandais  pour  retarder  l'ouverture  des 
hostilités.  C'était  déjà  là  une  imprudente  faiblesse  sur 
laquelle  on  ne  tarda  pas  à  revenir.  «  Le  fait  que  l'on  a  appris 
ici,  écrit  Matteo  Botti,  qu'à  la  cour  de  l'empereur  on  a 
changé  d'idée,  après  la  mort  du  roi,  en  ce  qui  est  d'un 
projet  d'accord  relativement  aux  afl[aires  de  Clèves,  puis- 
qu'on a,  en  fin  de  compte,  retenu  un  ambassadeur  qui  devait 
venir  à  cette  cour,  a  modifié  également  les  résolutions  de 
ce  côté-ci.  Sa  Majesté  a  résolu  d'envoyer  au  secours  des 
prétendants  de  Clèves  15  000  fantassins  et  2000  cavaliers. 
Alors  sont  venus  de  nouveau  me  trouver  l'ambassadeur 
d'Espagne  et  celui  de  Flandre  pour  me  demander  d'agir 
auprès  de  la  reine  et  des  ministres,  afin  que,  s'il  n'est  pas 
possible  de  les  détourner  d'envoyer  ces  forces,  on  tâche  au 
moins  de  faire  quelque  convention  entre  la  reine  et  l'ar- 
chiduc Albert  à  l'eff^et  d'éviter  autant  que  possible  que  l'on 
en  vienne  à  une  rupture  et  à  une  guerre  ouverte,  ce  qui  per- 
mettrait de  tous  côtés  de  traiter  d'un  accord  avec  toute 
l'ardeur  désirable.  J'ai  accompli  cet  office  auprès  de  la  reine 
et  de  Villeroy   fort  longuement   et  à   plusieurs  reprises. 

sia  per  proporre  matriniomi  tra  questi  figliuoli  et  quelli  di  Spagna  per 
addormentare,  ma  si  tiene  die  non  harra  gusto  et  sara  spesa  get- 
tata.  —  Ambass.  vénit.  Foscarin',  18  juin  1610. 


2  38  l-A    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

Comme  ils  n'ont  pas  voulu  passer  une  écriture  que  j'avais 
dressée  dans  ma  maison,  d'accord  avec  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne et  celui  de  Flandre,  j'en  ai  fait  accepter  à  ceux-ci  une 
autre,  sur  laquelle  nous  sommes  tombés  d'accord  avec  Vil- 
leroy  et  ils  m'ont  promis  de  l'envoyer  par  courrier  à  l'ar- 
chiduc Albert,  afin  qu'il  la  signe,  ce  que  ferait  ensuite  la 
reine.  Je  n'en  chercherai  pas  moins  de  nouveau  à  obtenir  que 
ces  forces  ne  s'ébranlent  pas  ou  qu'elles  ne  dépassent  pas 
Metz,  si  l'on  peut  trouver  moyen  de  le  faire  avec  honneur  et 
sécurité  pour  la  reine  et  avec  toute  garantie  pour  ses  amis 
et  confédérés  '.   » 

En  somme,  dans  ces  semblants  de  négociations,  il  y 
avait  plus  de  zèle  de  la  part  de  Matteo  Botti  que  d'intentions 
sérieuses  de  la  part  du  gouvernement  français  ;  et  l'ambas- 
sadeur vénitien  pouvait  à  ce  moment  écrire  avec  une  con- 
fiance qui  ne  paraissait  pas  exagérée  :  «  Dans  la  résolution 
prise  d'envoyer  le  secours  à  Clèves  sans  mettre  en  considé- 
ration toutes  les  protestations  de  l'Espagne,  et  les  offices 
répétés  d'autres  puissances,  la  reine  a  montré  un  esprit 
viril,  comme  elle  a  fait  preuve  de  magnanimité  dans  sa 
déclaration  de  vouloir  soutenir  et  assister  le  duc  de  Savoie, 
s'il  est  attaqué  par  n'importe  qui.  Elle  se  montre  constante 
dans  sa  volonté  d'effectuer  ce  qu'elle  résout,  et  dans  l'avenir 
on  peut  croire  qu'elle  est  femme  à  le  faire  encore  plus  fran- 
chement ^  )) 

Comment  la  situation  se  modifia-t-elle  au  point  que,  quel- 
ques mois  après,  le  mariage  de  Savoie  était  abandonné  et 
ceux  d'Espagne  en  voie  de  se  conclure  ?  Il  est  certain  que 
ce  qui  détermina  l'évolution  du  gouvernement  de  Marie  de 
Médicis,  ce  fut  la  crainte  des  menées  et  des  factions  des 
princes.  «  Elle  a  regardé,  écrit  Botti,  comme  une  parole 
venue  du  ciel  l'assurance  qui  lui  a  été  donnée  par  l'ambas- 
sadeur d'Espagne  que  le  roi  se  trouve  dans  la  même  dispo- 

1.  Matteo  Botii,  19  juin,  5  juillet  1610. 

2.  Ambass.vénii,,i8  juin  1610.  Voir  B.  Z.,De  dissolutione...,  append.  V. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  289 

sition  à  l'égard  des  mariages  que  du  temps  de  Henri  IV  '. 
Botti  écrit  encore  le  12  juillet  que  la  reine  désirait  établir  le 
plus  tôt  possible  cette  union  d'où  elle  estimait  que  dépen- 
daient sa  sûreté  et  sa  délivrance  complète  des  insolences  de 
beaucoup  de  gens.  »  Botti  dénonçait  ensuite  avec  terreur  la 
fameuse  ligue  formée  à  Nancy  entre  les  princes  de  Condé  et 
de  Conti,  les  princes  de  la  maison  de  Lorraine,  les  ducs  de 
Nevers,  de  Nemours,  Lesdiguières,  Sully,  Bouillon,  les 
hérétiques  unis  à  ces  derniers  et  tous  ceux  qui  avaient  tou- 
jours considéré  comme  sans  valeur  le  mariage  de  la  reine. 
Il  ne  paraît  pas,  comme  nous  le  savons  déjà,  que  ce  pacte 
qui  aurait  uni  tant  d'éléments  hétérogènes  et  discordants  ait 
existé  ailleurs  que  dans  l'imagination  inventive  du  sieur 
Botti;  c'est  ce  que  pensaient  les  deux  collègues  de  ce  diplo- 
mate agité,  Scipione  Ammirato  et  Andréa  Cioli.  Il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  la  terreur  imprimée  par  ce  trop  habile 
homme  dans  l'âme  de  Marie  de  Médicis  contribua  beaucoup 
à  la  détourner  de  ses  engagements  vis-à-vis  de  la  Savoie. 

C'est  l'excuse  dont  elle  se  prévalut,  lorsque,  au  milieu 
d'un  conseil  où  Sully,  cherchant  à  faire  adopter  une  poli- 
tique étrangère  assurément  prudente,  mais  conforme  aux 
idées  de  Henri  IV  et  s'efforçant  notamment  de  faire  main- 
tenir vis-à-vis  de  la  cour  de  Savoie  et  de  son  ancien  ennemi 
le  duc  Charles-Emmanuel  des  engagements  auxquels  on  ne 
pouvait  se  soustraire  sans  la  plus  manifeste  mauvaise  foi, 
la  reine  fit  cette  vive  sortie  :  a  M.  de  Sully,  nous  sommes 
ici  pour  parler  des  affaires  de  M.  de  Savoye;  mais  il  y  a 
d'autres  affaires  autant  ou  plus  importantes  que  celles-là,  où 
il  est  besoin  de  pourvoir;  car  vous  voyez  les  brouilleries  qui 
se  préparent  dans  cet  État  par  la  plupart  des  grands  du 
royaume,  que  vous  m'avez  dit  vous-même  avoir  des  ambi- 
tions et  cupidités  déréglées  ^  .» 

C'est  pourquoi,  au    moment    précis    où    le    prince    de 

1.  Matteo  Botti,  19  juin  1610. 

2.  Sully,  Économies  royales,  t.  III,  p.  389,  col.  2. 


240  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Condé  rentrait  en  France  pour  y  agir  comme  l'on  sait, 
Marie  de  Médicis  commença  à  tourner  vers  le  roi  d'Espagne 
des  regards  d'espérance,  tandis  que,  par  un  étrange  renver- 
sement des  situations,  le  prince  de  Condé,  l'hôte  et  l'obligé 
de  Philippe  III,  allait  suivre  une  ligne  de  conduite  diamétra- 
lement opposée  aux  intentions  du  cabinet  de  Madrid. 

Marie  de  Médicis  n'avait  point  alors  l'idée  de  rompre 
complètement  avec  la  Savoie.  Il  lui  semblait  possible  de 
marier  deux  de  ses  filles,  l'une  en  Savoie,  l'autre  en  Espagne, 
et  de  se  ménager  ainsi  des  appuis  de  l'autre  côté  des  Alpes 
et  de  l'autre  côté  des  Pyrénées.  Elle  était  même  encore 
si  hésitante  que  le  nonce  de  Sa  Sainteté  ayant  fait  de 
nouvelles  ouvertures  en  faveur  du  mariage  espagnol,  n'y 
trouva  pas  la  reine  suffisamment  disposée  ^  Le  roi  d'Espagne 
se  gardait  bien  d'ailleurs  de  faire  des  avances  de  nature  à 
l'engager  complètement.  Il  laissait  la  conduite  de  l'affaire  à 
l'agent  Botti,  très  imprudent,  très  infatué  de  lui-même,  très 
indiscret,  qui  se  faisait  l'illusion  de  croire  qu'il  était  l'arbitre 
de  la  négociation,  mais  qui  pouvait  être  désavoué  au  pre- 
mier besoin.  Philippe  Ht  le  mettait  en  avant,  le  poussait  par 
des  lettres  de  féUcitations  et  d'exhortations;  mais  son 
ambassadeur  don  Innigo  de  Cardenas  restait  sur  la  réserve 
la  plus  complète.  Cette  habile  tactique  réussit.  On  avait  fait 
renaître  chez  la  régente  un  désir  qu'on  ne  semblait  plus 
pressé  de  satisfaire.  Etant  femme,  elle  s'y  attacha  d'autant 
plus  passionnément. 

La  cour  d'Espagne  tira  un  parti  fort  habile  de  l'avantage 
qui  résultait  pour  ses  desseins  de  cet  état  d'esprit.  Elle 
résolut  de  dissoudre  à  la  fois  et  le  projet  de  mariage  et 
l'alliance  conclue  par  Henri  IV  avec  la  Savoie.  Le 
10  août  16 10,  le  courrier  Piero  Comparini  revenant  auprès 


I.  Cette  affaire  était  menée  fort  secrètement.  L'ambassadeur  vénitien 
en  eut  vent  cependant.  Le  29  juillet  il  écrivait  à  son  gouvernement  : 
Ho  saputo  a  buona  parte  che  ha  Sua  Santita  fatto  qui  tener  propo- 
sito  di  matrimonio  con  Spagna,  ma  non  ha  trovalo  inclinationc. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  24  I 

du  marquis  de  Campiglia  avec  des  lettres  de  la  cour  de 
Madrid,  faisait  savoir  que  le  roi  Philippe  III  était  tout  disposé 
à  accepter  comme  femme  pour  son  fils,  le  prince  des 
Asturies,  la  fille  aînée  de  la  reine  de  France  Elisabeth 
et,  en  retour,  à  donner  sa  seconde  fille  au  roi  Louis  XIIL 
Le  roi  d'Espagne  faisait  savoir  formellement  qu'il  ne  voulait 
pas  que  le  prince  de  Piémont  eût  la  première  fille  de  France 
et  le  prince  héritier  d'Espagne  la  seconde  '.  Car  c'était  là 
une  combinaison  que  le  gouvernement  français  pouvait 
proposer  pour  ne  pas  rompre  ses  engagements  antérieurs. 
Mais  cette  rupture  était  précisément  ce  que  voulait  le  gou- 
vernement espagnol;  et  il  est  certain  que  se  dédire  de  la 
promesse  faite  au  duc  Charles-Emmanuel  de  réserver  pour 
son  fils  la  fille  aînée  de  Henri  IV  était  un  acheminement 
vers  l'anéantissement  complet  des  hautes  espérances  matri- 
moniales de  la  maison  de  Savoie.  Il  est  à  remarquer  que  si 
le  roi  d'Espagne  proposait  pour  le  roi  de  France  la  seconde 
de  ses  filles  et  non  l'aînée,  c'est  que  la  cadette  pouvait  être 
dispensée  de  ces  renonciations  obligatoires  aux  États  pater- 
nels, dont  la  cour  de  France  ne  voulait  point  entendre  parler. 
Ces  propositions  qui,  en  elles-mêmes,  contenaient  bien  des 
difficultés,  semblaient  être  subordonnées  en  outre  à  l'accep- 
tation pour  les  aftaires  de  Juliers  d^un  accord  que  Botti  con- 
tinuait à  préconiser  avec  sa  ténacité  ordinaire,  au  prix  même 
d'un  abandon  complet  des  aUiés  de  la  France  ^  «  Et  il  va 
toujours,  écrit  Andréa  Cioli,  négociant  avec  la  reine,  avec 
Villeroy,  avec  l'Espagne  et  avec  la  Flandre,  et  il  est  en  train 
de  devenir  Thomme  le  plus  glorieux  du  monde,  si,  comme 
il  le  dit,  le  diable  ne  s'en  rnêle  ^.  » 

Pour  nous  rendre  compte  de  la  situation  où  Ton  en  était 

1.  Matteo  Botti,  10  août  i6io. 

2.  Matteo  Botti,  5,  6  juillet  1610. 

3.  Va  tuttavia  negotiando  con  la  regiiia,  con  Villeroi,  con  Spagna 
et  con  Fiandra  et  e  in  un  corso  da  divcntare  il  pin  glorioso  huomo 
del  monJo,  se,  corne  egli  dice,  il  diavolo  non  ci  s'interpone.  Andréa  Cioli, 
18  juillet  1610. 

16 


242  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

relativement  à  la  succession  de  Clèves,  Berg  et  Juliers,  nous 
trouvons  dans  l'ambassadeur  vénitien  des  renseignements  plus 
précis  et  plus  détaillés  que  dans  les  dépêches  florentines. 

Au  point  de  vue  militaire,  Antonio  Foscarini  donne,  le 
29  juillet,  les  indications  suivantes  :  le  prince  d'Anbalt,  un 
des  membres  de  l'Union  protestante  alliée  à  la  France, 
bloquait  Juliers;  le  comte  Maurice  de  Nassau,  fils  de  Guil- 
laume le  Taciturne,  «  capitaine  général  des  princes  et  Etats 
unis  pour  l'hérédité  et  la  succession  de  Clèves  »,  ayant  établi 
son  quartier  général  à  Dusseldorf,  s'était  porté  à  quatre 
lieues  de  la  place  et  sollicitait  la  marche  en  avant  du  secours 
français.  Le  maréchal  de  la  Châtre  se  préparait  à  opérer  sa 
jonction  avec  lui. 

Au  point  de  vue  politique,  l'ambassadeur  vénitien  signale 
le  mécontentement  des  nonces,  en  présence  de  la  décision 
de  Tcmpereur  Rodolphe  II  qui  avait  conféré  l'investiture  de 
Clèves  au  duc  de  Saxe,  un  des  candidats  à  la  succession  sou- 
tenus par  le  parti  contraire  à  celui  des  alliés  de  la  France; 
et  il  parle  dans  les  termes  suivants  d'une  tentative  faite  par 
les  Impériaux  en  vue  d'amener  une  suspension  d'armes  : 
«  Samedi  est  arrivé  un  courrier  des  princes  réunis  à  Prague  ' 
avec  des  lettres  dans  lesquelles  ils  font  trois  demandes  à 
Sa  Majesté  Très  Chrétienne  :  la  première  pour  obtenir  le 
rappel  du  secours  envoyé  aux  princes;  la  seconde  pour 
qu'Elle  intervienne  auprès  de  l'électeur  palatin  en  vue  de  le 
faire  consentir  à  la  restitution  de  ce  qu'il  a  pris  dans  l'évêché 
de  l'archiduc  Léopold  ";  et  la  troisième  pour  qu'EUe  amène 
à  l'acceptation  d'une  suspension  d'armes  de  deux  mois  les 
princes  qui  sont  réunis  à  Dusseldorf.  En  retour,  on  enverra 
trois  ambassadeurs  avec  des  instructions  de  nature  à  donner 
à  toutes  les  parties  entière  et  complète  satisfaction.  La  reine 


1.  Les  princes  de  la  Ligue  catholique,  dont  le  chef  e'tait  Maximilien 
de  Bavière,  et  qui  étaient  alors  en  armes  contre  ceux  de  VUnion  pro- 
testante. 

2.  Strasbourg. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  248 

a  répondu  qu'elle  ne  manquerait  pas  d'y  employer  ses  bons 
offices.  »  Ces  propositions  n'avaient  évidemment  d'autre 
but  que  de  gagner  du  temps  afin  d'énerver  l'action  du  gou- 
vernement français  au  dehors.  Dans  une  dépêche  suivante, 
Antonio  Foscarini  se  loue  de  la  mort  du  gouverneur  de 
Milan,  Fuentès,  qui  menaçait  de  s'emparer  des  passages  des 
Grisons  pour  tendre  la  main  aux  forces  impériales  agissant 
sur  le  bas  Rhin;  et  il  caractérise  en  quelques  mots  éner- 
giques la  faiblesse  de  TEspagne  et  l'inanité  de  ses  menaces 
(3  août).  «  Parmi  ceux  qui  connaissent  bien  les  forces  de 
l'Espagne,  il  n'en  est  aucun,  dit-il,  qui  croie  qu'ils  soyent 
en  état  de  s'imaginer  pouvoir  s'ébranler.  Tout  leur  nerf 
est,  sans  doute,  en  Flandre,  où  pendant  tant  d'années  a  été 
le  siège  de  la  guerre;  mais  on  connaît  assez  bien  toutes  leurs 
faiblesses  pour  savoir  que  s'ébranler  ce  serait  pour  eux  courir 
à  leur  perte.  Aussi  toutes  leurs  protestations  belliqueuses  ne 
sont-elles  que  des  bruits  pour  épouvanter;  et  ces  clameurs  ne 
produisent  aucun  effet  là  où  l'on  sait  mesurer  les  choses.  » 

Le  gouvernement  pouvait  donc,  dans  la  limite  des  efforts 
restreints  qu'il  s'était  assignés  du  côté  de  Juliers,  aller  har- 
diment de  l'avant.  Le  projet  d'accord  suggéré  par  Botti  prit 
cependant  une  certaine  consistance. 

Le  comte  de  Bassompierre,  que  sa  qualité  de  Lorrain, 
son  éducation  moitié  française,  moitié  allemande,  sa  loyale 
et  heureuse  humeur  rendaient  particuUèrement  propre  à 
une  mission  conciliante,  parut  pouvoir  être  désigné  pour 
occuper  le  duché  de  Juliers  au  nom  des  puissances  consen- 
tantes, jusqu'à  ce  que  la  diplomatie  eût  décidé  de  l'attribu- 
tion définitive  des  territoires  en  litige.  «  Ce  Bassompierre, 
dit  Cioli,  est  un  cavalier  accompli  et  plein  de  grâce,  un 
excellent  serviteur  de  la  reine,  et  qui  fut  très  ami  du  roi 
défunt  *.  »  Voici  en  quels  termes  Bassompierre  s'explique 

i.  Bassompiere,i:avaliere  complitissinio,  et  pieno  di  gratia,  et  ser- 
vitore  délia  regina,  et  clie  fu  amatissimo  dal  Re  defunto.  Andréa 
Cioli,  18  juillet  1610. 


244  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

sur  ce  projet  auquel  aucune  suite  ne  fut  donnée  :  «  Le  mar- 
quis Botti,"  qui  traittait  l'accommodement,  eut  pouvoir 
d'offrir^  à  la  reine  que  l'on  mettrait  entre  mes  mains,  en 
dépost,  le  duché  de  Juliers,  dont  je  ferais  serment  à 
l'empereur,  au  roy,  au  roy  d'Espaigne,  à  celuy  d'Angle- 
terre ^et  aux  Estats;  et  que  je  ne  m'en  dessaisirois  point 
qu'avesques  leur  général  consentement,  et  après  que  l'on 
auroit  décidé  à  qu}^  il  devroit  appartenir.  La  reine  mère  fut 
très  ayse'qu'une  sy  noble  chose  luy  fût  arrivée  au  commen- 
cement de  sa  régence,  qu'un  sien  particulier  serviteur  (car, 
après  la]  mort  du  roy,  elle  me  retint  avec  4  000  escus 
de  pension),  fût  choisy  pour  lui  confier  le  depost,  et  en 
voulut  avoir  le  consentement  du  roy  d'Angleterre  et  des 
Estats  de  Hollande  :  celuy  là  y  consentit  volontiers;  mais 
les  Hollandais  ne  le  voulurent  faire  et  privèrent  ma  bonne 
fortune  d'un  tel  advantage  qui  m'estoit  sy  important  '.  » 

La  question  se  trouva  d'ailleurs  tranchée  par  les  armes 
avant  que  les  efforts  du  marquis  de  CampigUa  eussent 
abouti,  Botti  multipliant  en  effet  ses  importunités  pour 
obtenir  une  suspension  d'armes  autour  de  Juliers,  malgré 
les  résistances  qu'il  rencontrait  dans  le  conseil.  Il  agit  cepen- 
dant] assez  fortement  sur  l'esprit  de  la  reine  pour  que 
celle-ci' se  décidât  à  demander  à  ses  alliés  d'Angleterre  et 
de  Hollande  d'accepter  l'accord  proposé  par  la  Toscane, 
quand  même  le  siège  de  JuHers  serait  commencé  ^.  La  réponse 
des  alliés  fut  négative.  Botti  le  constate  dans  une  première 
dépêche  du  18  août,  et,  le  29  août,  il  écrit  : 

«  Quant  à  l'accord,  le  roi  d'Angleterre  et  les  États  de 
Hollande   disent  qu'il  est  trop  tard,  la  place  étant  sur  le 


1.  Bassompierre,  Mémoires,  t.  I,  p.  282.  Cf.  l'ambassadeur  vénitien  : 
«  Botti  a  proposé  la  semaine  dernière  à  la  reine,  et  le  comte  de  Buc- 
quoy  a  tenu  un  langage  conforme,  que  Juliers  et  autres  lieux  du  pays 
soient  remis  au  maréchal  de  la  Châtre.  On  donnera  ensuite  comme 
gouverneur  à  ce  pays,  Bassompierre,  un  des  favoris  du  feu  roi  jusqu'à 
la  décision]^de  l'affaire.  »  (12  août  1610.) 

2.  Matteo  Botii,  10  août  1610. 


POLITIQUE    EXTERIEURE.  24? 

point  d'être  prise.  On  ne  peut  l'accepter  que  lorsqu'elle  sera 
entre  les  mains  des  alliés.  » 

Les  affaires  de  Juliers  allaient  en  effet  très  mal  pour  les 
catholiques.  Dans  la  dépèche  du  14  août,  l'ambassadeur  véni- 
tien signale  les  premières  attaques  dirigées  contre  Juliers,  sous 
le  commandement  en  chef  du  prince  Maurice  de  Nassau. 
Bientôt,  le  prince  s'empare  d'une  demi-lune  qui  défendait 
les  approches  de  la  place  *.  A  la  fin  du  mois  d'août,  arrivait 
en  vue  de  la  ville  le  contingent  français  du  maréchal  de  la 
Châtre  et,  le  3  septembre,  Juliers  succombait;  mais  le  corps 
français  fut  immédiatement  rappelé  ^  Le  fait  qu'il  obtint  un 
sauf-conduit  à  travers  les  États  de  l'archiduc  Albertjprouve 
que  le  gouvernement  français  se  désintéressait^désormais  de 
la  question  \  En  effet,  cette  courte  démonstration  militaire 
paraît  avoir  satisfait  la  conscience  de  Marie  de  Médicis  en  ce 
qui  concernait  les  égards  dus  à  la  mémoire  de  son  mari. 

Il  est  certain  que  désormais  la  politique  de  la  régente 
pencha  décidément  du  côté  de  l'Espagne  et  prit  notamment 
une  tournure  contraire  aux  intérêts  et  aux  désirs  de  la  Savoie. 
Le  gouverneur  de  Milan,  Fuentès,  étant  mort,  Marie  de  Mé- 
dicis saisit  cette  occasion  d'enlever  tout  ombrage  au  gouver- 
nement espagnol  en  donnant  au  maréchal  de  Lesdiguières 
l'ordre  de  désarmer.  La  négociation  pour  les  mariages  suivie 
fort  secrètement  et  à  l'exclusion  du  nonce,  tournait  complè- 
tement au  détriment  de  la  Savoie.  L'inévitable  Botti  poussait 
naturellement  à  la  roue  et  engageait  vivement  le  grand-duc 
à  faire  de  riches  présents  à  Villeroy  pour  le  bien  disposer  *. 


1.  Scip.  Ammirato,  24  août  iGio. 

2.  «  Aussitôt  après  la  prise  de  Juliers,  Tambassadeur  de  l'archiduc 
Albert  a  présenté  à  la  reine  un  sauf-conduit  à  travers  les  États  de  ce 
prince  pour  l'armée  du  maréchal  de  la  Châtre.  On  a  expédié  en  con- 
séquence à  celui-ci  Tordre  de  revenir  par  le  Luxembourg.  »  Ambass. 
vénit.,  16  sept.  1610. 

3.  Voir  Correspondance  relative  aux  araires  de  Clèves,  Berg  et 
Juliers,  notamment  avec  le  résident  français  Hotmann  de  VillierSy 
àe  i6o3  à  161  g.  (Bib.  nat.,  anc.  fonds,  n"  4  o3o.) 

4.  Matteo  Botti,  29  août  1610. 


246  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Le  courrier  Piero  Comparini,  renvoyé  en  Espagne,  en 
revint  à  la  fin  d'août  avec  des  lettres  du  roi  et  des  ministres. 
Des  promesses  verbales  furent  échangées  entre  la  reine  et 
l'ambassadeur  d'Espagne  :  Marie  de  Médicis  consentait  à 
marier  son  fils  avec  la  seconde  infante.  Il  était  en  outre  for- 
mellement convenu  qu'aucune  des  deux  couronnes  ne  s'allie- 
rait par  mariage  avec  le  duc  de  Savoie  ;  le  roi  d'Espagne  serait 
le  premier  à  agir  auprès  de  Son  Altesse  pour  que  l'on  ne 
parlât  plus  de  ce  projet,  afin  de  ne  pas  troubler  l'union 
parfiite  qu'on  voulait  faire  régner  entre  les  deux  cou- 
ronnes. On  proposerait  au  duc  la  sœur  du  grand-duc  de 
Toscane. 

Il  fcUit  insister  sur  cette  dernière  stipulation;  elle  était 
fort  habile.  On  sait  combien  Marie  de  Médicis  était  restée 
Florentine.  Le  mariage  d'une  de  ses  parentes  avec  le  futur 
duc  de  Savoie  devait  être  pour  la  maison  dont  elle  était  sortie 
un  accroissement  d'influence  en  Italie  et  aurait  l'avantage  de 
rendre  libre  une  de  ses  propres  filles  pour  une  alliance  plus 
haute  à  laquelle  on  songeait  aussi.  Mais  le  troc  ne  devait 
pas  être  facile  à  faire  accepter  au  duc  de  Savoie.  On  lui  avait 
envoyé,  pour  le  préparer  au  revirement  déjà  décidé  à  la  cour 
de  France,  le  même  Bullion  qui  avait  été  l'intermédiaire  de  son 
rapprochement  avec  Henri  IV.  Il  avait  reçu  pour  instructions 
de  prévenir  le  duc  Charles-Emmanuel  que  la  situation  de  la 
France  ne  permettait  plus  de  continuer  l'alliance  avec  la  Sa- 
voie dans  les  conditions  où  elle  avait  été  conclue  ;  car  il  n'était 
pas  possible  à  la  régente  de  maintenir  une  armée  sur  le  pied 
de  guerre;  c'est  pourquoi  le  subside  promis  au  duc  ne  pou- 
vait être  prolongé  au  delà  du  mois  de  juillet.  Le  maréchal 
de  Lesdiguières  avait  cependant  reçu  l'ordre  d'assister  le 
duc  par  la  force  des  armes,  s'il  en  était  besoin.  Mais  cette 
éventualité  ne  paraissait  guère  probable,  étant  donné  que 
les  Espagnols  recherchaient  l'amitié  du  duc  de  Savoie.  Quant 
au  mariage,  les  temps  ne  semblaient  guère  favorables  à  sa 
conclusion;  c'est  pourquoi  le  gouvernement  de  la  régente 


POLllIQUE    EXTÉRIEURE.  247 

aurait  beaucoup  d'obligation  au  duc  de  Savoie  s'il  modifiait 
ses  intentions  et,  se  tournant  du  côté  de  l'Espagne,  deman- 
dait à  Philippe  ÏII  l'une  de  ses  filles  *.  En  même  temps,  la 
reine  mandait  par  lettre  au  duc  de  Nemours  d'appuyer  le 
conseiller  Bullion  dans  la  négociation  délicate  de  cette  pali- 
nodie politique  ^ 

Pendant  que  se  nouait  cette  trame,  le  duc  de  Savoie,  mis 
en  éveil,  et  qui,  depuis  la  mort  de  Henri  IV,  faisait  montre 
d'un  grand  dévouement  pour  les  intérêts  français  (car  lui, 
l'ancien  complice  des  Biron  et  des  Entragues,  avait  fait  pro- 
tester devant  le  Parlement  de  Paris  qu'il  voulait  tirer  ven- 
geance des  assassins  du  roi  ^),  chargea  M.  Trogliu,  secré- 
taire de  l'ambassadeur  de  Savoie,  du  message  suivant.  Il 
tenait  commission  du  duc  de  Savoie,  devait-il  dire,  d'assurer 
Leurs  Majestés  de  son  dévouement  et  de  leur  faire  savoir  qu'à 
tout  besoin  et  au  premier  signe,  il  se  porterait  de  sa  personne 
et  avec  toutes  ses  forces  pour  les  assister.  Il  devait  ajouter 
que  le  duc  tenait  à  grand  honneur  l'assurance  que  Sa 
Majesté  continuait  à  vouloir  que  le  mariage  projeté  s'ac- 
complît. Mais  TrogUu  était  chargé  aussi  d'exprimer  ses 
plaintes  relativement  au  désarmement  que  Lesdiguières  avait 
reçu  l'ordre  d'effectuer  \  M.  de  Brèves,  ambassadeur  du  roi 
à  Rome,  écrivait  à  ce  propos  que  plus  que  tout  le  reste  ce 
qui  avait  saisi  au  cœur  le  duc  de  Savoie,  c'était  de  voir  Sa 
Majesté  lui  manquer  et  défaillir  en  un  temps  que  le  duché 
de  Milan  était  tout  plein  de  soldats  qui  le  menaçaient  d'aller 
fondre  sur  ses  États  ^  » 

1.  Archives  de  la  maison  de  Savoie  à  Turin.  Istru^^ione  al  Bullion, 
3ojuin  1610.  NEGOztAZioNi.  Francia. 

2.  B.  Z.,  De  dissolutione...,  append.  VI. 

3.  Archives  de  la  maison  de  Savoie  :  Istru:^ione  del  Ditca  al  siio 
ambasciatore  straordinario  in  Francia  per  condolersi  délia  morte  del 
re  Enrico  IV  {~  giugno  i(3io).  Cerimoniale.  —  Dicliiara^ioni  del  Duca 
Carlo  Emmanuele  al  Parlamento  di  voler  trattar  vendetta  dclV  assas- 
sinio  del  re.  Negoziazioni.  Francia. 

4.  Ambass.  vénit.,  5  sept.  iGio. 

5.  Correspondance  de  Louis  XIII  avec  M.  de  Brèves.  (Bib.  nat., 
fonds  fr,,  n"'  3  790,  3  791,  3  792,  3  793.) 


248  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

La  cour  d'Espagne,  ayant  ainsi  jeté  la  méfiance  entre  la 
France  et  la  Savoie,  se  garda  bien  de  précipiter  les  événe- 
ments par  des  offres  formelles.  Le  duc  de  Feria,  nous  l'avons 
vu,  avait  été  envoyé  tardivement  en  France  pour  3^  présenter 
les  compliments  de  condoléances  à  l'occasion  de  la  mort  de 
Henri  IV;  et  dès  le  commencement  de  sa  mission,  il  laissa 
douteuse  la  question  de  savoir  s'il  assisterait  au  sacre  du 
jeune  roi.  Était-ce  une  réserve  conforme  à  cette  politique 
odieuse  du  cabinet  de  Madrid,  qui  avait  toujours  cherché  à 
se  ménager  un  moyen  de  contester  la  légitimité  du  mariage 
de  Marie  de  Médicis  et  par  conséquent  les  droits  du  jeune 
roi?  On  pouvait  le  croire.  Il  était  sans  doute  habile  de  ne 
laisser  d'autre  ressource  à  Marie  de  Médicis  pour  obtenir  la 
tranquillité  sur  une  question  essentielle  et  dont  on  avait  tou- 
jours fait  pour  elle  un  sujet  d'inquiétude  que  d'obtenir,  en 
se  mettant  à  la  merci  de  l'Espagne,  une  consécration  défi- 
nitive de  sa  situation  de  reine-régente.  Mais  c'était  en  même 
temps  un  spectacle  digne  de  méditation  que  celui  des  per- 
fidies anciennes  du  duc  de  Savoie  se  retournant  contre  lui- 
même,  au  moment  où  sa  politique  semblait  être  devenue 
franche  et  loyale  et  orientée  vers  un  objectif  bien  déterminé. 
Entre  les  deux  grandes  puissances  qui  cherchaient  à  se  mettre 
d'accord,  l'inconstante  alliée  qui  avait  été  de  l'une  à  l'autre 
devait  être  sacrifiée.  Le  cabinet  de  Madrid  poursuivit  sans 
pitié  son  humiliation.  Voici  en  effet  ce  qu'écrit  l'ambassa- 
deur vénitien  Foscarini  à  la  date  du  6  octobre  :  «  On  con- 
tinue sous  main  à  traiter  du  mariage  entre  la  couronne  de 
France  et  la  couronne  d'Espagne;  mais  jusqu'à  cette  heure, 
le  duc  de  Feria  n'a  donné  aucune  parole  formelle.  Il  va 
disant  qu'il  attend  un  courrier  d'Espagne  avec  une  commis- 
sion à  cet  effet.  Mais  la  véritable  raison  de  son  silence  est 
qu'il  ne  veut  pas  demander  cette  princesse  avant  d'avoir  vu 
rompre  le  mariage  avec  la  Savoie,  ce  à  quoi  il  travaille  tant 
et  plus,  en  faisant  considérer  sous  main  la  disproportion 
qui  existe  entre  la  grandeur  de  l'Espagne  et  celle  de  la  Savoie; 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  249 

et  les  ambassadeurs  d'Angleterre  *  qui  aspirent  à  la  princesse 
pour  leur  prince,  secondent,  dans  leur  propre  intérêt,  autant 
qu'ils  peuvent,  le  jeu  qui  tend  à  ce  but.  Ainsi  cette  princesse 
est  désirée  de  chacun.  » 

Il  n'est  pas  étonnant,  dans  ces  conditions,  que  l'ambassa- 
deur ordinaire  de  Savoie,  M.  Jacob,  retournant  en  France 
après  son  fils,  Chabot  de  la  Dragonnière,  qui  avait  été 
chargé  de  porter  les  compliments  de  condoléances  de  la 
cour  de  Savoie,  ait  eu  la  mission  d'avoir  l'œil  ouvert  sur  les 
actions  du  duc  de  Feria.  Il  en  était  de  même  de  l'ambassa- 
deur d'Angleterre;  car  une  union  entre  la  France  et  l'Es- 
pagne, amenant  une  entente  politique,  devait  annuler  par 
suite  la  confédération  contractée  par  Henri  IV  avec  la 
Grande-Bretagne.  Mais  le  jeu  de  Feria  était  fort  serré  et 
discret.  Botti  lui-même,  ne  voyant  point  venir  de  courrier 
d'Espagne,  ne  pouvant  rien  obtenir  de  cet  impassible  ambas- 
sadeur, écrivait  au  roi  d'Espagne  «  qu'il  convenait  à  Sa 
Majesté  sacrée  d'en  revenir  au  point  où  l'on  était  sous  Henri  IV 
de  glorieuse  mémoire  et  de  tourner  ses  pensées  d'un  autre 
côté  ». 

C'est  à  ce  point  qu'aurait  certainement  réduit  Philippe  III 
un  gouvernement  moins  aveugle  et  plus  soucieux  de  sa 
dignité  que  celui  de  la  régente.  Les  procédés  du  roi  d'Es- 
pagne étaient  en  effet  des  plus  contraires  à  l'esprit  des  négo- 
ciations engagées  sous  main.  Aucun  des  deux  ambassadeurs 
présents  à  Paris  ne  se  trouva  au  sacre  du  jeune  roi  qui  eut 
lieu  le  25  octobre  1610  et,  dans  le  même  temps,  le  gouver- 
nement espagnol  se  préparait  à  attaquer  la  Savoie.  Des 
troupes  étaient  en  effet  concentrées  sur  la  frontière  du 
Milanais  au  moment  même  où  le  maréchal  de  Lesdiguières 
diminuait  les  forces  tenues  sur  pied  pour  porter  secours  au 
duc  en  cas  de  besoin. 

I.  Rappelons-nous  que  cette  dépêche  est  écrite  au  moment  où  l'am- 
bassadeur extraordinaire  d'Angleterre,  M.  W'uotton,  est  encore  en 
France.  Voir  plus  haut,  p.  i23. 


2  DO  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

La  politique  française  n*avait  guère  sujet  d'être  fièrc  à 
ce  moment  :  la  faiblesse  et  la  duplicité  dont  elle  faisait 
preuve  à  l'égard  d'un  allié  prenaient  les  apparences  d'une 
trahison  et  d'autre  part  n'étaient  payées  d'aucun  progrès 
dans  les  négociations  du  mariage.  La  reine  sembla'  sentir  ce 
qu'il  y  avait  d'humiliant  et  presque  de  déshonorant  pour 
elle  dans  ce  rôle  et  lorsque,  à  son  retour  de  Reims,  Botti 
voulut,  dans  de  longs  entretiens  avec  elle  sur  la  question  du 
mariage,  l'amener  à  donner  en  Espagne  sa  fille  aînée  et  à 
recevoir  pour  son  fils  la  seconde  infante,  si  la  renonciation 
de  la  première  ne  paraissait  pas  suffisante,  tout  cela,  disait-il, 
afin  d'éviter  la  guerre  en  Italie,  les  dispositions  de  la  reine 
lui  parurent  beaucoup  moins  favorables  qu'auparavant  '.  Le 
duc  de  Feria  prit  congé  de  Marie  de  Médicis  le  1 1  novembre 
sans  que  rien  de  nouveau  eût  été  convenu  *.  Ni  lui  ni  les 
siens  n'eurent  à  se  plaindre  de  la  générosité  de  la  reine; 
car  un  de  ses  valets  ayant  porté  de  sa  part  à  la  régente  une 
boîte  renfermant  des  gants  parfumés  à  l'ambre  [alcuni guanti 
d^ ambra)  reçut  en  présent,  pour  la  commission,  une  chaîne 
de  trois  cents  écus.  Quant  à  l'ambassadeur,  il  reçut  une 
u  enseigne  de  diam.ants  «  de  la  valeur  d'environ  5  000  écus 
et  un  anneau  avec  un  diamant  enchâssé  estimé  à  3  000  écus  ^. 

L'un  des  historiens  itahens  qui  se  sont  occupés  le  plus 
récemment  de  ces  questions,  M.  Ricotti,  ne  nous  paraît  pas 
avoir  tenu  un  compte  suffisant  de  ces  fluctuations  de  la  ré- 
gente, et  il  se  montre  trop  sévère  à  son  égard  lorsqu'il  nous  la 
représente  comme  ayant,  dès  le  commencement  de  la  régence, 
adhéré  sans  hésitation  et  de  la  façon  la  plus  constante  aux 
mariages  espagnols.  Les  choses,  comme  on  le  voit,  ne  se 
passèrent  point  ainsi  ;  sans  doute  l'écrivain  italien  a  exagéré 
les  torts  réels  de  Marie  de  Médicis,  afin  de  pouvoir  plus 
facilement  excuser  le  duc  de  Savoie,  qui,  dès  ce  moment, 

1.  Matteo  Botti,  i<>r  nov.  1610. 

2.  Andréa  Cioli,  12  nov.  1610. 

3.  Scip.  Ammiralo,  17,  21  nov.  1610. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  25  I 

ne  songeait  plus  qu'à  rentrer  en  grâce  auprès  de  la  cour 
d'Espagne. 

L'incertitude  et  l'obscurité  de  la  situation  amenèrent  natu- 
rellement le  duc  de  Savoie  à  demander  des  éclaircissements 
formels.  C'est  pourquoi  M.  Jacob  insista  vivement  auprès  de 
la  reine  pour  qu'elle  autorisât  la  publication  officielle  du 
projet  de  mariage  piémontais.  La  régente  répondit  qu'elle 
persistait  dans  son  dessein  de  satisfaire  le  duc  de  Savoie  rela- 
tivement au  mariage  et  pour  tout  le  reste  également.  L'en- 
voyé du  duc  de  Savoie  alla  ensuite  trouver  M.  de  Villeroy. 
Celui-ci  lui  dit  qu'il  pouvait  tenir  le  tout  pour  conclu,  mais 
qu'on  ne  pouvait  effectuer  le  mariage  quant  à  présent,  à 
cause  de  l'âge  très  tendre  de  la  princesse.  Jacob  visita  ensuite 
tous  les  personnages  qui  pouvaient  avoir  quelque  influence 
sur  les  décisions  de  la  régente.  Il  protesta  que  le  duc  ne 
pouvait  se  maintenir  avec  la  dépense  qu'il  faisait  et  dans  la 
situation  où  il  se  trouvait,  même  pour  peu  de  temps.  Dans 
le  cas  où  il  ne  serait  pas  assuré  de  la  protection  du  gou- 
vernement français,  en  même  temps  que  du  mariage  de  son 
fils,  il  se  jetterait  absolument  dans  les  bras  de  l'Espagne, 
ne  pouvant  faire  autrement.  Jacob  ajouta  que,  bien  que,  à 
Rome,  l'ambassadeur  d'Espagne,  don  Francesco  de  Castro, 
n'eût  point  voulu  se  trouver  avec  l'ambassadeur  du  duc, 
celui-ci  avait,  par  un  autre  moyen,  ouvert  les  voies  à  des 
négociations  et  à  un  accommodement  :  «  Si  cela  réussit, 
disait-il,  le  duc  deviendra  forcément  tout  espagnol,  tandis 
que,  si  le  mariage  se  fait,  il  faudra  que  l'Espagne  rabatte 
beaucoup  de  ce  qu'elle  prétend  pour  l'heure  ».  Jacob 
insista  auprès  du  gouvernement  français  sur  ce  fait  qu'il 
était  venu,  à  l'invitation  de  la  reine,  pour  terminer  l'afi'aire 
et  la  publier.  Il  représenta  que  Marie  de  Médicis  avait 
toujours  dit  qu'elle  voulait  faire  honneur  à  l'écrit  signé  par 
le  feu  roi  et  par  Son  Altesse. 

Deux  opinions  divisaient  le  conseil  de  la  régente.  Tandis 
que  Villeroy  et  le  chancelier  parlaient  désormais  contre  la 


252  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XlIF. 

conclusion  du  mariage  de  Savoie,  Condé,  Conti,  Soissons, 
le  cardinal  de  Joyeuse  et  le  connétable  affirmaient  qu'on  ne 
pouvait  se  dispenser  de  Taccomplir.  Quant  à  Jacob,  il 
déclara  qu'il  partirait,  si  on  n'en  faisait  pas  immédiatement 
la  publication  '. 

Au  moment  où,  par  une  singulière  interversion  des  rôles 
que  nous  avons  déjà  signalée,  le  prince  de  Condé  revenait 
à  la  politique  de  Henri  IV  et  que  les  ministres  s'en  écar- 
taient, l'ambassadeur  d'Espagne  et  le  marquis  Botti  recou- 
rurent, pour  en  finir  avec  les  hésitations  de  la  reine,  à 
de  perfides  procédés  d'intimidation.  Ils  représentèrent  à 
Marie  de  Médicis  que  le  prince  qui,  à  ce  moment,  récla- 
mait la  convocation  des  Etats  généraux  et  pour  lui-même 
de  fortes  sommes  d'argent  et  des  provinces,  avait  noué  des 
intelligences  avec  les  Espagnols.  Concini,  qui  révéla  ce  détail 
à  l'ambassadeur  Cioli,  lui  déclara  fort  imprudemment  que 
c'étaient  là  des  artifices  de  Cardenas  et  de  Botti  pour 
prouver  à  la  reine  que  son  intérêt  était  de  s'apparenter  avec 
l'Espagne.  Concini  ne  cacha  point  d'ailleurs  qu'il  n'était  pas 
opposé  à  ce  mariage  qui  lui  paraissait  un  meilleur  moyen  que 
les  Etats  généraux  pour  rétablir  l'autorité  de  la  reine  ^  Botti 
affirme  qu'à  ce  moment  la  reine  prit  définitivement  son  parti 
en  faveur  du  mariage  espagnol.  Ainsi,  la  crainte  inspirée 
par  des  princes  français  à  l'intérieur  avait  été  le  ciment  de 
l'alliance  espagnole.  Il  ne  restait  plus  qu'à  rendre  compte 
aux  princes  du  sang  des  décisions  de  la  reine  ^. 

Le  mariage  espagnol  une  fois  bien  décidé  dans  l'esprit  de 
Marie  de  Médicis,  elle  déclara  cependant  qu'elle  attendrait 

1.  Pour  tous  ces  détails,  ambass.  venir.  F^oscarini,  17  nov.  1610,  cité 
ap.  B.  Z.,  De  dissolutione...,  append.  VIII. 

2.  Andréa  Cioli,  10  déc.  1610;  B.  Z.,  De  dissolutione...,  append.  IX. 

3.  Con  tutto  cio  essendo  inverno  non  possiamo  fidarci  del  sereno,  se 
gia  non  venga,  il  che  piaccia  a  Dio,  la  desiderata  tramontana  délia 
conclusione  dei  parentadi  con  la  Spagna^  intorno  alli  qiiali  afferyna  il 
marchese  Botti  che  la  regina  ha  gia  dichiavata  per  resoluta  la  sua 
volonta  corrispondente  a  quella  di  Spagna  e  che  altro  yion  manchi  che 
il  darne  conto  a  principi  del  regno.  Andréa  Cioli,  12  déc.  1610. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  253 

pour  se  prononcer  publiquement  le  retour  du  comte  de 
Soissons,  qui  s'était  retiré  en  Normandie,  affectant  un 
grand  mécontentement  de  ce  qui  se  passait  autour  de  la 
reine.  La  négociation  parut  toutefois  suffisamment  avancée 
au  conseil  d'Espagne;  car  le  roi  donna  Tordre  de  désar- 
mer au  nouveau  gouverneur  de  Milan,  le  connétable  de 
Castille  \ 

L'Espagne  fit  cette  concession  afin  de  rendre  moins  hon- 
teux pour  la  reine  de  France  le  mépris  des  conventions  arrê- 
tées à  Brusol.  Il  est  bon  d'ajouter  que,  dans  le  même  temps, 
Charles-Emmanuel  n'avait  pas  hésité  à  faire  vis-à-vis  de  la 
cour  de  Madrid  les  démarches  les  plus  humiliantes  pour 
détourner  de  ses  Etats  la  menace  des  armes  espagnoles.  Il 
avait  envoyé  son  fils  Philibert  à  Madrid.  Le  jeune  prince, 
admis  en  présence  du  roi,  s'était  mis  à  genoux  pour  tendre 
à  son  oncle  un  papier  non  signé,  oia  il  était  écrit  que  le  duc 
de  Savoie  se  déclarait  entièrement  soumis  aux  volontés  du 
roi  d'Espagne  et  le  suppliait  de  s'abstenir  de  dévaster  ses 
frontières.  Alors  Philippe  III  déchira  le  papier  et  répondit 
que,  en  raison  de  ce  que  disait  ce  jeune  homme  et  à  cause 
de  l'intercession  du  Saint-Siège,  il  ne  songeait  plus  à  faire 
la  guerre  au  duc  de  Savoie.  Telle  fut,  pour  le  duc  Charles- 
Emmanuel,  la  dure  expiation  du  traité  de  Brusol  ^. 

Se  retournant  alors  du  côté  du  gouvernement  français, 
le  duc  de  Lerme  fit  savoir  aux  ministres  de  la  reine  que  le 
cabinet  de  Madrid  serait  disposé  à  envisager  la  question  du 
mariage  au  point  de  vue  de  l'union  de  Louis  XIII  et  de 
l'aînée  des  infantes,  la  princesse  Anne.  Cette  nouvelle  fit, 
à  proprement  parler,  bondir  de  joie  Marie  de  Médicis  ;  elle 
se  montra  profondément  surprise  que  Ton  se  fût  résolu,  à 
Madrid,  à  lui  donner  l'aînée,  et  elle  déclara  à  l'ambassadeur 
Botti  qu'elle  en  avait  toujours  été  comme  amoureuse  et  que, 

1.  Brèves,  22  décembre;  ambass.  vénit.,  29  dcc.  1610. 

2.  Archives  de  la  maison  de  Savoie.  Filiberto  al  diica,  22  gennaio 
16 1 1 .  Lettere  principiy  ma:^^o  XIV. 


254  ^^    MINORITÉ    Di:    LOUIS    XIII. 

pour  cette  raison,  elle  avait  le  portrait  de  la  jeune  fille  dans 
son  cabinet. 

Les  événements  marchaient  plus  vite  que  Marie  de 
Médicis  ne  le  désirait  peut-être.  Il  était  évident  qu'en  se  pré- 
cipitant, ils  allaient  mettre  aux  prises  la  régente  et  les  princes, 
en  défiance  desquels  un  rapprochement  avec  l'Espagne  lui 
avait  paru  la  seule  voie  de  salut.  Elle  saisit  toutes  sortes 
de  prétextes  pour  refuser  aux  instances  de  Botii  une  résolu- 
tion définitive  qui  lui  semblait  encore  prématurée.  Elle  se  fit 
invisible,  eut  mal  aux  dents,  refusa  de  se  prononcer  avant 
le  retour  des  princes  à  la  cour,  et  ces  atermoiements  parurent 
un  instant  inquiétants  à  l'agent  Botti. 

Enfin,  Soissons  et  le  prince  de  Condé,  qui  s'était  également 
retiré,  ayant  consenti  à  revenir  auprès  de  Marie  de  Médicis, 
la  reine  leur  fit  part  du  projet  de  mariage  avec  l'Espagne.  Ils 
furent  unanimes  à  lui  répondre  :  qu'elle  avait  imprudemment 
publié  son  intention,  de  manière  à  s'aliéner  tous  ses  amis  et 
en  France  et  hors  de  France,  qu'il  ne  leur  semblait  pas  que 
la  reine,  dans  le  temps  présent,  eût  pouvoir  de  ce  faire,  sans 
réunir  les  Etats  généraux;  que  les  Espagnols  ne  cherchaient 
que  des  alliances,  au  besoin  avec  la  Savoie,  pour  arriver  à 
la  destruction  de  ce  royaume;  qu'ils  cherchaient  à  abuser  et 
à  aveugler  Sa  Majesté  en  l'alléchant  par  la  promesse  de  la 
première  infante,  alors  que  tout  récemment  encore  ils  ne 
voulaient  même  pas  lui  donner  la  cadette.  La  reine  fut  émue 
de  ces  représentations,  pour  combattre  l'effet  desquelles 
Botti  dut  solUciter  de  la  cour  d'Espagne  l'autorisation  pour 
Cardenas  de  passer  au  besoin  une  écriture  secrète  en  vue 
du  mariage,  avec  la  promesse  qu'elle  serait  ratifiée  dans  un 
temps  déterminé.  Cet  ordre  vint;  mais  la  reine,  pour  plus 
de  sûreté,  demianda  que  l'acceptation  du  mariage  eût  pour 
corollaire  la  formation  d'une  ligue  défensive  entre  la  France 
et  l'Espagne  *. 

I.  Matteo  Bolti,  2Ô  janvier  iGii. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  255 

On  s'expliquera  maintenant,  par  les  raisons  tirées  de  la 
politique  étrangère  de  la  régente,  non  moins  que  par  celles 
que  nous  avons  déduites  delà  politique  intérieure,  pourquoi, 
au  moment  où  nous  en  sommes  arrivés,  le  duc  de  Sully, 
abreuvé  d'ennuis  et  de  dégoûts,  se  retira  des  affaires. 

On  ne  pouvait  assez  compter  sur  les  huguenots,  qui  retrou- 
vaient en  lui  un  chef,  pour  juger  prudent  de  conclure  avec 
l'Espagne  avant  l'assemblce  générale  qu'ils  devaient  tenir 
en  l'année  1611.  Le  gouvernement  de  la  régente  remit  donc, 
sur  la  proposition  de  Villeroy,  les  résolutions  dernières 
après  cette  assemblée  ^ 

Une  nouvelle  difficulté  venait  de  se  produire.  Le  duc  de 
Savoie,  passant  des  plaintes,  relativement  au  mariage  d'Es- 
pagne, à  des  démonstrations  effectives,  faisait  passer  les  Alpes 
à  ses  troupes.  Les  soldats  de  Savoie,  après  avoir  franchi  le 
Saint-Bernard,  s'arrêtèrent  dans  la  direction  de  Genève,  et  le 
maréchal  de  Lesdiguières  écrivait  qu'il  ne  savait  si  c'était 
cette  ville  ou  une  autre  place  que  le  duc  voulait  attaquer. 

C'est  évidemment  Genève  que  visait  Charles-Emmanuel; 
à  plusieurs  reprises,  il  avait  tenté  de  s'emparer  de  cette 
ville  par  surprise,  en  1582,  en  1588  et  enfin  le  23  dé- 
cembre 1602,  bien  qu'elle  eût  été  déclarée  comprise  dans  le 
traité  de  Vervins  et  que  le  traité  de  Lyon  plus  récent  fût 
encore  pour  cette  petite  république  une  garantie  nouvelle. 
Mais  le  duc  avait  coutume  de  dire  qu'aucun  prince  ne  pou- 
vait se  considérer  comme  maître  de  la  Savoie,  s'il  n'avait 
point  Genève.  Les  arguments  de  droit  sur  lesquels  il  fondait 
ses  prétentions  sont  résumés  dans  un  écrit  conservé  à  la 
Bibliothèque  nationale  dont  voici  le  sens  :  «  Le  comté  de 
Genève  est  un  fief  impérial  dépendant  de  l'ancien  royaume 
de  Bourgogne.  Les  comtes  de  Genevois  y  ayant  renoncé, 
les  évêques  de  la  ville  voulurent  s'arroger  le  titre  de  princes 
et  souverains  de  Genève.  Mais  cette  prétention  ne  s'appuie 

I.  Matteo  Bottj,  25  janvier,  16  février  1611. 


2:»0  LA   MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

sur  aucune  bulle  impériale  ou  ne  s'appuie  que  sur  des  bulles 
fausses.  Ce  sont  d'ailleurs  les  ducs  de  Savoie  qui  nomment 
les  évêques  de  Genève;  ceux-ci  ne  peuvent  être  comtes  au 
détriment  de  celui  qui  les  nomme.  Q.ue  si  on  invoque  le 
droit  de  la  commune,  ce  n'est,  au  vu  et  au  su  de  toute  la 
chrétienté,  qu'un  ramassis  de  rebelles  et  de  païens.  Le 
comté  de  Genève  appartient  en  droit  aux  ducs  de  Savoie  qui 
en  ont  été  investis  par  une  bulle  impériale  de  1077;  ils  en 
ont  eu  la  continuelle  possession,  y  ont  entretenu  des  baillis 
et  fait  battre  monnaie.  Les  citoyens  et  habitants  de  Genève 
les  reconnaissent  pour  leurs  princes;  et  Louis  XI,  dans  un 
édit  du  20  octobre  1462,  appelle  le  duc  de  Savoie  naturel 
seigneur  de  Genève  '.  » 

Quels  que  fussent  les  desseins  du  duc  de  Savoie,  il  est 
certain  que  cette  manifestation  armée  était  une  protestation 
contre  le  mariage  d'Espagne.  Il  y  eut  grand  émoi  à  la  cour. 
Les  compagnies  de  chevau-légers  entretenues  à  l'effectif  de 
90  hommes  reçurent  Tordre  d'être  rendues  le  18  mars  en 
Bourgogne  aux  confins  de  la  Bresse.  Le  baron  de  Luz, 
lieutenant  en  cette  province,  dut  partir  immédiatement.  Le 
duc  d'Épernon  ayant  été  parler  de  l'affaire  à  M.Jacob,  celui- 
ci  répondit  <<  que  le  duc  son  maître  n'avait  aucune  intention 
mauvaise,  et  qu'il  en  était  tellement  sûr,  qu'il  consentait  à 
perdre  la  tête  et  l'honneur,  si  le  contraire  arrivait  ».  La  reine, 
raisonnant  le  soir  sur  cette  conversation,  déclara  «  que  le  duc 
trompait  ce  bon  vieux,  afin  de  la  tromper  elle  plus  facilement  "  » . 

Ce  qui,  en  toute  cette  affaire,  était  évidemment  fort  grave, 
c  est  que  l'on  soupçonnait  l'Espagne  d'être  de  connivence 
avec  la  Savoie  dans  cette  entreprise  dirigée  contre  la  capitale 
des  hérétiques  et  pour  laquelle  on  disait  que  le  pape  avait 
donné  de  l'argent  ".  Villeroy  alla  trouver  don  Innico  pour  lui 


1.  Sommaire  des  droits  et  raisons  de  Son  Altesse  Sérénissime  le  duc 
de  Savoie  sur  la  ville  de  Genève  (n°  3  804,  fonds  français). 

2.  Scip.  Ammirato,  28  février  1611. 

3.  Matteo  Botti,  5  mars  1611. 


POLITIQUE    EXTERIEURE.  2D7 

déclarer  que,  si  le  duc  poussait  plus  avant.  Sa  Majesté  vou- 
lait aller  à  Lyon  avec  le  roi  son  fils  et  qu'elle  faisait  prier 
l'ambassadeur  de  vouloir  bien  l'accompagner.  Don  Innico 
répondit  qu'il  suivrait  la  reine  et  la  servirait  en  toutes 
choses  *. 

Etant  admis  que  le  but  de  l'Espagne  était  de  brouiller 
complètement  la  Savoie  avec  la  France,  il  faut  avouer  qu'elle 
réussissait  admirablement  en  engageant  le  duc  de  Savoie 
dans  cette  fâcheuse  prise  d'armes.  Les  esprits  étaient  si 
montés  à  la  cour  de  France,  que  le  jeune  roi,  pris  d'une 
ardeur  belliqueuse,  déclarait,  comme  en  se  redressant  sur 
ses  ergots,  dans  le  cabinet  de  la  reine,  devant  de  nom- 
breux témoins,  que  jusqu'au  moment  de  monter  à  cheval 
le  temps  lui  semblerait  durer  plus  de  mille  ans;  et,  courant 
à  une  glace,  après  s'y  être  regardé,  il  se  tourna  vers  les 
assistants  en  disant  qu'il  se  croyait  deux  fois  plus  grand 
depuis  que  l'on  parlait  de  cette  guerre'.  Le  gouvernement 
dépêcha  en  toute  hâte  auprès  du  duC;  Barrault,  ancien  secré- 
taire à  Madrid,  et  l'ambassadeur  savoisien  lui  envoya  TrogUu 
pour  l'avertir  des  conséquences  de  sa  démonstration.  En 
même  temps  des  huguenots  prenaient  les  armes  pour  aller 
au  secours  de  Genève.  Les  Suisses  concentrèrent  10000  hom- 
mes. Lesdiguières  se  rapprochait  de  la  ville  menacée  ". 

La  question  du  départ  de  la  reine  et  du  roi  pour  la  fron- 
tière fut  sérieusement  agitée.  Ceux  qui  s'y  opposaient  faisaient 

I.  Scip.  Ammirato,  82  février  1611.  B.  Z.,  De  dissolutione...,  append.  X. 

•2.  Mons  II  Clero  (La  Ville-aux-Clercs)  mi  racconto  una  vivacita  del 
Re  in  queste  nuove  di  giierra.  che  è  stata,  che  rasçionandone  nel  suo 
gabinetto  alla  presen:{a  di  molti  siguori,  sua  maesta  galla^:jando  mos- 
trava  desiderio;  et  che  gli  paresse  mille  anni  di  essere  a  cavallo,  et 
che  andato  correndo  alla  volta  di  uno  specchio,  et  riguardatosi,  si  volto 
a  circostanti  con  dir  loro,  che  gli  pareva  di  poi  che  se  ne  era  com- 
minciato  a  ra'^ionare,  di  essere  cresciuto  il  doppio  di  quel  che  era 
prima.  Scip.  Ammirato,  3  mars  1611. 

3.  Ha  ben  detto  sua  Maesta  discorrendo  che  duca  de  Savoia  haveva 
una  bella  fatica  a  pigliar  Ginevra  poichè  li  Svi:^:^eri  si  mettevano 
alVordine  per  andarla  a  soccorrere  et  che  saranno  in  numéro  di  dieci 
mila,  et  che  ella  ha  ordinato  alVAldighicra  che  pigli  un  passo  vicino 
a  quella  citta  per  impedirlo  a  Savoia.  Scip.  Ammirato,  4  mars  1611. 

17 


2  58  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

valoir  que,  si  le  duc  de  Savoie  s'obstinait,  c'était  un  signe  ou 
que  l'Espngne  le  secondait,  ou  qu'il  avait  des  intelligences  en 
France.  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  il  ne  convenait  pas  que 
Leurs  Majestés  sortissent  de  la  capitale  qui  leur  était  si  affec- 
tionnée. Car,  en  dehors  d'elle,  il  serait  moins  difficile  à  des 
gens  malintentionnés  de  mettre  à  exécution  de  mauvais  des- 
seins contre  leurs  personnes.  Dans  le  cas  où  les  princes 
feraient  cause  commune  avec  le  duc  de  Savoie,  ils  pourraient 
plus  aisément  soulever  Paris  en  l'absence  de  Leurs  Majestés 
que  si  elles  y  restaient.  Il  importait  autant  de  conserver  cette 
ville  que  le  reste  du  royaume;  car  toutes  les  cités  «  suivent  le 
mouvement  donné  par  elle,  par  ce  grand  chaos  ».  De  plus, 
l'Espagne  étant  de  connivence  avec  la  Savoie,  elle  jetterait 
peut-être  la  Flandre  sur  la  Picardie;  à  Paris  on  serait  plus  à 
proximité  que  partout  ailleurs  pour  la  défendre. 

Ceux  qui  soutenaient  l'idée  du  départ  de  la  reine  et  du 
roi  pour  l'armée  disaient  qu'il  fallait  à  tout  prix  empêcher 
un  prince  de  prendre  le  commandement  de  Tarmée  *  et  par- 
ticulièrement le  prince  de  Condé,  qui  l'avait  revendiqué  et 
dont  on  connaissait  la  nature  perfide  et  les  dispositions  équi- 
voques. Personne  ne  commandant  en  la  présence  du  roi,  on 
pourrait,  s'il  allait  à  Lyon,  nommer  comme  lieutenant  un 
brave  serviteur  tel  que  le  maréchal  de  la  Châtre.  Avec  un 
bon  gouverneur,  Paris,  qui  était  une  ville  si  fidèle,  ne  bou- 
gerait pas  -. 

Telles  étaient  les  opinions  en  présence  :  Jacob,  effaré, 
renvoyait  son  fils  à  Turin,  tout  en  se  lamentant  de  ce  que 
la  reine  manquât  à]sa  parole;  en  ce  qui  concernait  le  mariage, 
il  affirmait  que  le  duc  ne  voudrait  point  troubler  par  les 
armes  la  paix  du  royaume.  Mais  il  ne  se  gênait  pas  pour  dire 
que,  si  Son  Altesse  avait  écouté  les  avis  qui  lui  venaient  de 


1.  Questo  importa  conservarlo  quanto  il  resto  del  Regno,  poichè  tutte 
le  citta  si  governono  seconda  il  vioto  di  questa,  di  questo  gran  caos^ 
—  Scip.  Ammirato,  4  mars  161 1. 

2.  Scip.  Ammirato,  4  mars  161 1. 


J 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  2  59 

Rome  et  de  Florence,  il  n'aurait  point  été  trompé  par  Sa 
Majesté;  car  on  lui  écrivait  d'un  côté  et  de  l'autre  que  la 
reine  de  France  se  moquait  de  lui  '. 

Le  mercredi  2  mars  fut  tenu  un  conseil  en  présence  du 
roi.  On  y  résolut  une  levée  de  6  000  Suisses  et  commission 
à  cet  effet  fut  envoyée  à  M.  de  Refuge,  ambassadeur  en 
Suisse,  mais  avec  la  réserve  d'attendre  de  nouveaux  ordres 
pour  y  procéder.  Un  courrier  exprès  fut  envoyé  au  maré- 
chal de  Lesdiguières,  pour  lui  enjoindre  de  tenir  prêts 
3  000  hommes,  qu'on  jetterait  au  besoin  dans  Genève.  Pour 
ne  donner  à  la  ville  aucune  appréhension,  ces  hommes  seraient 
tous  protestants  ^  D'Alincourt  et  le  grand  écuyer  de  Belle- 
garde  allèrent  rejoindre  leurs  postes  :  le  premier  à  Lyon,  dont 
il  était  gouverneur;  et  le  second  dans  sa  province.  Le  départ 
du  roi  fut  donc  tout  au  moins  ajourné.  .  i 

Sur  ces  entrefaites,  passa  à  Paris  un  ambassadeur  de 
Savoie  se  rendant  en  Angleterre,  le  comte  de  Ruffia;  nous 
verrons  plus  tard  à  quelle  intention.  L''ambassadeur  vénitien, 
qui  ne  paraît  pas  bien  informé  sur  ce  point,  prétend  qu'il 
fut  bien  reçu  de  la  reine.  Ammirato  raconte  bien  différem- 
ment cet  épisode.  D'après  lui,  le  comte  de  Ruffia  fut  reçu 
en  audience  au  moment  où  la  cour  allait  se  transporter  à 
Saint-Germain;  il  exprima  son  étonnement  de  ce  que  Sa 
Majesté  pût  croire  que  son  maître  nourrissait  de  mauvaises 
intentions  contre  le  royaume  de  France,  et  voulait  venir  les 
armes  à  la  main.  La  reine  répliqua  qu'il  n'y  avait  pas  Héu 
de  s'étonner;  car  c'était  une  chose  visible  à  l'œil  nu.  L'am- 
bassadeur ayant  insisté  en  disant  que  Sa  Majesté  ne  pouvait 
pas  croire  cela,  étant  données  surtout  les  assurances  for- 
melles de  Jacob,  la  reine  éleva  la  voix  en  disant  que  le  duc 
trompait  l'ambassadeur  afin  de  la  tromper  elle,  comme  il 
l'avait  déjà  fait  si  souvent.  Ces  paroles  furent  entendues  de 
l'assistance   et  répétées    après  par  Marie  de  Médicis:;e.lje- 

.uôt 

1.  Scip.  Ammirato,  4  mars  1611.  '.  ,'■ 

2.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  9  mars  1611. 


26o  LA    MINORITi:    DE    LOUIS    XIII. 

même.  Le  comte  de  Ruffia  ne  nia  point  d'ailleurs,  dans  ses 
entretiens  avec  les  autres  ambassadeurs,  que  des  troupes  du 
duc  de  Savoie  eussent  passé  les  Alpes;  mais  il  déclara  que  ce 
n'était  pas  à  une  fin  plutôt  qu'à  une  autre,  et  il  ne  se  cacha 
pas  pour  dire  que  la  meilleure  intelligence  régnait  entre  la 
Savoie  et  TEspagne  et  que  les  Espagnols  qui  se  trouvaient 
en  Savoie  seraient  les  premiers  à  marcher  avec  le  duc  *. 

Le  duc  de  Savoie  ne  fut  pas  heureux  dans  une  tentative 
dont  le  but,  quel  qu'il  fût,  ne  pouvait  être  atteint  sans  porter 
préjudice  aux  intérêts  ou  à  la  tranquillité  de  la  France.  La 
nature  lui  fit  obstacle  :  car  les  neiges  du  mont  Cenis,  hautes 
de  dix  pieds,  retardèrent  le  passage  de  ses  troupes  et  don- 
nèrent ainsi  au  gouvernement  français  le  temps  d'aviser. 
Puis,  quand  cette  petite  armée,  péniblement  concentrée, 
se  présenta  au  pont  de  Gresin  pour  se  porter  sur  le  terri- 
toire de  Genève  et  du  Valesan,  le  baron  de  Luz  leur  fit 
rebrousser  chemin  par  la  force  ".  Voyant  l'afiairc  manquée, 
Charles-Emmanuel  donna  l'assurance  que  tout  s'arrangerait 
pacifiquement. 

En  efi'et,  Jacob  reçut  l'ordre  de  rester  à  Paris,  et  le  duc 
de  Savoie  fit  annoncer  qu'il  commençait  à  désarmer.  Cepen- 
dant le  baron  de  Luz,  qui  ne  le  perdait  pas  de  vue,  faisait 
savoir  que  le  pont  de  Gresin  continuait  à  être  menacé  et 
que  les  cavaliers  bourguignons,  licenciés  pour  la  forme  par 
Son  Altesse,  continuaient  à  recevoir  sous  main  leur  solde. 
On  n'ignorait  pas  non  plus  que  des  levées  de  gens  de  pied 
et  de  cheval  se  faisaient  dans  le  Luxembourg  au  compte  de 
Charles-Emmanuel.  L'ambassadeur  d'Espagne  et  celui  des 
Pays-Bas  déclaraient  que  le  duc  ne  recevrait  d'eux  aucun 
appui  et  le  baron  de  Luz,  auquel  on  envoyait  des  renforts, 
répondait  de  tout  ^  Mais  la  reine  tenait  surtout  à  ce  que  le 


1.  Scip.  Ammirato,  7  mars  1611.  — Ambass.  vénit.  Foscarini,  2  mars 
lOii. 

2.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  2  mars  1611. 

3.  Ambass.  vénit.  Foscarini,  22  mars  1611. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  20  I 

duc  accomplît  entièrement  sa  promesse  avant  l'assemblée 
des  protestants.  Elle  lui  adressa,  pour  cet  objet,  M.  de  la 
Varenne,  muni  d'arguments  de  toute  nature  :  il  portait  à 
Charles-Emmanuel  la  confirmation  de  sa  pension  de 
100  000  écus  par  an;  quant  au  mariage,  il  devait  dire  que 
l'intention  du  gouvernement  français  était  d'accomplir  tout 
ce  qu'avait  promis  le  roi  mort;  mais  qu'il  fallait  attendre 
que  le  nouveau  roi  fût  en  âge.  On  pouvait  ainsi  espérer 
que  le  duc  en  arriverait  de  lui-même  à  renoncer  à  cette 
espérance  subordonnée  à  une  si  longue  attente.  La  reine 
parla  très  rigoureusement  à  Jacob  relativement  au  désarme- 
ment, en  faveur  duquel  le  nonce  et  l'ambassadeur  d'Espagne 
lui  offrirent  plus  ou  moins  sincèrement  ses  bons  offices 
et,  au  besoin,  des  manifestations  plus  énergiques  de  leurs 
gouvernements  *. 

Mais  les  promesses  du  Savoyard  n'étaient  encore  qu'un 
leurre.  Un  avis  authentique  fit  connaître  à  Marie  de  Médicis 
que  Charles-Emmanuel  restait  en  armes,  dans  la  croyance 
qu'à  l'occasion  de  leur  assemblée,  les  huguenots  devaient 
très  prochainement  faire  naître  des  troubles  dans  le  royaume. 
Dans  cette  hypothèse,  la  reine  étant  forcée  de  réprimer 
leur  insolence  par  les  armes,  le  moment  serait  favorable  au 
duc  pour  attaquer  Genève  sans  attirer  sur  lui  les  foudres  de 
la  France.  Jacob  s'efforça  de  démentir  ce  bruit  et  de  dissiper 
ce  soupçon.  Il  se  rendit  à  Fontainebleau,  où  s'était  trans- 
portée la  cour  vers  le  milieu  d'avril.  Dans  ses  conversations 
avec  Villeroy  et  avec  la  reine  il  affirma  que  son  maître 
désarmerait  complètement  quand  l'exemple  en  aurait  été 
donné  par  les  Bernois,  alors  sur  le  qui-vive  pour  la  protec- 
tion de  la  liberté  helvétique  menacée  à  Genève  ;  il  s'efforça  de 
justifier  les  intentions  du  duc  et  attaqua  de  nouveau,  contre 
toute  espérance,  la  question  des  mariages,  se  berçant  de 
l'illusion  qu'il  pouvait  encore  y  avoir  à  la  cour  de  France 

I.  Ambass.  vénit,  Foscatini,  20  avril  161 1.  Cf.  B.  Z.,  De dissolutione..., 
append,  XII.  —  Scip.  Ammirato,  26  avril  1611. 


202  I.A  .MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

quelque  prince  pour  soutenir  le  parti  de  Savoie.  La  reine 
continuait  à  faire  la  sourde  oreille  sur  cette  matière,  mais 
insistait  avec  plus  de  force  que  jamais  sur  le  désarmement 
du  duc,  voulant  ôter  aux  huguenots  tout  sujet  de  plainte 
ou  de  suspicion,  et  elle  commanda  expressément  à  M.  de  la 
Varenne  de  ne  point  retourner  à  Paris  avant  d'avoir  con- 
staté que  Charles-Emmanuel  s'était  exécuté;  pour  plus  de 
sûreté,  elle  lui  prescrivit  de  voir  en  passant  le  maréchal  de 
Lesdiguières  et  de  s'entendre  avec  lui.  En  même  temps  la 
reine  donna  l'ordre  à  Villeroy  de  s'aboucher  avec  Jacob  et 
de  faire  en  sorte  que  le  duc  et  les  Bernois  en  arrivassent  à 
déposer  simultanément  et  complètement  les  armes  *. 

La  mission  de  la  Varenne  réussit.  Le  29  mai  il  était  de 
retour  de  Turin.  La  cour,  qui  était  revenue  à  Paris  pour  le 
jour  anniversaire  de  la  mort  de  Henri  IV,  était  déjà  repartie 
pour  Fontainebleau.  Sans  mettre  pied  à  terre  La  Varenne 
l'y  suivit.  Il  fut  immédiatement  introduit  auprès  de  la  reine, 
et,  en  entrant,  lui  dit  à  haute  voix,  de  manière  à  être 
entendu  de  tous  :  «  Madame,  j'ai  pleinement  exécuté  vos 
commandements;  le  duc  a  désarmé  et  s'est  conformé  au 
désir  de  Votre  Majesté  ».  Puis  il  s'approcha  d'elle  et  lui 
raconta  les  particularités  de  sa  négociation.  Il  lui  exposa  les 
plaintes  que  le  duc  de  Savoie  lui  avait  confiées  en  le  priant 
d'en  faire  part  à  la  régente.  Charles -Emmanuel  lui  avait 
rappelé  le  passé,  les  dépenses  et  les  périls  auxquels  il  s'était 
exposé  pour  avoir  adhéré  aux  idées  du  feu  roi.  Il  s'en  était 
dédommagé  pour  une  grande  part,  disait-il,  par  l'espérance 
d'un  mariage  qui  lui  avait  paru  devoir  affermir  sa  situation 
et  garantir  sa  sécurité;  mais  maintenant,  n'ayant  à  se  repaître 
que  d'illusions  d'une  part,  et  se  trouvant  en  révolte  ouverte 
contre  l'Espagne^,  il  priait  la  reine  de  prendre  en  considération 
son  état  et  d'envisager  la  nécessité  qui  le  contraindrait  fina- 
lement à  prendre  une  résolution  de  nature  à  l'assurer  contre 

I.  Ambass.  vénit.  Zeni,  4  mai  1611. 


POLITIQUE    EXTÉRIEURE.  203 

tout  danger.  Sa  Majesté  n'avait  qu'à  mettre  en  balance  les 
bons  ou  les  mauvais  effets  qui  pouvaient  résulter  de  l'adhé- 
sion d'un  duc  de  Savoie  à  un  parti  plutôt  qu'à  un  autre; 
aussi  la  priait-il  de  vouloir  bien,  en  tenant  compte  de  sa 
bonne  volonté  si  complète,  le  consoler  par  des  effets  con- 
formes à  des  promesses  solennelles  et  dignes  de  son  âme 
royale. 

La  pointe  de  la  menace  était  à  peine  déguisée  sous 
l'abondance  de  ces  protestations,  et  l'on  pouvait  bien 
reconnaître,  aux  allusions  faites  à  la  situation  intérieure  du 
royaume  et  à  la  mention  même  de  ces  forces  que  le  duc 
pouvait,  disait-il,  mettre  en  quelques  heures,  ainsi  que  sa 
personne,  au  service  de  Sa  Majesté,  le  vieux  conspirateur 
toujours  prêt  à  susciter  des  troubles  chez  ses  voisins  pour  en 
tirer  profit.  M.  de  la  Varenne  eut  beau  assurer  la  régente 
qu'il  avait  remarqué  chez  le  duc  la  volonté  bien  arrêtée  de 
rester  étroitement  uni  avec  la  couronne  de  France,  Marie 
de  Médicis,  qui  se  souvenait  des  tristes  jours  des  conspira- 
tions de  Biron  et  d'Entragues,  se  contenta  de  féliciter  son 
envoyé  sur  l'heureux  accomplissement  de  sa  mission., 
La  Varenne  rapportait  en  effet  un  traité  en  due  forme,  aux 
termes  duquel  le  duc  de  Savoie  s'engageait  à  désarmer, 
tandis  que  d'autre  part  la  régente  lui  garantissait  sa  sûreté 
personnelle,  ainsi  que  l'intégrité  de  ses  possessions  \ 

Dans  la  pensée  de  la  régente,  c'était  déjà  Textrême  limite 
des  concessions  qu'elle  entendait  faire  à  l'allié  de  la  der- 
nière heure  du  roi  Henri  IV.  Pour  Charles-Emmanuel,  ce 
n'était  qu'une  nouvelle  base  d'opérations  qui  lui  permettait 
de  reprendre  la  campagne  matrimoniale  dont  il  envisageait 
encore  le  succès  comme  possible.  La  Varenne  avait  été 
suivi  de  près  par  un  courrier  qui  remit  à  l'ambassadeur 
Jacob,  de  la  part  du  duc  de  Savoie,  l'ordre  de  renouveler 
ses  instances  en  faveur  du  mariage  autrefois  projeté,  si  La 

I.  Sol.  della  Marguerita,  Traités  publics  de  la  Maison  de  Savoie^ 
t.  I,  p.  288.  —  Ambass.  vénit.  Nani,  14  juin  ibii. 


264  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Varenne  jugeait  qu'une  nouvelle  ouverture  dans  ce  sens  fur 
opportune  ;  et,  dans  le  cas  contraire,  de  demander  au  moins 
quelque  honnête  satisfaction  pour  les  excessives  dépenses 
auxquelles  il  avait  été  entraîné.  La  Varenne  dissuada  Jacob 
de  remettre  en  avant,  pour  le  moment,  la  question  de 
mariage,  connaissant  la  résolution  prise  par  Marie  de  Médicis 
de  ne  s'engager  à  rien  et  de  gagner  du  temps;  quant  à 
l'indemnité  réclamée  par  Charles-Emmanuel,  on  ne  pouvait 
en  prendre  la  demande  au  sérieux;  ce  n'était  pas  au  gou- 
vernement français  de  payer  les  frais  d'armements  en  face 
desquels  il  avait  été  contraint  de  mettre  sur  pied  ses  propres 
forces. 

Le  résultat  le  plus  clair  et  le  plus  avantageux  que  la 
régente  pouvait  tirer  de  ses  négociations  avec  Turin  était 
de  la  placer  en  face  des  protestants,  les  mains  libres  en 
apparence  de  tout  engagement,  et  sous  le  coup  d'un  succès 
diplomatique  favorable  à  leur  situation  en  Europe.  Elle 
espérait,  par  ce  moyen,  leur  montrer  l'inanité  de  leurs 
inquiétudes  et  apaiser  leurs  griefs.  Mais  ce  n'était,  en  somme^ 
qu'un  expédient  pour  masquer  le  but  que  s'assignait  désor- 
mais d'une  manière  inébranlable  sa  politique  :  le  rappro- 
chement intime  avec  l'Espagne. 


IX 


L'ASSEMBLEE  DE  SAUMUR 


Pendant  le  séjour  de  la  cour  à  Fontainebleau,  le  gouvernement  fran- 
çais se  rapproche  visiblement  de  celui  de  Madrid.  —  Concurrence 
de  Matteo  Botti  et  de  l'ambassadeur  espagnol  don  Inigo  de  Cardenas 
pour  la  réussite  de  l'alliance  franco-espagnole.  —  Célébration  mes- 
quine de  l'anniversaire  du  décès  de  Henri  IV.  —  L'hôtel  du  mar- 
quis d'Ancre  au  milieu  de  l'année  1611  paraît  être  le  centre  des 
affaires  et  de  la  faveur.  —  Nature  de  l'influence  de  Concini  à  cette 
époque.  —  Les  deux  époux  semblent  se  désintéresser  complètement 
de  l'affaire  des  mariages  espagnols.  —  Le  gouvernement  d'Amiens 
donné  par  la  reine  au  marquis  d'Ancre.  —  Il  n'est  pas  l'auteur 
principal  de  la  chute  de  Sully.  —  Nécessité  de  calmer  les  protes- 
tants irrités  de  la  disgrâce  du  principal  d'entre  eux.  —  Affaire  de 
M.  de  Boisse,  gouverneur  de  Bourg  en  Bresse,  et  de  M.  le  Grand, 
gouverneur  de  la  province.  —  Convocation  de  l'assemblée  triennale 
des  protestants.  —  Malgré  les  imprudences  de  Botti,  il  faut  laisser 
sommeiller  l'affaire  des  mariages  espagnols  pendant  la  durée  de 
cette  assemblée.  —  Sully  demande  à  s'y  rendre.  —  La  cour  le  fait 
secrètement  menacer  d'une  revision  de  ses  comptes.  —  L'assemblée 
se  réunit  à  Saumur.  —  Sully  s'y  présente.  —  La  cour  lui  oppose 
l'influence  du  duc  de  Bouillon.  —  La  présidence  est  déférée  à 
Du  Plessis-Mornay.  —  Aigres  doléances  de  Sully.  —  Requêtes  de 
l'assemblée  à  la  couronne.  —  La  question  des  intérêts  particuliers 
de  Sully  est  tenue  en  réserve.  Les  commissaires  du  gouvernement 
insistent  pour  que  l'assemblée  procède  à  l'élection  de  ses  députés. 
—  L'assemblée  envoie  à  Pans  une  délégation  chargée  de  présenter 
ses  cahiers.  —  Convocation  des  princes  et  membres  du  conseil 
absents.  —  Réponse  dilatoire  faite  par  la  reine  aux  délégués.  — 
Leur  retour  à  Saumur.  —  Messages  comminatoires  et  mesures 
prises  pour  amener  la  dissolution  de  l'assemblée.  —  Résistance  de 
Sully.  —  Il  est  abandonné.  —  L'assemblée  se  sépare  le  12  septembre 
après  l'élection  de  ses  députés.  —  Le  jeu  des  intérêts  particuliers 
toujours  actif  pendant  la  tenue  de  l'assemblée.  —  Dispersion  des 


2  66  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

princes  et  grands  seigneurs  dans  leurs  gouvernements  au  milieu 
de  Tannée  lôii.  —  Le  duc  de  Guise  en  Provence.  —  Voyage  du 
prince  de  Condé  dans  le  centre  et  en  Guienne.  —  Ses  démêlés  et 
sa  reconciliation  avec  le  duc  d'Épernon. — Son  attitude  hostile  aux 
huguenots. —  A  Bordeaux  il  cause  des  enibarras  au  gouvernement. 

—  Contiit  du  duc  de  Guise  et  du  duc  d'Epernon  revenus  à  la  cour. 

—  Intervention  conciliante  du  duc  de  Mayenne.  —  Ferme  déclara- 
tion de  la  reine  aux  députés  huguenots.  —  L'édit  de  Nantes  main- 
tenu et  améliore.  —  Dernières  manifestations  d'opposition  de  Sully. 

—  Sa  cause  ne  trouve  plus  de  défenseurs.  —  Il  rentre  dans 
l'ombre.  —  Rôle  familier  du  marquis  d'Ancre.  —  Ses  démêlés  avec 
le  comte  de  Saint-Pol  à  propos  de  la  possession  de  la  citadelle 
d'Amiens.  —  lerminaison  de  l'affaire  de  Bourg  en  Bresse. 


Le  séjour  de  la  cour  à  Fontainebleau  pendant  les  fêtes  de 
Pâques  de  l'année  1611  ne  fut  pas  une  retraite  assez  silen- 
cieuse et  discrète  pour  que  rien  ne  transpirât  au  dehors  des 
secrets  desseins  de  Marie  de  Médicis.  Elle  avait  cependant  eu 
soin  de  n'emmener  avec  elle  qu'un  très  petit  nombre  de 
princes  et  de  courtisans  *. 

Le  marquis  d'Ancre  et  sa  femme  étaient  eux-mêmes  restés 
à  Paris.  Il  ne  s'en  produisit  pas  moins  une  manifestation 
significative.  Le  général  de  Philippe  III  aux  Pays-Bas,  le 
marquis  Spinola,  passant  par  la  France  pour  s'en  retourner 
en  Espagne,  se  rendit  à  Fontainebleau  pour  baiser  la  main 
de  la  reine  et  du  jeune  roi,  après  avoir  accepté  l'hospitalité 
du  prince  de  Condé  dans  son  domaine  de  Clermont-sur- 
Oise  et  s'être  vu,  à  Paris,  l'objet  d'une  magnifique  réception 
de  la  mère  et  de  la  femme  du  prince  ■.  Cette  démarche,  qui 
ôtait  aux  prévenances  de  la  maison  de  Condé  pour  le  général 
espagnol  ce  qu'elles  avaient  de  légèrement  offensant  pour 
la  régente,  pouvait  être  considérée  comme  l'indice  du  rap- 
prochement intime  qui  s'opérait  entre  le  gouvernement 
français  et  celui  de  Madrid,  au  grand  déplaisir,  à  ce  moment, 
du  prince  de  Condé  lui-même. 

L'ostentation  que  mit  l'ambassadeur  extraordinaire  Matteo 


1.  Scip.  Ammirato,  21,  29  mars  16 n. 

2.  Scip.  Ammirato.  —  Ambass.  vénit.,  6  avril  161 1. 


l'assemblée  de  saumur.  267 

Botti  à  s'acquitter,  avant  son  départ,  de  la  cérémonie  si  long- 
temps retardée  par  le  gouvernement  de  Florence  des  con- 
doléances pour  la  mort  de  Henri  IV  *,  et  l'empressement  trop 
marqué  avec  lequel  il  suivit  Marie  de  Médicis  dans  la  direc- 
tion de  Fontainebleau  accompagné  de  toute  sa  suite,  cou- 
chant à  Essonne,  s'installant  à  Moret  et  réussissant  enfin  à 
déterminer  la  régente  à  dépêcher  M.  Girault  pour  lui  offrir 
un  logis  à  Fontainebleau  même  ^,  indiquaient  par  tout  ce 
tapage  d'un  homme  habitué  à  faire  plus  de  bruit  que  de 
besogne,  l'intention  de  profiter  de  circonstances  jugées 
par  lui  favorables  pour  se  démener  en  faveur  de  ses  des- 
seins. On  lui  donne  tout  un  appartement  dans  le  palais  entre 
la  cour  du  Cheval-Blanc  et  la  cour  du  Lac  ^,  il  va  à  l'audience 
de  la  reine,  la  suit  à  la  chasse  du  sanglier,  qui  ne  vient  pas 
en  scène;  car  les  chasseurs  ^  le  tuent  en  voulant  le  faire 
sortir  des  fourrés,  et  s'en  retourne  le  13  avril  à  Paris  avec  le 
train  fastueux  qu'il  jugeait  devoir  donner  un  caractère  plus 
auguste  aux  diverses  missions  pour  lesquelles  il  se  faisait 
accréditer  à  grands  frais  auprès  de  la  régente. 

Ce  n'est  pas  sans  en  prendre  de  l'ombrage  que  l'envoyé 
florentin,  qui  comptait  s'aboucher  avec  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, don  Inigo  de  Cardenas,  avait  appris  que  celui-ci  s'était 
établi  dans  une  maison  de  campagne  aux  environs  de  Fon- 
tainebleau, que  de  là  il  venait  à  la  cour  et  s'en  était  absenté 
précisément  pendant  le  séjour  de  la  mission  itahenne.  «  Son 
Excellence,  M.  l'ambassadeur  d'Espagne,  écrit  Scip.  Ammi- 
rato,  a  trouvé  dans  cet  endroit  une  source  d'eau  merveil- 
leuse, et,  comme  il  ne  boit  pas  de  vin,  il  s'est  installé  là 
à  sa  grandissime  satisfaction,  et,  en  très  bon  connaisseur  qu'il 
est,  jugeant  cette  eau  bien  préférable  à  n'importe  quelle  pré- 
cieuse liqueur  de  Bacchus,  il  en  a  envoyé  à  la  reine  dans 


1.  Matteo  Botti,  6,  9  avril  161 1;  voir  les  extraits. 

2.  Scip.  Ammirato,  9  avril  161 1. 

3.  Scip.  Ammirato,  Matteo  Botti,  11  avril  161 1. 

4.  Scip.  Ammirato,  14  avril  161 1. 


208  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

deux  bouteilles  d'argent.  Sa  Majesté  a  accepté  et  agréé  le 
cadeau,  et  a  fait  donner  ensuite  au  gentilhomme  qui  le  lui  a 
apporté,  une  chaîne  de  cent  écus.  De  là  Son  Excellence  s'en 
est  allée  à  Melun,  localité  qui  se  trouve  aussi  à  trois  lieues 
de  la  cour,  et  j'apprends  de  M.  Girault  que,  de  deux  jours 
Tun,  il  va  voir  M.  de  Villeroy  et  négocier  avec  lui  *.  » 

De  toutes  ces  circonstances,  Ammirato  tirait  assez  mécham- 
ment pour  son  chef  de  file  des  conclusions  fort  inquiétantes 
au  point  de  vue  de  l'amour-propre  florentin  :  <'  Tout  cela,  dit- 
il,  met  fort  en  doute  relativement  à  ce  que  m'a  dit  le  mar- 
quis Concino  et  à  ce  que,  d'autre  part,  a  écrit  d'Espagne  le 
comte  Orso,  à  savoir  que  l'ambassadeur  veut  traiter  lui-même 
cette  affaire  des  mariages.  Je. n'ai  pas  manqué  de  faire  part 
de  mes  appréhensions  à  M.  l'ambassadeur  Botti;  il  m'a 
répondu  que  Son  Excellence  n'est  pas  là  pour  cette  affaire, 
mais  seulement  pour  savoir  ce  que  Sa  Majesté  veut  décider 
relativement  aux  affaires  de  Savoie.  Si  cela  était  vrai,  il  n'y 
auraitpasdemal.  Mais  ce  n'est  pasabsolument  vraisemblable.  » 

Botti  devenait  de  plus  en  plus  la  mouche  du  coche  impor- 
tune, et  pour  avoir  voulu  se  réserver  à  lui  seul  toute  la 
négociation,  elle  commençait  à  lui  échapper  entièrement. 
Le  nonce  du  pape  se  plaignait  de  lui  avec  vivacité.  «  Contre 
les  ordres  qu'il  a  reçus  de  là-bas,  disait-il  à  Scip.  Ammirato, 
il  me  tient  à  l'écart  avec  une  incroyable  rigueur,  et  certes 
s'il  m'avait  fait  des  communications,  on  aurait  commis 
moins  d'erreurs,  et  les  choses  seraient  sans  doute  en  meil- 
leurs termes.  Suivant  mon  opinion,  il  n'y  a  rien  de  fait,  et 
certes  il  faut  qu'à  Florence  ils  soient  de  bien  facile  créance ^  » 
Le  sieur  Botti  disait  cependant  à  qui  voulait  l'entendre  que 
tout  était  fini  et  qu'il  comptait  bien  partir  la  première 
semaine  de  juin.  Il  était  sans  doute  fort  loin  de  compte; 
mais  la  question  des  mariages  espagnols  avait  évidemment 
été  remise  sur  le  tapis  à  Fontainebleau,  et  les  renseigne- 

1.  Scip.  Ammirato,  26  avril  161 1. 

2.  Ibidem. 


l'assemblée  de  saumur.  269 

ments  indirects  que  Botti  recueillit  de  côté  et  d'autre  après 
son  voyage  lui  permirent  d'affirmer  que  les  résolutions  défi- 
nitives seraient  remises  après  la  session  de  l'assemblée  des 
huguenots  *. 

En  attendant,  la  cour,  dès  le  commencement  de  m.ai,  se 
prépara  à  revenir  à  Paris  pour  la  célébration  du  triste  anni- 
versaire de  la  mort  de  Henri  IV,  et  le  conseil,  la  précédant, 
se  transporta  dans  la  capitale.  La  reine  se  fit  désirer  ". 
Le  1 1  mai  on  l'attendait  à  Paris  pour  l'heure  du  déjeuner. 
«  Mais,  écrit  Scip.  Ammirato,  comme  il  fait  très  froid,  elle 
n'aura  pas  voulu  se  lever  dès  l'aube,  d'autant  plus  qu'elle 
s'est  purgée  la  semaine  dernière  ^  »  Elle  n'arriva  que  le 
mercredi  11  au  soir.  Le  samedi  14,  le  roi  et  la  reine  mère 
allèrent  aux  Feuillants,  où  le  bout  de  Tan  fut  célébré.  De 
nombreuses  messes  furent  dites  ;  chaque  ordre  religieux  avait 
envoyé  à  cet  eff"et  un  certain  nombre  de  prêtres.  La  reine, 
qui  assista  à  tout  l'office  avec  les  princesses  et  presque  toute  la 
cour,  se  trouva  mal  pendant  la  cérémonie  et  versa  des  larmes. 
Revenue  au  Louvre,  elle  s'enferma  dans  ses  appartements 
pendant  la  matinée. 

L'impression  générale  fut  cependant  que  la  solennité 
n'avait  pas  été  à  la  hauteur  du  grand  et  déplorable  souvenir 
qu'elle  rappelait.  Que  venait  faire  l'ombre  de  Henri  IV,  que 
pouvait  désormais  l'exemple  de  son  gouvernement  si  vigi- 
lant, si  ferme,  si  profondément  national,  au  milieu  d'une 
cour  divisée,  privée  d'une  direction  sûre  et  où  tous  les  inté- 
rêts, grands  et  petits,  s'orientaient  dans  la  direction  d'une 
faveur  que  recevait  seulement  par  ricochet  un  homme 
indigne,  égoïste  et  incapable?  Si  l'on  voulait  savoir  où  était 
l'influence  prédominante,  était-ce  même  au  Louvre  qu'il 
fallait  s'adresser?  N'était-ce  pas  plutôt  en  l'hôtel  du  faubourg 
Saint-Germain  où  demeurait  le  marquis  d'Ancre? 

1.  Matteo  Botti,  i""  mai  161 1. 

2.  Matteo  Botti,  lo  mai  ibii. 

3.  Scip.  Ammirato,  10,  11  mai  161 1. 


LA    MINORITE   DE    LOUIS   XIII 


Le  spectacle  que  nous  y  présente  Scipione  Ammirato  est 
digne  de  nous  arrêter  un  instant  au  milieu  de  cette  année 
1611,  entre  les  deux  séjours  de  la  cour  à  Fontainebleau.  Non 
seulement  Mme  Concini  est  depuis  longtemps  malade  ;  mais 
son  mari  lui-même,  qui  s'est  foulé  le  pied,  est  aussi  forcé 
de  garder  le  lit.  La  reine  va  voir  la  marquise  qui  semble  aller 
mieux,  la  reine  Marguerite  en  fait  de  même;  et  le  roi  qui 
est  dressé  à  s'acquitter  ponctuellement  de  ses  obligations 
charitables,  après  avoir  touché  les  malades  des  écrouelles 
dans  la  cour  du  Louvre,  «  au  milieu  d'un  grand  concours 
de  peuple  et  avec  beaucoup  de  grâces,  comme  il  sait 
faire  toutes  choses  »,  dit  l'ambassadeur  vénitien,  se  trans- 
porte au  chevet  de  Concini  \  Tout  semble  graviter  autour 
des  impudents  favoris.  «  Mme  Concina,  dit  Scipione  Am- 
mirato,  n'est  pas  encore  guérie  du  mal  qui  la  tient  depuis 
plusieurs  semaines;  car  ses  évanouissements  se  reproduisent 
encore  fréquemment  »,  et  bien  qu'il  n'y  ait  pas  un  danger 
manifeste,  sa  mauvaise  complexion  ne  laisse  aucune  sécurité, 
et,  comme  le  disait  le  marquis  Concino,  qui  m'a  fait  l'hon- 
neur de  m'inviter  à  déjeuner  samedi,  cette  pauvre  femme 
est  la  martyre  des  médecins.  Son  Excellence  ne  l'abandonne 
presque  jamais.  Aussi  le  Louvre  le  voit-il  fort  peu;  il  n'y 
va  que  le  matin  pendant  deux  heures,  et  le  reste  du  jour  et 
de  la  nuit  il  reste  ici  au  faubourg,  où  l'on  peut  se  rendre 
bien  nettement  compte  de  la  grandeur  de  ce  seigneur.  Car, 
à  quelque  heure  que  Ton  arrive  à  cette  maison,  elle  est  tou- 
jours pleine  de  cavaliers  et  de  grands  seigieurs,  et  les  princes 
eux-mêmes  ne  dédaignent  pas  d'y  venir  faire  visite;  parmi 
eux  on  remarque  surtout  le  comte  de  Soissons.  En  somme, 
il  n'est  pas,  dans  cette  cour,  quelqu'un  qui  ait  plus  de  crédit 
et  de  cortège  ".  » 

On  se  méprendrait  cependant  si  Ton  voulait  attribuer  à 
Concini  une  aptitude  quelconque,  et,  à  ce  moment-là,  une 

1.  Ambass.  vénit.,  6  juin.  —  Scip.  Ammirato,  23  mai  161 1. 

2.  Scip.  Ammirato,  io  mai  1611. 


l'assemblée    de    SAUMUR.  27  1 


'/ 

prétention  soutenue  à  diriger  les  affliires  de  l'Etat,  au  sens 
élevé  de  cette  expression.  Il  ne  fallait  lui  demander  rien  de 
ce  qui  exige  du  travail,  de  Tapplication,  des  connaissances 
et  de  la  prévoyance.  De  graves  questions  de  politique  étran- 
gère, des  crises  intérieures  qui  allaient  à  une  bien  autre  pro- 
fondeur que  les  agitations  superficielles  des  intérêts  de  cour 
avaient  été  résolues,  non  pas  en  dehors,  mais  à  côté  de  lui. 
Le  renversement  du  système  politique  de  Henri  IV  par  la 
double  alliance  matrimoniale  avec  l'Espagne,  combinaison 
étudiée  même  avant  la  régence  de  Marie  de  Médicis,  et  alors 
évidemment  sur  le  point  d'aboutir,  n'est  pas  une  conception 
qui  lui  ait  appartenu  en  propre,  bien  qu'il  s'y  soit  énergi- 
quement  rallié  pour  complaire  à  la  régente  et  s'associer  à 
l'œuvre  de  réaction  contre  le  gouvernement  précédent. 

Cette  politique,  après  tout  défendable,  résultait  des  incli- 
nations personnelles  de  Marie  de  Médicis  et  de  la  direction 
qu'imprimait  visiblement  à  la  conduite  des  affaires  extérieures 
l'influence  très  puissante  des  conseils  venus  de  Florence. 
Pour  la  suivre  avec  efficacité  et  pour  en  atténuer  les  incon- 
vénients, il  fallait  des  ministres  expérimentés  tels  que  le  vieux 
Villeroy.  Concini  était  au  courant  de  la  négociation;  il  n'en 
tenait  pas  les  fils.  D'ailleurs,  lui  et  la  marquise  n'attachaient 
qu'une  importance  médiocre  à  tout  ce  qui  ne  concernait  pas 
directement  leurs  intérêts  personnels.  Pendant  le  premier 
séjour  que  la  cour  fit  à  Fontainebleau  au  mois  d'avril  léii, 
alors  que  la  marquise  était  restée  à  Paris  per  purgarsi  et 
bagnarsi,  le  secrétaire  Scip.  Ammirato,  dont  nous  connais- 
sons les  informations  relatives  aux  fréquentes  entrevues  de 
l'ambassadeur  d'Espagne,  don  Inigo  de  Cardenas  et  de  Vil- 
leroy, s'imaginant  non  sans  raison  que  les  négociations  rela- 
tives aux  mariages  espagnols  se  poursuivaient  en  dehors 
de  l'envoyé  spécial  du  grand-duc,  Matteo  Botti,  alla  rendre 
visite  à  la  marquise  et  lui  fit  part  de  ses  soupçons. 
Mme  Concini  eut  l'air  fort  étonnée  de  cette  confidence  et 
répondit  en  personne  peu  au  courant  de  cette  aff'aire  :  qu'il 


272  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

n'y  avait  pas  d'inquiétude  à  avoir;  que  la  reine,  dans  ses 
conversations,  s'était  toujours  montrée  disposée  à  conserver 
son  rang  au  grand-duc,  si  l'on  en  venait  à  la  conclusion  des 
choses;  que,  du  reste,  elle  parlerait  à  la  reine  quand  celle-ci 
serait  de  retour  à  Paris  *. 

Cette  courte  indication  et  une  autre  dont  il  résulte  que 
le  marquis  d'Ancre  vantait  à  tout  propos  les  avantages  de 
l'alliance  avec  Philippe  III,  sont  à  peu  près  les  seules  traces 
que  nous  trouvions,  dans  les  dépêches  florentines,  d'une 
intervention  des  deux  époux  dans  les  négociations  des 
mariages  espagnols.  En  revanche,  Concini  se  payait  grasse- 
ment des  petits  services  qu'il  avait  rendus,  par  de  nouveaux 
accroissements  d'honneurs  et  de  puissance.  Il  acheta  les 
gouvernements  de  Péronne,  Roye  et  Montdidier  en  Picardie, 
se  fit  nommer  lieutenant  du  roi  dans  cette  province,  et, 
pour  s'y  implanter  plus  solidement  encore,  il  négocia  l'achat 
du  gouvernement  d'Amiens  avec  M.  de  Trigny,  qui  en  était 
titulaire.  Concini  offrait  125  000  francs;  il  n'eut  pas  même  à 
les  débourser,  car  M.  de  Trigny  mourut,  et  la  reine  donna 
gratuitement  la  charge  au  marquis  Concino.  «  D'où  l'on  peut 
conclure  que  Dieu  protège  ce  seigneur,  écrit  Scip.  Ammi- 
rato,  puisque  n'ayant  pas  acheté  ce  gouvernement  pour  je 
ne  sais  quels  motifs  un  de  ces  derniers  mois,  il  l'a  eu  main- 
tenant pour  rien.  Comme  Amiens  est  la  cité  et  forteresse 
principale  de  la  Picardie,  on  peut  dire  que  le  sieur  marquis, 
en  étant  lieutenant  royal  de  cette  province  et  en  y  détenant, 
outre  son  marquisat,  d'autres  places,  est  maître  de  tout,  et, 
à  l'occasion,  peut  faire  la  barbe  au  gouverneur  de  la  pro- 
vince '.   » 

En  considérant  la  direction  donnée  aux  affaires  intérieures 
on  reconnaîtra  que  Concini  sans  doute  ne  fut  pas  étranger 
à  la  retraite  du  surintendant  des  finances;  mais  on  sait  qu'il 
se   serait  fort  volontiers   entendu  avec  lui  et  qu'il  aurait 

1.  Scip.  Ammirato,  26  avril  iGii. 

2.  Scip.  Ammirato,  19  février.  22  juin  lôii. 


l'assemblée   de    SAUMCR.  2/3 

usé  de  son  crédit  pour  le  maintenir  aux  affaires,  si  l'ami  de 
Henri  IV  avait  consenti  à  une  association  qui  répugnait 
à  sa  conscience.  Le  marquis  d'Ancre  ne  lui  fit  pas  une 
guerre  ouverte;  il  le  ménagea  au  contraire  le  plus  longtemps 
possible.  A  lui  seul,  d'ailleurs,  il  n'eût  pas  réussi  à  le  renver- 
ser, et  il  fallut  une  entente  générale  de  la  reine,  des  princes, 
des  ministres,  unis  par  le  commun  désir  d'avoir  les  coudées 
franches  dans  le  maniement  des  finances  et  la  direction  des 
aff"aires  politiques,  pour  que  le  marquis  se  décidât,  par  une 
intervention  d'ailleurs  tardive,  à  lui  donner  le  coup  de  grâce. 

Si  le  marquis  d'Ancre  ne  joua  en  réalité  qu'un  rôle  secon- 
daire dans  cette  révolution  ministérielle,  il  faut  dire  aussi 
qu'il  ne  prit  aucune  part  aux  manœuvres  assez  délicates  par 
lesquelles  il  fallut  en  atténuer  les  inconvénients  pendant  tout 
le  cours  de  l'année  léii. 

Privé  de  la  surintendance  des  finances,  du  gouvernement 
de  la  Bastille,  Sully  restait  encore  gouverneur  du  Poitou, 
grand  maître  de  l'anillerie;  et  sa  chute  avait  produit  un  tel 
efi"et  sur  le  parti  protestant,  qu'il  en  redevint  naturellement 
le  chef,  à  un  moment  où  le  monde  réformé  s'agitait  en 
France.  Il  n'était  pas  possible  de  tenir  complètement  secrètes 
les  négociations  engagées  en  vue  des  mariages  espagnols, 
surtout  avec  un  intermédiaire  aussi  indiscret  que  Botti,  dont 
le  zèle  exagéré  retardait  et  compliquait  les  choses,  au  lieu 
de  les  avancer  '.  Il  avait  encore  trouvé  moyen,  pendant  que 
la  cour  était  à  Paris,  de  se  mettre  imprudemment  en  vue, 
malgré  la  mort  toute  récente  de  sa  mère  ",  au  sujet  de 
laquelle  Marie  de  Médicis  lui  faisait  porter  par  Bonneuil  de 
justes  condoléances  dont  il  se  vanta  et  qui  étaient  comme 
une  invitation  déguisée  à  se  tenir  un  peu  à  Técart.  Il  n'en 
fut  rien.  Non  seulement  il  allait  lui-même  offrir  à  la  reine 
en  grand  apparat  une  caisse  qu'il  avait  reçue  de  Florence  et 
qui  contenait  deux  habits  pour  le  roi,  en  drap  léger  et  garnis 

1.  Scip.  Ammirato,  3o  mai  1611. 

2.  Matteo  Botti,  i"  mai  iGii. 

18 


274  ^-^    MINORITÉ   DE    LOUIS    XIII. 

d'or,  dont  la  reine  se  plaisait  ensuite  à  faire  l'étalage  dans  le 
grand  salon;  mais  il  sollicitait,  avec  tant  d'instance  qu'il 
était  impossible  de  la  lui  refuser,  la  permission  de  faire  faire 
les  portraits  du  roi  et  de  madame  sa  sœur,  les  commandait  à 
un  peintre  <(  plus  estimé,  disait-il,  que  Scipione  Gaetano  », 
peintre  dont  il  a  oublié  de  dire  le  nom,  sans  négliger  cepen- 
dant de  préciser  que  ces  portraits  lui  avaient  coûté  cinquante 
écus  pièce,  et,  après  en  avoir  fait  faire  l'exposiiion  au  Louvre , 
tout  comme  celle  des  beaux  habits,  en  envoyait  deux  au 
duc  de  Lerme  et  deux  au  comte  Orso.  Ils  étaient  si  bien 
réussis,  paraît-il,  qu'on  en  détruisit  un  certain  nombre 
d'autres  qui  auraient  donné  une  idée  moins  flatteuse  des 
enfants  royaux.  Quelque  temps  après^  le  courrier  Bissi  reve- 
nait après  avoir  porté  les  portraits,  qui  furent,  dit-il,  reçus 
avec  plaisir  et  en  échange  desquels  on  avait  promis  d'envoyer 
ceux  des  infants  espagnols  ' .  L'ambassadeur  d'Espagne  n'avait- 
il  pas  raison  de  se  plaindre  que  le  secret  fût  mal  gardé  '  ? 

Or  ces  mariages  espagnols  et  ce  projet  d'alliance  avec  la 
fille  de  Philippe  III  semblaient  une  menace  dirigée  contre 
les  protestants.  La  sortie  du  conseil  d'un  des  leurs,  et  du 
plus  considéré,  les  laissait  sans  appui  dans  le  gouvernement. 
Depuis  longtemps  ils  s'inquiétaient  de  voir  la  cour  pencher 
de  plus  en  plus  ostensiblement  du  côté  des  Jésuites. 
Lorsque,  à  la  tin  de  l'année  1610,  parut  ce  livre  du  cardinal 
Bellarmin  "  qui  fut  immédiatement  supprimé  par  un  arrêt  du 
Parlement,  et  dont  le  premier  président  de  Harlay  avait 
flétri  les  doctrines  ultramontaines  en  disant  que  «  c'était  un 
nouveau  couteau  pour  assassiner  le  roi  ^  »,  la  reine  et  son 
conseil  privé,  ne  voulant  pas  s'opposer  ouvertement  à  l'arrêt 
qui  venait  d'être  rendu,  avaient  trouvé  cet  expédient  d'auto- 
riser la  vente  du  livre  par  un  privilège  ou  permission  quel- 


1.  Matteo  Botti,  3o  mai.  3  et  4  juin,  11  juillet  16 11. 

2.  Scip.  Ammirato,  6  juin  1611. 

3.  Tractatus  de  potestate  summi  pontificis  in  rébus  temporalibus. 

4.  Andréa  Cioli,  4  décembre  1610. 


l'assemblée  de  saumur.  273 

conque,  sans  faire  mention  de  la  décision  contraire  des 
juges;  puis  un  arrêt  du  conseil  avait  suspendu  la  publication 
et  l'exécution  de  Tarrèt  du  Parlement  \  C'était  pour  le 
nonce  un  triomphe  qui  ne  pouvait  manquer  de  froisser  le 
parti  protestant. 

On  attribua  non  sans  raison  à  ces  inquiétudes  et  à  ces 
susceptibilités  un  incident  fort  grave  qui  eut  lieu  à  la  fin 
du  mois  de   mars  161 1.  Le  grand  écuyer,  M.    de  Belle- 
garde,  faisant  une  tournée  dans  son  gouvernement,  après 
en  avoir  visité  toutes  les  places,  parut  devant  la  principale, 
Bourg  en  Bresse,  qui  avait  pour  gouverneur  un  huguenot, 
M.  de  Boisse.  M.  le  Grand  était  à  peine  arrivé  avec  son 
escorte  sur  la  contrescarpe  de  la  forteresse  que  force  coups 
de  mousquets  furent  tirés  par  la  garnison  ;  quatre  morts, 
plusieurs  blessés  restèrent  sur  le  terrain.  M.  de  Boisse  était 
le  seul  des  gouverneurs  particuliers  qui  ne  se  fût  pas  porté 
à  la  rencontre  du  gouverneur  général  de  la  province;  il 
avait   prétexté    une    indisposition,   et    lorsque    Bellegarde 
l'envoya  prévenir  de  sa  venue,  il  essaya  de  faire  comprendre 
à  son  envoyé  qu'il  ferait  mieux  de  renoncer  à  ce  dessein. 
N'ayant  pas  réussi  de  cette  manière,  il  s'y  opposa  par  la 
force.  L'affaire  causa  beaucoup  d'émotion  à  la  cour.  On 
ne    douta  point  que   de   Boisse,  en   proie    aux  soupçons 
dans  lesquels  étaient  depuis  quelque  temps  tombés  tous  ceux 
de  sa  religion,  ne  se  fût  porté  à  cette  extrémité  par  crainte 
de  se  voir  enlever  sa  forteresse.  Il  y  avait  là  un  symptôme 
grave.    D'autres   gouverneurs    protestants    de    forteresses, 
n'ayant  pas  encore  l'occasion  de  résister  ouvertement  aux 
représentants  de  l'autorité  royale,  se  fortifiaient.  On  citait 
notamment  celui  de  Châtillon   sur  Indre,  que   l'on   disait 
avoir  été  épaulé  et  renforcé  par  Du  Plessis-Mornay  ^ 
L'affaire  de  Bourg  en   Bresse    tourna  plus  en  douceur 

r.  Scip.  Ammirato,  7,  10  décembre  1610. 

2.  Ambass.  vénit.,  6  avril.  —  Scip.  Ammirato,   29  mars.  —  Botti, 
9  avril  1611  (voir  le  catalogue). 


276  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

qu'on  n'aurait  pu  le  croire,  après  un  pareil  éclat,  et  reçut 
bientôt  une  solution  au  moins  provisoire.  La  régente 
envoya  sur  les  lieux  l'homme  des  situations  délicates, 
M.  de  la  Varenne;  grâce  à  son  habileté,  M.  de  Boisse  con- 
sentit à  se  conformer  aux  ordres  de  la  reine  :  il  laissa 
pénétrer  dans  sa  forteresse  M.  le  Grand  et  lui  jura  mênie 
fidélité  comme  au  gouverneur  de  la  province  '. 

Il  y  avait  donc  dans  les  cinq  cents  églises  réformées  une 
certaine  effervescence,  quand,  sur  l'invitation  même  de  la 
cour,  fut  convoquée  d'abord  à  Chàtellerault  une  assemblée 
régulière  des  députés  de  la  religion  réformée,  à  TefFet  de 
renouveler  leur  députation  permanente  de  trois  délégués  qui 
résidaient  pendant  trois  ans  auprès  du  gouvernement  pour 
servir  d'intermédiaires  entre  leur  parti  et  la  couronne.  En 
attendant  la  réunion  de  cette  assemblée,  le  gouvernement 
ne  voulait  arriver  à  aucune  conclusion  formelle  relative- 
ment aux  mariages  espagnols,  car  il  avait  peur  des  protes- 
tants -.  Sully,  appelé  à  l'assemblée  par  ses  coreligionnaires, 
pouvait  facilement  y  prendre  une  influence  prépondérante 
et  susciter  des  embarras  à  la  régente.  Les  ministres  de  la 
reine  crurent  parer  à  ce  danger  en  tenant  le  duc  de  Sully 
sous  la  menace  discrète,  mais  assez  persistante,  d'une  revi- 
sion de  ses  comptes.  «  Ce  qui  donne  le  plus  d'ennuis  à 
Sully,  écrit  Scip.  Ammirato,  peu  de  temps  après  la  chute 
du  ministre,  c'est  de  savoir  qu'il  y  a  ici  des  gens  de  finances 
qui  ne  font  autre  chose  que  de  rechercher  de  quelle  façon 
les  finances  ont  été  administrées  depuis  dix  ans  qu'il  en  a 
été  le  chef.  Il  a  augmenté  son  bien  d'un  million  et  demi, 
et  davantage,  et  si  l'on  trouve  des  voleries,  comme  chacun 
le  dit,  on  s'arrangera  de  manière  à  lui  faire  son  procès  et  à 
le  mettre  en  tout  et  pour  tout  à  bas,  ce  qui  n'est  pas  estimé 
chose  bien  difficile  ;  car  il  parait  que  les  ministres  qui  gou- 
vernent actuellement,  non  seulement  prendraient  plaisir  à 

1.  Scip.  Ammirato,  26  avril  1611. 

2.  Matteo  Botti,  16  février,  2  mars  iCii. 


l'assemblée  de  saumur.  277 

une  pareille  ruine,  mais  seraient  disposés  à  la  favoriser  et  à 
la  fomenter,  ainsi  que  les  princes.  Le  comte  de  Soissons 
s'acharne  de  tout  son  pouvoir  après  lui;  et  voilà  ce  que 
retirera  Sully  d'avoir  voulu  trop  dominer  et  tyranniser  *.  » 

Sully  ne  se  laissa  cependant  pas  intimider,  pensant  trouver 
au  sein  de  ses  coreligionnaires  un  abri  assuré  contre  la  tem- 
pête; la  reine  hésitant  à  décider  si  elle  lui  permettrait  ou 
lui  défendrait  d'assister  à  l'assemblée,  adopta  le  moyen 
terme  de  le  mander  à  la  cour  pour  s'expHquer  avec  lui. 
«  M.  l'abbé  du  Bois,  lisons-nous  dans  une  dépêche  de 
Scip.  Ammirato,  qui  est  venu  hier  matin  chez  moi,  m'a  dit 
qu'il  avait  appris  que  la  reine  avait  envoyé  mander  monsei- 
gneur de  Sully,  et  hier,  étant  allé  visiter  M.  de  Beaune,  il 
m'a  confirmé  la  nouvelle,  en  ajoutant  que  ce  n'était  pas 
pour  une  autre  raison  que  celle-ci,  à  savoir  que  cet  homme, 
désespéré  du  mal  qui  lui  a  été  fait,  et  désespéré  à  la  pensée 
qu'il  en  peut  recevoir  encore  davantage,  ses  ennemis  ne 
cessant  de  s'acharner  après  lui,  ne  manquait  pas  de  nouer 
des  trames  avec  les  hérétiques  pour  tenter  quelque  nou- 
veauté dans  leur  assemblée,  ce  qui  pourrait  peut-être  lui 
réussir;  parce  que,  outre  l'autorité  qu'il  a,  il  possède  encore 
beaucoup  d'argent,  ayant,  à  ce  qu'on  dit,  un  million  d'or 
comptant  avec  lequel  il  peut  leur  donner  toute  espérance 
d'aide,  en  cas  de  besoin.  M.  de  Beaune  m'a  encore  dit  qu'il 
pense  que  Sully  n'a  d'autre  but,  en  s'attachant  à  ces  trames, 
que  de  montrer  qu'il  peut  faire  du  mal  et  s'arranger  ainsi 
de  manière  à  être  estimé  davantage  en  cour,  ayant  lui- 
même  connu  par  expérience  que,  dans  ce  pays,  on  ne  tient 
compte  que  de  ce  qui  peut  nuire.  Et  Sa  Majesté  l'ayant 
appelé,  il  ne  manquera  pas  de  venir,  et  il  lui  sera  ainsi  très 
facile  d'améliorer  sa  condition  ".  » 

Ce  n'est  sans  doute  pas  ce  qu'espérait  Sully  et  comme  il 
ne  cachait  pas   son  intention  de  ne  reparaître   à  la   cour 

1.  Scip.  Ammirato,  26  feviier  16 11. 

2.  Scip.  Ammirato,  26  avril  1611. 


278  LA    MINORITÉ    DK    LOUIS    XIII. 

qu'une  fois  l'assemblée  terminée  ',  la  reine  se  décida  à  auto- 
riser son  départ  pour  Chatellerault;  mais  le  messager  porteur 
de  cette  résolution  n'était  pas  encore  parti,  qu'arriva  une 
lettre  de  Sully.  Enumérant  non  sans  hauteur  les  services 
qu'il  avait  rendus  à  la  couronne,  il  faisait  à  la  reine  les 
plus  chaudes  instances  pour  qu'il  lui  fût  permis  de  se 
trouver  à  cette  assemblée  qui  sollicitait  instamment  sa  pré- 
sence. Le  ton  de  la  lettre,  Tardeur  que  Sully  mettait  à  for- 
muler sa  demande  inquiétèrent.  Marie  de  Médicis  retint  le 
courrier  prêt  à  partir,  convoqua  le  conseil  et  finalement  on 
décida  que  l'assemblée  ne  se  tiendrait  plus  à  Chatellerault, 
qui  était  dans  le  gouvernement  du  duc  de  Sully,  mais  à 
Saumur.  L'ordre  de  transfert  fut  signé  à  Fontainebleau  le 
2  mai  161 1  ^  Cela  fait,  la  reine  répondit  à  Sully  qu'elle 
tenait  de  ses  services  passés  le  plus  grand  compte  ;  quant  à 
intervenir  à  l'assemblée,  elle  s'en  remettait  sur  ce  point  à 
sa  discrétion.  L'ambassadeur  vénitien  à  qui  nous  devons  ces 
détails,  qui  ne  sont  pas  relatés  ailleurs,  ajoute  : 

«  Le  messager  a  rapporté  qu'au  reçu  de  cette  réponse  et 
de  cet  avis,  le  duc  resta  tout  sens  dessus  dessous  et  ne  pro- 
féra aucune  parole.  Ira-t-il  ou  n'ira-t-il  pas?  Sa  décision  sur 
ce  point  reste  en  suspens.  Mais  quelle  que  soit  la  résolution 
qu'il  lui  plaise  de  prendre,  la  reine  a  pris  des  précautions 
telles  que,  s'il  y  va,  il  ne  pourrait,  quand  même  il  le  vou- 
drait, rien  faire  de  nuisible. 

«  Le  duc  d'Épernon,  général  de  Tinfanterie  française, 
envoyé  par  la  reine  en  Guienne,  était  d'avis  de  répandre 
dans  des  endroits  bien  choisis  un  bon  nombre  de  troupes, 
avec  lesquelles  on  pourrait  tenir  en  bride  les  résolutions  de 
cette  assemblée.  Le  duc  du  Maine  s'y  opposa,  en  montrant 
qu'une  pareille  mesure  ne  ferait  qu'éveiller  les  soupçons  et 
empirer  les  choses,  et  cet  avis  prévalut.  A  cet  égard,  tcfus 
les  princes  se  montrent  d'une  seule  pièce  :  ils  parlent  fort 

1.  Ambass.  vénit.,  i5  juin  1611. 

2.  Mercure  françois,  t.  II,  p.  yS. 


l'assemblée  de  saumur.  279 

gaillardement  à  la  reine  en  l'engageant  à  tenir  bon  et  à 
n'accorder  rien  de  plus  à  ceux  de  la  religion.  Le  nonce 
l'encourage  par  ses  représentations,  et  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne répète  l'offre  déjà  faite  de  mettre  en  branle,  s'il  en  est 
besoin,  toutes  les  forces  et  la  puissance  de  son  roi.  M.  de 
Vitry  affirme  dans  ses  dépêches  du  4  qu'il  a  constaté  chez 
le  roi  d'Angleterre  la  résolution  de  les  contenir  dans  de 
justes  limites,  de  telle  sorte  que  la  reine,  engaillardie  de 
tous  les  côtés,  se  trouve  très  réconfortée  et  que  ceux  de  la 
religion  se  montrent  depuis  quelques  jours  beaucoup  plus 
humbles.  Aussi  chacun  se  promet-il  une  bonne  issue  de 
cette  affaire,  qui  est  considérée  comme  le  plus  périlleux 
écueil  de  la  présente  minorité  *.  » 

Le  gouvernement  de  la  régente  était  trop  circonspect 
pour  aborder  de  front  l'écueil  qu'il  redoutait  :  il  essaya  de  le 
tourner.  Opposer  à  l'influence  menaçante  de  Sully  l'autorité 
d'un  coreligionnaire  considérable  non  moins  par  sa  situa- 
tion de  prince  indépendant  que  par  son  crédit  à  la  cour,  et 
par  ce  moyen  diviser  l'assemblée,  tel  fut  le  but  des  ministres 
de  Marie  de  Médicis.  Le  duc  de  Bouillon,  sur  le  point  de 
partir  à  la  fin  du  mois  d'août  pour  sa  principauté  de  Sedan, 
avait  reçu  la  visite  de  Matteo  Botti  et  lui  avait  donné  l'as- 
surance qu'on  n'entreprendrait  dans  cette  assemblée  aucune 
nouveauté  fâcheuse  :  «  Vous  pouvez  vous  tenir  l'esprit  en 
repos,  lui  avait-il  dit;  car  dans  les  assemblées  particulières 
on  n'entend  parler  de  rien.  »  En  effet,  l'agitation  n'était  pas 
très  vive  dans  ces  assemblées  préparatoires,  mais  elle  tendait 
à  s'accroître  en  raison  des  intrigues  des  partisans  d'un 
retour  aux  affaires  du  duc  de  Sully.  Bien  que  les  faveurs 
signalées  de  la  reine  pour  le  duc  de  Bouillon  l'eussent  rendu 
quelque  peu  suspect  aux  huguenots  ",  il  était  cependant 
capable  de  tenir  Sully  en  échec  sur  le  terrain  politique.  Son 
voyage  à  Sedan  n'était  qu'une  feinte  habile  pour  se  faire 

1.  Ambass.  vénit.,  17  mai  161 1. 

2.  Scip.  Ammirato,  2Ô  avril  i6ii. 


28o  LA    MINORITE    DE    LOUIS   XIII. 

rappeler;  la  régente  n'y  manqua  point.  Le  duc  revint  à  la 
cour  au  milieu  du  mois  de  mai;  il  en  repartit  le  15  pour  se 
rendre  à  Saumur,  «  sous  une  si  bonne  impression  et  avec 
une  telle  satisfliction  de  la  reine,  dit  l'ambassadeur  vénitien, 
qu'il  a  promiis  de  faire  de  grandes  choses  et  de  se  déclarer 
contre  quiconque  tenterait  à  l'assemblée  quelque  nou- 
veauté. Le  duc  de  Sully,  mû  plus  par  esprit  d'émulation  à 
l'égard  de  Bouillon  que  par  toute  autre  considération,  a  pris 
la  résolution  d'aller  à  l'assemblée,  et  la  guerre  née  entre 
eux  produira  un  excellent  effet,  en  tenant  Bouillon  d'autant 
plus  ferme  dans  ses  résolutions.  On  a  quelque  idée  de  revoir 
les  comptes  de  l'administration  de  Sully,  ce  qui  serait  lui 
rogner  les  ongles  de  telle  sorte  qu'en  aucun  temps  il  ne 
pourrait  plus  jamais  nuire  *.  » 

L'envoi  du  duc  de  Bouillon  à  Saumur  pouvait,  plus  que 
la  divulgation  d'intentions  malveillantes  à  l'égard  de  Sully, 
servir  les  intérêts  du  gouvernement.  Peut-être  n'était-il  pas 
prudent  de  mettre  à  une  trop  rude  épreuve  le  loyalisme 
de  l'ex-surintendant.  Son  ressentiment  pouvait  l'entraîner  à 
céder  aux  suggestions  des  ambitieux  et  des  fanatiques  de  son 
parti  et  à  confondre  ses  intérêts  personnels  avec  la  cause  de 
la  religion  réform.ée.  Jusqu'à  quel  point  le  grand  ministre  de 
Henri  IV  sut-il  résister  à  cette  tentation  et  s'abstenir  de 
rechercher  dans  les  clameurs  et  les  revendications  d'une 
assemblée  poUtico-religieuse  non  seulement  une  protection 
contre  des  menaces  plus  feintes  que  réelles,  mais  encore 
une  force  d'opposition  capable  de  le  ramener  à  la  direction 
des  affaires?  c'est  là  qu'est,  à  vrai  dire,  l'intérêt  principal  de 
l'assemblée  de  Saumur.  Sur  ce  point  les  dépêches  diploma- 
tiques nous  donnent  des  renseignements  plus  circonstan- 
ciés, plus  vivants,  plus  impartiaux  que  les  pièces  officielles 
et  les  Mémoires  du  temps  ". 

1.  Ambass.  vénit.,  i"'  juin  iGii.  Cf.  Matteo  Botti,  21  juin  161 1. 
D'EsTRÉES,  Mémoires. 

2.  Voir  surtout  pour  cette   assemblée  le  Mercure  français^  recueil 


l'assemblée  de  saumur.  281 

Les  assemblées  provinciales,  en  délibérant  sur  le  choix  de 
leurs  députés  à  l'assemblée  générale,  avaient  rédigé  des 
cahiers  de  réclamations  pour  la  satisfaction  desquelles  la 
présence  des  grands  personnages  du  parti  protestant,  tels 
que  Sully,  Bouillon,  Lesdiguières,  invités  par  leurs  coreli- 
gionnaires à  se  rendre  à  Saumur,  à  côté  et  pour  ainsi  dire 
au-dessus  des  délégations  régulières,  semblait  être  un  gage 
des  plus  sérieux.  On  s'était  largement  donné  carrière  dans 
la  voie  des  exigences.  Les  Réformés  ne  demandaient  pas 
seulement  la  prorogation  de  l'édit  de  98,  l'augmentation  du 
nombre  de  leurs  places  de  sûreté  et  du  chiffre  des  subven- 
tions qui  leur  avaient  été  accordées  pour  les  frais  de  leur 
culte;  ils  voulaient  une  participation  encore  plus  large  aux 
fonctions  publiques  et  émettaient  la  prétention  de  disposer 
des  charges  et  offices  qui  se  trouvaient  pour  le  moment  en 
la  possession  des  Réformés,  dans  la  crainte  qu'après  leur 
mort  on  ne  les  transférât  à  des  catholiques.  «  C'eût  été  là, 
fait  justement  observer  l'ambassadeur  vénitien,  partager 
avec  le  roi  l'empire  et  la  majesté  \  » 

Les  préoccupations  des  églises  protestantes  n'étaient  pas 
sans  quelque  rapport  avec  la  situation  qui  avait  été  faite  à 
Sully  par  la  privation  d'une  partie  de  ses  charges  et  leur 
répartition  entre  des  personnages  catholiques.  Il  était  cer- 
tain que  c'était  sur  ce  point  que  porteraient  les  efforts  de 
leur  agitation. 

En  attendant  l'arrivée  des  deux  conseillers  d'État  que  la 
cour  envoya  comme  commissaires  du  gouvernement, 
M.  de    Boissise,  catholique,  et  M.  de  BuUion,  protestant, 

ofticiel,  qui  ne  donne  que  des  documents  choisis  et  atténués,  t.  II, 
p.  73  et  suiv.;  les  Mémoires  de  Rohan,  gendre  de  Sully,  dignes  de  con- 
tiance  quoique  naturellement  favorables  à  l'ancien  surintendant;  les 
Mémoires  de  Richelieu,  entachés  de  partialité  contre  Sully  et  de  pas- 
sion contre  le  parti  protestant;  Levassor  {Histoire  de  Louis  XIII), 
écrivain  anticatholique,  mais  bien  informé,  t.  I,  p.  73  ;  et  une  étude 
spéciale  sur  la  question  dans  Anquez,  Histoire  des  assemblées  politi- 
ques des  Réformés  de  France^  p,  227  et  suiv. 
I.  Ambass.  vénit.,  i^'  juin  1611  . 


282  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

rassemblée  s'ouvrit  le  27  mai  et  constitua  son  bureau. 
L'antagonisme  déclaré  de  Sully  et  du  duc  de  Bouillon,  qui 
se  manifesta  de  prime  abord  par  des  querelles  de  préséance 
et  dont  on  eut  de  la  peine  à  faire  cesser  les  éclats,  non  sans 
laisser  leurs  esprits  fortement  aigris,  rendait  impossible  le 
choix  de  l'un  ou  de  l'autre  pour  la  présidence  de  l'assem- 
blée. Le  duc  de  Rohan,  pour  servir  de  couverture  à  son 
beau-père,  se  mit  sur  les  rangs;  mais  il  fut  écarté. 
L'assemblée  tint  à  prouver  qu'elle  ne  voulait,  en  commen- 
çant, prendre  parti  ni  pour  ni  contre  la  cour,  «  en  déférant 
à  une  grande  majorité  la  présidence  à  Du  Plessis-Mornay, 
gouverneur  de  la  place  de  Saumur,  avec  des  démonstra- 
tions manifestes  d'une  confiance  médiocre  à  l'égard  de 
Sully  et  d'une  défiance  marquée  contre  Bouillon,  comme 
étant  trop  disposé  à  donner  satisfaction  à  la  reine,  et  gagné 
par  elle  *  ». 

Dévoué  corps  et  âme  à  son  parti,  irréductible  et  intransi- 
geant sur  les  questions  de  doctrine,  mais  étranger  aux  pas- 
sions de  la  cour  loin  de  laquelle  il  vivait,  et  serviteur  désin- 
téressé de  la  couronne,  l'ancien  ministre  et  compagnon 
d'armes  de  Henri  IV  pendant  les  années  mauvaises,  était 
vraiment  digne  d'exercer  les  fonctions  de  modérateur  qui  lui 
furent  confiées. 

Dans  la  première  séance,  les  soixante-seize  députés  prê- 
tèrent solennellement  le  triple  serment  d'union,  de  discré- 
tion et  d'inébranlable  constance  à  poursuivre  la  confirma- 
tion de  leurs  droits.  On  y  parla  avec  une  grande  véhémence 
contre  les  moyens  de  corruption  que  l'on  savait  avoir  été 
préparés  et  mis  dans  la  main  d'un  personnage  qui  montrait 
faire  plus  de  cas  de  son  intérêt  que  de  la  religion.  Le  duc 
de  Bouillon  laissa  glisser  prudemment  ces  paroles  proférées 
pour  le  piquer  au  vif.  Elles  enflammèrent  cependant  les 
esprits  et  donnèrent  occasion  à  Sully  de  faire  une  longue 

I.  Ambass.  vénit.,    14   juin    161 1.  Il    résume    le   premier   rapport 
envoyé  par  Boissise  et  Bullion. 


l'assemblée  de  SAUMUR.  283 

doléance  à  propos  de  la  récompense  qui  avait  été  réservée  à 
ses  services  passés;  il  ajouta  que  son  exemple  devait  servir 
de  miroir  à  tous  les  autres;  car  il  n'avait  pas  été  déposé  de 
ses  charges  pour  d'autres  raisons  que  sa  religion  et  la 
méchanceté  de  ses  ennemis  dont  il  attendait  un  traitement 
pire  encore,  si  on  ne  lui  donnait  protection.  L'assemblée 
s'émut  à  ces  paroles  et  affirma  sa  volonté  de  ne  point 
l'abandonner  '. 

Bien  différent  est  le  ton  de  Sully  dans  l'équivoque  et  pré- 
cautionneuse harangue  que  donna  au  public  le  Mercure  fran- 
çois.  Là,  en  effet,  c'est  à  l'instigation  des  députés  lui  deman- 
dant d'insister  pour  avoir  la  récompense  de  ses  charges 
plutôt  en  sûreté  et  honneur  qu'en  profit  et  utilité,  et  déclarant 
l'intérêt  du  sieur  duc  de  Sully  conjoint  avec  celui  des 
égHses,  que  l'ancien  surintendant  prend  la  parole  pour 
s'excuser,  demander  conseil,  s'interroger  sur  le  point  de 
savoir  si  à  son  intérêt  particulier  est  bien  réellement  joint 
celui  du  public,  disculper  la  reine  et  enfin  terminer  par 
ces  paroles  :  «  Je  proteste  ici  devant  Dieu  et  cette  assemblée 
que  je  suis  tout  résolu,  s'il  est  trouvé  bon  et  jugez  utile  au 
public,  de  ne  faire  jamais  instance  aucune  de  mon  rétablis- 
sement, ni  de  ma  récompense,  pourvu  que  je  sois  assuré 
d'être  laissé  en  repos  et  que  l'on  ne  m'empêchera  en  la 
libre  et  entière  fonction  et  exercice  des  charges  qui  sont 
restées  à  mon  fils  et  à  moi,  ni  privé  des  gratifications  que 
j'ai  obtenues  de  mes  rois  par  leurs  libéraUtés  et  par  mes 
services  ». 

On  sent  dans  ce  discours  l'arrangement  après  coup,  les 
atténuations  qui,  dans  une  publication  presque  officielle, 
parue  plusieurs  mois  après  l'assemblée,  furent  apportées  au 
langage  réel  de  Sully,  probablement  d'un  commun  accord 
avec  lui,  lorsqu'il  eut  pris  le  parti  de  se  tenir  tranquille. 
«  J'ai  vu  couchée  4)ar  écrit,  dit  l'ambassadeur  vénitien,  la 

I.  Ambass.  vénit.,  14  juin.  Il  dit,  en  donnant  ces  détails,  analyser 
le  second  rapport  de  Boissise  et  Bullion.  Cf.  Matteo  Botti,  21  juin  161 1. 


284  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

substance  de  sa  démonstration  et  la  réponse  qui  lui  a  été 
faite  par  l'assemblée  :  la  première  séditieuse  et  imprudente, 
l'autre  très  modérée  et  de  nature  à  lui  enlever  l'espérance 
qu'il  avait  peut-être  de  se  faire  remettre  en  place  par  l'auto- 
rité de  ladite  assemblée  '.  »  C'est  exactement  l'inverse  de  la 
manière  dont  les  faits  sont  présentés  dans  le  Mercure  françois^ 
qui  met  les  intentions  violentes  dans  les  actes  de  l'assemblée 
et  les  paroles  modérées  dans  la  bouche  de  Sully,  tandis  que, 
en  réalité,  ce  fut  Sully  qui  s'emporta  et  l'assemblée  qui  se 
conduisit  prudemment  ". 

Les  commissaires  du  gouvernement,  introduits  dans 
l'assemblée  le  6  juin,  assurèrent  les  députés  de  la  bienveil- 
lance de  la  reine,  dont  elle  avait  déjà  donné  des  preuves 
nombreuses  à  l'égard  des  Réformés;  et  ils  engagèrent 
l'assemblée  à  procéder  dans  le  plus  bref  délai  à  l'élection 
des  délégués  chargés  de  porter  à  la  reine  leurs  requêtes,  et 
à  se  dissoudre  ensuite.  Les  membres  de  l'Assemblée  répon- 
dirent en  rendant,  pour  sa  bienveillance,  de  très  humbles 
grâces  à  Sa  Majesté,  vis-à-vis  de  laquelle  ainsi  que  du  roi 
ils  seraient  toujours  très  dévoués  et  très  fidèles.  Ils  ajou- 
tèrent qu'ils  feraient  en  sorte  de  lui  complaire  en  se  sépa- 
rant le  plus  tôt  possible;  mais  les  affaires  étaient  impor- 
tantes et  ne  pouvaient  s'expédier  avec  la  rapidité  qu'ils 
souhaitaient  eux-mêmes.  Ils  allaient  se  consulter  pour  la 
nomination  de  leurs  députés  et  feraient  tout  ce  qu'ils  pour- 
raient pour  lui  donner  satisfaction  en  toutes  choses  ^ 

Cette  réponse  dilatoire  fut  tout  ce  que  purent  obtenir  les 
conseillers  d'État  Boissise  et  BuUion,  revenus  à  la  charge 
pour  obtenir  la  dissolution  de  l'assemblée  dans  les  séances 
des  17  et  18  juin.  Les  députés  continuaient  imperturbable- 

1.  Ambass.  vénit.,  ii  juillet  1611. 

2.  «  Le  lundi  20  (juin),  on  m'a  donné  la  proposition  faite  par  le 
duc  de  Sully  à  l'assemblée  de  Saumur.  Rien  de  si  vain  ni  de  si  mal 
pour  un  homme  d'esprit  et  d'Estat  comme  il  est.  »  L'Estoile,  t.  XI^ 
p.  124. 

3.  Ambass.  vénit.,  11  juin  1611. 


lVssemblée  de  saumur.  285 

ment  l'élaboration  de  leur  cahier  général  et  décidèrent  le 
23  juin  que  ce  document  serait  porté  à  Paris  par  une 
délégation  spéciale.  Les  commissaires  du  gouvernement, 
qui  en  avaient  reçu  copie,  s'empressèrent  de  devancer  les 
envoyés  de  l'assemblée  pour  rendre  compte  verbalement 
de  leur  mission. 

Ils  exposèrent  à  la  reine  qu'ils  avaient  trouvé  des  dis- 
cordes et  des  dissensions  chez  les  chefs,  et  chez  les  autres 
un  grand  désir  de  paix  et  de  repos.  Ils  chargèrent  grave- 
ment le  duc  de  Sully  qui,  par  ses  harangues  et  ses  démons- 
trations séditieuses,  avait  fait  son  possible  pour  soulever  les 
esprits  et  montré  la  pire  volonté  (che  con  renghe  et  uffttii 
seditiosi  hahhia  procurato  di  concitare  et  mostrato  pessima 
volunta)  *. 

Ils  ne  se  louèrent  naturellement  point  de  Rohan,  mais 
vantèrent  hautement  la  prudence  de  Bouillon  et  sa  fidéUté  à 
l'égard  de  la  reine.  Ils  ajoutèrent  que  dans  les  environs 
de  Saumur  s'était  fait  un  rassemblement  assez  considérable 
de  gens  de  la  religion  et  de  la  suite  des  membres  de 
.l'assemblée,  comme  pour  épauler  ces  derniers  et  garantir  leur 
sécurité;  mais  que,  depuis  la  fin  des  délibérations,  ils  allaient 
se  séparant,  en  même  temps  que  diminuait  le  nombre  des 
députés.  La  reine  écouta  attentivement  le  rapport,  lut  sur- 
le-champ  le  résumé  des  instances  de  l'Assemblée  et  le 
remit  entre  les  mains  de  Villeroy,  en  lui  ordonnant  de  se 
trouver  sans  perdre  de  temps  avec  les  autres  membres  du 
conseil,  afin  de  leur  communiquer  cette  pièce  ainsi  que  les 
faits  exposés  par  Boissise  et  Bullion. 

Villeroy  se  rendit  immédiatement  avec  Jeannin  auprès 
du  comte  de  Soissons,  puis  du  duc  de  Mayenne,  qui  se 
trouvaient  un  peu  indisposés.  Pour  le  moment,  la  seule 
décision  prise  fut  que  la  reine  enverrait  des  courriers  aux 
princes  et  ministres  absents,  et  particulièrement  à  Condé, 

I.  Ambass.  vénit.,  i3  juillet  i6:i. 


286  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

pour  leur  faire  part  des  requêtes  de  rassemblée  de  Saumur 
et  leur  exprimer  le  désir,  quand  les  affaires  de  leurs  gou- 
vernements le  permettraient,  de  les  voir  assister  à  la  déli- 
bération relative  aux  réponses  à  faire,  ce  dont  elle  désirait 
s'acquitter  le  plus  tôt  possible.  A  cet  effet,  Villeroy  adressa 
le  2  juillet  des  dépêches  au  prince  de  Condé,  au  conné- 
table, au  duc  de  Guise,  au  duc  dEpernon,  à  quelques 
autres.  Le  5,  le  connétable  fut  à  Paris,  le  duc  de  Nevers  s'y 
rendit  aussi;  mais  les  autres  se  trouvaient  à  de  trop  grandes 
distances  pour  venir  en  temps  opportun.  Le  Conseil  se  mit 
à  l'œuvre  sans  plus  tarder. 

La  reine  déclara  aux  ambassadeurs  qu'elle  était  résolue 
à  ne  rien  accorder  qui  pût  porter  préjudice  à  son  fils,  ce 
qu'elle  avait  laissé  entendre  d'assez  bonne  heure  pour  qu'on 
ne  le  trouvât  pas  étrange.  «  Je  sais  bien,  disait-elle  encore 
à  Matteo  Botti,  que  ces  hérétiques  ont  de  mauvaises  inten- 
tions; mais  ils  sont  hors  d'état  de  faire  le  mal  qu'ils  vou- 
draient ;  car,  sans  compter  tous  les  princes,  leurs  voisins 
veulent  la  paix  dans  leurs  propres  villes  *.  » 

Les  requêtes  des  huguenots  se  réduisaient  en  somme  à 
réclamer  l'exécution  de  l'édit  de  98 ,  en  vertu  duquel  ils 
demandaient  principalement  :  la  restitution  des  places  qui 
leur  étaient  sorties  des  mains ,  leurs  gouverneurs  s'étant 
faits  catholiques  ;  la  liberté  d'exercer  toute  charge  et  office 
dans  toute  l'étendue  du  royaume;  le  payement  intégral  de 
la  somme  à  eux  accordée  par  les  articles  secrets  signés 
du  feu  roi,  ainsi  que  de  tout  l'arriéré;  la  continuation  des 
places  qui  leur  avaient  été  assignées  au  delà  du  terme 
préfixé,  qui  devait  échoir  dans  un  peu  plus  d'une  année; 
l'institution,  dans  les  principales  villes  d'étude,  de  collèges 
pour  l'éducation  de  leurs  enfants,  avec  les  moyens  d'entre- 
tenir ces  établissements. 

Disposé  à  céder  sur  des  points  secondaires,  le  gouver- 

I.  Ambass.  vénit.,  i3  juillet.  —  Matteo  Botti.   ii  juillet  1611. 


l'assemblée  de  saumur.  287 

nement  avait  des  objections  graves  à  élever  contre  un  grand 
nombre  de  ces  demandes.  La  première  ne  pouvait  causer  de 
difficulté,  car  les  places  en  question  n'avaient  pas  grande 
importance  ;  la  seconde  devait  être  repoussée  par  cette  con- 
sidération caractéristique,  à  savoir  que,  tous  les  offices  étant 
vénaux  en  France,  les  réformés  feraient  une  bourse  com- 
mune et  finiraient  à  la  longue  par  s'emparer  de  toutes  les 
charges;  pour  la  troisième,  on  trouverait  moyen  de  s'arran- 
ger; à  la  quatrième  la  reine  pouvait  faire  une  réponse  facile 
en  disant  qu'elle  n'avait  pas  le  pouvoir  de  disposer  de  places 
fortes  au  delà  du  temps  de  sa  régence;  quant  à  la  cinquième, 
on  ne  pouvait  y  faire  droit  que  dans  une  mesure  très  restreinte, 
et  seulement  dans  les  endroits  où  s'exerçait  la  religion 
réformée  *. 

Le  4  juillet,  les  délégués,  au  nombre  de  cinq,  arrivèrent 
à  Paris  pour  soutenir  en  forme  les  requêtes  de  l'assemblée. 
«  C'était,  dit  Scip.  Ammirato,  une  cabale  mixte  composée 
de  ministres,  de  gentilshommes  et  de  bourgeois.  »  Ils  se 
présentèrent  à  la  reine  et  lui  adressèrent  une  harangue  pleine 
de  révérence  ^  Voyant  leur  attitude  soumise,  et  réfléchissant 
au  peu  de  place  que  le  personnage  de  Sully  tenait  dans  les 
revendications  écrites  de  l'assemblée  de  Saumur,  les  ennemis 
de  Sully  s'enhardirent,  et  s'indignant  de  ce  que  Boissise  et 
Bullion  avaient  rapporté  à  son  sujet,  ne  parlaient  de  rien 
moins  que  de  le  mettre  en  jugement  sous  l'accusation  de 
lèse-majesté.  «  Il  n'a  point  paru  bon  à  la  reine,  dit  à  ce 
propos  l'ambassadeur  vénitien,  d'entrer  dans  ces  vues;  mais, 
dans  un  autre  temps,  il  pourra  peut-être  en  coûter  cher  au 
duc  d'avoir  parlé  ^.  » 

Scip.  Ammirato  écrivait  peu  de  temps  après  à  son  gouver- 
nement qu'il  avait  vu  la  copie  d'une  seconde  harangue  de 
M.  de  Sully  à  l'assemblée  «  dans  laquelle,  dit-il,  se  découvrent 

1.  Ambass.  vénit..  i3  juillet  1611. 

2.  Scip.  Ammirato,  3  juillet  161 1. 
i.  Ambass.  vénit.,  i3  juillet  1611. 


288 


LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 


sa  passion  et  en  même  temps  sa  crainte,  qui  se  manifeste 
de  plus  en  plus,  s'il  faut  croire  ce  que  j'ai  vu  dans  une  lettre 
de  quelqu'un  qui  se  dit  son  serviteur  à  un  huguenot  et 
dans  laquelle  il  est  rapporté  qu'il  s'est  retiré  à  la  Rochelle 
avec  quarante  charrettes  remplies  des  meilleurs  meubles 
qu'il  avait  à  Sully.  Son  fils  est  à  Poitiers,  au  siège  de  son 
gouvernement  *.  »  La  seconde  harangue  de  Sully,  telle 
qu'elle  est  insérée  dans  le  Mercure  français^  paraît  certes  plus 
timorée  que  passionnée.  Quant  à  cette  retraite,  qui  aurait 
été  presque  un  acte  de  rébellion,  si  le  bruit  qui  en  courut 
est  une  indication  certaine  de  la  tension  des  rapports  entre 
Sully  et  le  gouvernement,  il  est  juste  de  dire  que  nous  ne 
trouvons  nulle  part  qu'elle  ait  reçu  même  un  commence- 
ment d'exécution. 

Cependant  le  Conseil  avait  travaillé  à  la  réponse  à  faire 
aux  délégués  et,  le  24  juillet,  le  chancelier,  les  ayant  réunis, 
leur  déclara  que  S.  M.  la  reine  les  maintiendrait  dans 
le  même  état  et  les  mêmes  termes  que  le  feu  roi;  qu'en 
outre,  à  l'effet  de  les  gratifier ,  elle  prorogerait  pour 
cinq  années  encore  l'occupation  des  places  qu'ils  possé- 
daient, et  accroîtrait  de  15000  écus  (50000  francs)  la 
pension  destinée  à  leurs  ministres,  à  la  condition  qu'ils  fus- 
sent soumis  au  choix  et  à  la  nomination  de  Sa  Majesté.  Le 
chancelier  n'ayant  rien  ajouté  d'autre,  un  des  délégués  prit 
la  parole  pour  dire  que  l'assemblée  les  avait  envoyés  por- 
teurs de  diverses  instances  relatives  aux  intérêts  publics  et 
particuliers,  et  formulées  par  écrit  pour  être  placées  sous 
les  yeux  de  la  reine;  en  conséquence  ils  suppliaient  qu'il 
leur  fût  fait  réponse  non  pas  d'une  manière  générale,  mais 
article  par  article.  Le  chanceUer  répondit  que  l'Assemblée 
avait  été  demandée  et  accordée  uniquement  pour  l'élection 
des  députés  qui  devaient  résider  pour  leurs  affaires  auprès 
de  Sa  Majesté.  L'élection  faite  et  l'assemblée  dissoute,  on 


I.  Scip.   Ammirato,  2  août  161 1. 


l\ssemblée  de  saumur.  289 

ferait  à  ces  derniers  une  réponse  en  forme  et  point  par 
point.  Toutefois,  quant  aux  instances  des  particuliers,  il 
n'appartenait  pas  à  l'assemblée  de  les  présenter.  Ils  n'avaient 
qu'à  venir  eux-mêmes  les  exposer  à  la  reine  et  seraient 
écoutés  avec  bénignité.  Brûlart  conclut  en  déclarant  aux 
délégués,  que  n'ayant  rien  d'autre  à  leur  dire,  pour  le 
moment,  il  les  engageait  cependant  à  rapporter  ce  peu  de 
paroles  à  l'assemblée,  comme  témoignage  de  la  bonne 
volonté  de  Sa  Majesté  à  leur  égard. 

Les  délégués  durent  partir,  «  assez  mal  satisfaits,  dit 
l'ambassadeur  vénitien,  de  la  réponse  qui  leur  avait  été 
faite  au  nom  de  la  reine,  comme  étant  trop  générale  et  peu 
carrée  (mollo  générale  et  poco  quadrata)  »,  —  <(  contents 
cependant,  dit  d'autre  part  Scipione  Ammirato,  au  moins 
pour  leur  particulier;  car  ils  ont  eu  de  bonnes  pensions  *  ». 
Ce  dernier  détail  concorde  fort  bien  avec  la  mauvaise 
impression  qu'à  leur  retour  à  Saumur  les  délégués  donnè- 
rent d'eux-mêmes  à  l'assemblée  où  on  les  reg  arda  comme 
suspects  de  trahison  et  d'apostasie  ^,  et  avec  la  démarche 
pressante  que  la  reine,  partie  pour  Saint-Germain  le 
26  juillet,  fit  faire  auprès  du  duc  de  Bouillon  aussitôt  après 
le  départ  des  délégués. 

Le  duc  était  malade  à  Brunoy;  la  reine  lui  dépêcha 
M.  de  la  Varenne  sous  prétexte  de  le  visiter,  mais  avec  des 
instructions  secrètes  et  de  l'argent  pour  le  répandre  parmi 
les  membres  de  l'assemblée.  Elle  ordonna  en  même  temps 
à  M. de  Bjuillon  de  se  disposer  à  partir  pour  Saumur  avec 
charge  d'obtenir  le  plus  tôt  possible  la  dissolution  de  ces 
Etats  généraux  du  protestantisme. 

Il  y  avait  eu  dans  le  Conseil  des  avis  très  divers  sur  la 
nature  de  la  réponse  faite  aux  délégués  :  les  uns  la  trou- 
vaient trop  sèche  et  offrant  trop  de  matière  aux  récrimina- 
tions; d'autres,    comme  le  connétable,   s'étaient   opposés 

1.  Ambass.  vénit.,  10  août.  —  Scip.  Ammirato,  2  août  161 1. 

2.  Anquez,  op.  cit.,  p.  2  38. 

19 


LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 


290 

avec  beaucoup  de  chaleur  au  changement  des  gouverneurs 
catholiques  dans  les  places  de  sûreté.  Il  fallait,  coûte  que 
coûte,  obtenir  que  la  prolongation  de  rassemblée  n'enve- 
nimât pas  la  discussion  des  questions  pendantes.  On  n'igno- 
rait pas  à  la  cour  que,  malgré  Tattitude  assez  humble  et 
effacée  des  délégués  de  l'assemblée,  ils  avaient,  sous  main, 
donné  communication  des  résolutions  prises  à  l'ambassadeur 
d'Angleterre  et  à  celui  des  Etats-Généraux  de  Hollande, 
se  plaignant  particulièrement  que  la  prorogation  des  places 
de  sûreté  pour  cinq  années  fût  trop  courte;  car  ils  l'avaient 
demandée  pour  dix  ans,  afin  de  ne  pas  être  forcés  d'en 
demander  le  renouvellement  dans  un  temps  où,  à  cause  du 
jeune  âge  du  roi  qui  serait  à  peine  sorti  de  minorité,  les 
controverses  sur  ce  point  présenteraient  plus  de  danger. 
Bien  que  l'ambassadeur  d'Angleterre  assurât  les  ministres 
de  la  ferme  résolution  qu'avait  prise  le  roi  son  maître 
de  ne  pas  troubler  la  paix  du  royaume,  on  pouvait  craindre 
à  la  cour  que  des  complications  étrangères  ne  vinssent 
encore  s'ajouter  aux  préoccupations  causées  par  la  situation 
intérieure  \ 

Ce  n'est  pas  sans  grande  difficulté  que  le  gouvernement 
obtint  de  l'assemblée  qu'elle  voulût  bien  se  dissoudre.  Les 
opposants  demandaient  que  BuUion  leur  donnât  lecture  des 
réponses  à  leurs  cahiers  avant  de  procéder  à  l'élection  des 
six  candidats  parmi  lesquels  la  reine  aurait  à  choisir  les 
deux  députés  généraux  qui  résideraient  auprès  d'elle;  Bul- 
lion  faisait  de  l'élection  la  condition  préalable  de  toute 
communication  ultérieure. 

Les  députés  s'obstinant  à  ne  pas  se  séparer,  la  reine  dut 
écrire  (27  août)  une  lettre  comminatoire  pour  leur  enjoindre 
de  se  conformer  à  ses  ordres,  sous  peine  d'être  déclarés 
rebelles  au  roi  et  poursuivis  comme  tels.  Par  une  autre 
lettre   adressée  dans  toutes  les   provinces  aux  églises  des 

I.  Ambass.  vénit.,  ii  août  i(3ii. 


l'assemblée  de  saumur.  291 

huguenots,  elle  faisait  connaître  ses  intentions  en  même 
temps  que  son  commandement,  disant  qu'elle  voulait  leur 
conserver  tous  leurs  avantages  et  leur  accorder  même 
quelque  chose  en  plus,  mais  que  si  l'assemblée  ne  se  sépa- 
rait pas,  elle  les  considérerait  comme  rebelles  ^  Enfin,  pour 
en  finir  avec  l'opposition,  la  régente  fit  savoir  qu'elle  recon- 
naîtrait comme  légitime  l'élection  qui  serait  faite  même 
par  la  minorité  favorable  aux  vues  du  gouvernement  et 
dont  les  chefs  étaient  Bouillon  et  La  Force,  lesquels  décla- 
rèrent ne  vouloir  pas  faire  autre  chose  que  ce  que  Leurs 
Majestés  commandaient. 

On  ne  saurait  douter  que  le  chef  de  la  majorité  oppo- 
sante ait  été  le  duc  de  Sully.  «  Parmi  tous  les  huguenots, 
écrit  Scipione  Ammirato,  il  ne  doit  guère  y  avoir  que  Sully 
qui  ait  exhorté  à  ne  pas  obéir  à  Leurs  Majestés.  »  Et  l'am- 
bassadeur vénitien,  plus  positif  encore,  dit  de  son  côté  : 
«  Le  duc  de  Sully,  au  lieu  d'obéir  à  la  dernière  lettre  écrite 
par  la  reine  à  ceux  de  l'assemblée  de  Saumur,  lettre 
dans  laquelle  Sa  Majesté  leur  commandait  de  se  séparer 
sous  peine  d'être  tenus  pour  rebelles  à  la  couronne, 
voulait  mettre  la  chose  en  délibération;  mais  M.  de  Châ- 
tillon,  La  Trémouille,  La  Noue  et  tous  les  autres,  dirent 
que  là  où  il  s'agissait  de  leur  fidélité  à  l'égard  de  Sa  Ma- 
jesté, ils  ne  voulaient  pas  qu'elle  fût  mise  en  doute  "  ». 

En  même  temps  que  la  majorité  semblait  abandonner 
Sully,  des  manifestations  extérieures  contribuaient  encore 
à  la  rendre  moins  indocile  aux  ordres  de  la  régente.  Au 
reçu  de  la  lettre  adressée  par  la  reine  aux  églises  réformées, 
celle  de  Charenton,  qui,  représentant  la  communauté  pari- 
sienne, jouissait  d'une  grande  influence  dans  le  parti, 
envoya  un  courrier  à  ses  députés  pour  leur  ordonner 
d'obéir   à   la  reine  ^.  La  même  injonction   était  faite   en 

1.  Scip.  Ammirato,  3o  août  161 1. 

2.  Scip.  Ammirato,  i3  sept.  — Ambass.  vénit.,  21  septembre  i6ii. 

3.  Scip.  Ammirato,  3o  août  1611. 


2q2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIl 

même  temps  par  un  des  chefs  les  plus  aui 
tants,  qui  s'était  tenu,  par  politique,  éloig] 
le  maréchal  de  Lesdiguières,  au  nom  des  égl 

L'assemblée  nomma  donc  ses  six  cane 
le  12  septembre,  lorsqu'elle  eut  reçu  le 
duquel  de  Rouvray,  beau-frère  de  Tur 
Du  Plessis,  et  La  Milletière  étaient  nomr 
raux  ".  Mais  l'agitation  ne  se  trouva  point 
Les  mandataires  de  l'assemblée  se  char 
tenir  en  portant  la  controverse  avec  la 
des  intérêts  généraux  dans  celui  des  intéi 
des  ambitions  personnelles.  On  peut  en  ju 
de  l'ambassadeur  vénitien  : 

((  Les  députés  de  l'assemblée  de  Saun 
les  instances  qu'ils  ont  faites  à  la  cour 
accorde  tous  les  privilèges  qu'ils  prétenden 
gaillardement  sur  deux  points  en  particu 
tion  de  Sully  dans  ses  charges  et  la  prom 
de  la  connétablie  pour  le  duc  de  Bouillon 
tentative  il  n'y  a  aucun  espoir  de  succèî 
pour  tâcher  d'empêcher  le  procès  qu'on  pr 
et  parer  de  la  sorte  à  sa  ruine  totale;  car  il 
que,  si  l'on  poursuit  l'affaire,  elle  tourn 
contre  lui  les  ministres,  la  cour,  les  gens  ( 
dans  un  autre  temps,  il  a  tous  traités  de 
dernière  assemblée,  entamés  et  offensés 
tion.  L'autre  prétention  a  également  beau 
et  parce  que  le  duc  de  Bouillon  est  de  h 
que  cette  charge  est  également  ambitionn 


l'assemblée  de  sa u mur. 


prise  en  considération  de  ces  deux  demandes  auprè 
reine.  Or  comme  elles  sont  absolument  contraires  à  la 
de  Sa  Majesté,  elles  lui  donnent  beaucoup  de  toi 
ainsi  qu'à  ces  messieurs  de  son  conseil;  car  ces  ne 
instances  font  craindre  que  les  mauvais  offices  di 
n'aillent  prenant  pied  et  que  leur  parti  ne  vienne 
fomenté  par  quelque  prince  mal  content  de  ce  goi 
ment  et  par  quelque  autre  de  la  religion,  et  qu'avec  k 
il  ne  sorte  de  là  quelque  nouveau  trouble.  Ces  inqu 
ne  sont  pas  sans  fondement,  puisque,  après  la  diss 
de  cette  assemblée,  alors  que  Ton  croyait  que  tou 
prétentions  seraient  assoupies,  on  voit  que  les  ( 
parlent  plus  vivement  que  jamais.  On  attend  dei 
Fontainebleau  le  prince  de  Condé,  de  retour  de  son  ^ 
nement  de  Guienne;  samedi  doit  y  arriver  le  duc  d'É 
et  M.  le  Grand  \  » 

Cette  dépêche  est  instructive  à  plus  d'un  titre;  c 
nous  montre  le  double  jeu  du  duc  de  Bouillon  qui, 
vant  la  politique  de  la  cour,  avait  également  réussi  à 
au  service  de  son  ambition  l'actif  mécontentement  d 
protestant;  et  elle  révèle,  en  même  temps  que  la  pers 
des  craintes  ou  des  efforts  du  duc  de  Sully  pour  se  i 
cher  au  pouvoir,  le  jeu  des  intérêts  d'un  certain  non 
personnages  qui,  pour  être  restés  à  l'écart  du  confti 
avaient  pas  moins  surveillé  fort  attentivement  les 
ments,  pour  en  tirer  parti. 

Lorsque  la  régente  adressa  aux  princes  et  aux  plus 


294  L'^    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

arrière-pensée  que  les  tuteurs  plus  ou  moins  bien  inten- 
tionnés de  la  couronne  laissaient  la  régente  se  débrouiller 
elle-même  au  milieu  des  embarras  d'une  situation  difficile. 
Ils  évitaient  ainsi  de  se  compromettre,  de  s'associer  aux 
fautes  que  Ton  pourrait  commettre,  tout  en  se  réservant  le 
droit  de  les  signaler  et  de  s'en  plaindre  au  besoin.  Marie  de 
Médicis,  pour  qui  cette  tactique  n'était  déjà  plus  nouvelle, 
avait  fait  tout  son  possible  pour  la  contrecarrer. 

Dès  le  commencement  de  Tannée  léii,  le  prince  de 
Condé  avait  pris  dans  le  Conseil  une  attitude  hautaine  et 
désagréable,  cherchant  noise  à  tout  propos  et  contredisant  un 
chacun.  La  reine,  pour  le  tenir  en  respect,  avait  pris  l'habi- 
tude de  se  lever  de  bonne  heure  et  d'assister  aux  séances 
du  Conseil.  La  mauvaise  humeur  de  Condé  redoubla  ^  S'ima- 
ginant  alors  que  la  province  fournirait  plus  ample  matière  à 
son  besoin  d'intrigues  et  de  domination,  il  manifesta  le 
désir  de  se  rendre  dans  son  gouvernement.  La  reine  déclara 
qu'elle  ne  voulait  point  qu'il  y  allât.  «  Q.u'il  y  aille  ou  qu'il 
reste,  écrit  Scip.  Ammirato,  on  croit  que  ce  prince  est  plus 
capable  de  montrer  sa  mauvaise  volonté  que  de  faire  aucun 
mal  '.  » 

Dans  le  même  temps,  le  duc  de  Guise  demandait  à  partir 
pour  la  Provence;  le  duc  de  Nevers  solUcitait  la  permission 
d'armer  ses  navires  et  d'aller  faire,  on  ne  savait  trop  où, 
quelque  entreprise  contre  les  Infidèles,  et  il  annonçait  l'inten- 
tion de  consacrer  à  cette  œuvre  une  somme  de  300  000  écus ^  ; 
le  prince  de  Vaudemont,  qui  avait  fait  un  séjour  auprès  de 
la  régente,  regagnait  la  cour  de  Lorraine;  le  duc  de  Bouillon 
demandait  à  se  rendre  à  Sedan,  et  le  duc  d'Épernon  à 
Angoulême.  Dans  l'impossibilité  d'empêcher  cette  désertion 
générale  des  princes  et  grands  seigneurs  dans  leurs  gouver- 
nements, la  régente  prit  le  parti  de  l'autoriser. 

1.  Scip.  Ammirato,  4  février  161 1. 

2.  Scip,  Ammirato,  21  mars  1611. 

3.  Scip.  Ammirato,  ibidem. 


L^SSEMBLKE    DE    SAUMUR.  295 

«  Lundi  se  rendit  à  la  cour  le  prince  de  Condé,  écrit 
l'ambassadeur  vénitien  le  4  mai  léii.  Il  exprima  si  chau- 
dement à  la  reine  son  désir  de  se  transporter  dans  son 
gouvernement  de  Guienne,  que  Sa  Majesté,  voyant  qu'Elle 
ne  pouvait  plus,  sans  le  mécontenter  gravement,  lui  refuser 
cette  autorisation  comme  elle  avait  fait  jusqu'à  présent,  la 
lui  a  donnée,  à  la  condition  pour  lui  d'être  de  retour  au 
bout  de  trois  mois.  Le  départ  du  prince  pour  cette  province 
donne  bien  à  réfléchir,  d'autant  plus  qu'il  n'y  va  point, 
paraît-il,  complètement  satisfait;  mais  comme  la  plus 
grande  partie  de  ces  peuples-là  sont  huguenots  et  qu'il  se 
montre  de  plus  en  plus  contraire  à  leur  parti,  il  ne  pourra 
pas  acquérir  auprès  d'eux  grand  crédit.  D'autres  ne  man- 
quent pas  de  faire,  à  propos  des  choses  qui  se  sont  fraîche- 
ment passées,  quelques  considérations  sur  le  voisinage  de 
ce  pays  et  de  TEspagne;  mais  je  ne  trouve  pas  à  cela  grand 
fondement.  De  même  le  duc  d'Épernon  a  obtenu  la  per- 
mission d'aller  à  sa  maison  dans  sa  province.  Guise,  à  cette 
heure,  doit  être  à  Marseille.  Soissons  ne  bouge  pas  et  croît 
chaque  jour  en  grâce  et  en  autorité  auprès  de  la  reine. 
Nevers  est  en  Champagne,  mais  sera  bientôt  ici.  Avant  le 
départ  des  princes,  la  reine  leur  a  fait  toucher  du  doigt 
qu'en  raison  de  l'accroissement  des  pensions  elle  restait 
chaque  année  découverte  de  200  000  écus,  d'où  la  néces- 
sité de  les  réduire.  Celles  des  princes  leur  seront  main- 
tenues :  quant  aux  autres,  elles  seront  réduites,  les 
unes  d'un  quart,  les  autres  de  moins  *.  »  Cet  appel  in- 
direct fait  au  désintéressement  avait  peu  de  chance  d'être 
écouté. 

La  bride  lâchée  à  tous  ces  princes  généralement  animés 
d'intentions  peu  favorables  pour  les  huguenots  n'avait  pas 
été  sans  inquiéter  les  députés  réunis  à  Saumur  et  sans  con- 
tribuer à  rendre  leurs  déUbérations  moins  calmes.  On  ne 

I.  Ambass.  vénit  ,  14  mai.  —  Cf.  Scip.  Ammirato,  3o  avril  161 1. 


296  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

savait  pas  trop  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  intentions  du  prince 
de  Condé.  La  cour  pouvait  se  demander  s'il  ne  lui  prendrait 
pas  fantaisie  de  se  rapprocher  des  huguenots  pour  jouer  le 
rôle  des  anciens  Condés,  mais  c'est  une  illusion  qu'on  n'eut 
guère  du  côté  des  réformés.  Au  commencement  de  son 
voyage  vers  le  Midi,  le  prince  manifesta  l'intention  d'entrer 
dans  Saint-Jean-d'Angély,  occupé  par  les  huguenots,  sous 
le  prétexte  d'exhumer  le  cadavre  de  son  père  demeuré  là 
au  sépulcre  depuis  sa  mort  en  1588.  A  cette  nouvelle, 
l'assemblée  expédia  immédiatement  le  gouverneur  de  la 
ville,  qui  était  au  nombre  de  ses  membres,  afin  qu'il  fût 
présent  pour  veiller  à  la  sûreté  de  la  place  \  Condé  ne  par- 
donna pas  aux  huguenots  ce  manque  de  confiance;  mais  il 
n'avait  pas  lieu  d'être  beaucoup  plus  satisfait  de  la  cour  à 
cet  égard,  si  l'on  en  juge  par  le  second  incident  qui  se  pro- 
duisit sur  son  passage.  Le  duc  d'Épernon  avait  invité  le 
prince ,  qui  traversait  son  gouvernement ,  à  passer  par 
Angoulême.  Condé  accepta,  et  le  duc  se  mit  en  devoir  de 
réunir  un  grand  nombre  de  cavaUers  pour  aller  à  sa  ren- 
contre, mais  dans  l'intervalle  M.  le  Prince  apprit  que  d'Éper- 
non avait  été  envoyé  en  Angoumois  pour  le  mieux  surveiller 
et  qu'il  ne  servait  à  autre  chose  qu'à  lui  faire  la  garde 
{che  non  serviva  ad  altro  che  afargli  la  guardia);  alors,  quand 
il  fut  près  d'Angoulême,  il  se  fit  excuser  auprès  du  duc 
d'Epernon  de  ne  point  passer  par  là  et  prit  plus  au  large  le 
chemin  de  Bordeaux  ^  En  route  il  faillit  périr  après  s'être 
baigné  tout  en  sueur  dans  une  rivière.  Il  avait  déjà,  pendant 
cette  marche  accidentée,  tâché  de  se  remettre  bien  en  cour, 
en  écrivant  à  la  reine  des  lettres  remplies  de  témoignages 
de  dévouement  et  de  soumission^  lui  rendant  compte  du 
progrès  de  son  voyage  et  se  déclarant  prêt  à  revenir  au  pre- 
mier signe  d'elle.  La  reine  se  montra  tellement  satisfaite  de 
ces  démonstrations  que,  voulant  couper  court  au  bruit  que 

1.  Ambass.  vénit.,  ii  juin  1611. 

2.  Scip.  Ammirato,  i5  juillet  1611. 


l'assemblée  de  saumur.  297 

le  prince  n'était  pas  très  bien  disposé  à  son  égard,  elle 
montra  ces  lettres  à  plusieurs  personnes  pour  que  le  contenu 
en  fût  divulgué  '. 

Averti  sans  doute  de  la  bonne  impression  produite  par 
sa  correspondance  ",  Condé  pensa  pouvoir  se  venger  agréa- 
blement du  duc  d'Épernon.  Le  2  juillet  il  écrivit  de  nouveau 
à  la  reine  pour  lui  annoncer  son  arrivée  à  Bordeaux  où  il 
avait  été  reçu  avec  beaucoup  d'honneur,  et,  après  avoir 
encore  enchéri  sur  ses  précédentes  protestations,  il  dénonça 
le  gouverneur  de  TAngoumois  comme  faisant  sous  de  mau- 
vais prétextes  une  réunion  de  noblesse  et  de  gentilshommes 
plus  nombreuse  que  ne  le  comportait  le  service  de  Sa  Majesté. 
Ces  insinuations  firent  quelque  impression  sur  l'esprit  tou- 
jours soupçonneux  de  la  reine,  et  elle  eut  un  instant  la  pensée 
de  rappeler  d'Épernon.  Mais  promptement  rassurée  sur  ses 
intentions  et  informée  du  mécontentement  de  Condé  à  son 
égard,  elle  se  contenta  d'envoyer  de  nouveaux  ordres  aux 
gouverneurs  des  places  de  la  province  pour  augmenter 
leurs  garnisons  et  redoubler  de  vigilance  ^ 

Condé  eut  bientôt  l'occasion  de  prouver  qu'il  était  aussi 
peu  tenace  dans  ses  inimitiés  que  médiocrement  attaché  à 
ses  résolutions.  Le  duc  d'Epernon  ayant  à  se  rendre  dans 
une  de  ses  maisons  situées  au  delà  de  Bordeaux,  voulut 
passer  par  cette  ville.  Condé  lui  envoya  dire  qu'il  ferait 
fermer  les  portes  devant  lui  ;  d'Épernon  répondit  avec  beau- 
coup de  flegme  «  qu'à  des  serviteurs  du  roi  comme  lui  on 
ne  fermait  pas  les  portes,  et  que,  au  surplus,  c'était  avec  sa 
maison  seulement  qu'il  voulait  passer  par  Bordeaux  ».  Il  ne 
fallait  que  savoir  tenir  tête  au  prince  pour  le  faire  plier.  Un 
ami  commun  s'entremit  et  non  seulement  d'Épernon  passa 
par  Bordeaux,  mais,  sous  le  prétexte  d'une  partie  de  chasse, 
Condé  s'arrangea  de  manière   à  revenir  par  la  route   que 

1.  Ambass.  vénit.,  29  juin  161 1. 

2.  Matteo  Botti  au  grand-duc,  11  juillet  iGii. 

3.  Ambass.  vénit.,  i3  juillet  1611. 


298  I''^    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

devait  suivre  le  duc.  Ils  se  virent  et  dînèrent  même 
ensemble  *. 

Ce  rapprochement  et  cette  réconciliation  de  personnages 
qu'elle  avait  voulu  tenir  désunis  ne  furent  sans  doute  pas  du 
goût  de  la  reine.  D'ailleurs  le  prince  de  Condé  ne  se  fit 
pas  faute  de  laisser  entendre  au  gouvernement  qu'il  fallait 
toujours  compter  avec  lui.  Peu  de  temps  après  son  arrivée 
à  Bordeaux,  il  voulut  visiter  le  Château-Trompette  et  y  entra 
avec  un  grand  nombre  des  siens,  puis  il  donna  l'ordre  au 
lieutenant  royal  de  faire  sortir  la  garnison.  Cet  officier  n'osa 
pas  désobéir  au  gouverneur  de  la  province,  premier  prince 
du  sang;  et,  l'ordre  ayant  été  exécuté,  le  prince  se  tourna 
vers  ceux  qui  l'accompagnaient  et  leur  dit  :  «  Vous  voyez 
que  je  suis  le  maître  de  la  place.  Mais  Dieu  me  garde  de  la 
tenir  contre  le  vouloir  de  la  reine.  Ce  que  j'en  ai  fait,  c'est 
pour  confondre  mes  ennemis  et  donner  à  Sa  Majesté  la 
preuve  de  ma  fidélité  ^  »  Alors  il  fit  rentrer  la  garnison  et 
sortit  incontinent.  La  régente  s'efforça  d'étouffer  le  scandale 
de  cette  insolente  bravade,  et  le  prince  ne  s'en  vanta  pas 
non  plus  dans  les  nouvelles  lettres  qu'il  écrivit  à  la  cour  au 
sujet  de  la  consultation  que  Marie  de  Médicis  avait  demandée 
pour  la  réponse  à  faire  aux  huguenots  de  Saumur. 

Condé  leur  en  voulait  sans  doute  beaucoup  de  l'affaire  de 
Saint- Jean-d'Angély;  car,  à  leur  égard,  il  se  montra  sans 
aucun  ménagement.  Ne  pouvant  ou  ne  voulant  pas  revenir 
à  Paris,  il  répondit  à  la  communication  qui  lui  fut  faite  des 
requêtes  de  l'Assemblée  par  une  lettre  adressée  à  M.  de 
Beaumont  et  qui  contenait  son  vote,  à  savoir,  qu'il  ne  fallait 
accorder  aux  huguenots  rien  de  plus  que  ce  qu'ils  avaient 
du  temps  du  roi  Henri  IV.  Le  commentaire  dont  il  accom- 
pagnait son  dire  était  encore  plus  significatif.  Au  rapport  du 
nonce,  à  qui  M.  de  Beaumont  fit  part  de  la  lettre,  le  prince 
avait  écrit  que  «  si  les  huguenots  voulaient  tenter  quoi  que 

1.  Scip.  Ammirato,  2  août  161 1. 

2.  Ambass.  vénit.,  27  juillet  iGii. 


l'assemblée  de  saumur.  299 

ce  fût  contre  Sa  Majesté,  il  serait  le  premier  à  leur  mettre 
le  couteau  à  la  gorge  »  ;  l'ambassadeur  vénitien  confirme 
cette  information,  en  ajoutant  que  la  menace  concernait 
aussi  «  tout  autre  qui  voudrait  troubler  le  présent  repos  *  ». 

Pouvait-on  se  fier  à  ces  démonstrations  plus  bruyantes 
que  sincères?  Il  est  permis  d'en  douter  lorsqu'on  voit  le 
prince  de  Condé  faire  naître  à  Bordeaux  même  une  agita- 
tion au  moins  inutile  en  se  portant  candidat  au  titre  de 
maire.  Il  avait  pour  concurrent  dans  cette  brigue  assez 
excentrique  M.  de  Roquelaure  ^,  maréchal  de  France.  La 
reine  réussit  à  faire  élire  M.  Barrault,  qui  avait  été  ambassa- 
deur en  Espagne,  connaissait  le  pays,  et  ne  pouvait  porter 
aucun  ombrage  au  gouvernement  ^  Quant  au  prince  de 
Condé,  il  se  rendit  jusqu'à  l'extrémité  même  de  sa  pro- 
vince, à  Rayonne  ^  C'est  là  que  les  princesses,  sa  mère  et 
sa  femme,  le  quittèrent  pour  se  rendre  à  Cadillac  où,  avant 
de  retourner  vers  le  Nord,  elles  furent  festoyées  par  le  duc 
d'Épernon  %  remis  décidément  dans  les  meilleurs  termes 
avec  toute  la  maison  de  Condé. 

Pendant  que  le  prince  continuait  encore  à  se  faire  attendre, 
sa  femme  arriva  à  Paris  le  30  aoùt^  au  moment  où  des 
discussions  d'intérêts  de  famille  survenues  entre  son  père 
le  connétable  et  le  duc  de  Guise  et  auxquelles  se  trouvèrent 

1.  Mons.  Nun:{io  mi  ha  detto  che  Condé  ha  mandata  qui  il  suo  voto 
per  7ne:j^o  di  Mous,  di  Beaumont,  che  è,  che  non  si  concéda  alli  iigo- 
notti  cosa  nessuna  di  piii  di  quel  che  havevano  a  tempo  del  Re 
Avrigo  IV.  Et  sua  Signoria  lUustrissima  mi  dice  che  ha  visto  la 
lettera  che  Condé  scrive  a  Beaumont,  dove  è  che  egli  sara  il  primo 
quando  gli  ugonotti  vorranno  far  nulla  contra  S.  M.  che  mettera 
loro  il  cottello  alla  gola.  (Scip.  Ammirato,  i3  juillet  1611.)  Poi 
scrisse  qui  (Condé)  al  Sig^  Beumont  lettere  piene  di  devotione  et  osse- 
quio  verso  la  Regina,  et  simili  alValtre,  nelle  quali  sen^a  parola  di 
tal  fatto  si  esibisce  il  primo  à  moversi  contra  ugonotti^  et  ogn'  altro 
che  volesse  turbare  la  quiète  présente.  (Ambass.  vénit.,  27  juillet  1611.) 

2.  Voir  sur  ce  personnage  Tallemant  des  Réaux,  Historiettes,  t.  I, 

3.  Ambass.  vénit.,  lo  août.  —  Scip.  Ammirato,  16  août  iGio. 

4.  Scip.  Ammirato,  16  août  1611. 

5.  Malherbe  à  Peiresc,  14  août  161 1,  p.  249. 

6.  Scip.  Ammirato,  3o  août  161 1. 


300  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

mêlés  des  princes  de  la  maison  de  Bourbon,  jetaient  de  nou- 
veau la  perturbation  au  milieu  de  la  cour  et  mettaient  Marie 
de  Médicis  dans  le  cas  de  se  demander  s'il  ne  valait  pas 
encore  mieux  tenir  les  grands  éloignés  d'elle  que  de  les  rap- 
peler ou  de  les  retenir  à  ses  côtés. 

Le  connétable  de  Montmorency  était,  on  s'en  souvient, 
accouru,  ainsi  que  le  duc  de  Xevers,  au  premier  appel  de 
la  reine  quand  le  Conseil  avait  dû  s'occuper  de  la  réponse  à 
faire  à  l'assemblée  de  Saumur.  Le  duc  de  Guise  revint  aussi 
de  Provence  à  la  fin  de  juillet;  mais  c'était  moins  pour 
assister  la  régente  que  pour  lui  chercher  une  querelle  assez 
motivée  d'ailleurs.  Le  duc  de  Guise  avait,  depuis  quelque 
temps  déjà,  obtenu  de  la  reine,  en  faveur  de  son  frère  le 
chevalier,  des  lettres  pour  le  grand  maître  de  Malte,  à  l'effet 
de  réservera  ce  jeune  homme  le  premier  des  priorats  vacants 
dans  le  royaume.  L'ordre  de  Malte  était  une  admirable 
école  pour  les  jeunes  gens  de  la  haute  noblesse  qui  vou- 
laient devenir  les  chefs  de  la  marine  française.  Presque  aus- 
sitôt après  le  départ  du  duc  pour  Marseille,  le  connétable 
sollicita  de  la  reine  des  lettres  de  même  teneur  pour  son 
petit-fils,  fils  du  comte  d'Auvergne.  La  reine,  au  commen- 
cement, s'excusa,  en  disant  qu'elle  s'était  déjà  occupée  pour 
le  même  objet  du  frère  du  duc  de  Guise  et  aussi  du  cheva- 
lier de  Vendôme,  frère  du  roi,  en  faveur  desquels  elle  avait 
écrit.  Le  connétable  ayant  insisté,  la  reine  donna  Tordre 
d'écrire  aussi,  pour  lui  être  agréable,  mais  en  forme  telle 
qu'il  ne  fût  point  porté  préjudice  à  ses  dem.andes  anté- 
rieures. Le  secrétaire  qui  fut  chargé  de  porter  ce  message 
prit  en  outre  avec  lui  des  lettres  et  recommandations  par- 
ticulières du  connétable,  tout  ce  qui,  en  somme,  pouvait 
servir  la  cause  de  ce  dernier,  aux  dépens  de  celle  des  autres 
intéressés.  Le  duc  de  Guise  n'était  pas  sans  quelque  soupçon 
de  l'aventure,  et  il  interrogea  le  courrier  à  son  passage. 
Celui-ci  nia  complètement  son  fait.  Mais  le  gouverneur  avait 
donné  l'ordre  de  surveiller  son  embarquement,  et  fit  visiter 


l'assemblée  de  saumur.  3oi 

ses  bagages,  sous  prétexte  de  contrebande.  On  saisit  ses 
lettres.  Le  messager  étant  venu  se  plaindre,  le  duc,  en  sa 
présence,  jeta  au  feu  celles  du  connétable.  Quant  à  celles 
qui  étaient  signées  de  la  reine,  le  duc  étant  le  jour  suivant 
monté  en  poste,  les  porta  lui-même  à  Sa  Majesté  vis-à-vis 
de  laquelle,  en  entrant,  il  se  plaignit  vivement  que  la  grâce 
faite  à  lui  d'abord  eût  été  révoquée  en  vue  de  complaire  à 
d'autres.  La  reine  ayant  dit  qu'elle  n'avait  donné  aucun  ordre 
à  son  préjudice,  le  duc  lui  présenta  ses  propres  lettres,  et, 
comme  il  s'excusa  humblement  de  les  avoir  interceptées, 
Marie  parut  se  tenir  pour  satisfaite. 

Le  jour  suivant.  Guise  retourna  auprès  de  la  reine  et,  la 
trouvant  en  conférence  avec  le  comte  de  Soissons  et  le 
chancelier,  sans  qu'il  eût  été,  comme  d'habitude,  convoqué 
par  elle,  il  se  monta  la  tête  à  la  pensée  qu'il  était  sans  doute 
question  de  ce  qui  s'était  passé,  et  se  mit,  parlant  à  d'au- 
tres seigneurs  qui  étaient  dans  la  même  chambre,  à  se 
plaindre  en  termes  très  vifs  que  la  reine,  dans  ses  affaires 
à  lui,  prît  conseil  de  ses  propres  ennemis.  Marie  s'aperce- 
vant  de  la  colère  de  Guise,  congédia  le  comte  et  le  chan- 
celier et  appela  le  duc  auprès  d'elle,  et,  sur  un  ton  tout  dif- 
férent de  celui  qu'elle  avait  pris  le  jour  d'avant,  elle  lui 
manifesta  un  très  vif  ressentiment  pour  avoir,  en  osant 
retenir  ses  lettres,  montré  si  peu  de  respect  pour  elle.  Le 
duc  s'exprima  toujours  en  termes  remplis  d'humilité  à 
l'égard  de  la  reine,  mais  avec  des  paroles  fort  vives  et 
pleines  de  feu  contre  le  comte  de  Soissons  aux  insinuations 
duquel  il  fallait,  disait-il,  attribuer  cette  indignation  de  la 
reine  dont  l'esprit  était  fort  calme  avant  d'avoir  parlé  avec 
lui;  et  il  ajouta  que,  lorsqu'il  s'agissait  des  affaires  du  comte 
de  Soissons,  il  se  récusait  toujours,  ne  voulant  pas  s'y 
ingérer,  et  qu'ainsi  le  comte  devait-il  faire  de  son  côté,  sinon 
qu'il  en  arriverait  malheur. 

Le  comte  de  Soissons,  averti  de  ces  propos,  envoya 
immédiatement  mettre  au   service   du   connétable,  qui  se 


3o2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

trouvait  à  Chantilly,  toute  sa  puissance  et  celle  de  ses  amis 
contre  le  duc  de  Guise.  Mais  le  vieil  et  prudent  duc  de 
Mayenne,  redoutant  les  désordres  qui  pouvaient  naître 
d'une  rupture  entre  sa  maison  et  celle  du  connétable, 
prit  aussitôt  l'affaire  en  main,  apaisa  le  connétable  et 
obtint  du  duc  son  neveu  qu'il  allât  en  personne  le  trouver. 
L'entrevue  se  passa  à  Chantill}^,  et  les  différends  s'accom- 
modèrent, à  la  satisfaction  des  deux  parties  '. 

u  Les  querelles  entre  la  maison  de  Bourbon  et  la  maison 
de  Lorraine,  dit  l'ambassadeur  vénitien,  vont,  on  le  voit 
malheureusement,  pullulant  de  jour  en  jour  et,  bien  que 
les  villes  et  les  Parlements  soient  fermement  attachés  à  la 
conservation  de  la  paix,  si  on  ne  parvient  pas  à  trouver 
quelque  moyen  de  les  apaiser,  elles  pourront  causer  de 
sérieux  embarras,  parce  que,  au  plus  petit  mot,  au  moindre 
soupçon,  on  fait  de  part  et  d'autre  des  rassemblements, 
des  escortes,  ce  qui  sert  d'aliment  aux  humeurs  mauvaises 
et  peut  donner  occasion  de  pire  encore.  J'ai  eu  l'occasion 
de  voir  le  duc  de  Guise,  qui  parle  très  haut,  et  aussi  le  duc 
du  Maine,  qui,  bien  que  plus  modéré,  n'a  pu  me  dissi- 
muler qu'il  craignait  que,  si  la  reine  prend  confiance  dans 
le  conseil  de  certaines  personnes,  les  choses  ne  puissent 
certainement  pas  durer  dans  le  même  état  de  tranquiUité  ".  » 

L'un  et  l'autre  des  prétendants  à  la  commanderie  avaient 
dû  s'effacer  devant  la  candidature  du  jeune  chevalier  de 
Vendôme  que  la  reine  avait,  dès  le  mois  de  juin  ^,  résolu 
d'éloigner  de  la  cour,  sous  le  prétexte  de  l'envoyer  à  Malte 
gagner  son  grade  supérieur  dans  Tordre.  La  tendre  affec- 
tion du  jeune  roi  pour  son  frère  bâtard  offusquait  la  reine, 
et  comme  sa  politique  maternelle,  égoïste  et  imprudente, 
s'appliquait  à  écarter  de  son  fils  toutes  les  influences  capa- 
bles d'agir   sur  lui   en  dehors  de  sa  propre   direction,  le 

1.  Ambass.  vénit.,  24.  —  Scip,  Ammirato,  3o  août  1611. 

2.  Ambass.  vénit.,  ibidem. 

3.  Ambass.  venir.,  29  juin  1611. 


L'ASSEMBLÉE    DE    SAUMUR.  3o3 

départ  de  Vendôme  fut  décidé,  dans  le  temps  même  où, 
cédant  à  des  considérations  analogues,  Marie  de  Médicis 
enlevait  au  roi  son  premier  précepteur,  M.  des  Yvetaux, 
que  le  roi  aimait,  pour  mettre  à  sa  place  M.  Le  Fèvre  '. 
Le  départ  du  chevalier  fut  un  peu  retardé  ■;  mais  Taîné  des 
Vendôme  ayant  fait  du  tapage  dans  Paris  et,  pour  une 
cause  futile,  provoqué  en  duel  AL  de  Montbazon,  la 
régente,  après  avoir  renouvelé  les  édits  de  Henri  IV  contre 
les  combats  singuliers  ^  saisit  l'occasion  qui  s'offrait  de  se 
débarrasser  momentanément  d'un  aussi  turbulent  person- 
nage, pressa  le  départ  du  chevalier  pour  Malte  et  engagea 
son  frère  à  l'accompagner.  Le  roi  pleura  abondamment 
quand  le  jeune  Alexandre  prit  congé  de  lui  à  Saint-Germain. 
Il  l'aimait  de  toutes  ses  entrailles  {svisceramenté)  *. 

Les  incidents  récents  qui  avaient  failli  mettre  aux  prises 
les  Bourbons  et  les  Guises  et  que  le  prochain  retour  du 
premier  prince  du  sang  pouvait  aggraver  rendaient  la  reine 
désireuse  d'en  finir  avec  la  fâcheuse  affaire  qu'elle  avait  sur 
les  bras  depuis  près  de  six  mois  :  celle  des  réclamations  de 
l'assemblée  de  Saumur  auxquelles  s'étaient  si  âprement 
attachés  les  députés  triennaux. 

Du  Plessis-Mornay  n'avait  pas  attendu  la  dissolution  de 
l'assemblée  qu'il  avait  présidée  avec  sagesse  au  point  de 
vue  poHtique  pour  montrer  qu'en  ce  qui  concernait  la  doc- 
trine et  les  fondements  mêmes  du  protestantisme,  il  n'enten- 
dait pas  renoncer  à  une  attitude  énergiquement  militante. 

«  Du  Plessis-Mornay,  celui  qui  est  président  dans  l'As- 
semblée, écrit   Scipione  Ammirato  le   2  août   161 1,  vient 

1.  Fu  dimesso  improvisamente  il  S.  d'Ifito  (Des  Yvetaux)  dal  carico 
di  precettore  del  Re  per  ombra  presa  di  lui  in  tvateria  di  religione, 
et  dato  al  signor  di  Fevro  (Le  Fcvre),  gra)i  litterato  et  bonissimo  cat- 
tolico,et  al  Re  che  Vamava  se  fatto  creder  altro.  (Ambass.  vénit.,  27 
juillet  1611.) —  Cf.  L'EsToiLE,  t.  XI,  p.  i33;  Héroard,  t.  II,  p.  71. 

2.  Scip.  Ammirato,  2  août  161 1. 

3.  Ambass.  vénit.,  i3  juillet.  —  Maiteo  Botti,  20  juillet  1611. 

4.  Scip.  Ammirato,  16  août  161 1. 


304  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

encore  de  publier  un  grand  livre  in-folio  qui  est  intitulé 
le  Mystère  de  V iniquité;  ce  livre  ne  contient  pas  autre  chose 
que  les  méfaits  et  les  paroles  mauvaises,  que  l'on  a  pu  ras- 
sembler dans  des  auteurs  dignes  de  foi  ou  apocryphes,  de 
tous  les  souverains  pontifes  jusqu'à  Alexandre  VI;  et  en 
démontrant  leur  accumulation,  on  en  tire  cette  conséquence 
que  les  papes  sont  l'Antéchrist,  livre  scélérat  et  pernicieux 
au  dernier  degré  par  le  temps  qui  court.  On  ne  le  vend  pas 
pubHquement;  mais,  de  toute  manière,  en  peut  avoir  qui 
veut.  Et  ainsi,  dans  ce  pays,  non  seulement  il  y  a  la  liberté 
de  la  conscience,  mais  encore  celle  de  la  langue  et  de  la 
plume  *.  » 

Au  regard  de  notre  époque,  il  serait  sans  doute  excessif 
de  prendre  au  pied  de  la  lettre  cette  dernière  réflexion, 
bien  qu'au  même  moment,  le  livre  d'un  protestant,  nommé 
Turquet,  intitulé  De  la  monarchie  aristo-démocratique  et 
dirigé  contre  le  gouvernement  des  reines  et  surtout  des 
étrangers,  saisi,  confisqué  et  étroitement  défendu,  con- 
tinuât néanmoins  à  se  vendre  sans  valoir  à  son  auteur 
d'autre  désagrément  qu'un  court  séjour  à  la  Bastille,  bientôt 
suivi  du  pardon  de  la  reine  ".  L'étonnement  de  notre  diplo- 
mate ne  montre-t-il  pas  combien,  même  alors,  la  France 
était  en  avance  dans  les  voies  de  la  liberté? 

La  reine  avait  bien  obtenu  du  Parlement  la  suppression  du 
livre  de  Du  Plessis-Mornay;  mais  sur  ces  entrefaites  la  popu- 
lace de  Rome  insulta  la  maison  du  cardinal  de  Joyeuse  parti 
pour  l'Italie  dès  le  mois  de  février,  assez  mécontent  du  gou- 
vernement qui  promettait  au  fils  du  comte  de  Soissons  la 
main  de  son  héritière  Mlle  de  Montpensier^;  pour  manifester 
son  mécontentement  à  la  cour  de  Rome  le  Parlem.ent  leva 
son  arrêt,  et  le  Mystère  d'iniquité  se  propagea  rapidement. 


1.  Scip.  Ammirato,  2  août  161 1. 

2.  Mercure  françois^  t.  II,  p.  87.  —  Richelieu,  Mémoires,  p.  41.  — 
L'EsToiLE,  t.  XI,  p.  126,  i3i,  i33.  —  Malherbe  à  Peiresc,  t.  III,  p.  232. 

3.  Scip.  Ammirato,  17  janvier,  i5,  19  février  161 1. 


l'assemblée  de  saumur.  3o5 

Pour  prévenir  tout  redoublement  d'agitation  de  la  part 
des  huguenots,  la  régente  et  son  Conseil  prirent  la  résolu- 
tion de  fiiire  connaître  ofticiellement  la  réponse  du  gou- 
vernement aux  demandes  des  huguenots.  Marie  de  Médicis 
fit  venir  les  députés  et  leur  déclara  qu'elle  conserverait  les 
réformés  dans  le  même  état  que  du  temps  du  feu  roi  et 
que  aux  quatre-vingt  mille  écus  alloués  pour  le  maintien 
de  leurs  églises  et  l'entretien  de  leurs  ministres,  elle  en 
ajoutait  quinze  mille  autres.  Puis  elle  les  congédia,  laissant 
ainsi  tomber  les  autres  demandes.  Aussitôt  après  on  expédia 
MM.  de  Vie,  Caumartin  et  Boissise  dans  les  provinces,  le 
premier  en  Poitou,  l'autre  en  Languedoc  et  le  troisième  en 
Guienne,  pour  publier  la  déclaration  de  la  reine  touchant 
le  maintien  des  huguenots  dans  tous  leurs  privilèges;  ces 
commissaires  avaient  en  outre  mission  d'envoyer  d'autres 
personnes  dans  tous  les  endroits  où  il  serait  nécessaire  de 
faire  cette  publication. 

Les  députés,  qui  s'étaient  leurrés  de  l'espoir  de  recevoir 
satisfaction  sur  un  grand  nombre  de  points  et  qui  parais- 
sent avoir  été  également  déçus  quant  au  chapitre  des  avan- 
tages personnels,  ne  cachèrent  point  leur  mécontentement, 
et  déclarèrent  qu'ils  rapporteraient  la  réponse  à  messieurs 
de  l'assemblée,  non  plus  réunis  dans  un  lieu  déterminé, 
mais  à  chacun  dans  sa  province.  «  Et  ainsi,  dit  l'ambassa- 
deur vénitien,  on  espère  que  sera  terminée  cette  affaire  *.  » 

Les  garanties  apportées  officiellement  jusqu'au  fond  des 
provinces  à  la  masse  du  parti  qui  n'avait  pas,  à  vrai  dire, 
d'autre  souci  que  de  jouir  en  paix  des  précieuses  conquêtes 
de  l'année  1598,  ne  laissaient  plus  évidemment  aucun  pré- 
texte à  la  continuation  du  mouvement.  La  reine  devait 
avoir  désormais  facilement  raison  des  hommes  politiques, 
seuls  intéressés  à  entretenir  le  mécontentement. 

Le  maréchal  de  Lesdiguières  était  en  route  pour  venir  à 

I.  Ambass.  vcnit.,  20  novembre  iGii. 

20 


3oÔ  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

la  cour,  où,  depuis  la  fin  du  mois  d'août,  son  gendre,  le 
duc  de  Créquy,  faisait  préparer  ses  logements  '  ;  il  comptait 
se  poser  en  médiateur  et  en  défenseur  de  la  cause  de  Sully, 
lorsque  la  reine  fit  connaître  sa  réponse  aux  huguenots. 
Lesdiguières  suspendit  immédiatement  son  voyage.  Mais  la 
régente,  pour  étouffer  cette  opposition  nouvelle,  envoya 
immédiatement  dire  au  maréchal  qu'il  pouvait  venir  allè- 
grement et  lui  fit  savoir  que,  ra3'ant  toujours  connu  comme 
un  fidèle  et  bon  serviteur  de  la  couronne,  elle  voulait 
reconnaître  ses  services  en  l'honorant  du  titre  de  duc  et 
pair  de  France.  Ainsi  le  gouvernement  réussissait  fort  habi- 
lement à  isoler  Sully. 

Ce  n'étaient  pas  seulement  les  chefs  qui  l'abandonnaient. 
S'étant  retiré  à  Chàtellerault,  il  voulut  y  fortifier  son  hôtel 
pour  s'y  trouver  plus  en  sûreté;  mais  les  bourgeois  l'en 
empêchèrent  en  lui  signifiant  très  librement  qu'il  eût  à  se 
désister  d'entreprendre  une  semblable  fortification,  parce 
qu'ils  ne  voulaient  pas  donner  leur  consentement  à  une 
entreprise  qui  pouvait  causer  du  mécontentement  et  du 
préjudice  à  leur  roi.  Sull}-  prit  alors  la  résolution  d'aller  à 
la  Rochelle,  et,  pour  se  faire  bien  venir,  avant  d'entrer  dans 
la  place,  il  prêta  600000  écus  à  la  commune.  Si  ces  faits 
que  rapporte  l'anibassadeur  vénitien  sont  entièrement  vrais, 
on  se  persuadera  aisément  avec  lui  que  «  Sully  pouvait 
reconnaître  combien  peu  de  place  il  tenait  dans  les  préoc- 
cupations et  l'estime  de  ceux  mêmes  de  sa  religion  ». 

Un  fait  certain,  c'est  que  tout  le  bruit  fait  autour  de  lui 
s'apaisa  comme  par  enchantement,  non  seulement  du  côté 
des  huguenots,  mais  aussi  du  côté  de  la  cour,  et  on  ne  s'ex- 
pliquerait guère  que  la  régente  ait  désarmé  vis-à-vis  de 
celui  qui  l'avait  tenue  presque  sous  la  menace  d'un  soulè- 
vement des  protestants,  si  l'on  ne  savait  ce  gouvernement 
très  opposé  aux  mesures  de  rigueur  et  si  l'on  n'admettait 

I.  Scip.  Ammirato,  3i  août  161 1. 


l'assemblée  de  saumur.  3 07 

en  outre  une  raison  fort  plausible  donnée  par  Tambassadeur 
vénitien  : 

«  Les  affaires  de  Sully,  dit-il,  restant  dans  le  plus  grand 
péril,  à  cause  de  la  ruine  qui  est  suspendue  sur  sa  tcte,  sa 
préoccupation  principale  est  d'y  remédier  dans  la  mesure 
du  possible.  C'est  pourquoi  il  en  est  venu  à  la  résolution 
de  se  recommander  à  la  protection  du  prince  de  Condé,  du 
duc  de  Guise  et  du  marquis  d'Ancre,  à  tous  lesquels  il  a  fait 
présent  d'une  bonne  somme  d'argent  à  cet  effet  ^  » 

Le  rôle  politique  de  Sully  était  désormais  bien  fini.  Le 
côté  patriotique  et  libéral  de  son  opposition  disparaît  trop 
devant  le  souci  de  ses  affaires  personnelles.  Il  ne  sut  évi- 
demment pas  supporter  la  disgrâce  avec  la  hauteur  d'âme 
qui,  en  face  même  de  maîtres  ingrats,  sied  aux  grands  ser- 
viteurs de  la  chose  publique. 

Ainsi,  on  n'en  vint  aux  extrémités  ni  de  l'un  ni  l'autre 
côté  :  après  cinq  mois  de  délibérations,  d'allées  et  de  venues 
entre  Saumur  et  Paris,  on  commença  à  se  faire,  du  côté  des 
protestants,  à  l'idée  de  l'alliance  espagnole  ;  on  s'y  contenta 
aussi  d'une  retraite  entourée  sinon  d'honneurs,  au  moins 
de  sécurité  pour  le  duc  de  Sully,  tandis  que  la  régente,  les 
délégués  triennaux  une  fois  nommés,  s'engageait  à  faire 
de  l'édit  de  Nantes  formellement  maintenu,  une  applica- 
tion plutôt  extensive  que  restrictive.  Toute  cette  affaire 
avait  été  conduite  par  des  mains  évidemment  habiles. 

Ce  n'étaient  toutefois  pas  celles  du  favori,  qui,  plus 
impudent  écumeur  de  mer  qu'habile  pilote ,  recueillait 
sur  les  flots  agités  les  épaves  à  sa  convenance.  D'autres 
soucis  que  la  politique  générale  préoccupaient  son  esprit. 
Sa  correspondance,  généralement  banale  et  futile,  nous  le 
montre  comme  l'homme  de  confiance  de  la  reine  dans  les 
petites  affaires.  C'est  lui  qui  est  auprès  du  grand-duc  de 
Toscane  ou  du  secrétaire  d'État  Belisario  Vinta  l'intermé- 

I.  Ambass.  vénit.,  2  novembre  i6ir. 


3o8  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

diaire  des  petites  recommandations  que  la  reine  ne  se 
charge  pas  elle-même  d'introduire  en  faveur  de  ses  pro- 
tégés italiens  *;  c'est  encore  lui  qui,  dans  un  post-scriptum 
autographe  (car  il  écrivait  peu  par  lui-même)  du  6  juillet, 
remercie  le  gouvernement  grand-ducal  qui  venait  de  faire 
fondre  la  statue  équestre  de  Henri  IV  destinée  à  figurer  sur 
le  Pont-Neuf,  et  qui,  au  nom  de  Marie  de  Médicis,  prescrit 
d'embarquer  l'œuvre  de  maître  Jean  Bologne  sur  un  des 
bateaux  de  Dieppe  ou  de  Cannes  qui  se  rendront  à  Livourne  ^ 
Ce  rôle  familier  du  marquis  d'Ancre  ne  l'empêchait  pas 
de  consolider  du  mieux  qu'il  pouvait  son  établissement  en 
Picardie.  Après  la  mort  de  M.  de  Trigny,  gouverneur 
d'Amiens,  les  habitants  de  la  ville  envoyèrent  une  dépu- 
tation  à  la  reine  pour  la  prier  instamment  de  faire  démolir 
la  citadelle  et  de  rétablir  les  choses  en  Tétat  d'autrefois, 
offrant  une  grosse  somme  d'argent  comme  don  et  une  garde 
bourgeoise  suffisante  pour  garantir  la  sécurité  et  la  tranquil- 
lité de  la  ville.  A  ces  bourgeois  qui  s'étaient  jadis  laissé  sur- 
prendre par  l'Espagnol  et  qui  depuis  ont  toujours  consi- 
déré d'un  fort  mauvais  œil  une  citadelle  plutôt  dirigée 
contre  la  ville  que  contre  l'ennemi  du  dehors,  la  reine 
répondit  que,  durant  la  minorité  de  son  fils,  elle  ne  se 
croyait  pas  en  droit  d'innover  à  cet  égard,  et  que  ce  serait 
au  roi,  quand  il  serait  devenu  majeur,  de  leur  donner  cette 
satisfaction;  et  elle  confia,  comme  on  le  sait,  le  gouverne- 
ment d'Amiens  au  marquis  d'Ancre  ^  Le  comte  de  Saint- 
Paul,  qui  exerçait  le  gouvernement  de  la  province  au  nom 
de  son  neveu  mineur,  le  duc  de  Longueville,  déclara  qu'il 
y  avait  là  une  atteinte  à  la  situation  et  aux  droits  de  son 
pupille,  et,  soutenu  d'ailleurs  par  l'opinion  publique  mécon- 

1.  Voir,  à  l'Appendice,  lettres  de  la  reine  mère  en  date  des  4,  3o  août, 
18,  22  novembre  ibio;  27  janvier,  i3,  28  février;  7,  14,  21,  23  mars;  14, 
24  avril,  21,  23  mai;  18,  3o  août;  i3  septembre;  8,  21,  22  octobre; 
6,  22  novembre;  3o  décembre  161 1. 

2.  Concini,  4  juillet  1611. 

3.  Ambass.   vénit.,  29  juin  1611. 


L'ASSEMBLÉE    DE    SAUMUR.  SOQ 

tente  de  voir  confier  une  place  aussi  importante,  Tune  des 
clefs  de  la  France,  à  un  étranger  sans  aucune  expérience  de 
la  guerre,  gagna  le  lieutenant  et  plusieurs  autres,  s'intro- 
duisit dans  la  place  et  manifesta  l'intention  de  s'opposer 
par  la  force  à  l'entrée  du  marquis  d'Ancre.  La  reine  voulut 
être  obéie,  mais  sans  que  son  autorité  courût  aucun  risque. 
Elle  dépêcha  successivement  au  comte  de  Saint-Paul  le  con- 
seiller d'État  Caumartin  et  M.  de  Montigny  pour  lui  faire 
entendre  raison. 

Pendant  ce  temps,  le  marquis  d'Ancre,  qui  venait  d'acheter 
le  bailliage  d'Amiens,  prêtait  serment  devant  le  parlement 
de  Paris  comme  titulaire  de  cette  juridiction  secondaire  '  ; 
il  traitait  avec  le  commandant  et  la  garnison  de  la  citadelle 
d'Amiens,  et  gagnait  les  autres  gouverneurs  des  places  fortes 
de  la  province.  Le  comte  de  Saint-Paul  se  décida  alors  à 
venir  en  personne  exposer  ses  prétentions  à  la  régente.  Le 
marquis  d'Ancre  se  porta  à  cheval  à  sa  rencontre;  au  bout 
de  deux  jours  les  deux  rivaux  étaient  devenus  les  meilleurs 
amis  du  monde.  On  avait  promis  au  comte  de  Saint-Paul 
de  lui  donner  le  premier  gouvernement  vacant,  et  il  est 
permis  de  croire  que  les  libéralités  de  la  régente  et  le  ver- 
sement enfin  accompli  de  la  fameuse  créance  Corsini,  dont 
le  marquis  d'Ancre  remercie  avec  effusion  le  grand-duc, 
facilitèrent  la  terminaison  amiable  de  ce  conflit  \  Pen- 
dant que  la. marquise  allait  prendre  les  eaux  de  Forges  en 
Normandie,  «  ce  qui,  sans  doute,  écrit  Scipione,  lui  ser- 
vira de  médicaments  et  la  remettra  d'avoir  été  si  longtemps 
renfermée  ^  »,  Concini  partait  pour  Amiens  avec  une  suite 
de  plus  de  cent  chevaux  et  y  était  reçu  avec  de  grands  hon- 
neurs. Sa  femme  revint  au  commencement  du  mois  d'août, 
se  portant  à  merveille  ''\ 

1.  Ambass.  vénit.,  i3  juillet.  —  Scip.  Ammirato,  i5  juillet  1611. 

2.  Ambass.  vénit.,  27  juillet.  —  Scip.  Ammirato,  2  juillet  iGio,  3o  avril, 
19  juillet,  2  août  1611. 

3.  Scip.  Ammirato,  18  juillet  1611. 

4.  Scip.  Ammirato,  16,  18  août  1611. 


3lO  LA    MINORITÉ   DE    LOUIS    XIII. 

Lui-même  rentra  à  Paris  le  31  du  même  mois  \  lorsque, 
Tapaisement  commençant  à  se  faire  du  côté  des  protestants, 
et  le  gouvernement  ayant  pris  des  résolutions  fermes  ,  il 
devenait  encore  plus  aisé  pour  le  marquis  d'Ancre  de  tirer 
non  sans  profit  son  épingle  du  jeu.  On  apprenait,  avec 
étonnement,  au  milieu  de  septembre,  que  l'affaire  de  Bourg 
en  Bresse  par  laquelle  avaient  débuté  les  grosses  difficultés 
avec  les  protestants,  et  qu'on  avait  depuis  laissée  dormir, 
recevait  une  solution  imprévue,  quoique  très  conforme  aux 
habitudes  et  aux  tendances  de  la  régente.  M.  de  la  Varenne 
avait  acheté,  sans  regarder  au  prix,  le  gouvernement  de 
Bourg,  à  M.  de  Boisse  ".  «  On  dit,  écrit  l'ambassadeur 
vénitien,  que  l'achat  a  été  fait  sous  main  par  le  marquis 
d'Ancre  en  faveur  duquel  sera  faite  une  renonciation  du 
possesseur;  car,  dans  la  bonne  fortune  qu'il  éprouve  main- 
tenant, il  ne  pense  à  autre  chose  qu'à  s'établir  et  à  s'affermir 
bien  le  pied  en  France  ^.  « 

Le  scandale  eût  été  cependant  trop  violent;  la  reine  en 
redouta  les  suites  et  manifesta  l'intention  de  donner  à  l'acqui- 
sition de  La  Varenne  une  autre  destination  qui  pût  paraître 
une  générosité  mieux  placée.  «  L'achat  du  gouvernement  de 
Bourg  en  Bresse  fait  par  M.  de  la  Varenne  au  sieur  de  Boisse, 
que  l'on  croyait  conclu  à  l'instance  du  marquis  d'Ancre,  écrit 
l'ambassadeur  vénitien  quelques  semaines  après  la  dépêche 
précédente,  se  trouve  avoir  été  passé  au  compte  de  la  reine, 
laquelle  a  pris  la  résolution  de  faire  démolir  la  forteresse,  et 
de  ce  qu'on  pourra  tirer  des  démolitions,  à  savoir  environ 
trente  mille  écus,  elle  en  a  fait  présent  au  président  Jeannin  \  » 

De  toutes  façons,  la  place  échappait  aux  protestants.  Ne 
fallait-il  pas  maintenant  pouvoir  se  retourner  du  côté  des 
ultra-cathoUques  avec  des  gages  dans  les  mains  ? 

1.  Scip.  Ammirato.  3i  août  1611. 

2.  Scip.  Ammirato,   i3  septembre.   —  Matteo   Botii   au   grand-duc^ 
15  septembre  1611. 

3.  Ambass.  vénit.,  21  septembre  1611. 

4.  Ambass.  vér.it.,  2  novembre  i6n. 


X 


LES  ENTREPRISES  MATRIMONIALES  ET  LES  DEUILS 
DE  LA  FIN  DE   i6i  i 


Entrevue  du  prince  de  Condé  et  du  comte  de  Soissons.  — Leur  rap- 
prochement. —  La  régente  voudrait  faire  approuver  en  bloc  sa 
politique  au  prince.  —  Entreprises  matrimoniales.  —  La  reine  veut 
marier  le  fils  du  connétable  Henri  de  Montmorency,  avec  une 
princesse  de  Mantoue,  puis  avec  une  princesse  de  Toscane.  —  Pour- 
parlers engagés  avec  l'Angleterre  pour  faire  épouser  au  prince  de 
Galles  une  seconde  fille  de  Marie  de  Médicis.  —  Le  duc  de  Savoie 
recherche  pour  son  fils  la  main  de  la  princesse  d'Angleterre.  — 
Marie  de  Médicis  voudrait  le  marier  avec  une  de  ses  cousines  de 
Toscane.  —  Opposition  violente  de  la  cour  de  Madrid  au  mariage 
accordé  entre  le  duc  de  Nemours  et  une  princesse  de  Savoie.  —  Les 
négociations  pour  les  mariages  espagnols  continuent  quoique  avec 
lenteur.  — Marie  de  Médicis  a  le  loisir  de  s'abandonner  à  ses  goûts 
artistiques.  —  Arrivée  des  viattoni  de  Montelupo.  —  Projet  d'édifi- 
cation du  palais  du  Luxembourg.  —  Catastrophes  de  la  fin  de  l'année 
1611.  —  Mort  de  la  duchesse  de  Mantoue,  du  duc  de  Mayenne,  de  la 
reine  d'Espagne,  du  duc  d'Orléans.  —  La  régente  relancée  à  Fon- 
tainebleau par  Matteo  Botti,  qui  veut  la  remarier  avec  le  roi  d'Es- 
pagne. —  Voyage  de  la  duchesse  de  Lorraine  en  France.  —  Rapides 
progrès  dans  les  négociations  pour  les  mariages  espagnols.  —  La 
cour  d'Angleterre  ayant  demandé  la  main  de  l'infante  pour  le  prince 
de  Galles,  le  gouvernement  de  Philippe  III  répond  qu'elle  est  pro- 
mise au  roi  de  France.  —  Jacques  I^r  manifeste  son  mécontente- 
ment à  l'ambassadeur  et  à  la  cour  de  France.  —  Entrevue  de  Suze 
entre  le  duc  de  Savoie  et  le  maréchal  de  Lesdiguières.  —  Désespoir 
de  Charles-Emmanuel.  —  Rébellion  de  M.  de  Vatan.  —  Réunion  des 
princes  et  des  grands  officiers  de  la  couronne  à  la  cour  pour  les 
derniers  jours  de  1611. 

Les  précautions  que  Marie  de  Médicis  crut  devoir  prendre 
pour  ménager  les  susceptibilités  du  prince   de  Condé  au 


3l2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

moment  de  son  retour  ne  laissent  guère  de  doute  sur  l'inquié- 
tude que  causaient  à  la  reine  les  hardiesses  d'une  politique 
personnelle- qui  n'avait  pas  eu  la  sanction  du  premier  prince 
du  sang,  bien  que  celui-ci  eût  hautement  déclaré  qu'il  vou- 
lait être  entièrement  à  la  reine.  Marie  envova  au-devant  de 
lui  le  comte  de  Soissons  jusqu'à  une  maison  de  campagne 
de  M.  de  Beaumont,  située  à  dix  lieues  de  Fontainebleau, 
avec  l'ordre  de  rendre  compte  au  prince  de  beaucoup 
de  choses  qui  s'étaient  passées  pendant  son  absence.  Il 
devait  surtout  l'informer  que  le  grand-duc  de  Toscane 
avait  mis  en  avant  un  projet  de  mariage  entre  les  couronnes 
de  France  et  d'Espagne  et  qu'à  ce  sujet  il  y  avait  eu  force 
allées  et  venues  de  courriers,  que  des  deux  parts  on  rencon- 
trait des  dispositions  extrêmement  favorables,  et  que,  selon 
toute  apparence,  cette  grande  affaire  serait  menée  à  bonne 
fin  K 

Comment  le  comte  de  Soissons  s'acquitta-t-il  de  sa  mis- 
sion? Que  se  passa-t-il  dans  l'entrevue  entre  les  princes  du 
sang?  Il  y  a  lieu  de  croire  que  la  confiance  de  la  reine  fut 
complètement  trompée  ,  malgré  la  présence  du  marquis 
d'Ancre  qui  avait,  au  dire  de  Richelieu,  «  persuadé  à  la 
reine  qu'il  prendrait  bien  garde  qu'il  ne  se  passât  rien  entre 
ces  princes  au  préjudice  de  son  autorité  ».  Il  réussit  d'étrange 
façon;  car  les  deux  princes  entrèrent  en  une  si  étroite  union 
«  qu'ils  se  promirent  réciproquement  de  ne  recevoir  aucun 
contentement  de  la  cour  Fun  sans  Tautre ,  et  que,  si  l'un 
d'eux  était  forcé  par  quelque  mauvais  événement  à  s'en 
retirer,  l'autre  en  partirait  en  même  temps,  et  n'y  retour- 
neraient qu'ensemble  "  ».  Les  deux  princes,  malheureu- 
sement pour  le  gouvernement  de  la  reine,  devaient  se 
garder  inviolablement  la  foi  jurée. 

La  cause  ou  plutôt  le  prétexte  de  cette  association  évi- 
demment dirigée  contre  la  politique  de  la  régente,  c'étaient 

1.  Matteo  Botti,  25  octobre  1611. 

2.  Richelieu,  Mémoires,  p.  44,  45. 


LES  ENTREPRISES  MATRIMONIALES  ET  LES  DEUILS.    3l3 

précisément  ces  choses  qui  s'étaient  passées  pendant  l'absence 
du  prince  et  pour  lesquelles  Marie  de  Médicis  essayait,  mais 
vainement,  d'obtenir  son  assentiment  en  bloc.  Ce  n'était 
pas  seulement  vis-à-vis  de  l'Espagne,  mais  d'autres  États 
encore  qu'en  mère  ambitieuse  et  en  marieuse  politique 
acharnée,  la  régente  s'était  lancée  dans  des  négociations 
aventureuses  que  devaient  forcément  désapprouver  les  per- 
sonnages en  dehors  desquels  on  les  avait  engagées. 

Marie  de  Médicis  était  particulièrement  férue  de  l'idée 
d'établir  avantageusement  le  fils  du  connétable  de  Montmo- 
rency ,  Henri,  celui  dont  Richelieu  devait  un  jour  faire 
tomber  la  tête  à  l'hôtel  de  ville  de  Toulouse.  C'était  alors 
un  jeune  homme  de  seize  ans,  d'une  belle  prestance  et 
d'une  vive  inteUigence.  Il  avait  le  titre  de  gouverneur  de 
Languedoc  et  l'expectative  de  celui  d'amiral.  Henri  IV  avait 
voulu  lui  faire  épouser  une  fille  de  Gabrielle;  puis  on  Favait 
marié  pour  la  forme  à  une  demoiselle  de  Scépeaux,  mariage 
qui  fut  plus  tard  déclaré  nul.  RempHe  aussi  de  bonnes  inten- 
tions à  l'égard  de  ce  jeune  homme,  et  désireuse  de  pourvoir 
à  l'établissement  des  filles  de  sa  propre  maison,  la  reine 
avait,  dès  la  fin  de  1610,  jeté  les  yeux  sur  la  troisième  sœur 
du  grand-duc  de  Toscane,  Cosnie  II;  elle  voulait  la  faire 
venir  à  sa  cour,  l'adopter  et  la  marier  au  fils  du  connétable. 
Ce  fut  pendant  quelque  temps  une  véritable  obsession; 
et  Marie  recommandait  de  tenir  au  moins  en  espérance 
le  connétable  dans  le  cas  où  la  cour  grand-ducale  ne  serait 
pas  bien  disposée  en  faveur  de  ce  mariage.  Ce  projet  fut 
abandonné*;  la  reine  ne  tarda  pas  à  se  tourner  d'un  autre 
cote. 

Sa  famille  était  nombreuse.  Vincent  P""  de  Gonzague,  duc 
de  Mantoue,  avait  épousé,  en  secondes  noces,  sa  sœur 
Éléonor  de  Médicis;  de  ce  mariage  étaient  nées  deux  filles, 
dont  la  première  avait  épousé  le  duc  de  Bar,  veuf  de  Cathe- 

I.  Matteo  Botti,  6,  10,  i3  octobre.  —  Andréa  Cioli,  8  novembre  iGio. 


3  14  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

rine,  sœur  de  Henri  IV,  qui  était  devenu  depuis  duc  de 
Lorraine  sous  le  nom  de  Henri  IL  Marie  de  Médicis  voulut 
donner  la  seconde  des  princesses  de  ALintoue  au  jeune 
Montmorency.  Mais  le  nonce  fit  observer,  au  nom  de  la 
cour  ducale,  que  le  duc  de  Mantoue  hésitait  à  approuver 
ce  mariage,  parce  que,  dans  le  cas  où  le  fils  du  connétable 
viendrait  à  mourir  ,  sa  veuve  marcherait  non  seulement 
derrière  les  princesses  du  sang,  mais  encore  derrière  toutes 
les  autres'.  Les  choses  traînant  encore  en  longueur,  et  le  con- 
nétable s'impatientant,  se  désolant  même  de  ne  pouvoir  obte- 
nir pour  son  fils  la  princesse  de  Mantoue  -,  la  reine  demanda 
à  son  autre  nièce,  la  duchesse  de  Lorraine,  de  venir  faire 
un  séjour  à  la  cour  de  France,  espérant  qu'elle  pourrait 
contribuer  efficacement  à  la  conclusion  de  cette  union,  et, 
en  attendant,  pour  amadouer  la  cour  de  Mantoue,  on  donna 
au  cardinal  de  Gonzague,  frère  du  duc,  la  comprotection 
de  France  à  Rome  avec  une  pension  de  15  000  écus,  dont 
on  lui  servit  le  premier  quartier  ^. 

Des  pourparlers  d'une  nature  beaucoup  plus  grave  étaient 
entamés  à  la  même  époque  en  vue  de  contre-balancer,  par 
une  alliance  diamétralement  opposée,  les  inconvénients  de 
l'union  avec  l'Espagne.  Marie  de  Médicis  songeait  à  donner 
sa  seconde  fille  Christine  au  prince  de  Galles,  fils  aîné  de 
Jacques  I".  Cette  idée  semble  lui  avoir  été  inspirée  par  le 
désir  de  s'opposer  à  une  revanche  que  le  duc  de  Savoie 
cherchait  à  prendre  vis-à-vis  d'elle.  La  régente  parla  en 
effet  avec  indignation  au  marquis  Botti  de  la  découverte 
qu'elle  avait  faite,  qu'un  ambassadeur  de  Savoie  avait  pro- 
posé au  roi  d'Angleterre  de  prendre  une  fille  de  Savoie  pour 
le  prince  de  Galles  et  de  donner  une  de  ses  filles  pour  le 
prince  de  Savoie.  Ces  ouvertures  faites  par  le  comte  de 
Ruffia  trouvèrent  chez  le  roi  d'Angleterre  les  plus  fâcheuses 

1.  Scip.  Ammirato,  25  mai  lôii. 

2.  Scip.  Ammirato,  3i  août  1611. 

3.  Ambass.  vénit.,  1^'  juin,  27  juillet  1611. 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  3  I  5 

dispositions.  Marie  de  Médicis  en  profita  pour  entamer 
immédiatement  avec  le  malheureux  duc  de  Savoie,  déjà  si 
maltraité  par  elle,  une  nouvelle  lutte  à  Teffet  de  lui  barrer 
le  chemin.  La  passion  qu'elle  y  mit  provenait  non  seule- 
ment de  ce  qu'elle  recherchait  le  prince  de  Galles  pour  une 
de  ses  filles,  mais  aussi  de  ce  qu'elle  destinait  in  petto  au 
fils  du  duc  de  Savoie  une  de  ses  nombreuses  cousines,  sœur 
du  grand-duc  Cosme  II,  celle-là  même  peut-être  à  laquelle 
Marie  de  Médicis  avait  songé  pour  Henri  de  Montmo- 
rency \ 

Les  premiers  échanges  de  vues  qui  eurent  lieu  à  propos  de 
cette  union  matrimoniale  de  la  France  avec  la  couronne 
d'Angleterre  prouvèrent  que  la  cour  de  Londres  n'était  pas 
éloignée  de  se  prêter  à  ce  dessein;  mais  elle  le  trouvait  en 
somme  peu  compatible  avec  les  projets  de  mariages  espa- 
o;nols  dont  le  secret  commençait  à  s'ébruiter.  Botti  suo:oréra 
un  expédient  très  commode  en  apparence.  Puisqu'il  y  avait 
en  France,  disait-il  à  l'ambassadeur  d'Angleterre,  deux  prin- 
cesses à  marier,  les  deux  puissances  ne  pouvaient-elles  pas 
s'arranger,  l'Angleterre  en  prenant  l'aînée  pour  le  prince 
de  Galles,  qui  était  plus  âgé,  et  l'Espagne  en  jetant  son 
dévolu  sur  la  cadette?  et  l'ambassadeur,  avec  une  réserve 
toute  diplomatique,  avait  répondu  que  ce  serait  là  un  bon 


arrangement 


Le  roi  d'Angleterre  était  plus  pressé  de  marier  sa  fille 
que  son  fils.  Les  prétendants  ne  manquaient  point.  La  main 
de  la  princesse  Elisabeth  Stuart  était  demandée  à  la  fois  par 
le  comte  Maurice  de  Nassau,  par  le  comte  palatin  Frédéric 
et  par  le  prince  de  Savoie.  Des  trois  candidats  celui  qui 
paraissait  avoir  le  plus  de  chances  était  le  second,  prince 
encore  tout  jeune,  qui  avait  pour  tuteurs  le  duc  de  Deux- 
Ponts,  le   prince  d'Anhalt,  le  comte  Maurice  et  le  comte 

1.  Les  sœurs  du  grand-duc  de  Toscane  s'appelaient  Leonora,  Cathe- 
rine, Claudia,  Magdalena. 

2.  Mi  disse  il  medesimo  ambasciator  liaver  risposto  che  qiiesio  saria 
buon  temperamento,  (Ambass.  vénit.,  i3  juillet  lôii.) 


3l6  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

Jean  de  Nassau.  Celui  qui  en  avait  le  moins  était  le  Savoyard, 
dont  on  disait  avec  raison  qu'il  recherchait  deux  femmes  à 
fois  :  une  Française  et  une  Anglaise  *. 

Qjuelque  minces  que  fussent  les  chances  de  cette  ambition 
matrimoniale,  le  duc  de  Savoie  se  montra  fort  scandalisé 
des  propositions  qui  lui  furent  faites  pour  marier  son  fils 
avec  une  Médicis,  d'autant  plus  que  cette  union,  qu'il  con- 
sidérait comme  au-dessous  de  lui,  bien  que  Henri  IV  ne 
l'eût  point  dédaignée,  lui  enlevait  ses  dernières  espérances 
d'une  alliance  avec  la  France  '. 

En  effet,  M.  Jacob,  l'ambassadeur  de  Savoie,  ayant  été 
trouver  Villeroy  après  la  dissolution  de  l'assemblée  de 
Saumur,  pour  lui  déclarer  que  le  moment  était  venu  d'ar- 
river à  une  conclusion  pour  l'exécution  de  la  parole  donnée 
par  la  reine  à  son  maître,  puisque  Fobstacle  derrière  lequel 
s'était  retranchée  Sa  Majesté  pour  ne  pas  terminer  l'affaire 
était  levé,  Villeroy  s'efforça  de  persuader  Jacob  de  la  bonne 
volonté  de  la  reine  à  faire  plaisir  au  duc,  mais  en  ajoutant 
qu'il  n'était  pas  conforme  à  l'intérêt  et  désirable  pour  le 
repos  du  royaume  que  le  mariage  avec  le  duc  de  Savoie  fût 
entièrement  terminé  pendant  la  minorité  du  roi.  Jacob  ayant 
insisté  sur  la  parole  donnée  par  le  feu  roi  et  ne  pouvant  tirer 
autre  chose  de  Villeroy  que  des  généralités  fort  éloignées 
des  termes  précis  de  ses  représentations,  envoya  à  Turin 
son  secrétaire  pour  informer  le  duc  de  la  situation  et 
demanda  son  rappel  ^ 

L'ambitieux  Charles-Emmanuel  se  trouvait  à  ce  moment 
dans  une  situation  des  plus  humiHantes.  Évincé  par  la 
France,  il  voyait  la  cour  d'Espagne  contrecarrer  même  le 
projet  de  mariage  avec  une  princesse  de  Toscane,  qu'il  ne 
regardait  que  comme  un  pis  aller.  Mais  le  gouvernement 
de  Philippe  III  ne  s'en  tenait  pas  là  :   il  faisait  en  même 

1.  Matteo  Botti,  12,  i3  août  1611. 

2.  Matteo  Botti,  12,  i3  septembre  1611. 

3.  Ambass.  vénit.,  3  octobre  1611.  Ap.  B.  T..,  De  dissolutio)W...,  p.  40. 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  3lJ 

temps  opposition  à  un  mariage  déjà  presque  conclu  entre 
Henri  de  Nemours,  ce  chef  d'une  branche  cadette  de  la 
maison  de  Savoie  établie  en  France,  et  Catherine,  fille 
du  duc  Charles-Emmanuel.  Ainsi  de  quelque  côté  qu'il 
voulût  placer  ses  enfants,  le  duc  de  Savoie  trouvait  porte 
close. 

Philippe  III  notifia  son  opposition  formelle  au  mariage 
du  duc  de  Nemours,  par  une  lettre  adressée  à  son  ministre 
auprès  de  Charles-Emmanuel.  Le  ministre,  en  la  commen- 
tant, représenta  au  duc  de  Savoie  que  le  roi  son  maître  était 
grandement  mécontent  qu'il  prétendît  marier  une  de  ses 
filles  à  Nemours,  qui  n'était  pas  prince  libre,  mais  son  sujet 
et  celui  de  la  France,  et  cela  au  grand  déplaisir  du  souverain 
pontife,  des  princes  voisins,  et  même  des  sujets  du  duc,  et 
que  Sa  Majesté  voulait,  en  conséquence,  que  Son  Altesse 
mît  de  côté  ce  projet,  et  envoyât  sa  fille  en  Espagne  où  le 
roi  la  marierait  comme  il  convenait.  Le  duc  répondit  que 
la  chose  était  déjà  tellement  avancée  qu'il  ne  pouvait  recu- 
ler; qu'il  enverrait  le  comte  de  la  Motte  en  Espagne  exposer 
au  roi  ses  raisons,  persuadé  qu'après  s'en  être  pénétré  il  se 
tiendrait  pour  satisfait  et  donnerait  son  approbation  à  cette 
alUance.  Quant  à  la  satisfaction  du  pape,  il  n'en  pouvait 
douter,  puisque,  à  la  première  requête,  Sa  Sainteté  avait 
accordé  les  dispenses  nécessaires.  En  ce  qui  était  des  ducs 
de  Modène  et  de  Mantoue,  ses  voisins,  il  savait  que  ce 
mariage  était  à  leur  goût.  Quant  au  reste,  il  n'en  avait  cure 
et  encore  qu'il  n'eût  pas  à  tenir  compte  de  ses  sujets,  il 
avait  cependant  constaté  chez  eux  un  grand  contentement 
et  des  manifestations  de  réjouissance.  Nemours  n'était  sans 
doute  pas  un  prince  indépendant,  mais  il  était  son  parent 
et  appartenait  à  la  même  maison  que  lui-même.  Que  si 
Sa  Majesté  voulait  lui  faire  l'honneur  en  même  temps  que 
le  bien  de  marier  une  de  ses  filles,  il  était  prêt  à  envoyer 
en  Espagne  ce  qui  lui  restait .  Le  ministre  d'Espagne 
répondit  que  la  princesse  que  voulait  son  maître  était  celle-là 


3l8  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

même  que  le  duc  avait  le  dessein  de  marier  à  Nemours  et 
qu'il  eut  en  conséquence  à  l'envoyer  sans  faute. 

Cette  impérieuse  communication  fut  immédiatement 
portée  à  la  connaissance  du  duc  de  Nemours,  qui  entra 
dans  une  furieuse  colère.  L'un  de  ses  gentilshommes, 
nommé  M.  de  la  Grange,  courut  à  la  maison  du  résident 
espagnol,  et  entrant  brusquement,  lui  dit  avoir  appris  qu'il 
se  permettait  de  mal  parler  de  son  maître  le  duc  de  Nemours 
et  qu'il  eût  à  bien  prendre  garde  à  ses  paroles,  s'il  ne  vou- 
lait pas  recevoir  des  coups  de  pistolet,  et  il  sortit. 

Le  résident  jeta  les  hauts  cris,  clamant  que  la  foi  publique 
avait  été  violée.  A  tout  ce  bruit  s'émurent  le  nonce,  l'am- 
bassadeur de  Venise  et  le  secrétaire  de  France  pour  faire 
donner  une  satisfaction  à  l'Espagnol;  et  ils  avaient  déjà 
décidé  que  La  Grange  irait  apporter  des  excuses.  Mais  le 
représentant  de  Philippe  III  fit  savoir  que  pour  lui  il  n'avait 
aucun  besoin  de  réparation;  mais  qu'il  était  nécessaire  d'en 
donner  une  au  roi  et  à  son  Conseil,  qu'il  avait  déjà  informés 
du  fait. 

Le  duc  de  Savoie,  trouvant  fort  mauvais  le  procédé  de 
La  Grange,  voulait  le  jeter  au  fond  d'un  cachot.  Mais  le 
secrétaire  de  France,  en  ayant  été  informé,  courut  immé- 
diatement faire  opposition  à  cette  mesure,  disant  que  le 
coupable  était  un  gentilhomme  français,  et  que  c'était  au 
roi  de  France  et  non  à  Son  Atesse  de  le  châtier,  qu'il  fallait 
par  conséquent  le  renvoyer  en  France.  Le  duc  voulait  néan- 
moins le  punir,  disant  que  sans  doute  il  était  Français,  mais 
que  le  méfait  avait  été  commis  chez  lui  et  qu'il  lui  appar- 
tenait d'en  faire  justice.  Le  ministre  français  mit  fin  à  l'inci- 
dent en  déclarant  que  si  on  mettait  La  Grange  au  fond 
d'une  tour,  il  entendait  partager  sa  captivité. 

Le  fils  de  Jacob  fut  envoyé  à  la  cour  de  France  pour 
rendre  compte  à  la  régente  de  ces  événements  et  savoir  si 
elle  entendait  qu'il  fût  donné  suite,  malgré  l'opposition  de 
l'Espagne,  au  mariage  de  Nemours.  Au  fond,  le  cabinet  de 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  SlQ 

Turin  eût  été  enchanté  de  provoquer  sur  cette  question  un 
désaccord  entre  la  cour  de  Paris  et  celle  de  Madrid.  La 
reine  aurait  bien  voulu  rester  neutre;  mais  pressée  par  le 
gouvernement  de  Philippe  III  de  joindre  sa  défense  à  celle 
de  l'Espagne,  elle  écrivit  au  duc  de  Nemours  pour  l'engager 
à  se  désister  de  ses  prétentions  et  fit  subir  à  Lyon  un  court 
emprisonnement  au  sieur  de  la  Grange  '. 

Cest  qu'en  somme  elle  songeait  avant  tout  à  son  objectif 
principal  qui  était  en  Espagne,  et  en  vue  duquel  n'avaient 
cessé  d'être  entretenues  officieusement  et  en  dehors  de  l'am- 
bassadeur de  France  en  Espagne,  M.  de  Vaucelas,  parent  de 
Sully,  de  patientes  négociations.  Botti  avait  été  charge  par  la 
reine  d'écrire  au  duc  de  Lerme  pour  lui  donner  l'assurance 
que  l'affaire  serait  conclue  aussitôt  après  la  fin  de  l'assemblée 
des  huguenots,  et  le  mettre  au  courant  de  quelqu'une  des 
belles  réponses  du  roi  lorsque,  en  présence  de  l'ambassadeur, 
la  reine  faisait  à  ce  dernier  la  grâce  de  plaisanter  avec  son  fils 
en  matière  de  mariage  et  de  femmes  ■.  La  correspondance 
des  Florentins  au  sujet  de  ces  mariages  est  loin  de  rester 
inactive  ^  L'ambassadeur  d'Espagne  se  plaignait  cependant 
de  voir  les  choses  traîner  en  langueur  \  C'était  bien  à 
dessein. 

Le  souci  de  ces  grandes  affaires  laissées  en  suspens 
n'empêchait  pas  Marie  de  Médicis  de  poursuivre  la  satisfac- 
tion de  son  goût  très  vif  pour  les  bâtisses,  les  objets  d'art, 
les  instruments  de  science.  Au  milieu  du  mois  d'août,  Botti 
veut  lui  faire  une  surprise  :  il  a  reçu  de  Florence  le  dessin 
des  carreaux  de  fliïence  de  Montelupo  qu'on  destine  à  la 
reine  de  France  ^  et  en  même  temps  un  télescope  ou,  pour 

1.  Matteo  Botti,  24  octobre.  —  Scip.  Aininirato,  23,  26  octobre  lôii. 
—  B.  Z.,  De  dissolutione...,  appendice,  p.  92. 

2.  Matteo  Botti,  14,  i3  juillet  1611. 

3.  Matteo  Botti,  i'"  septembre,  28  septembre  (i""  dép.).  —  Scip.  Am- 
mirato,  22,  26  septembre,  11  octobre  1611. 

4.  Matteo  Botti,  4  août  1611. 

5.  Matteo  Botti,  12  janvier  1611. 


320  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

parler  le  langage  du  temps,  une  grande  lunette  à  la  Galilée  '. 
Il  se  rend  au  Louvre  au  moment  où  Marie  de  Médicis 
venait  de  rentrer  de  promenade.  Pendant  qu'elle  est  encore 
dans  ses  appartements  privés,  le  marquis  Botti  place  sur  la 
table  du  grand  cabinet  les  deux  objets.  L'évêque  Bonsi,  qui, 
deux  mois  plus  tard,  allait  être  promu  cardinal  et  recevoir  du 
roi  la  barrette  rouge  dans  la  chapelle  de  Fontainebleau  -, 
était  présent.  La  reine  entre,  accompagnée  de  la  marquise 
de  Guerche ville  et,  regardant  du  côté  de  la  table,  s'écrie 
en  parlant  à  Botti  :  «  Q.uelles  sont  ces  belles  choses  ? 
Vous  avez  toujours  quelque  plaisir  à  me  faire!  »  Le  mar- 
quis lui  montre  le  dessin  du  carrelage;  elle  fait  asseoir  tout 
le  monde  et  se  répand  en  extase  et  en  admiration  au  point 
qu'elle  n'aurait  pu,  au  dire  de  Botti,  qui  invoque  d'ailleurs 
sur  ce  point  le  témoignage  de  Bonsi,  montrer  plus  de  joie 
si  les  carreaux  eux-mêmes  étaient  arrivés  et  s'ils  avaient  été 
tout  de  diamants,  de  rubis  et  d'émeraudes.  Marie  de  Médicis 
alors  ne  tarit  plus  sur  ses  projets;  il  lui  faut  de  ces  car- 
reaux non  pas  pour  deux  chambres  seulement,  mais  pour 
un  beaucoup  plus  grand  nombre;  elle  veut  acheter  une 
maison  à  Zamet,  faire  bâtir,  et  il  lui  faudra  non  seulement 
de  ces  carreaux  artistiques,  mais  d'autres  plus  communs, 
pour  parer  des  salles  et  chambres  ordinaires.  Puis  Sa  Majesté 
se  lève,  prend  la  grande  lunette,  se  dirige  vers  la  fenêtre  et 
met  un  genou  en  terre  pour  mieux  voir  la  lune;  elle  trouve 
l'instrument  excellent,  bien  meilleur  que  celui  qu'on  lui 
avait  précédemment  envoyé.  La  reine  se  redresse  et  se  met 
à  se  promener  dans  son  cabinet  jusqu'à  l'arrivée  du  roi  et 
d'une  foule  de  seigneurs  ^. 

Elle  n'a  désormais  plus  de  repos  que  ces  fameux  carreaux 
de  briques  ne  soient  arrivés;  elle  en  parle  tous  les  jours  à 


1.  On  lui  en  avait  déjà  envoyé  un  Tannée  précédente.  Voir  Andréa 
Gioli,  l'j  septembre  lOio. 

2.  Scip.  Amniirato,  20  octobre  1611. 

3.  Matteo  Botti,  18  août  i6ir. 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  32  i 

Botti  et  à  d'autres,  s'informant  en  même  temps  de  ce  que 
devient  la  statue  équestre  de  Henri  IV,  qu'elle  faisait  fondre 
à  Florence  et  que  le  marquis  d'Ancre  avait  déjà  réclamée 
en  son  nom  par  une  lettre  du  4  juillet  161 1  \  Quant  aux 
briques,  Botti  répond  qu'elles  ont  été  embarquées  il  y  a  déjà 
quelque  temps,  qu'elles  sont  en  route  et  ne  tarderont  sans 
doute  pas  à  arriver;  mais  le  cheval  {il  cavallo)  ne  pourra 
partir  de  Florence  que  s'il  survient  une  grosse  pluie  pour 
grossir  l'Arno  ". 

Enfin  la  reine  va  être  satisfaite  en  partie.  Le  bateau  qui 
porte  les  carreaux  est  arrivé  par  Rouen  à  Paris  vers  le 
10  septembre.  Botti  fait  immédiatement  dresser  chez  lui 
avec  ces  carreaux  un  carré  de  huit  brasses  qu'il  donne 
l'ordre  de  transporter  le  lendemain  dans  le  grand  cabinet 
de  la  régente. 

Marie  se  montra  aussi  joyeuse  et  charmée  que  «  s'il  lui 
était  arrivé  la  flotte  des  Indes  et  la  caravane  d'Egypte  ». 
Elle  ne  voulut  pas  qu'on  enlevât  le  cadre  avant  que  tous  les 
seigneurs  de  la  cour  l'eussent  admiré;  elle  envoya  dire  à 
la  reine  Marguerite  et  au  comte  de  Soissons  de  venir  le 
matin  suivant  voir  une  si  belle  chose  et  faisait  elle-même 
aux  arrivants  les  honneurs  de  ce  remarquable  morceau; 
dans  son  enthousiasme,  elle  en  vint  à  dire  que  des  oiseaux 
en  incrustation  de  marbre,  qui  servaient  à  la  décoration  du 
parquet  de  la  pièce  où  elle  se  trouvait,  n'étaient  pas  aussi 
beaux.  Elle  chargea  l'ambassadeur  de  remercier  chaude- 
ment le  grand-duc  et  renouvela  l'expression  de  son  désir 
d'en  avoir  encore  pour  six  ou  douze  chambres  ^ 

Marie  de  Médicis  pensait,  en  obtenant  de  l'assemblée 
de  Saumur  sa  séparation,  avoir  assuré  pour  longtemps  la 
paix  du  royaume,  et  déjà  accompli  de  grandes  actions  \ 


1.  Voir  l'Appendice,  p.  SyS. 

2.  Matteo  Botti,  i"  septembre  ibir, 

3.  Matteo  Botti,  i5  scpte:iibre  1611. 

4.  S.  M.,  a  quel  c'ie  io  sento,  si  inghilfera  a  murare  assai  lungamente 

21 


32  2  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

L'idée  de  bâtir  lui  vient  naturellement.  Son  choix  se  fixe 
décidément  sur  le  terrain  de  l'hôtel  du  Luxembourg;  elle 
veut  V  élever  un  palais,  soit  pour  ses  fils  cadets,  soit  pour 
elle-même  après  sa  régence.  L'endroit  est  en  très  bon  air; 
il  y  a  de  vastes  terrains,  on  pourra  très  commodément  y 
bâtir  et  faire  des  jardins.  C'est  à  une  reproduction  du  palais 
Pitti  de  Florence  qu'elle  songe,  elle  veut  en  faire  venir  un 
modèle  et  demande  à  l'ambassadeur  s'il  court  le  risque 
d'être  abîmé  en  le  faisant  venir  par  la  poste.  Puis  elle  se 
décide,  ce  qui  était  plus  sûr,  à  envo3'er  au  delà  des  Alpes 
M.  de  Métezeau,  architecte  du  roi,  pour  prendre  exacte- 
ment le  plan  de  cet  édifice  dont  l'aspect  au  moins  sur  les 
jardins  devait  être  en  eflfet  assez  fidèlement  reproduit  par 
la  façade  du  palais  du  Luxembourg  qui  donne  aussi  sur  les 
jardins.  Métezeau  reçut  l'ordre  de  partir  de  Fontainebleau 
en  toute  hâte  et  d'être  de  retour  dans  un  petit  nombre  de 
semaines.  Marie  de  Médicis  voulait  finir  quesia  inacchina  en 
quatre  ans  et  y  faire  venir  une  très  belle  eau.  200  000  écus 
étaient  prêts  pour  commencer  les  travaux*. 

Au  milieu  d'une  parfaite  quiétude,  Marie  de  Médicis  était 
plongée  dans  ces  pensées  qui  reléguaient  les  affaires  d'État 
au  second  plan,  lorsque  une  série  de  deuils,  qui  la  touchè- 
rent comme  reine,  comme  femme  et  comme  mère,  vinrent 
jeter  la  perturbation  dans  ses  desseins  politiques  en  même 
temps  que  la  consternation  dans  son  âme.  Eléonore  de 
Médicis,  duchesse  de  Mantoue,  sa  sœur,  mourut  au  milieu 

parendoglî  d'aver  doppo  questa  assemblea  stabilita  la  quiète  di  questo 
regno  et  discorre  con  gran  gusto  di  questa  et  d'altre  grandi  a^ioni 
che  gli  pare  d'aver  Jatte.  {Ibidem.)  —  La  Maesta  délia  Regina  ha 
compro  Yhostel  de  Luxembourgh  nel  foborgo  di  San  Germano,  per 
3o  000  scudi,  et  essendo  in  bnoni^sima  aria,  et  essendo  anco  in  luogo 
motto  largo,  et  cosi  con  granJissima  commodita  di  fabbricare  et  di 
fare  dei  giardini,  la  Maesta  sua  ha  detto  chc  vi  vuole  spendere  fino  a 
40  000  scudi  et  farlo  un  palay:{0  regio.  ;Scip.  Amaiirato,  28  sep- 
tembre 1611.) 

I.  Matteo  Bolti,  11.  —  Scip.  Ammirato,  20  octobre  lôii.  —  De  Gisors» 
le  Palais  du  Luxembourg. 


LES    ENTREPRISES   MATRIMONIALES    ET   LES    DEUILS.  323 

de  septembre  1611.  La  nouvelle  en  fut  apportée  le  soir  du 
20  septembre;  Mme  Concini  ne  l'apprit  à  la  reine  que  le 
matin  du  22.  Marie  de  Médicis  se  mit  à  fondre  en  larmes, 
disant  qu'en  trois  années  elle  avait  perdu  les  personnes  qui 
lui  étaient  les  plus  chères  :  le  grand-duc  Ferdinand,  le  roi 
son  mari,  et  sa  sœur  '.  On  fit  à  la  duchesse  un  service  public 
à  Notre-Dame,  un  service  privé  aux  Feuillants  le  i"  octo- 
bre et  la  cour  se  transporta  aussitôt  après  à  Fontainebleau. 
A  peine  y  était-elle  installée  que  l'on  apprit  coup  sur  coup 
la  mort  du  duc  de  Mayenne,  à  qui  sa  femme  Henriette  de 
Savoie  ne  survécut  que  quelques  jours  et  celle  de  la  reine 
d'Espagne,  Marguerite  d'Autriche,  à  la  suite  de  couches,  le 
13  octobre  ". 

Le  premier  de  ces  événements  faisait  disparaître  de  la 
scène  un  modérateur  habile  entre  les  partis  et  fut  généra- 
lement déploré  ^.  La  reine,  pour  montrer  combien  elle 
aimait  et  estimait  le  feu  duc,  fit  venir  son  fils,  et,  après  lui 
avoir  adressé  des  paroles  pleines  de  courtoisie  et  empreintes 
d'une  singulière  affection  pour  sa  maison,  lui  confirma  la 
totalité  de  la  pension  annuelle  de  30000  écus  dont  jouis- 
sait son  père  *. 

Le  second  de  ces  événements  funestes  laissait  vacante 
une  place  de  reine. 

On  aurait  pu  croire  que,  sous  l'impression  de  tant  de 
funèbres  nouvelles,  se  ralentirait  un  peu  l'activité  des  entre- 
prises matrimoniales  de  la  reine  et  de  son  entourage.  Mais 
ne  donnaient-elles  pas  matière  à  de  nouvelles  combinaisons 
pour  l'inventif  et  inévitable  Botti?  L'ambassadeur  d'Espagne 
à  Paris  venait  à  peine  de  recevoir  de  son  maître  une  lettre 
«  à  faire  pleurer  les  pierres  »  %  que  le  marquis  de  Campi- 
glia  songeait  à  remarier  Philippe  IIL 

1.  Scip.  Ammirato,  28  septembre.  —  Ambass.  vénit.,  5  octobre  1611. 

2.  Scip.  Ammirato,  20,  2b  oct..  —  Maiteo  Botti,  24,  25  octobre  1611. 

3.  Matteo  Botti,  11  octobre  1611. 

4.  Ambass.  vénit.,  2  novembre  1611. 

5.  Matteo  Botti,  25  octobre  1611. 


324  I^-^    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

«  Il  résulte  d'avis  très  certains,  écrit-il  au  grand-duc  de 
Toscane,  que,  si  le  roi  d'Espagne  veut  reprendre  femme, 
il  ne  serait  point  opposé  à  l'idée  de  choisir  la  princesse 
d'Angleterre.  Quant  à  la  reine  de  France,  je  rappelle  à 
Votre  Altesse  ce  que  je  lui  ai  écrit  une  autre  fois,  à  savoir 
qu'elle  ne  se  remarierait  point,  même  pas  avec  le  roi  d'Es- 
pagne, si  la  reine  venait  à  mourir.  Mais  les  occasions  font 
quelquefois  changer  d'opinion,  bien  qu'en  l'espèce,  je  ne 
le  croie  point.  Je  suis  même  d'avis  que  Sa  Majesté  ferait 
volontiers  quelque  démarche  en  faveur  d'une  des  sœurs  de 
Votre  Altesse.  Mais  il  faut  toujours  songer  que  le  tout 
dépend  entièrement  de  Villeroy  \  »  Une  fois  lancé  sur 
cette  piste  nouvelle,  Botti  ne  s'arrêtera  pas  facilement  en 
chemin. 

Malgré  la  perte  récente  qui  la  frappait  plus  directement 
encore  que  la  régente,  la  duchesse  de  Lorraine,  fille  de  la 
feue  duchesse  de  Mantoue,  ne  remit  point  la  visite  qu'elle 
devait  faire  à  la  cour  de  France.  Elle  arriva  à  Fontainebleau 
le  29  octobre  au  soir.  La  reine  alla  au-devant  d'elle  en 
carrosse  et  le  roi  à  cheval  jusqu'à  plus  d'une  lieue  du  châ- 
teau. A  quarante  pas  environ  de  la  reine,  la  duchesse  mit 
pied  à  terre,  ce  que  firent  de  leur  côté  la  régente  et  le  jeune 
Louis  XIIL  Après  s'être  embrassées  cinq  ou  six  fois,  Marie 
de  Médicis  et  sa  nièce  remontèrent  en  carrosse  et  rentrèrent 
à  Fontainebleau  où  la  duchesse  accompagna  la  reine  jusqu'à 
sa  chambre,  se  rendit  ensuite  à  son  appartement;  après 
s'y  être  reposée  une  demi-heure,  le  moment  du  dîner  étant 
arrivé,  elle  alla  donner  la  serviette  à  la  reine  et  rentra  elle- 
même  dîner  dans  son  appartement;  elle  avait  avec  elle  le 
comte  de  Vaudemont^  et  quelques  autres  cavaliers;  trois 
jours  après,  arriva  le  cardinal  de  Gonzague.  La  reine 
mena  sa  nièce   à  la  chasse   et  chercha   à  lui  rendre  aussi 


1.  Matteo  Botti,  24  octobre  1611. 

2.  François  de  Lorraine,  comte  de  Vaudemont,  fils  de  Charles  III, 
duc  de  Lorraine,  et  de  Claude  de  France. 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS,  325 

agréable  que  possible  le  court  séjour  qu'elle  fit  à  Fontaine- 
bleau *. 

L'opinion  de  la  cour  ne  pouvait  attribuer  à  cette  réunion 
de  famille  d'autre  objet  que  la  continuation  de  ces  pourpar- 
lers de  mariage  engagés  depuis  quelque  temps  déjà  pour  la 
jeune  princesse  de  Mantoue.  Déjà  il  ne  s'agissait  plus  pour 
elle,  paraît-il,  du  fils  du  connétable,  mais  du  nouveau  duc 
de  Mayenne;  ce  bruit,  si  inconsistant  qu'il  fût,  n'en  inécon- 
tentait  pas  moins  le  vieux  Montmorency,  qui  était  déjà  tout 
prêt  à  se  tourner  vers  le  comte  de  Soissons  et  à  lui  deman- 
der sa  fille  pour  son  fils. 

Botti  ne  tenait  plus  en  place  à  Paris.  On  parlerait  de 
mariages  à  Fontainebleau  et  il  n'y  serait  pas!  Voilà  qui 
n'était  point  à  faire.  Aussi,  sans  être  invité,  sous  prétexte  de 
présenter  ses  condoléances  à  l'occasion  de  la  mort  de  la 
duchesse  de  Mantoue,  le  marquis  de  Campiglia,  escorté 
du  résident  Ammirato  et  accompagné  du  sous-introduc- 
teur des  ambassadeurs  ",  M.  Girault,  se  rend-il  à  Fontai- 
nebleau avec  tout  son  train  ordinaire,  à  savoir  deux  litières, 
un  carrosse  à  six  chevaux,  un  autre  à  quatre  et  un  à  deux, 
plus  quatre  chevaux  de  selle,  «  en  y  comprenant,  écrit 
mélancoUquement  Scip.  Ammirato,  le  mien  qui  n'est  pas 
à  moi  ^  ». 

A  l'annonce  de  cet  arrivage  la  régente  fait  dire  au  per- 
sonnage de  venir  comme  marquis  Botti  et  non  comme 
ambassadeur  et  de  remettre  à  son  retour  à  Paris  les  condo- 
léances, vu  qu'elle  n'a  aucun  ministre  auprès  d'elle,  et  lui 


1.  Scip.  Ammirato,  3  novembre  i3ir.  —  Bassompierre,  Mémoires, 
t.  I,  p.  298. 

2.  L'introducteur  en  titrj  était  M.  de  Bonneuil. 

3.  Voir,  à  l'Appendice,  la  curieuse  dépêche  de  Scio.  Ammirato  en 
date  du  3  août  1611  au  secrétaire  d'Etat,  dans  laquelle,  après  des  ren- 
seignements détaillés  sur  les  affaires  de  la  cour  et  particulièrement 
sur  les  petites  commissions  dont  il  s'est  chargé  pour  le  secrétaire 
d'Etat  Vinta,  il  termine  en  priant  ce  dernier  d'avoir  l'inspiration  de 
vouloir  bien  lui  faire  payer  une  bonne  fois  son  cheval  qui  n'est  pas 
à  lui. 


320  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

assigne  pour  logement  le  palais  du  connétable.  Marie  de 
Médicis  lui  fait  très  bonne  mine,  lui  ordonne  de  se  couvrir 
et  parle  pendant  une  demi-heure  avec  lui.  Le  soir,  Tam- 
bassadeur  prend  part  au  jeu  de  la  reine  avec  la  princesse  de 
Conti,  le  cardinal  de  Gonzague,  le  marquis  Concino  et 
Bassompierre;  il  lui  présente  galamment  une  bonne  pro- 
vision de  gants  d'Espagne  et  des  pastilles,  et  le  marquis 
Concini  l'emmène  souper  avec  lui.  Ainsi  aucun  bonheur 
n'a  manqué  à  Botti.  Cependant  Scip.  Ammirato,  qui  relate 
ces  détails  officiels,  n'omet  pas  de  raconter,  mais  en  chiffres, 
qu'à  la  nouvelle  de  la  venue  de  Botti,  la  régente,  à  ce  que 
lui  avait  rapporté  M.  Girault,  s'était  mise  dans  une  furieuse 
colère  en  criant  qu'il  n'avait  pas  d'affaires  si  pressantes  qu'il 
ne  pût  bien  attendre  deux  jours  \ 

On  comprendra  encore  mieux  le  sentiment  de  Marie  de 
Médicis,  quand  on  saura  que  Botti,  en  venant,  n'avait  pas 
d'autre  idée  que  de  relancer  la  malheureuse  reine  sur  le 
chapitre  du  futur  mariage  du  roi  d'Espagne.  C'est  ce  qu'il  fit 
pendant  la  demi-heure  de  conversation  qui  lui  fut  accordée. 
A  ses  insinuations  indiscrètes  et  pressantes,  la  régente 
répondit  qu'elle  se  trouvait  trop  bien  dans  sa  condition 
présente  pour  penser  à  en  changer;  qu'une  fois  la  minorité 
du  roi  terminée,  elle  serait  encore  pendant  de  longues 
années  maîtresse  plus  absolue  que  jamais  et  que,  plus  tard, 
elle  serait  si  vieille  que  ce  serait  folie  de  songer  à  se  rema- 
rier, et  qu'ainsi  l'occasion  se  trouverait  perdue.  La  régente 
se  moquait  agréablement  de  l'ambassadeur;  mais  lui  ne 
perdait  pas  le  fil  de  ses  malices  et,  par  le  chemin  détourné 
de  ses  finasseries,  suggérant  successivement  à  la  reine  l'idée 
d'un  convoi  du  roi  d'Espagne  soit  avec  une  princesse 
anglaise,  soit  avec  la  princesse  de  Savoie  que  Philippe  III 
réclamait  à  sa  cour,  en  arrivait  à  conclure  que  le  meilleur 
des  mariages  pour  le  roi  veuf  serait  avec  une  des  sœurs  du 

I.  Ammirato,  8  novembre  iGii.  —  Matteo  liotti,  lo  novembre  1611. 


LES   ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  Zl'] 

grand-duc,  «  les  personnes  de  ces  princesses  étant  extrê- 
mement désirables  pour  être  belles,  vertueuses  et  admira- 
blement élevées  ».  Marie  de  Médicis  ne  pouvait  qu'ap- 
prouver un  pareil  langage,  tout  en  répondant  non  sans 
ironie  à  l'ambassadeur  «  que  ce  serait  là  une  très  grande 
et  très  belle  aventure  pour  qui  saurait  y  réussir  *  ». 

Le  roi  était  reparti  pour  Paris  ainsi  que  la  duchesse 
de  Lorraine  et  le  prince  de  Vaudemont  le  jour  même  de 
l'arrivée  de  Botti  à  Fontainebleau.  La  reine  mère  les  suivit 
de  près.  La  duchesse  sembla  vouloir  prouver  qu'elle  n'était 
pas  venue  pour  un  autre  motif  que  celui  de  faire  une 
visite  à  sa  tante,  en  demandant  presque  aussitôt  à  repartir, 
Marie  de  Médicis  la  retint.  A  cause  de  ce  retard,  la 
duchesse  put  être  témoin  d'un  nouveau  malheur  qui,  en 
frappant  la  famille  royale,  ébranla  du  même  coup  la  tran- 
quillité de  l'État. 

Le  jeune  roi  venait  d'être  un  peu  malade;  il  avait  eu 
un  assez  violent  mal  de  gorge,  et  la  reine  n'avait  pas  voulu 
qu'il  revînt  à  Paris  pour  la  Toussaint  toucher  les  écrouelles 
suivant  l'usage  des  rois  de  France,  de  peur  que  le  froid 
et  la  fatigue  n'aggravassent  le  mal  *;  la  régente  n'était  pas 
contente  de  la  santé  de  ses  autres  enfants,  qui  étaient  à 
Saint-Germain,  et  notamment  de  celle  du  duc  d'Orléans. 
Pour  les  avoir  plus  près  d'elle  et  les  mettre  dans  un  air 
moins  vif,  elle  avait  résolu  de  les  établir  à  l'ancien  palais 
du  Luxembourg  et  était  partie  les  chercher  avec  le  cardinal 
de  Gonzague  et  la  duchesse  de  Lorraine,  lorsque  éclata 
comme  un  coup  de  foudre  la  triste  nouvelle  qu'Ammiraîo 
relate  en  ces  termes  : 

«  Dieu  nous  soit  en  aide  à  tous  !  Cette  nuit,  trois  heures 
avant  le  jour,  est  mort  le  duc  d'Orléans  à  Saint-Germain; 
Leurs  Majestés,  Mme   la  duchesse  de  Lorraine  et  AL  le 

1.  Matteo  Botti,  lo  novembre  1611.  —  Voir  cette  dépêche  in  extenso 
à  l'Appendice,  p.  384 

2.  Ambass.  vénit.,  2  novembre  iGii. 


328  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

cardinal  de  Gonzague  étaient  là.  Ainsi  la  pauvre  reine, 
qui  était  toute  joyeuse  d'être  avec  ses  enfants  et  ses 
neveux,  s'est  trouvée  assister  à  la  mort  de  son  second  enfant 
mâle,  lequel,  bien  qu'il  ait  été  continuellement  mal  por- 
tant, ne  paraissait  cependant  pas  destiné  à  une  vie  aussi 
courte. 

u  Sa  Majesté  sera  ici  ce  soir,  et  à  quel  point  inconsolable, 
Dieu  le  sait,  quoiqu'elle  soit  raisonnable  et  prudente,  et 
il  faut  considérer  que  cette  perte  est  aussi  de  grande  consé- 
quence pour  l'Etat. 

«  On  dit  que  la  maladie  a  été  une  convulsion  des  mem- 
bres avec  de  très  grands  accidents  qui  le  tenaient  comme 
mort  \  » 

La  reine  envoya  M.  de  Bonneuil  à  tous  les  ambassa- 
deurs pour  leur  faire  part  de  la  mort  du  duc  d'Orléans,  et 
le  roi  fut  ramené  à  Paris.  Le  22  novembre  on  emporta 
sans  pompe  à  Saint-Denis  le  corps  du  second  fils  légitime 
de  Henri  IV.  La  duchesse  de  Lorraine  et  le  duc  de  Vau- 
demont  restèrent  encore  un  peu  pour  consoler  la  reine 
qui  resta  plusieurs  jours  sans  se  laisser  voir.  «  Nous 
sommes  en  deuil  jusqu'à  la  gorge,  écrit  Scipione  Ammirato  ;. 
aussi  bien  me  semble-t-il  que  depuis  que  je  suis  en  France 
je  n'ai  jamais  été  que  vêtu  de  noir  -.  » 

La  duchesse  de  Lorraine  partit  le  29  novembre,  après 
avoir  reçu  de  la  reine  en  cadeau  un  diamant  de  la  valeur 
d'environ  10  000  écus,  et  laissant  toutes  les  dames  de  la 
cour  enchantées  de  sa  personne,  de  sa  bonne  grâce,  de 
ses  façons  libres  et  familières,  beaucoup  plus  françaises 
qu'italiennes  ^. 

1.  Scip.  Ammirato,  17  novembre  1611.  —  Cf.  Héroard,  t.  II,  p.  88. 

2.  Matteo  Botti  ;  Scip.  Ammirato,  22  novembre  1611. 

3.  Tiitte  queste  dame  son  rimaste  innamorate  delV  humanita  e  cor- 
tesia  di  S.  A.,  essendo  riuscita  nel  procédera  liberamente  et  con  gran 
familiarita  molto  piii  fran:^ese  che  i'.aliana.  (Scip.  Ammirato,  29  no- 
vembre 16 II.) 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  829 

La  reine  se  trouvait  isolée  des  siens  en  face  des  diffi- 
cultés nouvelles  de  la  situation.  Elles  la  préoccupaient 
vivement;  car  la  mort  du  duc  d'Orléans,  en  rapprochant 
encore  du  trône  les  princes  du  sang,  devait  naturellement 
grandir  leur  importance  et  aviver  leurs  prétentions.  Le 
prince  de  Condé  avait  fait  une  courte  apparition  à  la  cour 
le  16  octobre  et  s'était  ensuite  retiré  à  Valéry  pour  aller 
de  là  passer  la  revue  de  sa  compagnie  de  gens  d'armes, 
pendant  que  le  comte  de  Soissons  se  rendait  en  Normandie 
pour  y  tenir  les  États  de  la  province  \  Depuis,  les  événe- 
ments l'avaient  rappelé  à  Paris  où  Ton  attendait  aussi, 
non  sans  appréhension,  le  retour  de  Soissons.  On  remar- 
quait que  le  cortège  du  prince  de  Condé  grossissait  de  jour 
en  jour  et  il  était  à  craindre  qu'il  ne  se  liguât  prochaine- 
ment avec  Soissons  pour  avoir  plus  de  part  au  gouver- 
nement. L'un  et  l'autre  étaient  en  effet  très  jaloux  des 
ministres,  qui  leur  paraissaient  en  faire  un  peu  trop  à 
leur  fantaisie,  et  Soissons  avait  une  antipathie  particulière 
contre  le  chanceUer. 

Nevers  était  déjà  de  retour  à  la  cour.  Marie  de  Médicis 
envoya  dire  au  duc  d'Epernon  d'y  revenir  également  pour 
tenir  le  comte  de  Soissons  en  respect.  On  ne  doutait  point 
que,  le  duc  d'Orléans  mort,  le  comte  ne  recommençât  à 
importuner  la  reine  pour  qu'elle  donnât  à  son  fils  la  fille 
du  duc  de  Montpensier.  «  On  croit  bien,  écrit  Scipione 
Ammirato,  qu'il  ne  pourra  l'obtenir;  car  cela  ne  ferait  guère 
le  compte  de  Sa  Majesté  d'augmenter  la  puissance  de 
Soissons  de  72000  écus  de  rentes  en  duchés,  marquisats, 
comtés;  Guise  et  d'Epernon  s'opposeront  de  tout  leur  pou- 
voir à  ce  mariage.  On  pense  que  la  reine  veut  la  marier 
au  duc  d'Anjou  ^  ». 

1.  Ambass.  vénit.,  2  novembre  1611. 

2.  Scip.  Ammirato,  22  novembre  i6ir.  —  Le  duc  d'Anjou,  Gaston, 
bientôt  duc  d'Orléans,  épousera  en  etlét  un  jour,  après  bien  des 
vicissitudes,  et  contraint  par  Richelieu,  cette  riche  et  désirable  héritière 
qui  mourra  en  donnant  le  jour  à  la  célèbre  Grande  Mademoiselle. 


33o  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

La  politique  étrangère  et  matrimoniale  de  la  reine  allait 
offrir  aux  princes  mécontents  un  terrain  d'opposition  fort 
commode. 

Les  négociations  pour  les  mariages  d'Espagne,  qui  s'étaient 
toute  cette  année  traînées  en  longueur  et  n'avaient  abouti 
qu'à  la  souscription  de  part  et  d'autre  et  à  la  ratification  de 
promesses  secrètes,  firent  tout  à  coup  un  progrès  considé- 
rable, u  Le  roi  est  malade,  la  reine  est  morte,  le  duc  de 
Lerme  n'a  pas  été  et  n'est  pas  encore  bien  »,  écrivait  Scip. 
Ammirato  pour  expliquer  qu'il  fallait  encore  prendre 
patience,  lorsqu'on  apprit  tout  à  coup  par  un  courrier  qui 
passait  en  Flandre  que  le  roi  et  le  duc  de  Lerme  étaient 
guéris,  et  que,  sous  très  peu  de  jours,  arriverait  en  France 
une  réponse  relative  aux  mariages,  à  l'alliance,  et  au  temps 
où  l'on  enverrait  les  épouses  à  leurs  maris. 

Une  intervention  imprévue  avait  déterminé  ces  décisions 
rapides.  Depuis  quelque  temps  le  roi  d'Angletetre  s'inquiétait 
des  bruits  persistants  qui  circulaient  relativement  à  des  pro- 
jets de  mariage  entre  les  couronnes  de  France  et  d'Espagne, 
et  il  avait  donné  Tordre  à  son  ambassadeur  en  France  de 
((  bien  ouvrir  l'œil  «  {che  stasse  molto  ben  oculato)  et  de  faire 
toutes  les  investigations  possibles  pour  s'assurer  de  la  vérité. 
L'ambassadeur  y  mit  beaucoup  de  zèle;  on  l'appréciait 
beaucoup  à  la  cour  de  France  où,  à  la  fin  de  septembre,  le 
jeune  roi  et  la  reine  mère  avaient  consenti  à  être  parrain  et 
marraine  d'un  enfant  que  l'ambassadrice  lui  avait  donné 
sur  le  sol  français.  Ses  relations  familières  nuisaient  peut- 
être  à  la  clairvoyance  politique  de  l'ambassadeur,  mais 
facilitaient  ses  entretiens  avec  Marie  de  Médicis  *.  Il  s'en- 
quit  à  plusieurs  reprises  auprès  de  la  reine  et  des 
ministres  qui  l'assurèrent  toujours  du  contraire,  en  disant 

I.  VAmbasciatore  di  lughilterra  ha  havuto  un  bambino  et  avendo 
pregato  il  Re  di  essere  compare,  et  la  Regina  comare,  loro  Maesta 
r/ianno  fatto  tenere  a  battesimo  et  domenica  furno  in  casa  dell. 
ambasciatove,  che  fece  iina  superbissima  cola^ione.  (Scip.  Ammi- 
rato, 28  septembre  iGii.) 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  33  I 

que  ces  pratiques  n'avaient  pas  d'autre  objet  que  de 
gagner  du  temps  et  d'amener  tranquillement  le  roi  hors  de 
sa  minorité. 

Ces  assurances  n'ayant  pas  complètement  satisfait  Jac- 
ques P"",  ce  prince  résolut  d'éclaircir  le  mystère  par  un 
autre  moyen;  et,  se  rappelant  l'offre  qui  lui  avait  été  suc- 
cessivement faite  par  les  deux  ambassadeurs  d'Espagne  qui 
avaient  résidé  auprès  de  lui,  de  l'infante  d'Espagne  pour  le 
prince  son  fils,  il  donna  l'ordre  à  M.  de  Digby,  son  ambas- 
sadeur à  la  cour  de  Madrid,  non  seulement  de  manifester 
le  désir  qu'on  en  vînt  à  l'effectuation  de  ces  avances,  mais 
d'en  faire  une  instance  en  forme  et  de  lui  expédier  immé- 
diatement la  réponse.  Digby  exécuta  les  ordres  de  son 
maître  vis-à-vis  du  duc  de  Lerme  et  du  roi  lui-même;  mais 
il  ne  put  cacher  à  Jacques  P%  dans  sa  réponse,  qu'il  avait, 
après  avoir  exposé  l'objet  de  sa  mission,  découvert  une 
grande  hésitation  dans  l'esprit  du  roi  et  du  duc;  on  lui 
répondit  que,  sans  doute,  telle  avait  toujours  été  l'intention 
de  Sa  Majesté;  mais  que,  pour  l'effectuer,  il  était  néces- 
saire, à  cause  de  la  religion,  d'obtenir  le  placet  du  pape; 
il  fallait  donc  différer  la  réponse.  Pendant  ce  délai,  on 
essaya  à  la  cour  d'Espagne  d'amuser  l'ambassadeur  au 
moyen  d'autres  négociations  ;  force  fut  néanmoins  d'en 
venir  à  lui  dire  que,  le  roi  d'Angleterre  n'ayant  pas  prêté 
roreille  aux  premières  offres  qui  lui  avaient  été  faites,  on 
avait  pris  des  engagements  pour  l'infante  en  France;  mais 
que,  si  le  roi  voulait  se  contenter  de  la  seconde  infante, 
on  la  lui  donnerait,  sans  aucun  désavantage  au  regard  de 
l'aînée,  à  laquelle  on  ferait  faire  une  renonciation  de  tous 
■ses  droits  de  succession  à  la  couronne. 

Jacques  P"",  sur  le  coup  de  cette  réponse,  tint  un  lan- 
gage acerbe  à  l'ambassadeur  d'Espagne  et  se  plaignit 
amèrement  à  celui  de  France  que  la  régente  n'eût  répondu 
à  tout  ce  qu'il  avait  fait,  lui,  depuis  la  mort  du  roi  son 
mari,    pour   le    service    de   son  fils  et   la  tranquillité  du 


332  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS   XIII. 

royaume,  qu'en  poussant  aussi  loin  ses  pratiques  avec 
l'Espagne,  sans  lui  en  rien  communiquer,  en  affirmant 
toujours  à  son  ambassadeur  le  contraire  de  la  vérité  et 
en  faisant  tout  pour  la  lui  cacher.  L'ambassadeur  d'Angle- 
terre tint  à  Villeroy,  avec  beaucoup  de  véhémence,  un  lan- 
gage semblable.  Le  vieux  ministre  continua  à  nier,  mais 
avec  moins  de  fermeté  qu'auparavant  et  en  entrant  dans 
des  considérations  qui  équivalaient  à  un  aveu,  disant  que, 
quand  bien  même  on  contracterait  avec  l'Espagne  des  Hens 
de  parenté,  ils  ne  prévaudraient  jamais  sur  la  raison  d'État 
qui  tenait  la  France  unie  à  l'Angleterre;  qu'il  y  avait  d'autres 
filles  de  France,  et  que  la  reine  tenait  le  plus  grand  compte 
des  démonstrations  amicales  faites  par  le  roi  d'Angleterre 
pendant  la  minorité  de  son  fils  et  lui  en  avait  la  plus  grande 
obligation. 

Ces  bonnes  paroles  ne  calmèrent  pas  le  ressentiment 
du  roi  Jacques  I".  Son  ambassadeur  eut  Tordre  de  revenir 
à  la  charge  et  de  déclarer  que,  puisque  la  régente  lui 
témoignait  si  peu  de  confiance,  il  ne  voulait  plus  que  son 
fils,  le  duc  d'York,  continuât  d'avoir  la  charge  de  capitaine 
de  la  compagnie  de  gens  d'armes  écossais  entretenus  par 
la  couronne  de  France. 

Les  représentations  si  vives  du  roi  d'Angleterre  firent 
beaucoup  d'impression  sur  l'esprit  de  la  reine.  Elle  en 
craignait  les  suites  pour  l'autre  projet  de  mariage  qu'elle 
avait  en  tête,  et  pensait  avec  raison  que  le  mécontentement 
du  roi  d'Angleterre  pourrait  ranimer  l'opposition  du  parti 
protestant  toujours  puissant  et  inquiet  et  fournir  des  armes 
à  la  ligue  des  princes  du  sang,  sans  compter  qu'au  point 
de  vue  extérieur,  un  refroidissement  avec  l'Angleterre  et 
par  suite  l'inévitable  relâchement  des  liens  d'amitié  avec 
les  Etats-Généraux,  qui  se  montraient  déjà  peu  satisfaits  de 
la  politique  suivie  par  la  France  à  leur  égard  depuis  la  mort 
de  Henri  IV,  amèneraient  dans  la  situation  internationale 
de  la  France  un  afFaibHssement  que  les  inclinations  espa- 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  333 

gnoles  de  la  régente  ne   l'empêchaient  cependant  pas  de 
considérer  comme  très  grave  \ 

Mais  les  résolutions  décisives  étaient  déjà  prises.  Après 
avo  r  enfin  accompli  à  Paris  l'office  de  condoléances  à 
propos  de  la  mort  de  la  duchesse  de  Mantoue  -,  Botti  alla 
voir  l'ambassadeur  d'Espagne,  qui  lui  dit  avoir  reçu  des 
ordres  suffisants  pour  conclure  le  mariage  de  la  première 
fille  de  France  avec  le  prince  d'Espagne  \  C'était  au 
moment  où  l'on  célébrait  à  Paris  un  service  mortuaire  en 
l'honneur  de[la  reine  d'Espagne,  mère  de  la  jeune  fiancée. 
Botti,  qui  avait  encore  été  chargé  de  remettre  à  la  reine  une 
nouvelle  lettre  de  condoléances  à  propos  de  cet  autre  événe- 
ment funèbre,  alla  se  promener  à  Saint-Germain  et  à  Saint- 
Cloud,  ne  voulant  pas,  pour  des  raisons  de  préséance,  assister 
au  service,  abstention  qui  dut  lui  être  fort  pénible  \  Ce  n'est 
pas  à  dire  qu'il  perdit  son  temps  pour  cela;  car  il  écrivit  à 
différents  cardinaux  pour  leur  donner  avis  de  la  conclusion 
définitive  des  mariages  ^  et  mêlant,  suivant  son  habitude, 
à  la  négociation  des  grandes  affaires  le  souci  des  petites 
attentions  pour  la  régente,  il  écrivait  au  grand-duc  pour 
lui  demander  «  un  peu  de  cette  quintessence  d'ambre  que 
Ton  fait  dans  sa  galerie  ,  ce  qui  serait  sans  doute  fort 
agréable  à  Sa  Majesté,  non  seulement  à  cause  du  goût 
très  vif  qu'elle  a  pour  les  odeurs,  mais  parce  qu'elle  se 
ferait  honneur  de  cette  nouvelle  invention  auprès  des 
princes  et  des  princesses  de  la  cour  ^  ». 

Toute  cette  politique  à  l'eau  de  rose  avait  cependant 
abouti  à  ce  résultat  qu'il  ne  restait  plus  à  régler  qu'une  ques- 
tion entre  la  cour  de  France  et  celle  d'Espagne,  celle  de 


1.  Matteo  Botti,  24  octobre,  22,  23    novembre.   —  Ambass.  véiiit., 
iG  novembre  1611. 

2.  Matteo  Botti  au  grand-duc,  26  novembre  l'Jii. 

3.  Matteo  Botti,  6  décembre  1611. 

4.  Scip.  Ammirato,  20  décembre;  Matteo  Botti,  23  décembre  i6ir. 

5.  Scip.  Ammirato,  23  décembre  1611. 

6.  Matteo  Botti,  20  décembre  1611. 


334  ^^    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

l'époque  ii  laquelle  viendrait  en  France  la  princesse  espa- 
gnole. La  régente  voulait  abréger  les  délais,  et  comme  on 
lui  objectait  qu'à  cause  de  la  mort  de  la  reine,  le  roi  vou- 
drait sans  doute  garder  plus  longtemps  sa  fille  auprès  de  lui, 
Marie  de  Médicis  déclarait  que  c'était  une  raison  de  plus 
pour  la  lui  envoyer;  car  elle  lui  tiendrait  lieu  de  mère  *. 

La  cour  d'Espagne  fit  connaître  sa  résolution  au  milieu  de 
décembre.  Elle  demandait  que  la  reine  voulût  bien  admettre 
que  l'on  n'enverrait  les  jeunes  épouses  qu'après  les  treize  ans 
ou  au  moins  les  douze  ans  accomplis  de  l'infante,  ce  qui 
remettait  à  deux  années  plus  tard  l'échange  des  princesses  ^. 
A  ce  moment  la  reine  avait  déjà  parlé  de  ces  mariages  à 
tant  de  personnes  que  la  nouvelle  était  devenue  publique  ^. 

Il  avait  fallu  faire  tomber  les  dernières  illusions  du  duc 
de  Savoie.  Cette  mission  incomba  au  maréchal  de  Lesdi- 
guières.  Ce  fut  une  scène  tragi-comique.  Au  commence- 
ment de  l'entrevue  que  le  prince  et  le  gouverneur  du  Dau- 
phiné  eurent  à  Suze,  Charles-Emmanuel  n'avait  pas  encore 
perdu  tout  espoir.  Lesdiguières  lui  ayant  dit  de  ne  pas 
compter  pour  son  fils  Victor-Amédée  sur  un  mariage  avec 
la  fille  aînée  de  France,  car  on  voulait  la  marier  en  Espagne, 
et  l'ayant  pressé  de  marier  le  prince  ailleurs,  Charles- 
Emmanuel  répondit  qu'il  ne  marierait  pas  son  fils  tant  que 
la  première  fille  de  France  ne  serait  pas  la  femme  du  prince 
d'Espagne  \  Il  rappela  que,  pour  marier  son  fils  à  une  fille 
de  France,  il  avait  perdu  l'amitié  du  roi  d'Espagne;  il  offrait 
de  liguer  toute  l'Italie  avec  la  couronne  de  France;  il 
demandait  qu'au  moins  on  n'en  vînt  pas  à  la  conclusion 
dernière  sans  l'avoir  entendu,  offrant  de  venir  en  poste  à 
Paris  et  de  faire  tout  ce  que  la  reine  voudrait.  Devant  ces 
instances  et  ces  supplications,  Lesdiguières,  qui  avait  des 


1.  Matieo  Botti,  lo  novembre  1611.  Voir  l'Appendice. 

2.  Matteo  Botti,  23  décembre  1611.  (2"  dépêche.) 

3.  Matteo  Botti,  23  décembre  i6ir.  ^3"  dépêche.) 

4.  Matteo  Botti,  4  décembre  1611. 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  335 

ordres  formels,  dut,  pour  en  finir  avec  le  duc  qui  le  pres- 
sait terriblement,  se  résoudre  à  lui  dire  que  <'  puisque  ni 
ce  que  la  reine  avait  dit  à  son  ambassadeur,  ni  ce  qu'il  disait 
en  ce  moment  à  Son  Altesse  ne  suffisait  à  le  désabuser,  il 
se  demandait  s'il  se  rendrait  à  l'évidence  même  en  voyant 
couchés  ensemble  dans  le  même  lit  le  prince  d'Espagne  et 
Madame  de  France  ».  A  cette  ironie  toute  militaire,  mais 
décisive,  le  duc  se  mit  à  pousser  des  hurlements,  à  s'arra- 
cher la  barbe  et  à  pleurer  de  rage  \  Quand  il  se  fut  un  peu 
calmé  et  que,  de  nouvelles  lamentations  à  propos  de  l'inter- 
diction faite  au  duc  de  Nemours  d'épouser  une  de  ses  filles 
ayant  pris  fin,  le  maréchal  de  Lesdiguières  put  continuer 
l'entretien  en  se  rabattant  sur  le  chapitre  des  compensa- 
tions, il  trouva  naturellement  chez  son  interlocuteur  de  très 
fâcheuses  dispositions  à  l'égard  du  projet  de  mariage  de 
son  fils  avec  une  princesse  de  Toscane  ^  Mais  le  vieux  rou- 
tier dressa  l'oreille  quand  le  duc  lui  parla  d'une  princesse 
de  Mantoue  et  de  la  possibilité  d'arrondir  le  Piémont  par 
des  emprunts  au  Montferrat,  possession  de  la  maison  de 
Gonzague,  et  qu'un  envoyé  du  duc  de  Mantoue  se  trouva 
là  fort  à  point  pour  lui  faire  des  propositions  dans  ce  sens 
et  lui  montrer  des  écritures. 

L'afi"aire  n'eut  aucune  suite;  mais  elle  inquiéta  beaucoup 
le  marquis  de  Campiglia,  qui,  préoccupé  avant  tout  de 
placer  les  filles  de  son  maître,  avait  vu  dans  cette  combi- 
naison nouvelle  une  petite  perfidie  de  la  régente.  Mais  il  ne 
désespérait  pas  de  la  ramener  elle  et  le  gouvernement  à  de 
meilleurs  sentiments. 

«  Je  crains  bien  que  Votre  Altesse,  écrit-il  au  grand-duc, 
n'ait  jamais  trop  en  sa  faveur  pour  chose  que  ce  soit,  M.  de 
Villeroy,  sans  un  beau  diamant,  ou  tout  autre  présent;  car, 
dans  ce  pays,  c'est  plus  que  jamais  l'usage,  et  cela  ne  se  fait 
pas  au  poids  d'une  once;  si  bien  qu'à  ce  point  de  vue,  c'est 

1.  MatteoBotti,  20  décembre  1611.  —  Ap.  B.Z.,  De dissoliitione...,  p.qS. 

2.  Cf.  Scip.  Ammirato,  3o  décembre  iGii. 


336  LA    MINORITE    DE    LOUIS    XIII. 

peu  de  chose  que  la  cour  ottomane.  Les  occasions  se  trou- 
vent et  peuvent  être  fréquentes;  et  l'autorité  de  cet  homme 
me  paraît  être  plus  grande  que  jamais,  et  pour  bien  des 
choses,  il  me  semble  ne  lui  manquer  de  roi  que  le  nom.  Et 
quant  à  moi,  je  crois  que  dans  les  matières  dont  je  parle, 
à  savoir  celles  d'État,  la  reine  croirait  plus  ce  que  lui  dirait 
Villeroy  que  ce  qu'elle  verrait  de  ses  propres  yeux  *.  » 

La  reine  aurait  pu  faire  et  fera  bientôt  plus  mal.  Car 
c'est  évidemment  grâce  à  la  dextérité  de  cet  homme  d'État 
que  la  complication  de  tant  d'événements  et  l'enchevêtre- 
ment des  manifestations  d'une  politique  contradictoire 
n'avaient  abouti  h  aucun  éclat  dangereux. 

L'année  1611  se  serait  terminée  dans  le  plus  grand  calme 
sans  un  acte  de  rébellion  tout  local  qui  ne  prit  d'impor- 
tance qu'en  raison  même  de  la  tranquillité  générale.  Un 
gentilhomme  protestant  du  Berri,  nommé  M.  de  Vatan 
(Florimond  Du  Puy),  donnait  asile  à  des  gens  qui  volaient  du 
sel  aux  entrepositaires  de  la  gabelle,  et  qui  le  revendaient 
ensuite  à  bon  compte.  M.  Robin,  créature  de  Concini,  à 
qui  avait  été  adjugée,  au  milieu  de  l'année,  la  ferme  du  sel, 
fit  mettre  la  main  sur  quelques-uns  de  ces  larrons,  et  obtint 
des  aveux  complets  :  ils  révélèrent  l'appui  qu'ils  trouvaient 
auprès  de  M.  de  Vatan.  Mais  celui-ci  fit  forcer  une  maison 
de  campagne  appartenant  à  Robin  et  enlever  son  fils,  qui 
était  âgé  de  dix  ans,  en  déclarant  que  l'enfant  subirait  le 
même  sort  que  les  prisonniers  ".  Alors  ((  cette  brute  de 
M.  de  Vatan  (questa  bestia  di  quel  mons.  Vatan)  se  fortifia 
dans  son  donjon  et  annonça  qu'il  attendrait  le  canon  ^.  Le 
Conseil  envoya  un  exempt  avec  des  lettres  royales  pour 
faire  rendre  l'enfant;  l'exempt  fut  menacé  du  bâton.  On 
décida  alors    d'envoyer    le  grand    prévôt   avec    cinquante 

1.  Matteo  Botti,  ibidem,  et  3o  décembre  iGii. 

2.  Scip.  Animirato,  22  novembre  1611. 

3.  Scip.  Ammirato.  7  décembre  iGii. 


LES    ENTREPRISES    MATRIMONIALES    ET    LES    DEUILS.  33/ 

archers,  quatre  compagnies  des  gardes  et  du  canon  devant 
le  château;  et,  comme  M.  de  Vatan  ne  voulait  le  rendre 
qu'avec  la  vie  sauve  pour  la  petite  garnison,  Tassant  fut 
donné.  M.  de  Vatan  se  fit  prendre,  s'en  remettant  à  la  misé- 
ricorde du  roi.  On  pendit  sur-le-champ  vingt-deux  ou  vingt- 
neuf  des  siens.  Quant  à  lui,  bien  qu'il  n'eût  pas  exécuté 
son  horrible  menace  et  que  Ton  eût  essayé  de  le  sauver  en 
le  faisant  passer  pour  fou,  il  devait  être  décapité  en  place 
de  Grève  le  2  janvier  16 12,  par  arrêt  du  Parlement  '. 

L'horizon  n'était  pas  absolument  dégagé  de  nuages  en 
ces  derniers  jours  de  l'année  léii.  Les  princes  du  sang  ne 
cachaient  point  leur  mécontentement  de  voir  que  des 
affaires  de  la  plus  haute  gravité  eussent  été  traitées  en  leur 
absence.  Le  prince  de  Condé  continuait  à  faire  profession 
d'obéissance  et  de  dévouement  absolu  à  la  reine,  mais  sa 
sincérité  était  plus  que  douteuse;  le  comte  de  Soissons,  qui 
était  parti  dans  son  gouvernement,  assez  mécontent  que  la 
reine  lui  eût  refusé  deux  cent  mille  écus  qu'il  réclamait 
pour  le  payement  de  dettes  contractées  par  son  père  au  ser- 
vice du  Tiers-Parti  %  trouvait  à  son  retour  une  autre  cause 
de  désappointement.  Lorsque,  après  la  mort  du  duc  d'Or- 
léans, Mlle  de  Montpensier  alla  voir  la  reine  avec  tout  le 
grand  deuil  et  l'équipage  ordinaire  des  veuves,  la  reine  tout 
émue  se  couvrit  le  visage  de  son  mouchoir  et  la  dispensa 
de  porter  cet  habillement  :  «  Tant  y  a,  écrit  Malherbe  à 
son  correspondant  Peiresc,  qu'elle  est  de  nouveau  promise 
à  Monseigneur  qui  est  à  cette  heure.  De  quoi  la  reine  l'as- 
sui"a  qu'elle  ne  seroit  pas  tant  respectée  qu'elle  l'étoit  de 
feu  Monsieur,  d'autant  qu'il  ne  la  baisoit  jamais  sans  lui 
demander  son  congé  ,  et  que  cettui-ci  n'en  feroit  pas  de 


I.  Scip.  Ammirato,  28  décembre  i6ii. —  Cf.  Mercure  français,  t.  II, 
p  298;  Bassompierre,  Mémoires,  t.  f,  p.  299;  Héroard,  Journal^  t.  II, 
p.  94;  Malherbe  à  Peiresc,  t.  Ill,  p.  254,  25  novembre  1611. 


2.  Celui  du  cardinal  de  Bourbon  sous  la  Ligue. 


22 


338  LA    MINORITÉ    DE    LOUIS    XIII. 

même.  )^  (25  novembre.)  Le  connétable  était  également  très 
peu  satisfait  d'avoir  vu  s'évanouir  ses  espérances  d'un 
mariage  de  son  fils  avec  une  princesse  de  Mantoue,  sans 
compter  que  la  question  de  l'élargissement  du  comte  d'Au- 
vergne, son  gendre,  n'avait  pas  fliit  un  pas,  bien  que  la 
reine  lui  eût  iécemment  promis  de  traiter  cette  affaire  en 
Conseil.  Le  duc  de  Savoie,  Soissons,  Montmorency,  ces 
trois  pères  désappointés,  pouvaient  se  donner  la  main. 

D'autre  part,  on  ne  savait  pas  jusqu'à  quel  point  la  mort 
du  sage  duc  de  Mayenne  ne  modifierait  pas  l'attitude  jus- 
qu'alors très  conciliante  de  la  maison  de  Guise,  en  laissant 
la  bride  sur  le  col  aux  jeunes  fous  de  la  famille. 

Toutes  ces  raisons  déterminèrent  la  régente  à  faire  venir 
auprès  d'elle  les  maréchaux  et  les  officiers  de  la  couronne 
par  l'autorité  desquels  elle  avait  le  dessein  de  faire  valider 
ses  résolutions,  et  particulièrement  celles  qui  étaient  rela- 
tives aux  mariages  espagnols;  dans  le  cas  où  elle  se  heurte- 
rait à  Topposition  des  princes,  elle  voulait  donner  par  la 
présence  de  ces  deux  personnages  du  poids  et  de  la  force  au 
conseil  des  ministres  qui  gouvernaient  alors. 

Tous  les  grands  dignitaires  de  l'Etat  se  trouvèrent  donc 
réunis  à  Paris  au  moment  où  se  faisait  l'état  des  finances, 
c'est-à-dire  l'établissement  du  budget  des  recettes  et  des 
dépenses,  la  répartition  des  pensions  et  gratifications,  et  à 
la  veille  du  jour  où  le  gouvernement  de  la  régente  allait  être 
dans  la  nécessité  de  montrer  au  soleil  les  résultats  de  sa 
politique  étrangère. 


APPENDICE 


CATALOGUE 


CITATIONS,  EXTRAITS 

DES  CORRESPONDANCES  RELATIVES  A  LA  MINORITÉ  DE  LOUIS  XIII 
EXISTANT   A   l'((  ARCHIVIO    MEDICEO  » 

Ces  documents  sont  classés  à  Florence  sous  les  rubriques 
et  cotes  ci-dessous  indiquées. 

Dispacci  del  Segretario  Scipione  Ammirato  il  gtovine  rimasto 
in  Francia  a  supplire  al  résidente  cav^^  Camillo  Guidi  che  per 
causa  di  sainte  era  dovuto  tornare  a  Firenxe-dal  di  j  décembre 
i6op.  (Legazione  di  Francia,  Fil:(a  4622.) 

Dispacci  di  Matteo  Botti  marchesc  di  Cajnpiglia  résidente  in 
Francia  pel  grand-duca  Cosimo  II  di  Medici,  diretli  alla  Segre- 
tario di  Stato  in  Firen^e.  (Legazione  di  Francia,  Fil:(a  4624.) 

Lettere  del  s''  Cavalière  Andréa  Cioli  scritte  di  Francia  dal  di 
4  di  Giugno  16 10  a  tutto  Gennajo  161 1.  {Fil^a  4626.^ 

Lettere  délia  Regina  Maria  di  Francia  alla  famiglia  Gran 
Ducale  di  Toscana  di  Lug.  16 10  —  )o  Giug.  161  j.  (Le- 
gazione DI  Francia,  Fil:(a  472^.) 

Lettere  del  Marescial  d'Anchre  e  sua  tnoglie  al  Gran  Duca  e 
Cor  te  di  Toscana.  {Fil^a  4J48,) 


340  APPENDICE. 

1.  BoTTi  AU  GRAND-DUC  DE  ToscANE.  Paris,  15     mai  1610.(4624.)  • 

2.  BoTTI  —  —       16         —        —  — 

I.  Ammirato  au  secrétaire  d'État 


V  IN  TA. 

— 

15 

— 

— 

(4622.) 

2.  Ammirato 

— 

— 

2 

juin 

— 

— 

3.  BOTTI  AU  GRAND-DUC. 

— 

3 

— 

— 

(4624.) 

I.   ClOLI                — 

Turin 

,  4 

— 

— 

(4626.) 

2.   ClOLI                — 

Lyon 

7 

— 

— 

— 

3.  Ammirato  au  secret. 

d'État. 

Paris, 

12 

— 

— 

(4622.) 

3.  ClOLI  AU  grand-duc. 

— 

15 

— 

— 

{4626.) 

4.  ClOLI  AU  SECRET.   d'ÉtAT. 

— 

19 

— 

— 

1 

4.  Ammirato        — 

— 

19 

— 

— 

(4622.) 

4.   BoTTI                     : — 

— 

19 

— 

— 

(4624.) 

5.   BOTTI  AU  GRAND-DUC. 

— 

19 

— 

— 

— 

6.  BoTTI  AU  SECRET.  dÉ'tAT. 

— 

20 

— 

— 

— 

$.  ClOLI                      — 

— 

21 

— 

— 

(4626.) 

6.   ClOLI                      — 

— 

22 

— 

— 

— 

7.  BoTTI                     — 

— 

22 

— 

— 

— 

5.  Ammirato        — 

— 

24 

— 

— 

(4622.) 

7.  ClOLI                     — 

— 

24 

— 

— 

(4626.) 

8.  CiOLi                — 

— 

26 

— 

— 

— 

9.   ClOLI                     — 

— 

28 

— 

— 

— 

6.  Ammirato        — 

— 

28 

— 

— 

(4622.) 

8.   BoTTI  AU  GRAND-DUC. 

— 

30 

— 

— 

(4624.) 

10.  ClOLI  AU  SECRÉTAIRE  d'ÉtAT. 

— 

30 

— 

— 

(4626.) 

II.  ClOLI                      — 

— 

ler 

juillet 

— 

— 

9.  BOTTI                     — 

— 

2 

— 

— 

(4624.) 

12.   ClOLI                     — 

— 

2 

— 

— 

(4626.) 

7.  Ammirato        — 

— 

2 

— 

— 

(4622.) 

13.  ClOLI                     — 

— 

5 

— 

— 

(4626.) 

14.  ClOLI  AU  GRAND-DUC. 

— 

5 

— 

— 

— 

10.  BOTTI  AU  DUC  DE  LeRME. 

— 

5 

— 

— 

(4624.) 

8.  Ammirato  au  secret. 

d'État. 

— 

10 

— 

— 

— 

1$.  ClOLI                     — 

— 

10 

— 

— 

(4626.) 

I.  Le  premier  chiffre  à  gauche  est  un  numéro  d'ordre  pour  les 
dépêches  de  chaque  correspondant;  le  dernier  à  droite  indique  la 
filza  ou  liasse  où  se  trouve  à  l'Archivio  de  Florence  le  document 
cité. 


APPENDICE.  341 

I.  Marie  de  Médicis  a  la  grande-duchesse  Marie-Madeleine  de 
Toscane.  Paris,  11  juillet  1610.  (4729.) 

Ma  cousine,  vous  avez  grande  raison  de  croire  que  en  la  perte 
incroiable  que  j'ay  faicte,  je  ne  pouvois  recepvoir  consolation  que  de 
Dieu.  C'est  à  Luy  que  je  faiz  mon  addresse  en  ceste  mienne  affliction, 
car  sans  la  grâce  et  assistance  de  sa  divine  bonté,  je  ne  pourrois  sup- 
porter la  doulleur  que  j'endure  de  ce  funeste  et  misérable  accident.  Je 
vous  remercye  de  l'office  de  condoléance  que  vous  m'avez  voulu 
rendre  sur  ce  subject,  qui  m'est  ung  tesmoignage  de  l'amitié  et  bienveil- 
lance que  vous  m'avez  tousiours  portée,  dont  vous  m'avez  tousiours 
rendu  des  effectz.  Je  vous  prie  de  la  continuer  cy  après  a  l'endroict  du 
Roy  monsieur  mon  filz  et  de  moy,  et  faire  estât  de  la  mienne,  de 
laquelle  vous  prendrez  une  entière  asseurance  par  celle  cy.  Je  ne  feray 
plus  longue  lettre  que  pour  prier  Dieu,  ma  cousine,  qu'il  vous  ayt  en 
sa  sainte  et  digne  garde. 

Escrit  à  Paris  le  ii°^«  jour  de  juillet  1610. 
Votre  bien  bonne  cousine  ^ 

Marie  * . 


II.  BoTTi  AU  grand-duc.  Paris,  12  juillet  1610.  (4624.) 

9.  Ammir.\to  AU  SECRÉTAIRE  d'État.       —     13      —      —        — 


16.  CiOLi  AU  GRAND-DUC.  Paris,  13  juillet  1610.  (4626.) 

Relation  sur  l'état  de  la  France. 

Serenissimo  mio  Signore  et  Padrone  unico, 

Se  ben'  hora  in  questo  Regno  che  puo  render  conto  de  danni  délia 
guerra  et  degli  utili  délia  pace^  pone  maggiori  le  speranze  di  duratione 
di  pace  che  i  pericoli  di  rottura  di  guerra,  dovendosi  nondimeno  rime- 
diare  sempre  al  maie  perché  tanto  più  si  possa  godere  il  bene,  et 
essendo  la  pace  il  fine  di  ogni  buon  governo,  va  pensando  la  Maesta  di 
questa  prudentissima  Regina  al  rimedio  dei  pericoli,  per  sempre  più 
assicurarsi  nelle  speranze,  et  per  conseguenza  nel  quieto  possesso  délia 
pace.  In  queste  tre  parti,  clero,  nobiltà  et  popolo,  par  che  si  possa 
dividere  la  Francia.  Il  clero  che  è  in  numéro  considerabile,  oltre  alla 
ripugnanza  délia  sua  professione,  non  puo,  ne  per  interesse  délie  loro 
comraodità,  ne  per  zelo  délie  religione,  voler  guerra,  perche  in  essa 

I.  Nous  mettons  en  italique  ce  qui,  dans  les  lettres  de  la  reine, 
est  de  la  main  de  Marie  de  Médicis. 


342  APPENDICE. 

non  sarebbon  padroni  délie  entrate  délie  lor  Badie  et  Benefitii;  et  per 
essa  hanno  più  volte  et  frescamente  provato  che  la  religione  in 
cambio  di  crescere,  si  va  più  losto  in  diversi  modi  sminuendo.  La  nobiltà 
si  distingue  in  due  parti,  cioe  ne'  benestanti  et  ne'  malestanti.  I  primi,  per 
non  metiere  il  loro  in  compromesso  et  per  non  esser  disagiati  et  privi 
de  loro  commodi,  ne  anche  loro  posson  volerla;  ma  bene  si  puo  dubi- 
tare  che  i  malestanti  c'  inclinino  per  migliorar  conditione,  et  per  non 
essere  in  tanto  molestati  dai  lor  creditori,  che  in  tempo  di  guerra  non 
ardiscono  di  farlo.  Il  Popolo  ancora  si  suddivide  in  quello  délie  città  et 
Terre,  et  in  quello  délia  campagna  ;  et  e  ben  vero  che  il  primo,  si  puo 
tener  per  fermo  che  ami  la  pace  perche  i  Parlamenti,  i  Giudici,  et  i 
Procuratori,  che  ascendono  a  numéro  incredibile,  per  la  guerra  non 
possono  tirare  innanzi  i  guadagni  del  loro  essercitio,  perche  mancano 
in  tal  tempo  le  liti  civili,  che  gliene  somministrano;  et  i  faccendieri, 
artisti  et  bottegari  che  hanno  in  questo  tempo  di  pace  ben'  avviate  le 
cose  loro,  hanno  anch'  essi  cagione  di  desiderarne  la  continuatione  per 
non  perdere  i  loro  avviamenti.  Ma  del  secondo  non  puo  già  esserci  tanta 
sicurezza,  perché  avvezzi  i  contadini  a  tribolar  sempre  per  la  campagna 
ed  oppressi  dalle  gravezze  et  dalle  essecutioni,  che  per  causa  di  esse 
contro  loro  si  fanno,  si  puo  dubitare  che  facilmente  si  lasciassino 
tirare.  Et  benche  la  seconda  parte  del  primo  popolo,  cioé  i  faccendieri, 
gli  artisti  et  i  bottegari  sentino  più  degli  altri  l'incommodo  délie  grosse 
gravezze  che  sopportano,  sanno  perô  che  tornerebbe  loro  più  grave  il 
danno  délia  guerra  ;  onde  neanche  per  questo  possono  applicarci 
l'animo.  Da  i  Principi  del  Regno,  che  considerati  come  transcendenti 
non  son  compresi  in  questa  divisione,  ma,  come  motori  son  ben 
cagione  di  questi  pensieri,  hanno  a  nascere  i  garbugli  che  potrebbono,  se 
non  ci  si  provvedesse,  disturbar  la  pace.  Hor  per  rimedii  salutari  ven- 
gono  in  campo  questi  : 

Il  primo,  che  risguarda  la  nobiltà,  sarà  il  moderare  le  concession!  ai 
Principi,  et  di  quella  parte  di  augumento  di  pensioni  che  ragionevol- 
mente  si  puo  loro  negare,  coma  irragionevolmente  la  pretendono  et 
chieggono,  servirsi  per  distribuirla  per  le  provincie  alla  seconda  parte 
délia  nobiltà,  cioé  à  malestanti,  et  non  già  a  tutti,  che  sarebbe  irapos- 
sibile,  ma  a  quelli  Duchi,  Marchesi,  Conti  et  altri  signorotti  che  sono 
sparsi  per  tutto  il  Regno,  et  hanno  qualche  seguito  di  Gentilhuomini 
malestanti  come  loro;  ma  questo  bisogna  ben'  applicarlo,  con  moite 
avvenenze  et  non  a  un  tratto. 

Il  secondo  :  il  ievar  qualche  gravezza  à  popoli,  et  massime  a  quelli 
délia  campagna,  perché,  mediante  questo  loro  alleggerimento,  vende- 
rebbero  men  care  le  loro  fatiche,  et  i  frutti  che  raccolgono,  da  che  ver- 
rebbero  anche  sgravati  quelli  délie  Città  et  Terre,  etc. 

Il  terzo ,  che  insieme  con  il  secondo ,  risguarda  il  Popolo,  sara  le 
scemare  il  numéro  eccessivo  degli  essecutori  di  Giustitia  chiamati  Ser- 
genti,  che  sono  per  tutto  il  Regno,  perche  d'un  essecutione  che  faccino  a 
un  pover'huomo  per  due  scudi  se  ne  vengono  a  loroquattro;  et  questo, 
dicono  che  saia  un  notabilissimo  alleggerimento,  et  le  cose  del  publico 


APPENDICE.  343 

non  ne  riceverebbono  un  pregiuditio  al  mondo,  perché  il  numéro  di 
costoro  e  grande  fuor  di  modo;  et  cosi  resterebbe  questo  governo 
libero  da  ogni  sospetto  di  perturbatione,  con  félicita  et  gloria  délia 
maesta  délia  Regina.  Et  queste  o  altre  provisioni  riusciranno  tutte  giove- 
voli  perche  il  Principe  di  Spagna  non  ha  mal'  animo  egli;  che  se  fosse 
il  contrario,  che  Iddio  ce  ne  guardi,  ne  queste,  ne  altre  basterebbono. 
Se  a  quest'  hora  sarà  comparso  costà,  corne  si  puo  qui  credere,  Hippo- 
lito  Dei.,  V.  A,  Sereniss»  haverà  sentito,  per  le  lettere  che  mandai  per 
sua  mano,  un'  altro  discorso,  et  dall'  uno  et  dall'  altro  vedra  che  si 
puo  fare  buon  giuditio  délia  tranquillità  del  présente  Governo.  Ma 
l'universale  par  che  dubiti  dell'  opposito,  dando  une  gran  noia  la  pros- 
sima  venuta  di  questo  Principe  di  Condé,  per  il  gran  partito  che 
sempre  piu  si  afferma  essere  stabilito  di  esso,  di  casa  Guisa  et  delli 
Eretici.  Et  a  V.  A.  S^a  con  humilissima  rcverenza,  etc.  Di  Parigi  li 
13  di  Luglio  1610. 

Andréa  Ciolï. 


17.  CiOLi  AU  GRAND-DUC  DE  Toscane.    Paris,  13  juillet  1610.  (4626.) 


18.  ClOLI  AU  SECRÉTAIRE  D'EtAT  ViNTA.    — 

13 

— 

— 

— 

19.  ClOLI 

—                                            — 

13 

— 

— 

— 

20.   ClOLI 

—                                            — 

16 

— 

— 

— 

21.   ClOLI 

—                                            — 

16 

— 

— 

— 

10.  Ammirato 

—                                            — 

18 

— 

— 

(4622.) 

22.  ClOLI 

—                                            — 

18 

— 

— 

(4626.) 

II.  Ammirato 

—                                            — 

18 

— 

— 

(4622.) 

23.   ClOLI 

—                                            — 

19 

— 

— 

(4626.) 

12.  Ammirato 

—                                            — 

22 

— 

— 

(4622.) 

24.  ClOLI 

—                                            — 

23 

— 

— 

(4626.) 

25.  ClOLI  AU  GRAND-DUC.                                  — 

28 

^"^ 

— 

— 

13.  Ammirato  AU  SECRÉTAIRE  d'État.    Paris,  28  juillet  1610.  (4622.) 

....  In  verita  fin  hora,  Condé  mostra  d'essere  soddisfattissimo  di  Sua 
Maestà  et  non  si  sente  che  faccia  le  domande  impertinenti  che  fece 
Soissone,  et  si  crede  che  la  Regina  con  levarsi  certi  sospetti  et  ombre 
che  ha  havutô,  se  lo  renderà  tutto  suo;  et  l'ombre  sono  con  Soissone  et 
Espernone,  dei  quali  non  si  fîda,  et  cosi  vederli  tanto  favoriti,  gli  si 
accresce  il  sospetto  et  non  mancono  di  quelli  che  fanno  ogni  opéra  per 
nutrirglielo  nell'  animo,  perché  oltre  allô  essere  stato  avvertito  quando 
ritornô,  che  nello  entrare  suo  in  Parigi,  questi  due,  con  consenso  délia 


344  APPENDICE. 

Regina,  lo  volevano  fare  prigione,  et  ci  devono  essere  ancora  altri  che 
vorrebbero  vedere  novità  che  li  mettono  paura  con  dire  che  non  sià 
sicuro. 

....  Conti  pare  che,  per  essere  egli  sordo,  et  nella  maniera  che  è,  et  cosi 
quasi  inhabile  a  g'Overnare,  nondimeno  con  un  buon  luogotenente,  ei 
potrà  cosi  essere  bene  atto,  corne  sia  Condè,  et  altri  che  nei  governa- 
menti,  non  si  impacciono  di  nulla,  o  di  poco;  et  il  consiglio  che  harà 
sempre  di  casa  Guisa  senza  la  quale  ei  non  sarebbe  che  un  huomo  col- 
lerico,  lo  farà  sempre  stimare  per  quello  che  è,  et  farà  apparire  le  sue 
azioni  fatte  con  discorso  et  ragione,  come  deve  essere  stato  questo  dis- 
sentimento  con  Soissone  per  il  Governo  di  Normandia. 


26.  Andréa  Cioli  au  grand-duc  de  Toscane.  Paris,  3 1  juillet  1610(4626). 


I.  Marie  de  Médicis  au  grand-duc.     Paris,  i«  août  1610.  (4729.) 

Mon  cousin, 

Le  seigneur  Don  Antonio  De  Medicis  *  mon  frère  m'attouche  de  si 
près,  que  J'ay  tout  subiect  de  le  favoriser  et  aider  en  ce  qui  regarde  le 
bien  de  ses  affaires.  J'ay  appris  comme  feu  mon  oncle  le  Grand-Duc 
ayant  ordonné  qu'il  fust  satisfaict  de  cent  mil  escuz  qu'il  luy  debvoit, 
vous  aviez  depuis  sa  mort  commencé  à  les  luy  faire  paier  par  mois,  ce 
a  esté  discontinué  depuis  quelque  temps  en  çà.  Je  vous  ay  bien  voulu 
faire  celle  cy  en  sa  recommandation  pour  vous  prier  de  commander 
qu'il  reçoive  entièrement  la  dicte  somme  dont  il  a  bien  besoing  pour  la 
commodité  de  ses  affaires  particulières.  J'ay  tant  pris  d'asseurance  en 
l'amitié  et  affection  que  vous  m'avez  tousiours  portée  et  faict  paroistre 
en  tout  ce  que  j'ay  désiré  de  vous  que  je  me  promectz  que  vous  aurez 
agréable  la  prière  que  je  vous  en  faiz,  et  d'aultant  plus  que  la  chose  me 
semble  juste  et  raisonnable.  Je  tiendray  en  mon  particuHer  et  singulier 
plaisir  le  secours  qu'il  en  recepvra  de  vous.  Sur  ce  je  prie  Dieu,  mon 
cousin,  qu'il  vous  tienne  en  sa  sainte  et  digne  garde.  Escrit  a  Paris  le 
premier  jour  d'aoust  1610. 

Vous  savei  come  je  affectionne  mon  frère  Don  Antonio.  Je  vous  prie  de  Luy 
donner  contentement  de  ce  qui  luy  est  deuh. 

Votre  bone  cousine, 
Marie. 


I.  Frère  bâtard  de  la  reine. 


APPENDICE. 

14.  Ammirato  au  secrétaire  d'État.    Paris, 

27.  ClOLI  —  — 

27  bis.  CiOLi  —  — 

12.  BOTTI  —  — 

1 3 .  BOTTI  —  —  ' 

14.  BoTTi  au  grand-duc.  — 

15.  Ammirato  au  secrétaire  d'État.       — 

28.  ClOLI  —  — 

29.  ClOLI  —  — 

30.  ClOLI  —  — 

15.  Botti  —  — 

31.  ClOLI  —  — 

16.  Ammirato         —  — 

16.  Botti  au  grand-duc.  — 

32.  CiOLi  AU  secrétaire  d'État.  — 

17.  Ammirato        —  — 

18.  Ammirato         —  — 

19.  Ammirato         —  — 

17.  Botti  au  grand-duc.  — 

33.  CiOLi  au  secrétaire  d'État.  — 

18.  Botti  —  — 

20.  Ammirato         —  — 


345 

3 

août 

1610 

.  (4622.) 

3 

— 

— 

(4626.) 

3 

9 

10 

— 

— 

(4624.} 

II 
II 

— ~ 

— 

(4622.) 

II 
II 

——" 

___ 

(4626.) 

12 
12 

— 

— 

(4624.) 

14 

— 

— 

(4626.) 

18 

— 

— 

(4622.) 

18 

— 

— 

(4624.) 

24 

— 

— 

(4626.) 

24 

— 

— 

(4622.) 

25 

— 

— 

— 

29 

— 

— 

— 

29 

— 

— 

(4624.) 

29 

— 

— 

(4627.) 

29 

— 

— 

(4624.) 

30 

— 

— 

(4622.) 

3.  Marie  de  Médicis  au  grand-duc.     Paris,  31  août  1610.  (4729.) 

Mon  cousin, 

Comme  la  nouvelle  que  vous  m'avez  donnée  par  votre  courier  de 
l'heureux  accouchement  de  ma  cousine  votre  femme  ',  m'a  esté  plus 
agréable  qu'aucun  autre  bon  succez  qui  vous  aist  peu  arriver,  j'ay  bien 
voulu  m'en  conjouir  avec  vous  par  ceste  lettre  en  vous  renouvelîant  les 
assurances  de  la  continuation  de  la  bonne  volonté  que  je  vous  porte, 
et  à  tout  ce  qui  vous  appartient.  Vous  priant  croire  que  je  désire  la  vous 
tesmoigner  par  effect,  ainsy  que  vous  cognoistrez  aux  occasions  qui 
se  présenteront.  Je  prie  Dieu,  mon  cousin,  qu'il  vous  ayt  en  sa  très 
sainte  et  digne  garde.  Escript  à  Paris  le  31™^  jour  d'aoust  16 10. 

Votre  bonne  cousine^ 
Marie  Régente. 
Brulart. 

I.  Marie-Magdeleine. 


346  APPENDICE. 

34.  CioLi  AU  SECRET.  d'État  Vinta.  Paiis,  4  septembre  16 10.  (4626.) 
21.  Ammirato                —  —  5  —  —  (4622.) 

35.  CioLi                        —  —  8  —  —  (4626.) 

36.  ClOLI                                  —  —  12  —  —           — 

37.  CioLi  au  GRAND-DUC  DE  Toscane.  —  12  —  —        — 

38.  CiOLi  AU  secrétaire  d'État.  —  13  —  —        — 

39.  CiOLi               —  —  14  —  —        — 

40.  ClOLI  AU  grand-duc.  —  I  5  —  —           — 

41.  ClOLI                     —  —  16  —  —           — 

42.  ClOLI  au  secrétaire  d'État.  —  i8  —  —        — 

43.  ClOLI  au  GRAND-DUC.  —  I9  —  —            — 
19.  BOTTI                    —  —  19  —  —  (4624.) 


20.  BoTTi  AU  GRAND-DUC  DE  ToscANE. Paris,  I9septembre  1610.(4624.) 

Le  trince  de  Condé  a  été  à  Nancy  où  les  princes  lui  ont  envoyé  des 
lettres,  des  messages;  ils  ont  fait  par  écrit  la  convention  de  rester  unis 
ensemble.  La  reine  redoute  cette  ligue  secrète  qui  a  pour  but  de  le  faire  agir 
au  gré  des  princes .  Soissons  et  d' Epernon  forment  bande  à  part.  Le  roi  d^ An- 
gleterre a  écrit  à  Guise,  son  parent,  pour  lui  recommander  les  hérétiques.  — 
Conde  vuol  ancora  in  questo  la  preeminenza  et  ha  affirmato  a  piu 
d'une  che  e  necessario  che  tutti  questi  eretici  habbino  un  capo  di- 
chiarato,  et  che  sia  cattohco. 

Il  duca  de  Nivers  non  entrô  in  questa  unione  per  disgusto,  ma 
per  esser  genero  del  duca  di  Umena,  et  il  contestabile  suocero  ;  il 
principe  di  Conti  per  esser  cognato  del  duca  di  Guisa  et  Sugli  suo 
grande  amico;  et  il  duca  de  Buglione  per  esser  parente  et  amico 
grande  del  prince  di  Conde,  et  TAldighiera  tirato  da  Buglione  che 
si  imparenta  seco,  e  da  Sugli,  corne  ancora  da  Crechi  suo  genero, 
perche  doppo  la  prima  unione  di  questi  principi  hanno  procurato  di 
tirare  ancora  molti  sig"  principali  et  uno  di  questi  e  stato  Crechi  et 
infin  nella  soldatesca  che  si  mando  a  Giuliers,  procurorno  d'havere 
dal  la  loro  tutti  i  capi  principali. 

Il  miglior  modo  da  romper  questa  lega  ho  stimato  che  sia  il  pro- 
curar  di  levarne  il  duca  di  Guisa,  che  si  tira  dietro,  oltre  a  tutti  i 
principi  Loreni,  Conti,  Nivers,  e  Sugli,  come  ho  detto  di  sopra.  Il 
mezzo  da  conseguir  questo  fine,  ho  creduto  che  sia  che  la  Regina  si 
contenti  che  la  principessa  di  Montpensiero  si  possa  rimaritare  contro 
la  promessa  che  haveva  fatta  al  re  morto,  quando  concluse  il  matri- 
monio  tra  la  sua  figliuolina  et  il  duca  d'Orliens,  et  che  il  duca  di 
Guisa  sia  aiutato  da  S.  M^-^  a  haverla  per  moglie,  come  ha  sempre  desi- 


APPENDICE.  347 

derato,  cosi  per  la  sua  gran  richezza  corne  per  la  sua  gratia,  modestia, 
e  bellezza  piu  che  ordinaria  et  con  questo  notabil  benefizio,  il  detto 
duca  si  faccia  spiccare  con  tutto  il  suo  seguito  da  Conde  et  altri  colle- 
gati,  come  sara,  seguendo  questo  parentado,  che  tengo  per  certo  che 
seguira  et  con  questa  conditione  espressa,  perche  la  Regina  non  sola- 
mente  si  contenta,  ma  ne  fa  ogni  opéra. 

....  Il  duca  e  la  principessa  si  piacciono  et  si  trattengono  insieme  piu 
hora  che  mai  et  il  cardinal  di  Gioiosa  suo  zio  e  del  quale  ella  e  e  herede, 
quando  io  ce  l'ho  consigliato,  ha  mostro  di  compiacersene  particolar- 
mente  per  liberar  la  regina  dal  pericolo  di  questa  lega. 

L'altro  miglior  modo  di  romperla  e  stato  di  obbligarsi  Sugli,  che 
puo  assai  con  l'Aldighiera,  con  Buglione,  e  con  tutti  gl'altri  eretici,  e 
con  Guisa  ancora;  et  l'occ^^  di  poterlo  farc  ci  e  stata  grandissima, 
perche  essendo  in  prigione  un  cassiere  d'uno  appaltatore,  ha  scoperto 
per  difendersi  a  un  di  questi  tribunal!  che  Sugli  havessi  havute  gran 
somme  di  denari  dal  suo  Padrone;  la  Regina  gli  ha  potuto  salvare  la 
roba  e  la  riputazione  con  fare  intendere  al  detto  tribunale  che  questi 
danari  havevono  servito  per  servitio  del  Re  suo  marito,  e  che  S.  M** 
lo  sapeva  benissimo,  e  pero  comandava  che  non  si  ricercassi  altro. 


19  sept.   1610.    (4622.) 
—        —     (4626.) 


22. 

Ammirato  au  secrétaire  d'État  Vinta. 

19 

44. 

ClOLI                                — 

20 

45. 

ClOLI                                — 

24 

46. 

ClOLI  AU  GRAND-DUC. 

27 

47- 

ClOLI  AU  SECRÉTAIRE  d'ÉtAT. 

28 

48. 

ClOLI                   — 

30 

23. 

Ammirato     — 

30 

49- 

ClOLI                 — 

2 

50. 

ClOLI                  — 

Monceaux 

•:  4 

24. 

Ammirato     — 

Paris, 

4 

21. 

BOTTI  AU  GRAND-DUC. 

Monceaux 

:,  6 

25- 

Ammirato  au  secret. 

d'État. 

Paris, 

7 

51- 

ClOLI                  — 

Monceaux 

-.  7 

52. 

ClOLI                 — 

— 

9 

22. 

BoTTI  au  GRAND-DUC. 

— 

10 

23. 

BoTTI                — 

(2edép.)           — 

10 

26. 

Ammirato  au  secret. 

d'État. 

Paris, 

10 

26  bis.  Ammirato          — 

— 

II 

27. 

Ammirato               — 

— 

12 

24. 

BOTTI                              — 

— 

13 

—       —  (4622.) 
2  octobre  1610.  (4626.) 

—  (4622.) 

—  (4624.) 

—  (4622.) 

—  (4626.) 

—  (4624.) 

—  (4622.) 

—  (4624.) 


348  APPENDICE. 

25.  BoTTi  AU  SECRET.  d'État.       Monccaux,  13  octobre  16 10  (4624.) 


26.  BOTTI  AU  GRAND-DUC. 

— 

15     — 

— 

— 

28.  Ammirato  AU 

SECRET. 

d'État. 

Paris, 

I)     — 

— 

(4622.) 

29.  Ammirato 

— 

— 

20     — 

— 

— 

53.   ClOLI 

— 

— 

27     - 

— 

(4626.) 

30.  Ammirato 

— 

— 

27     — 

— 

(4622.) 

54.   ClOLI 

— 

— 

29     - 

— 

(4626.) 

31.  Ammirato 

— 

— 

31     — 

— 

(4622.) 

27.  BoTTI  au  GRAND-DUC. 

Paris, 

ler  novembre 

— 

(4624.) 

5  5 .  ClOLI  AU  SECRET.  d'ÉtAT. 

— 

2     — 

— 

(4626.) 

56.  ClOLI 

— 

— 

9     — 

— 

— 

S7.  CioLi 

— 

— 

12     — 

— 

— 

58.  ClOLI 

— 

— 

16     — 

— 

— 

59  bis.  CiOLi 

— 

— 

17     — 

— 

— 

32.  Ammirato 

— 

— 

17     - 

— 

(4622.) 

59.  ClOLI 

— 

— 

18     — 

— 

(4626.) 

60.  ClOLI 

— 

-— 

20    — 

— 

— 

61.  ClOLI  AU  SECRET.  d'État  ViNTA.  Paris,  21  novembre  1610.  (4626.) 

Questa  mattina,  conforme  alla  resolutione  che  hieri  accennai  nella 
4a  lettera,  ho  parlato  al  Sig""  Marchese  alla  presenza  dell'  Ammirato 
nella  maniera  che  segue  per  l'appunto. 

«  Sigr  Marchese,  io  voglio  dir  quattro  parole  a  V.  S.  111^^  non  come 
Andréa  Cioli,  ma  come  segretario  del  Gran  Duca  mio  signore,  il  cui 
interesse  mi  muove;  et  perô  Ella  mi  concédera  che  per  servizio  di 
S.  A.  Serenissa  io  parli  liberissimamente,  come  son  tenuto,  et  come 
intendo  di  fare,  acciô  in  un  medesimo  tempo  Ella  mi  riconosca  per 
altrettanto  huomo  da  bene,  quanto  son  vero  et  fedel  servidore  dell' 
A.  S.  ))  Et  rispostomi  egli  ch'  io  gli  farei  servizio  a  procéder  seco  nel 
modo  che  dicevo,  poiché  più  caro  suole  haver  questo  che  il  parlarsi 
in  sua  assenza,  etc.,  seguitai  di  dirgli  che  essendomi  finalmente 
chiarito  sopra  quali  negotii  fondava  S.  S.  111™^  il  far  riscuotere  a 
S.  A.  il  suo  credito  et  il  fare  anche  pagare  Zamet,  trovavo  che  i  suoi 
trattamenti  o  erano  irriuscibili,  o  molti  lunghi  se  riuscibili,  o  poco 
honorevoli  se  riuscibili  et  lunghi,  et  gliele  provai  con  il  discorrer 
sopra  la  vana  proposta  del  Fabbroni  ',  et  sopra  il  suo  negotiare  con 

I.  Dans  ses  dépêches  du  16,  du  17  et  du  18  novembre  1610,  Andréa 
Cioli  avait  fait  part  au  secrétaire  d'État  des  mystérieuses  propositions 
d'un  certain  Lcrenzo  Fabbroni  da  Marradi,  qui  se  faisait  fort  de  pro- 


APPENDICE.  349 

Mosset,  huomo  vile  di  nascita,  et  fino  a  un  certo  tempo  di  profes- 
sione  ancora,  perché  é  stato  sarto  et  si  chiamava  prima  Montalbano, 
et  non  tanto  stimato  per  il  mestiero  che  egli  fa  hora  di  Partisante; 
che  l'andarlo  a  trovare  a  casa  di  notte  et  di  giorno  non  convenisse 
a  un  ambasciadore.  Et  poi  anche  entrai  in  ponderargli  una  buona  par- 
tita  degli  errori  et  leggerezze  commesse  da  lui  nei  negotii  principali 
et  da  me  scritti  nel  puro  modo  che  di  mano  in  mano  parte  ne  li  intesi 
et  parte  veduti  ;  concludendogli  infine  che  con  gran  detrimento  délia 
sua  fama,  et  per  conseguenza  con  pericolo  di  grave  pregiudizio  délia 
dignità  del  Serenissimo  Padrone,  che  più  importa,  si  era  gia  incomin- 
ciato  a  parlar  contro  di  lui,  et  in  Corte,  et  per  le  case  degli  Ambas- 
ciadori,  et  che  pero  Tavvertivo  a  pensare  a  casi  suoi,  perché  io  ero  in 
obbligo  di  pensare  ai  rimedii,  et  gliene  protestavo  alla  presenza  dell' 
Ammirato  acciô  non  potesse  mai  con  ragione  dolersi  di  me  in  conto 
veruno.  Il  m.archese,  tutto  cambiato  di  colore  et  di  giovialità  di  volto, 
come  V.  S.  puô  credere,  quanto  ai  negotii  impresi  da  lui  per  far  pagare 
il  Grand  Duca  et  Zamet,  rispose,  prima,  ch'  io  ne  havevo  saputo  parte 
ma  non  tutto;  e  poi  tutto  negô  et  disse  che  io  non  havevo  potuto 
intendere  il  vero,  perché  di  giâ  la  sua  proposta  era  accordata,  haven- 
dola  concessa  la  Regina,  et  approvata  Villeroy,  il  Cancelliere,  il  Car- 
dinale di  Gioiosa,  monsign.  d'Alincourt,  et  Monsig.  di  Piseulx;  et 
qui,  dicendo  io  sempre  che  non  havevo  punto  di  fede  in  quel  che 
egli  a  19  soldi  per  lira  et  a  sette  ottavi,  come  egli  diceva,  teneva  per 
fermo,  et  che  ben  presto  si  vedrebbe  chi  di  noi  rimarrebbe  ingannato, 
perché  io  non  parlavo  senza  fondamento,  occorsero  moite  repliche  dall' 
una  banda  e  l'altra  da  rimanerne  ciascuno  piccato,  et  io  fui  costretto, 
perché  egli  mi  domando  (non  voglio  uscire  dalle  parole  proprie),  se  le 
tenevo  per  «  coglione  »,  a  dirgli  che  non  Io  tenevo  per  coglione  ma  per 
huomo  da  poter  fare  délie  coglionerie  quanto  un'  altro,  perché  tutti 
gli  huomini  sono  sottoposti  a  farne,  et  più  si  conoscono  quelle  degli 
altri  che  le  proprie,  et  che  io  non  mi  arrogavo  di  conoscer  le  sue, 
ma  sentivo  che  da  altri  erano  state  pur  troppo  conosciute,  e  almeno 
per  tali  reputate;  et  egli  punse  bravemente  me  con  dire  di  essersi 
avvisto  che,  o  per  invidia,  o  per  malignità,  io  havessi  per  maie  ch'  egli 
tirasse  a  porto  cosi  buon  negotio.  Nel  che  io  riscaldatomi,  seben  mi 
astenni  dal  dargli  mentita  formata,  perché  non  mi  si  possa  mai  dire 
che  in  maniera  veruna  io  habbia  nociuto  al  servizio  del  Padrone,  mentre 
per  quello  mi  metto  a  fare  ciô  che  forse  altro  non  farebbe,  rispon- 
dendogli  perô  ch'  egU  era  stato  il  primo  ad  haver  questa  opinione  di 
me,  et  ch'  ell'era  falsissima,  gli  provai  per  discarico  mio  questa  falsita 
di  sorte  che  gli  convenne  in  ultimo  confessarla,  et  domandarmene, 
con  sommessione,  perdono;  che  tali  proprie  parole  furono  le  sue. 
Et  quanto  agli  errori  et  leggerezze  nei  negotii  principali,  dette  moite 

curer  au  roi  d'Espagne  et  à  la  cour  de  France  les  moyens  de  grossir 
leurs  revenus.  11  avait  remis  à  Cioli  des  écritures  qui,  après  examen, 
parurent  à  ce  dernier  sans  aucune  importance. 


350  APPENDICE. 

risposte  che  per  brevità  le  lascio,  et  vorrei  che  altri  le  raccontasse, 
et  solamente  questo  é  necessario  ch'  io  dica,  che  in  scusa  di  non 
haver  servata  la  segretezza,  il  che  non  ha  potuto  negarrai,  per  haver- 
gliene  io  provato  con  la  commemoratione  dei  suoi  ragionamenti  a 
tavob  et  in  carrozza,  senza  guardare  che  vi  fussino  foresiieri,  corne 
l'Alciati  et  aliri,  disse  allora,  et  anche  poi  dopo  che  fummo  tornati 
dalla  messa,  che  non  a  caso,  ma  per  interesse  del  Sereniss»  Padrone 
haveva  tenuto  quel  ragionamenti,  perché  non  voleva  che  altri,  et  par- 
ticularmente  i  Nuntii,  si  attribuiscono  parte  délia  gloria.  Et  mi  fa 
hora  stupire  a  mostrar  di  non  conoscere  l'error  gravissimo  dell'  avcr 
pubblicato  per  fatte  cosi  gran  cose  non  fatte;  anzi,  sempre  dicendo  che 
egli  sa  molto  bene  quel  che  si  fà,  voleva  che  io  gli  credessi  ch'  egli 
havesse  santificato.  Et  eccone  anche  un  altra  piu  grossa  :  per  provarmi 
che  non  sia  stato  maie  il  non  tener  guardata  la  segretezza,  mi  fece 
leggere  il  decifrato  délia  lettera  scirittagli  uhimamente  da  S.  A.  con  la 
venuta  di  Silvio,  et  senza  voler  far  caso  délie  chiare  parole  che  contro 
di  lui  vi  sono  in  questo  proposito,  dove  si  dice  •  cosi  fosse  costà  servata 
la  segretezza,  e  simili,  si  attacca  a  quelle  che  nel  medesimo  periodo 
seguono,  dove  si  tocca  (pare  a  me)  la  poca  fede  che  ha  il  Papa  nella 
conclusione  et  altri;  et  quasi  rigettando  la  colpa  addosso  a  S.  A.  fa 
questo  bello  argomento  :  u  Io  proposi  a  S.  A.  esser  bene  che  per  il  sud- 
detto  rispetto  anche  nelle  Gazzette  se  ne  parlasse,  et  ciô  segui  : 
adunque  S.  A.  Io  fece  fare  perché  le  piacque  il  mio  consiglio.  »  Oh! 
Dio,  voletene  più?  Io  non  voglio  raccontar'  altro  perché  cerio  c'impaz- 
zirei.  Et  dove  é  ita  la  prudenza  et  la  gravita  délie  negotiationi  délia 
serenississima  casa  de  Medicis!  Oh  sigr  Caval«  hora  so  che  più  che 
mai  conosco  la  perfezzione  délia  dottrina  di  V.  S.  et  credono  loro 
Altezze  di  oriovare  al  lor  servitio  con  il  tenerraene  lontano?  non  Io 
credo  già  io,  et  perô  replico  a  buona  cera  che  innanzi  voglio  darmi  ad 
altro  mestiero,  che  acconsentire  a  questo,  et  fin  da  hora  chieggo 
liceniia. 

Ho  fatto  la  sopra  narrata  passata  con  il  Sign»"  marchese,  per  conto 
délia  quale  starô  parecchi  giorni  per  la  mala  via,  et  per  le  cagioni  spie- 
gate  a  lui,  et  anche  tocche  hieri  a  V.  S.  nel  fine  délia  suddetta  4a  let- 
tera, et  soprattutto  perche  Loro  Altezze  non  havessino  a  restar  mal 
sodisffatte  di  me  quando  io  havessi  solamente  atteso  a  scrivere  senza 
cercare  nel  medesimo  tempo  di  procurarvi  quel  remedii  che  fussino 
stati  quà  possibili.  Et  perche  questa  mira  et  questo  pensiero  io  Tho 
sempre  maggiore,  havendo  visto  che  tal  mia  diligenza  non  é  stata 
bastante  perche  non  ho  mai  potuto  con  le  mie  ragioni  convincere  il 
sigr  marchese  inebriatosi  nella  speranza  délia  riuscita  di  quel  che 
tratta  in  questa  benedetta  materia  pecuniaria,  che  sia  bene  esseguire 
intanto,  per  rispetto  del  tempo  che  passa,  le  commissioni  reiteratedi  S.  A. 
come  cose  che  non  repugnano  aile  sue  trattationi.  Sono  stato  questa 
sera  dal  sigr  marché  Concino  per  veder  se  le  piaceva  di  finir  di  dirmi 
quanto  mi  accennô  hier  mattina.  et  havendomi  confidentemente  detto 
di  haver  saputo  dalla   Regina  propria  che  il  signr  marchese  Botti  va 


APPENDICE.  35  r 

hora  trattando  di  far  pagare  il  gran  duca  sopra  le  partite  casuali,  et  la 
Poletta,  ma  che  la  medesima  Regina  ha  poi  anche  soggiunto  che  non 
si  puô  fare  :  et  anche  confermatomi  quel  che  un'  altra  voira  mi  disse, 
et  che  io  scrissi  costà,  se  maie  non  mi  ricordo,  cioe  che  il  sig""  mar- 
chese  non  conosce  gli  humori  de  Franzesi,  et  de  ministri  in  partico- 
lare,  et  molto  meno  quello  délia  Regina,  mi  ha  saggiunto  hora.  Et  in 
uliimo  rispostomi  che  io  farô  bene  a  parlar  di  nuovo  a  S.  M^  poiche 
gliene  ho  chiesto  parère  per  haverne  anche  1'  aiuto,  io  son  resoluto  di 
farlo  con  il  medesimo  pretesto  pero  che  Taltra  volta  feci,  che  non 
intendo  di  pregiudicare  a  quel  che  meglio  per  servizio  di  S.  A.,  et  per 
sodisfazzione  di  S.  M^  il  signr  marchese  habbia  proposto  et  tratti,  et 
la  supplichero  a  non  permettere  che  hora,  nel  tempo  del  suo  governo, 
questo  servidore  di  S.  A.  vada  peggio  che  non  e  andato  fin'  hora, 
s'Ella  non  si  compiaccia  che  vadia  meglio.  Ma  Iddio  sa  quanto  io  sia 
travagliaio  dal  timoré  del  non  errare,  et  V.  S.  di  gratia  habbia  pietà  di 
me  con  il  levarmi  da  questo  pericolo.  Et  mi  ha  detto  anche  il  sigr 
Concino  di  havere  interrogato  la  Regina  sopra  la  lega  con  Spagna,  et 
che  sua  maestà  gli  ha  detto  che  il  signr  Botti  glie  ne  ha  parlato  sei 
giorni  sono,  et  non  prima,  et  che  non  é  tempo  hora  di  trattar  di 
leghe.  Et  il  signore  Iddio  ci  aiuti.  Di  Parigi  li  21  novembre  1610,  etc. 

Andréa  Cioli. 


62.  Cioli  AU  secret.  d'État  Vinta.   Paris,  21  novembre  1610.  (4626.) 

lUmo  mio  Signore, 

Habbia,  di  gratia,  pacienza  V,  S.  et  supplichi  per  me  i  sereniss»  Padroni 
ad  haverla  ancor  loro  nel  sentire  per  complimento  deH'historia  quel 
che  mi  è  occorso  questo  giorno  di  piu  con  il  signr  marchese,  con 
il  quale  perô  tuttavia  riraango  in  pace,  perché  sempre  faccio  riparo 
alla  rottura  con  il  replicare  che  gli  parlo  corne  Segretario,  etc.,  et  che 
come  Andréa  Cioli  gli  son  servidore.  Questa  mattina,  poco  innanzi 
air  hora  del  desinare,  arrivati  da  lui  l'Ammirato  et  io,  Io  trovammo 
che  ei  stava  aspettando  con  una  lettera  in  mano  del  signr  Segretario 
Picchena,  portata,  per  quanto  afFermô.  nella  sua  venuta,  dal  Padre 
Stefano.  Lesse  in  essa  queste,  o  poco  difïerenii  parole  :  «  Vien  costa 
il  Padre,  etc.,  raandato  da  madama  Serenissima  nostra  Padrona  per 
servizio  délia  sua  causa  con  Zamet,  délia  quale  porta  tutte  le  scritture, 
et  tiene  ordine  da  S.  A.  di  governarsi  nello  esseguire  le  sue  commes- 
sioni  in  tutto,  et  per  tutto,  secondo  il  parère  di  V.  S.  Illn^^  et  non 
altrimenti.  »  —  u  Non  son  gran  parole  queste  (soggiunse  poi  il  Sign""  Mar- 
chese). —  Grandissime  (risposi  io)  et  in  virtù  di  esse  dico  hora  ch'ella  ha 
ragione  a  farli  fare  quel  che  a  Lei  pare,  ma  egli,  che  ha  la  sua  instrut- 
tione  di  molto  diverso  tenore,  non  ha  già  il  torto  a  mostrar  dispia- 
cere  che  V.  S.  Illma  gl'impedisca  le  sue  operationi,  et  mérita  Iode  di 


352  APPENDICE. 

modesto  nell'  averla  obbedito  senza  aver  visto  cotesta  lettera,  si  corne 
forse  meriterebbe  biasimo  se  doppo  haverla  veduta  non  havesse  volute 
conformarsi  con  la  volontà  di  Lei .  »  Et  cosi  valsosi  il  Signr  Marchese 
di  questa  occasione,  disse  che  hieri  non  si  era  finito  di  lavare  il  bucato, 
et  che  perô  siccome  egli  voleva  per  la  parte  sua  finir  di  dire  liberamente 
tutto  quel  piu  che  gli  occorreva,  che  cosi  desiderava  che  facessi  io, 
acciô  non  restasse  alcuna  macchia  ne  dall'  una,  ne  dalF  altra  banda  : 
<<  Io  non  ho  che  dir'  altro  (risposi  io)  per  la  parte  mia  et  non  ho 
bisogno  di  far  bucato,  perché  corne  Andréa  Cioli  sono  nel  medesimo 
grado  di  suo  servidore  di  prima,  et  corne  segretario  del  nostro  Prin- 
cipe ho  detto  tutto  quello  che  m'è  parso  potere  importare  ail'  intente 
di  S.  A.  nel  quale,  corne  taie,  dirô  anche  di  mano  in  mano  tutto  quel 
più  che  bisogni,  ma  confido  che  non  bisognerà,  perché  V.  S.  lUm^  farà 
capitale  di  quanto  ho  detto.  —  No,  no  (soggiunse  egli);  io  so  che  voi 
direte  anchè  altro  quando  haverete  sentito  me.  Has-erei  creduto  per 
l'amicitia  che  é  fra  noi,  et  per  l'affezzione  che  sapete  che  vi  ho  portata 
sempre,  per  il  quai  riguardo  potete  ricordarvi  che  S.  A.  scrisse  di 
haver  mandate  quà  più  volentieri  voi,  che  altri,  che  voi  haveste  dovute 
procéder  meco  d'ahra  maniera  che  non  havete  fatto,  et  nondimeno  io 
per  il  medesimo  rispetto,  et  perche  ho  cara  la  vostra  grandezza,  non 
ho  volute  scrivere  a  S.  A.  quel  che  havrei  scritto  senz'  altro,  se  altra  per- 
sena  che  voi  fosse  stata  »  ;  et  qui  fermosi.  —  «  le  non  ho  che  rispondere 
a  V.  S.  lUma^  dissi  io,  s'Ella  non  si  dichiari  meglie  »;  onde  egli  dichia- 
randosi  soggiunse,  «  che  io  havevo  mostro  seco  una  peca  confidenza, 
et  che  non  essendogli  costa  celate  nulla,  io  non  doveve  ciô  fare,  et  che 
se  con  altri  che  meco  egli  havesse  havuto  a  trattare,  haverebbe  scritto 
a  S.  A.  o  che  mi  desse  altr'  ordine,  e  che  richiamasse  lui;  ma  che  non 
haveva  volute  farlo  per  la  sudetta  censideratione  dell'  amicitia  nostra.  — 
Ringratie  V.  S.  Illma  délia  sua  certesissima  volontà  (risposi  ie),  ma  non 
già  deir  effetto,  perché  se  ciô  EU'  havesse  scritto,  sarebbe  stata  causa 
del  mie  ritorno  tante  da  me  desiderate;  et  di  gratia  facciale,  già  che 
non  l'ha  fatto.  —  Non  le  veglio  fare  (diss'  egli)  perché  vi  replice  che  vi 
porto  affezzione,  et  che  desidero  egni  vostro  augumento  ;  et  se  che 
dalla  vostra  dimora  ve  ne  potrà  venire;  et  io,  per  procurarvele,  et  in 
questa  certe  et  nella  nostra,  farô  per  voi  tutti  gli  effitii  che  vorrete.  » 
Anche  in  questo  io  le  ringraziai  délia  buena  volentà,  ma  quanto  ail' 
efïetto,  gli  dissi,  che  non  voleve  che  si  affaticasse  punto,  perché  qui 
io  non  pretendeve  nulla,  et  cestà  le  mie  azzioni  havevane  a  parlar 
per  me  :  «  Et  prego  Iddio  (seggiunsi)  che  viva  il  Signr  Cavalière 
Vinta  mie  benefattere,  perché  in  tutte  le  cose  ha  sempre  da  essere 
egli  il  mie  unice  intercessore  et  non  altri,  come  infine  ad  hora  e  stato. 
—  Almene  ricenoscete  il  buen'  anime  mie  (diss'  egli).  —  le  Ihe  già 
ricenoscinte  (risposi),  poiché  ne  ho  ringratiataV.  S.  lUma^  et  di  nuevo  ne 
la  ringratie.  —  Her  facciame  a  dire  il  vere  (soggiunse  di  pei),  non  e  egli 
devere  che  un'  Ambasciadere,  senza  père  toccare  le  commessieni  del 
segretario,  le  sappia  tutte,  non  tante  per  sua  reputatiene,  quanto  per 
peter  rimediare  a  egni  disordine  che  ne  potesse  nascere,  avvenendo  che 


APPENDICE.  353 

ciascano  di  loro  s'imbattesse  a  parlare  d'un  medesimo  negotio  ? —  Signor, 
no  (risposi  io),  nego  questo  in  tutto  e  per  tuito;  ma  V.  S  Illni-^  non  si 
affatichi  a  provarmelo,  perche  noi  non  sia'mo  in  questo  caso  :  Ella  non 
e  Ambasciadore,  o  s'EU'è,  non  è  résidente  et  io  non  sono  segretario 
deir  Ambasciata.  »  Et  qui  facemmo  una  buona  mischia,  perché  ad  ogni 
modo  eg'i  volse  provarmi  la  sua  proposiiione  et  con  ragioni  et  con 
essempi,  et  io  sempre  a  tutto  risposi  in  contrario,  ma  sempre  con 
piacevolezza,  sebben  talvolta  fuor  dei  termini  délia  modestia,  perché 
sarei  stato  l'oca  se  da  questi  non  mi  fossi  in  qualche  proposito  assai  ben 
discostato.  «  Hor  guardate  (disse  poi  egli)  se  per  servizio  del  Principe 
è  ben  che  TAmbasciadore  sempre  sappia  ogni  cosa  :  se  io  non  havessi 
saputo  quell'offerta  fatta  alla  Regina  da  S.  A.,  sarebbe  stato  errore.  — 
Et  io  dubito  (risposi)  che  error  sia  stato  che  V.  S.  111.  l'habbia  saputa, 
perché  attendendo  ai  negotii  gravi,  Ella  non  si  sarebbe  forse  messa  a 
imprese  irriuscibili  con  pregiudiiio  del  servitio,  et  forse  délia  dignità  del 
serenissimo  Padrone.  »  Per  queste  parole  egli  s'incolleri  oltre  modo,  e 
lasciando  le  lusinghe  mi  disse  aspramente  che  troppo  eroentrato  innanzi 
in  più  cose,  et  infin  neir  haver  parlato  alla  Regina  sopra  quel....  et  io 
allora  mi  sentii  tanto  alterare  che  fui  quasi  per  dolermi  délia  Regina, 
e,  confesso  il  mio  peccato,  infin  mi  cadde  nell'  animo  di  montare  a 
cavallo,  et  venirmene  costà  volando,  et  questo  Io  dissi  a  lui  con  parole 
alte  di  turbidissimo  stomaco,  mentre  gli  risposi  che  sopra  tal  particolare 
io  non  havevo  che  dirgli,  se  non  che  non  doveva  andar  cercando  quel 
che  mi  occorreva  dire  per  servitio  del  mio  Sig